Publié par Gaia - Dreuz le 18 novembre 2019

Source : Leparisien

Sara Z. et Thomas S. s’aimaient et, pour célébrer leur mariage, ont envisagé d’attaquer le monument parisien à l’explosif. Les deux jeunes viennent d’être renvoyés devant la cour d’assises spéciale pour mineurs.

L’histoire aurait pu se résumer à une insouciante romance 2.0. Sara Z., 16 ans, habite à Montpellier. Après s’être cherchée dans la mouvance gothique, l’adolescente, cheveux bruns et visage slave, se convertit à l’islam. Mi-2016, elle sympathise avec Thomas S., 20 ans, sur le site de rencontres destiné à la communauté musulmane Muslima. Le jeune homme, sportif et cheveux en catogan, est originaire de la ville voisine de Clapiers (Hérault). Lui aussi s’est tourné vers Allah, après des rêves professionnels brisés, dont celui d’intégrer le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale).

Le courant passe et le couple délaisse le virtuel pour les choses sérieuses : Thomas s’installe dans un box de garage désaffecté en dessous de l’appartement de Sara. Les amoureux prévoient déjà de se marier religieusement le 11 février 2017 et publient, dans un mélange de tradition et de modernité, une annonce sur Facebook afin de trouver un tuteur.

Un projet djihadiste inquiétant

De là, un engrenage mortifère se met en place. Car les noces ne constituent apparemment que le prélude d’un projet djihadiste inquiétant. Selon les plans de ces jeunes fanatiques de Daech, déjoués par les enquêteurs, Thomas S. se fera exploser à la tour Eiffel. Sara Z., elle, émigrera dans un pays musulman, auréolée de son statut de veuve de « martyr ».

Lorsque les enquêteurs de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) les interceptent le 10 février 2017, il était temps : du TATP, explosif instable, et un important matériel de chimiste sont découverts dans un appartement prêté à Thomas.

Deux ans et neuf mois plus tard, voilà le couple renvoyé devant la cour d’assises spéciale des mineurs pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et « fabrication d’explosifs en relation avec une entreprise terroriste ».

Des confidences à un cyber-policier infiltrés

La lecture de l’ordonnance des juges d’instruction, signée le 6 novembre, offre une plongée glaçante dans la psyché des deux jeunes radicalisés, entre détermination, séduction et improvisation. Thomas et Sara, aujourd’hui âgés de 23 et 18 ans, seront jugés aux côtés de Malik H., un trentenaire présenté comme le mentor du couple, et trois autres suspects impliqués dans un projet terroriste parallèle.

C’est d’abord parce que Sara s’est confiée, sans le savoir, à un cyber-policier infiltré que le projet de mettre à feu la Dame de fer a été mis en échec. Comme dans un journal intime, la jeune fille raconte, le 24 janvier 2017, avoir déniché « un frère » susceptible de la marier. Ayant perdu sa virginité avant le mariage, elle y voit le seul moyen de laver son honneur et la condition pour pouvoir rejoindre une terre contrôlée par l’Etat islamique.

L’individu en question est Malik H., un homme au carnet d’adresses djihadistes fourni, connu pour ses propos complotistes et glorifiant les attentats sur Internet. Deux rencontres sont organisées avec le couple afin qu’il donne son imprimatur à leurs fiançailles.

« J’aimerais bien voir le truc de fer »

Le projet s’accélère en 17 jours. Sur une écoute, Thomas dit à Sara : « Je regardais un reportage sur la tour Eiffel, c’est possible qu’on y aille. J’aimerais bien voir le truc de fer. » Un voyage en Ouibus à Paris pour effectuer des repérages est envisagé dans le mois.

Connecté via sa console de jeux, Thomas effectue des recherches sur des substances chimiques, s’intéresse à l’architecture du monument parisien et télécharge « le Manuel du P’tit terroriste ».

Sara, elle, transmet au policier infiltré une vidéo de guerriers arabes à cheval, imagerie djihadiste proclamant en sous-titre : « Laissez-nous faire le djihad, la bataille et le combat à nouveau ». Puis un enregistrement dans lequel elle apparaît en niqab, sitar en main, et prête allégeance au calife autoproclamé de Daech. Elle inscrit sur une feuille « lavage mortuaire », rite islamique prévu après un décès…

71 grammes de TATP

Le 9 février, les enquêteurs aperçoivent les deux convertis se rendre dans des supermarchés à Montpellier acheter un verre doseur, de l’acétone, de l’eau oxygénée… Puis s’enfermer dans l’appartement de Thomas. Le soir même, Sara demande à son confident de l’aider « à réussir ce magnifique projet […], ça sera comme aux Etats-Unis en 2001 ». Citant un djihadiste belge connu, elle affirme : « Qu’importe si ton corps est explosé en plusieurs morceaux, Allah te ressuscitera ».

