Publié par Gaia - Dreuz le 22 novembre 2019

Source : Atlantico

Selon France Inter, Ségolène Royal aurait détourné les missions de ses collaborateurs délégués par le Quai d’Orsay lors de sa mission d’Ambassadeur des Pôles. Elle a tenu à se défendre et a notamment critiqué le comportement “inquisiteur” des médias.

Atlantico.fr : Le Samedi 16 Novembre, la cellule investigation de France Inter avançait que Ségolène Royal aurait détourné à son profit personnel les missions de ses collaborateurs délégués par le Quai d’Orsay dans le cadre de sa charge d’Ambassadeur des Pôles. Elle se défendait en dénonçant le comportement “inquisiteur” des médias à son encontre. Selon elle, elle aurait bien utilisé ses collaborateurs à des fins personnelles mais en dehors de leurs heures de travail.

Ségolène Royal prétend que ses collaborateurs l’ont accompagnée sur des projets personnels en dehors de leurs heures de travail. Quel est votre sentiment quant à la qualité des arguments de Ségolène Royal pour sa défense ? 

Régis de Castelnau : Comme d’habitude avec Ségolène Royal, celle-ci accuse immédiatement ses interlocuteurs dès lors qu’ils lui posent des questions gênantes. On connaît bien sa formule : « est-ce que vous me poseriez la même question si j’étais un homme ? » Cette fois-ci elle refuse en partie de répondre au prétexte que les questions seraient « diffamatoires et inquisitoriales ». L’enquête du service investigation de France Inter a été faite sérieusement semble-t-il. Et l’affirmation que les collaborateurs mis à sa disposition par le ministère des affaires étrangères l’assistaient pour ses affaires privées sur leur temps libre est risible. Pour deux raisons. Une raison technique tout d’abord, car comment prétendre que les activités qui se passent aux quatre coins de la France, voire du monde et qui mobilisent les collaborateurs pendant plusieurs jours consécutifs puissent être effectuées en dehors du plein temps au service exclusif de « l’ambassadrice des pôles » ? Il faut faire preuve d’un sacré culot ce qui est quand même une des caractéristiques de Ségolène Royal. La deuxième raison ensuite est le rapport très particulier qu’elle entretient avec les fonds publics. On peut constater que dans sa carrière ce n’est pas la première fois que l’on se pose des questions, même si ce n’est pas une preuve de culpabilité. Mais il est indéniable qu’elle a toujours fait preuve d’une grande désinvolture dans la gestion des fonds publics. Pour sa présidence de la région Poitou-Charentes, elle a fait l’objet de rapports d’observation assassins de la Chambre Régionale des Comptes sur la façon dont elle s’était servie des finances de la collectivité. La critique principale portait sur l’intérêt régional de certaines dépenses, que la juridiction considérait comme plutôt destinées à la carrière personnelle de la présidente. Comme d’habitude elle a rejeté ses conclusions et accusé son successeur qui s’en plaignait de machisme.

Et puis il y a eu l’épisode invraisemblable de l’abandon du projet écotaxe. Pour des raisons d’étroite tactique politicienne elle a mis fin à un dispositif utile, dans des conditions qui ont représenté un coût exorbitant de près de 10 milliards d’euros. Comme disait son ex-compagnon alors président de la république : « ça ne coûte rien, c’est l’État qui paye ». 

Ségolène Royal n’est pas crédible lorsqu’elle prétend que ses collaborateurs payés par le Quai d’Orsay travaillaient pour elle sur leurs RTT.

Hervé Lehman : L’opinion publique supporte de moins en moins les petits arrangements qui consistent à faire payer par les deniers publics des dépenses qui ne sont pas faites dans l’intérêt public. La défense classique selon laquelle les personnes payées pour une tâche publique ne travailleraient pour les intérêts politiques de leur patron qu’en dehors des horaires de travail ne convainquent plus personne, et certainement pas les juges. C’était déjà la défense d’Alain Juppé avec les emplois fictifs de la mairie  de Paris, il y a maintenant vingt ans, dans laquelle des employés de la ville travaillaient en fait pour le RPR. Alain Juppé a évidemment été condamné, et plus tard Jacques Chirac. Ce qui est surprenant, c’est qu’après toutes ces affaires, la classe politique n’ait toujours pas compris.

Peut-être faut-il aussi réfléchir à ces « lots de consolation » que le pouvoir donne à ses proches lorsqu’ils n’ont plus de mandat électoraux. Est-ce, là aussi, une bonne pratique ?

On peut être surpris par la passivité du PNF dans cette affaire, qui aurait probablement bondi si une autre personnalité politique avait été mise en cause, comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen. Diriez-vous que notre système judiciaire est à deux vitesses, en fonction du degré de proximité du pouvoir ? En quoi cette affaire le révèle ?

