Publié par Pierre Lurçat le 19 novembre 2019
Le drapeau israélien hissé à Eilat

Dans leur livre sur la guerre d’Indépendance, publié en 1960 (1), Jon et David Kimhi ont cette remarque éclairante, au sujet de l’issue de la guerre de 1948. “A bien des égards, les combats eux-mêmes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la guerre de Palestine. Ce qui a été le plus important, c’est l’affrontement des volontés”.

Cette phrase semble faire écho à un verset bien connu du prophète Zachariah : “Ni par la force, ni par la puissance, mais bien par mon esprit”. Pendant des décennies, les dirigeants de l’armée et de l’Etat d’Israël avaient bien conscience que le principal élément de la force de Tsahal, face à des ennemis plus nombreux et souvent mieux armés, était l’esprit combatif, la motivation et la conscience de ses soldats qu’ils étaient obligés de vaincre. “Eyn brera!”

Paradoxalement, cette force intérieure a décru, au fur et à mesure que se développait la puissance technologique de Tsahal (2). Nous sommes arrivés aujourd’hui à un stade où les prouesses technologiques pallient difficilement l’effritement de la volonté de vaincre, et ne sont parfois plus un élément de la force de Tsahal, mais bien plutôt un élément de sa faiblesse… L’un des premiers qui l’a compris est un chercheur du Centre d’études moyen-orientales de l’université d’Ariel, Eyal Levin, dont les travaux portent sur la “résilience nationale” (‘hossen léoumi) : “Le système Dôme d’acier n’exprime pas notre résilience nationale, mais au contraire notre faiblesse”, disait-il en substance, au lendemain de l’opération “Colonne de nuée” (Amoud Anan) de novembre 2012. Ce constat de faiblesse est toujours aussi valable, sept ans plus tard, après d’innombrables rounds d’hostilités à la frontière de Gaza.

Le système de défense antimissiles “Kippat Barzel”, comme nous l’écrivions il y a quelques mois (3), ressemble à un immense parapluie troué, qui constitue une arme défensive très insuffisante et comporte des effets pervers, en dispensant Tsahal d’une contre-attaque authentique, comme l’a montré l’amère expérience des dernières années. Plus la prouesse technologique qu’il constitue est réussie (empêcher les missiles de l’ennemi d’atteindre le sol israélien), plus son effet pervers s’accroît : priver Israël d’une indispensable offensive préventive, pour interdire à l’ennemi d’essayer même de l’attaquer. A cet égard, Kippat Barzel est en réalité la négation du Kir Habarzel – la muraille d’acier – concept développé par Jabotinsky dans son fameux article de 1923, qui est au fondement de la doctrine stratégique de Tsahal (4).

La muraille d’acier signifie en effet qu’il faut dissuader l’ennemi de nous attaquer, et pas seulement se défendre contre ses attaques incessantes. Selon cette conception, la paix et la sécurité ne viendront pas en élaborant des systèmes de défense de plus en plus perfectionnés, pour intercepter les missiles du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran. Elles ne viendront qu’en ripostant avec toute la force nécessaire et en attaquant les ennemis qui nous menacent, portant la guerre sur leur territoire – comme l’a fait Tsahal lors des guerres victorieuses de 1948, 1956, 1967 et 1973, jusqu’à ce qu’ils demandent grâce et renoncent à leurs intentions belliqueuses.

Une défaite morale et psychologique

Mais il faut aller plus loin encore. La réussite technologique (toute relative) de Kippat Barzel n’est pas seulement une défaite sur le plan militaire et psychologique, en empêchant Tsahal de riposter et en portant ainsi un coup fatal à notre capacité de dissuasion. Elle incarne aussi l’inversion et l’oubli des valeurs sur lesquelles reposait jadis la force de Tsahal. Un des exemples les plus frappants de cet oubli des valeurs fondatrices de l’armée de Défense d’Israël nous est donné par le cas tragique du soldat Hadar Goldin, capturé et tué par le Hamas le dernier jour de l’opération Tsouk Eytan à Gaza, et dont la dépouille est toujours détenue par le Hamas, cinq ans plus tard.

Hadar Goldin z.l.

Comme l’a déclaré le père de Hadar, le Dr Simha Goldin, en août 2019 : “Hadar a été abandonné à trois reprises par la lâcheté de nos dirigeants. La première fois, sur le champ de bataille, lorsqu’ils ont empêché son officier de pénétrer dans l’hôpital du Hamas où il était apparemment détenu et blessé. La deuxième fois, à la fin de l’opération Tsouk Eytan, lorsque les dirigeants israéliens ont négocié (un cessez-le-feu) au Caire avec le Hamas, sans exiger la restitution des deux soldats Oron Shaul et Hadar Goldin. Et la troisième fois, pendant les cinq dernières années…” Simha Goldin a aussi déclaré, lors du congrès annuel du mouvement Im Tirtsu, que pour la première fois dans l’histoire de Tsahal, un soldat avait été déclaré “tombé au combat” en pleine guerre, alors qu’il était disparu et que son sort n’était pas encore connu avec certitude.

Ce précédent dangereux a été fixé en contradiction avec la tradition remontant aux débuts de Tsahal, de ne jamais abandonner un soldat sur le champ de bataille et de ne pas le considérer comme mort, tant que sa dépouille n’avait pas été récupérée. L’exemple tragique de Hadar Goldin devrait susciter un vaste mouvement de réflexion et une prise de conscience au sein de la population israélienne, et surtout de sa jeunesse, dont la motivation pour servir dans les rangs de Tsahal n’a pas faibli. Car ce sont les valeurs fondatrices de Tsahal qui ont permis, jusqu’à ce jour, que des jeunes Israéliens s’engagent dans les rangs des unités combattantes. Si l’esprit de fraternité combattante (Reout) – immortalisé par les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri durant la guerre d’Indépendance – devait s’estomper, comment pourra-t-on demain appeler des jeunes soldats à risquer leur vie pour leur pays ?

Simha Goldin devant le Lion de Tel Haï

Hadar Goldin portait un nom plein de signification. “Hadar” signifie “splendeur” et il fait référence au Chir Betar, l’hymne du mouvement de jeunesse sioniste créé par Zeev Jabotinsky, qui fut aussi le fondateur de la Légion juive, ancêtre de Tsahal. Puissent les mots du Chir Betar inspirer les dirigeants qui se considèrent comme les héritiers de Jabotinsky. “Hébreu, dans la misère même tu es Prince, Dans la lumière ou l’obscurité. Souviens toi de cette couronne”. Qu’ils se souviennent, eux aussi, du Keter. Qu’ils se souviennent du Hadar et du Tagar. Et qu’ils n’oublient pas non plus les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri, de “l’amour consacré dans le sang” des soldats tombés dans les guerres d’Israël.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.

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