Publié par Gaia - Dreuz le 20 novembre 2019

Source : Atlantico

Washington et Pékin auraient-ils trouvé un accord commercial ? Le 11 octobre dernier, la Chine et les Etats-Unis annonçaient un accord commercial partiel.

Atlantico : Le 11 octobre dernier, les Etats-Unis et la Chine annonçaient un accord commercial partiel qui suspendait une hausse prévue des droits de douane imposés par les Etats Unis à la Chine.

Atlantico : Un mois après la rencontre entre Donal Trump et Liu He, croyez-vous que cet accord commercial ait marqué le début d’une véritable détente dans les relations sino-américaines, du moins dans leur guerre commerciale ?

Antoine Brunet : Il faut remarquer que, le 11 octobre, les deux parties, américaine et chinoise, se sont curieusement contentées d’annoncer qu’elles étaient sur le point de pactiser sur un compromis à la fois significatif et imminent.  Un mois plus tard, le contenu de ce compromis n’est toujours pas concrétisé publiquement, essentiellement parce que la négociation en réalité est manifestement inachevée : Pékin revendique l’abandon de tous les droits de douane imposés par Trump avant toute signature de cet accord partiel alors que Trump et son principal conseiller commercial Navarro rejettent absolument une telle exigence. 

Une autre indication de ce qu’en réalité, cet accord partiel n’est pas près de se concrétiser, c’est le fait que la date de signature a déjà été reportée à deux reprises sans qu’une date ferme ne soit encore fixée. Ces difficultés patentes à conclure un accord pourtant très partiel témoignent de ce que la guerre commerciale qui dure déjà depuis 18 mois entre les Etats Unis et la Chine est loin d’être terminée. 

A noter d’ailleurs que l’affrontement Chine/Etats Unis s’est déjà élargi du seul domaine commercial au domaine technologique (Affaire Huawei), aux bases navales à l’étranger (Djibouti), aux institutions internationales (attribution à la Chine du poste de président de la FAO), à la diplomatie (le non désaveu de la Chine par l’ONU pour son comportement au Sinkiang)….L’affrontement est déjà multidimensionnel.

Valérie Niquet : L’accord permet de suspendre les tensions, à l’initiative de Donald Trump. Il démontre la capacité des États-Unis à conserver l’initiative. Le s enjeux fondamentaux n’ont pas changé : si la Chine n!adapte pas son système au règles internationales du commerce ouvert, la menace des sanctions les toujours.

Depuis 2015, nombreux sont les membres de la communauté stratégique américaine qui ont rallié les positions les moins pacifistes envers la Chine. Certains, comme le Général Spalding, rédacteur de la stratégie nationale de sécurité de 2017, affirment que la Chine pose une plus grande menace aux Etats-Unis que l’Union Soviétique n’en posait.  Dans quelle mesure existe-t-il un consensus américain sur le besoin de contrer la Chine plutôt que de chercher un régime de coopération, notamment sur le plan commercial ?

Antoine Brunet : Le général Spalding a tout-à-fait raison. Les dirigeants politiques américains ont été trop longtemps abusés par Henry Kissinger qui leur prêchait inlassablement la complaisance et la passivité face au Parti Communiste Chinois (PCC).  

Trois différences expliquent pourquoi la rivalité le Parti Communiste de l’Union Soviétique (PCUS) infligea aux Etats Unis entre 1945 et 1989 fut beaucoup moins sévère que celle que leur inflige depuis trente ans le Parti Communiste Chinois (PCC).

  • Les objectifs du PCC sont beaucoup plus ambitieux que ne l’étaient ceux du PCUS.

Les dirigeants américains, influencés par Kissinger, se sont rendu compte trop tardivement (seulement autour de 2015) de ce que le PCC avait adopté, sous Deng Tchao Ping, dès les années 1989-1992, deux objectifs très ambitieux qui sont jumeaux : 

  • Ravir l’hégémonie géopolitique aux Etats Unis ;
  • Substituer à l’échelle mondiale le modèle totalitaire au modèle démocratique. 