Régis de Castelnau : Il n’y a pas lieu d’être surpris, le PNF a une conception très sélective de son rôle. À plusieurs reprises ses interventions ont laissé quand même une drôle d’impression. Une grande mansuétude voire un refus de se saisir pour des affaires pourtant préoccupantes concernant des proches du pouvoir. Que ce soit pendant la présidence de François Hollande ou celle d’Emmanuel Macron. On peut en effet s’interroger sur ce que sont devenues les affaires Arif, Le Roux, ou assistants parlementaires du MoDem, pour ne prendre que ces exemples. François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ont eu droit à des traitements rapides, vigoureux et spectaculaires il est peu probable que Ségolène Royal, propulsée dans ce placard doré par la bienveillance d’Emmanuel Macron ait beaucoup de souci à se faire. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une heureuse surprise…

Hervé Lehman : Il est malheureusement incontestable que le parquet n’agit pas de la même manière à l’égard des personnes proches du pouvoir et à l’égard de l’opposition. Cela n’est pas nouveau, mais la situation s’aggrave depuis François Hollande. Comment pourrait-il en être autrement quand le Premier ministre revendique de convoquer le candidat au poste de procureur de la République à Paris pour s’assurer qu’il est « bien en phase » avec lui ? Les exemples pullulent: mise en examen en six semaines pour François Fillon, convocation pour une mise en examen  deux ans et demi plus tard pour le premier ministre de la Justice d’Emmanuel Macron, François Bayrou. Perquisitions massives avec des dizaines de policiers pour Jean-Luc Mélenchon, refus d’enquêter pour Richard Ferrand. Saisie de sa subvention publique pour le Rassemblement national, rien pour le Modem.

Le Parquet national financier est une création de François Hollande qui a considérablement accentué ce penchant naturel du pouvoir. Alors que la loi prévoit qu’il n’est compétent que pour les affaires financières d’une grande complexité, il se saisit en réalité des affaires concernant les leaders de l’opposition, aussi simples soit-elles. L’emploi de Pénélope Fillon, le chauffeur de Brice Hortefeux, les retraits en liquide de son propre compte en banque de Nicolas Sarkozy sont-elles des affaires d’une grande complexité qui justifient l’intervention d’un parquet national spécialisé ? Evidemment non. C’est pourquoi le PNF est de plus en plus souvent appelé le parquet national politique.

Tout cela est très malsain dans une démocratie. La justice n’est pas là pour nuire aux leaders de l’opposition. S’il reste souhaitable  que le parquet soit hiérarchisé au garde des Sceaux pour assurer une politique pénale uniforme (que dirait-on si un procureur local indépendant décidait de ne pas poursuivre les violences faites aux femmes ou les propos racistes ?), il est nécessaire de créer un Procureur général de la Nation, réellement indépendant tant dans sa nomination que dans son fonctionnement, pour toutes les affaires mettant en cause des élus.

Les soupçons de “relations incestueuses” entre justice et médias sont courants. Etant données les caractéristiques de cette affaire, n’apparaît-il pas que le problème vient surtout de la partialité de la justice sans complicité de la presse ?   

Régis de Castelnau : Le couple « médias/Justice » traverse, c’est vrai, une phase un peu compliquée. Ces deux « pouvoirs » se sont en effet mariés il y a une trentaine d’années, alliance qui leur a permis de mettre la classe politique en difficulté. Pour les médias il s’agissait de booster les diffusions. Pour les magistrats, d’affirmer leur autonomie et de faire ainsi pression sur les pouvoirs législatifs exécutifs. Le problème a commencé à évoluer avec l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Son prédécesseur avait fait l’objet d’un acharnement médiatico-judiciaire particulièrement salé, et sur l’impartialité duquel il y avait beaucoup à dire. En revanche François Hollande et aujourd’hui Emmanuel Macron, ont vu leurs entourages préservés et leurs adversaires malmenés. Les médias ont été contraints de relever les évidences. Il y a eu ensuite l’épisode gilets jaune ou l’appareil judiciaire a accepté d’abandonner sa mission de rendre la justice pour rétablir l’ordre en déployant une répression de masse sans précédent depuis la guerre d’Algérie. Avec des méthodes prenant souvent de grandes libertés avec la rigueur juridique, et en assurant jusqu’à présent aux violences policières une impunité préoccupante. Devant ces évidences, les médias ont pris leurs distances, il suffit de voir le ton très gêné des articles publiés par les journaux pourtant extrêmement favorables à Emmanuel Macron. Je ne sais pas si nous allons vers le divorce, mais il est clair qu’actuellement le couple bat de l’aile. Et ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour la démocratie.

Hervé Lehman : La presse est  comme le dit la Cour européenne des droits de l’homme, « la chienne de garde » de la démocratie.  Churchill disait : « La démocratie, c’est l’isoloir et mon journal ».La liberté de la presse doit être assurée et il est normal que les media dénoncent les scandales publics. 

Mais attention aux dérives : la connivence entre certains organes de presse et certains magistrats idéologiquement proches (le plus souvent de gauche) produit des effets négatifs. Le choix du « bon moment politique » pour sortir une affaire, accouplée à la violation systématique du secret de l’enquête et de l’instruction par ceux qui sont chargés de faire respecter la loi, permet de « flinguer » un adversaire politique. Cela a été le cas pour François Fillon, ce que maintenant presque tout le monde reconnait. La liberté de la presse ne doit pas autoriser les policiers ou les magistrats à violer le secret de l’enquête et de l’instruction.

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