Publié par Gaia - Dreuz le 18 novembre 2019

Source : Lejdd

Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, co-dirige un nouvel ouvrage avec Romain Bertrand, Faire musée d’une histoire commune. Il s’attaque aux idées reçues sur l’immigration.

Il est l’un des historiens les plus importants de sa génération. Patrick Boucheron, professeur au Collège de France depuis 2015, bat en brèche les idées reçues sur l’immigration dans son nouvel ouvrage Faire musée d’une histoire commune, co-dirigé avec Romain Bertrand, historien français. Un sujet bien connu de Patrick Boucheron. En 2017, il avait dirigé l’ouvrage collectif Histoire mondiale de la France, au Seuil, en prenant garde à ne pas réduire l’histoire des immigrations à l’histoire coloniale. Au JDD, il livre ses impressions sur la politique actuelle, l’identité et le devoir d’hospitalité.

Comment pourriez-vous définir votre nouveau livre ?

Il s’agit d’un ouvrage de circonstance : en juin 2017, j’ai été chargé avec Romain Bertrand de composer et de présider un conseil scientifique d’une quarantaine de spécialistes de l’immigration pour réordonner le parcours du musée national de l’Histoire de l’Immigration sur des bases chronologiques. Les pouvoirs publics ont confié à ce musée une tâche politique, dans le sens le plus noble du terme : “faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration” en reconnaissant son histoire, et en la reconnaissant comme notre histoire. La première chose à faire est de compter, mesurer, évaluer et, ce faisant, de donner des “repères”, pour reprendre le titre du parcours actuel. Car on ne peut bâtir d’histoire commune que sur un socle d’exactitude qui considère la part de chacun avec justice et justesse.

Le discours politique s’est depuis longtemps détaché du réel.

L’historien que vous êtes, attaché aux faits, n’a-t-il pas affaire à l’irrationnel dès qu’il s’agit d’immigration ?

Le discours politique s’est depuis longtemps détaché du réel. Nous sommes, nous les chercheurs, censés être du côté des rêveurs, des idéalistes, des donneurs de leçons alors que, lorsque l’on travaille sur l’immigration, on découvre des données qui dédramatisent les problèmes, ou du moins qui en donnent une vision mesurée. Or ces justes proportions paraissent déraisonnables au regard d’un discours politique qui les déforme. Les chercheurs sont donc dans une situation paradoxale : quand ils disent le vrai, le vrai a l’air d’être un mensonge. Voici pourquoi il ne s’agit pas seulement d’accumuler des données, mais de combler un déficit de narration.

Comment jugez-vous le discours d’Emmanuel Macron sur l’immigration ?

Je le juge non seulement dangereux et mensonger, mais incompréhensible. Si l’idée est d’organiser l’inéluctabilité d’un face-à-face avec Marine Le Pen en 2022, elle heurte cette loi politique : désigner son adversaire revient à choisir son successeur. Emmanuel Macron fait preuve d’un aveuglement historique et idéologique inquiétant, car il semble ignorer qu’à ce jeu-là on perd toujours. On croit poser une digue alors qu’on lance un pont. Jacques Toubon fut l’un des artisans du musée national de l’Histoire de l’Immigration parce qu’il fut l’un des rares chiraquiens à avoir pensé qu’il s’était passé quelque chose le 21 avril 2002, un événement qui nous obligeait collectivement. Jacques Toubon ne fait vraiment pas partie de ma culture politique. Mais le fait qu’il soit aujourd’hui, en tant que défenseurs des droits, l’un des plus impeccables défenseurs d’un certain nombre de valeurs en dit long sur notre désarroi politique.

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