Les policiers décident alors de précipiter leur coup de filet au lendemain. Chez Thomas, ils retrouvent 71 g de TATP déjà fabriqués. De quoi, selon les spécialistes, « provoquer des blessures plus ou moins importantes, voire létales », dans « un rayon de quelques dizaines de mètres ». Au regard des composants chimiques saisis sur place, ces mêmes experts estiment que le jeune homme était en mesure de fabriquer « rapidement » d’autres charges.

« Je savais que j’allais me marier à un tueur »

En garde à vue, Sara Z. assume leur projet criminel : « [Thomas] devait tuer des gens sur Paris. J’avoue que j’étais fière de ce qu’il allait faire, à savoir exploser la tour Eiffel. Je voulais être la veuve de cet homme qui allait entrer dans l’histoire […] Je savais que j’allais me marier à un tueur ». Après avoir pensé à d’autres cibles, comme « un lieu d’alcool » ou « le Louvre », le couple envisageait de recruter neuf autres assaillants, avec l’aide de Malik H., pour porter un coup fatal au monument.

« Un devait grimper sur les pieds, un autre devait lancer de la fumée pour détourner l’attention, un autre devait tirer sur les militaires qui intervenaient », fanfaronne Sara. Tandis qu’elle, devait être rapatriée chez des « sœurs » puis prendre la fuite à l’étranger.

Devant les enquêteurs, Thomas, lui, avoue que « ça aurait été le top » d’attaquer la tour Eiffel « à la thermite », d’autant que « ça n’aurait pas été si compliqué ». Mais « très amoureux » de sa compagne, il affirme avoir monté ce projet surtout pour la séduire, sans trop y croire.

« Un pacte que sont les fiançailles nous unit »

Mis en examen, le couple et son tuteur risquent 30 ans de réclusion criminelle. Thomas et Malik sont depuis écroués à Lille (Nord) et Valence (Drôme). Contactés, les avocats du premier n’ont pas souhaité s’exprimer. « L’instruction n’a pas démontré de rôle joué par notre client dans le projet des deux amants. Il n’avait nullement l’intention de commettre un attentat », insistent de leur côté, Mes Karim Laouafi et Merabi Murgulia du cabinet Khiasma, conseils de Malik H.

Quant à Sara, elle a d’abord été placée en centre éducatif fermé à Laon (Aisne) avant de bénéficier d’une liberté surveillée préjudicielle. « Ce n’est plus la jeune fille sous emprise de cet amour, sincère et partagé, avec Thomas, note son avocat, Me Frank Berton. Elle s’est complètement extirpée de ce tourbillon de radicalisation et a désormais le recul nécessaire. »

Le 12 avril 2019, Thomas écrivait encore une lettre à Sara : « Un pacte que sont les fiançailles nous unit et t’empêche de te marier tant que l’on ne l’a pas rompu ». Selon l’expertise du psychologue, le jeune converti, toujours amoureux, aurait conservé des idées radicales et tiendrait des propos légitimant la violence en détention. « Il n’imagine pas son avenir en France et évoque sa volonté de s’établir dans de beaux pays comme l’Arabie saoudite ou la Mauritanie », écrit l’expert.

« Sara veut devenir une jeune femme »

Sara, elle, a coupé court à toute relation avec Thomas. Et ne répond à aucun de ses courriers. Après avoir obtenu son brevet avec la mention très bien, elle s’apprête à passer un baccalauréat littéraire avec la philosophie comme spécialité. Les débuts en centre fermé ont été difficiles, l’adolescente se posant « davantage comme victime qu’auteur », selon les éducateurs.

Lors d’une réunion en mai 2017 avec Latifa Ibn Ziaten, mère d’une victime de Mohamed Merah, elle aurait posé des « questions morbides et provocantes ». L’année suivante, elle noue une relation avec un mineur non accompagné décrit comme « instable et violent ».

Mais aujourd’hui, les juges ont noté une évolution positive. Ce qui lui a permis de recouvrer la liberté. « Ma fille a acquis de la maturité et exprime beaucoup de regrets sur ce qu’il s’est passé, nous confie la mère de Sara. Elle participe aujourd’hui à des œuvres humanitaires et essaye de se construire un avenir, avec le soutien des éducateurs, psychologues et de sa famille. Elle veut devenir une jeune femme. La religion n’a plus une grande importance dans sa vie. »

Inscrivez-vous gratuitement pour recevoir chaque jour notre newsletter dans votre boîte de réception

Si vous êtes chez Orange, Wanadoo, Free etc, ils bloquent notre newsletter. Prenez un compte chez Protonmail, qui protège votre anonymat

Dreuz ne spam pas ! Votre adresse email n'est ni vendue, louée ou confiée à quiconque. L'inscription est gratuite et ouverte à tous