Ces deux objectifs sont jumelés : le PCC est obsédé de pérenniser le pouvoir totalitaire qu’il exerce depuis 1949 sur la société chinoise. Cela le motive et le mobilise à la fois à ravir l’hégémonie aux Etats Unis ET à rayer la démocratie de la planète.

En effet, dans le cas où le PCC réussirait à infliger une défaite géopolitique définitive aux Etats-Unis, l’hégémonie mondiale lui reviendrait mécaniquement, ce qui lui donnerait des atouts supplémentaires pour assurer un contrôle totalitaire encore plus absolu sur la population chinoise. 

Avantage collatéral en pareil cas pour le PCC : il serait en mesure de faire valoir à la population chinoise que son modèle totalitaire est « gagnant » face au modèle démocratique des Etats-Unis ; quant aux pays démocratiques, ils seraient, face au triomphe du PCC, submergés par un engouement mondial pour le modèle totalitaire ; au total, grâce à cela, le PCC serait débarrassé de l’attraction que le modèle démocratique exerce encore sur une fraction importante de la population chinoise.

L’objectif du PCC depuis les années 89-92 est donc bien plus ambitieux que celui de l’URSS dans les années 1960-1989. De Staline à Brejnev, les dirigeants russes n’avaient alors ni la prétention de ravir l’hégémonie aux Etats Unis, ni non plus de rayer la démocratie de la planète ; ils avaient pour principale ambition d’accroître graduellement le territoire de l’empire russe ; pour ce faire, il leur suffisait de « contenir » la domination des Etats Unis. 

  • Entre 1945 et 1989, les Etats Unis faisaient face à une URSS qui était communiste (Collectivisme sur le plan économique et Totalitarisme sur le plan politique) tandis que depuis 1978, ils sont confrontés à une Chine qui, elle, n’est pas communiste mais « capitariste » (Capitalisme d’Etat et Totalitarisme). 

L’URSS combinait le totalitarisme avec un collectivisme totalement inefficace sur le plan économique tandis que la Chine depuis 1978 combine le totalitarisme avec un capitalisme d’Etat qui s’avère autrement plus efficace que le collectivisme. 

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le général Spalding évoque que le défi que la Chine adresse aux Etats Unis est un défi qui s’avère plus menaçant que celui que lui avait adressé l’URSS et qui serait plutôt comparable à celui que lui avait adressé l’Allemagne nazie. En réalité, l’Allemagne et le Japon des années 30 et 40 furent historiquement les premiers pays à s’inscrire dans le capitarisme.

  •  Pour parvenir à réaliser les deux objectifs jumeaux évoqués ci-dessus, le PCC a conçu dans les années 89-92 une stratégie très pertinente qu’il a ensuite mise en œuvre progressivement mais méthodiquement. 

A la base, il s’agissait de mettre en place une surexploitation de la population ouvrière chinoise et de maintenir un yuan formidablement sous-évalué en sorte d’obtenir et de maintenir en Chine une sur-compétitivité salariale ouvrière exceptionnelle. Il restait pour la Chine à obtenir des Etats Unis d’accéder à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), ce que (formidable erreur) Bill Clinton finit par lui octroyer fin 1999. Dès lors, la Chine s’emparait de parts croissantes du marché mondial des produits manufacturés et accumulait, au détriment des autres pays, des excédents commerciaux énormes, croissants et récurrents. 

Prospérité commerciale, prospérité industrielle, prospérité économique, prospérité financière. Tout cela était ensuite capitalisé par le PCC en succès technologiques, en subordination de pays souverains, en irruption dans les organismes internationaux, en alliances diplomatiques conséquentes (Russie, Iran), en expansionnisme géographique (Mer de Chine du sud), en achat de bases navales à l’étranger (Djibouti, Le Pirée…), et surtout en puissance militaire, numérique et spatiale….

Au total, le PCC, pour s’être donné des avantages imparables en matière industrielle et commerciale autour de 1990, réussit trente ans plus tard à rivaliser à parité avec les Etats Unis dans tous les domaines qui comptent pour la puissance géopolitique, la principale exception étant le domaine monétaire (suprématie maintenue du dollar).​

Il est frappant de constater que le Parti Démocrate qui est dans une opposition très résolue à l’égard du Président Trump le soutient sur un seul point, la contre-offensive qu’il a entamée à l’égard de la Chine et du PCC. Madame Pelosi le rappelle régulièrement. Quant aux candidats démocrates pour l’élection présidentielle de novembre 2020, ils soutiennent eux aussi la contre-offensive engagée par les Etats Unis, les plus déterminés étant les candidats les plus à gauche, Sanders et Warren. Biden est ans doute le plus modéré à l’égard de la Chine, ce qui sans doute nuit à sa campagne.

Quant à la banque centrale américaine, la Federal Reserve, elle a commencé à montrer, comme cela avait déjà été le cas entre 1941 et 1945, qu’elle saurait tenir compte de l’affrontement géopolitique actuel pour protéger davantage l’économie américaine.

Valérie Niquet : La Chine ne pose pas une plus grande menace que l’URSS, ses capacités militaires, face à la puissance des États-Unis sont encore très loin de l’emporter, particulièrement en cas de conflit. La Chine ne prendra pas le risque d’un conflit direct. En revanche ‘est bien un adversaire systémique dont l’objectif est de maintenir au pouvoir le Parti communiste. Le risque est donc asymétrique, c’est celui de l’influence, des moyens asymétriques, de la naïveté face aux objectifs réel de la RPC.

Qu’est-ce qui a provoqué ce tournant dans la manière dont les décideurs américains de tous bords perçoivent désormais la Chine ?

Antoine Brunet : Deux évènements marquants sont intervenus en 2015 qui ont sans doute contribué à ce que le Pentagone d’abord, Washington ensuite se détachent de la détestable influence exercée par Henry Kissinger sur la politique internationale des Etats Unis et se décident à engager une contre-offensive d’ampleur à l’égard de Pékin.

Le premier : La conquête depuis 2015 de la Mer de Chine du sud par la Chine. Après avoir neutralisé, entre 2010 et 2015, toutes les démarches diplomatiques visant à maintenir internationales les eaux de la Mer de Chine du sud, le PCC, à partir de 2015, s’est employé et a réussi à militariser très rapidement plusieurs îlots inhabités en autant de forteresses militaires au cœur de cette mer, ce qui lui donne un avantage majeur dans une zone qui est géopolitiquement décisive.

Le second : le plan « Made in China 2025 » annoncé en mai 2015 par le premier ministre Li Keqiang. Le PCC rendait alors public sa stratégie technologique visant à ce qu’en 2025, les dix filières industrielles les plus porteuses d’avenir soient dominées mondialement par des firmes sino-chinoises. Pour le Pentagone, preuve était ainsi faite que Washington avait trop longtemps privilégié les profits à court terme réalisés par les multinationales américaines à travers leur implantation en Chine et qu’il était désormais devenu urgent de découpler sans plus de délai les multinationales américaines et l’économie américaine des grandes entreprises étatiques chinoises et de l’économie chinoise.

Valérie Niquet : Une prise de conscience des limites des stratégies d’engagement. L’absence d’évolution du régime chinois et le facteur révélateur de la stratégie de repli idéologique et de tensions mise en œuvre par Xi Jinping depuis 2012.

Peut-on s’attendre à une ouverture du côté américain qui permettrait un véritable apaisement de la guerre commerciale ?

Antoine Brunet : Tout ce que nous avons évoqué indique que l’on est désormais engagé dans un affrontement qui sera prolongé puisque son enjeu consiste à déterminer qui, des Etats Unis ou de la Chine, détiendra l’hégémonie dans les décades à venir.

Valérie Niquet : L’ouverture ne peut venir que d’une évolution du régime chinois. Si les Etat-Unus s’ouvrent sans telle contrepartie les conséquences à long terme ne pourraient être que négative en renforçant le sentiment de puissance de la RPC, au risque de nouvelles crises commerciales.

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