Publié par Gaia - Dreuz le 21 novembre 2019

Source : Media-catholique

Nous remercions monsieur l’abbé Philippe Toulza, directeur des Editions Clovis, qui nous a aimablement autorisé à publier l’article ci-dessous paru dans la revue Fideliter n° 227 de septembre/octobre 2015. Cet excellent article permet de redonner le contexte historique de ce qui se passe actuellement en Syrie, et de rappeler que la sauvagerie des Turcs n’est pas nouvelle, et que les Kurdes, présentés par les médias comme pacifiques et modérés, ont été les grands alliés des Turcs pour l’extermination des chrétiens.

Le 24 avril est en Arménie un jour férié. À cette date, les Arméniens commémorent les massacres dont fut victime ce peuple en 1915 : plus d’un million de personnes, hommes, femmes et enfants moururent dans des conditions tragiques (les estimations admises vont de 850 000 à 1 500 000 victimes). Chaque année, à Erevan, des centaines de milliers de personnes se rendent jusqu’à Tsitsernakaberd, le mémorial du génocide. Au même moment, dans le monde entier, la diaspora arménienne se réunit autour des monuments dédiés aux victimes de ce génocide. En ce printemps 2015, les cérémonies ont revêtu une particulière importance car il s’agissait de commémorer le centenaire de ces tragiques événements.

Le sujet est intensément passionnel car il s’inscrit dans le cadre de l’opposition millénaire entre les mondes chrétien et musulman. Les massacres dont furent victimes il y a cent ans les populations arméniennes font partie d’un long martyrologe qui a commencé dès l’invasion musulmane, le conflit entre les Ottomans et la Perse ayant aggravé les périls puisque le territoire de l’Arménie fut au cœur de leur rivalité.

Plus généralement, c’est l’ensemble des chrétiens du Proche-Orient qui fut concerné par les événements de 1915-1916 (voir encadré page suivante). Néanmoins, seul le massacre des populations arméniennes d’Asie mineure en 1915 a connu un grand retentissement médiatique, notamment en ce qui concerne la qualification de ces tragiques événements.

Génocide ou massacre ?

L’enjeu relève à la fois de la sémantique et de la politique internationale. Le premier point concerne le fait de savoir si ces massacres relèvent du génocide, autrement dit d’une tentative d’extermination intentionnelle et organisée d’un peuple, ou bien s’ils sont la conséquence d’ordres mal compris ou d’actions menées dans l’urgence d’une guerre. Le mot génocide, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’est souvent utilisé que pour désigner les traitements des Juifs par le troisième Reich : c’est une connotation particulière. Nombre de ces derniers acceptent mal de perdre, en quelque sorte, le monopole du mot génocide. Néanmoins, à l’évidence, relèvent de cette définition, le « populicide » vendéen engagé par la Convention en 1793, le massacre du peuple Cambodgien par les Khmers rouges en 1975-1979 et le massacre des Tutsis au Rwanda en 1994.

En ce qui concerne les massacres de masse dont furent victimes les Arméniens, les Chaldéens et les Grecs pontiques en 1915, la question centrale est donc de savoir quelle était l’intention première de ceux qui ont donné les ordres ayant abouti à ce bain de sang. C’est en mettant en doute l’intention d’élimination préméditée des chrétiens de l’Empire ottoman que certains historiens réfutent le caractère génocidaire des massacres incriminés.

Autrement dit, le débat porte sur la responsabilité des Ottomans dans ces événements ou, plus exactement, sur leur degré de responsabilité. Or la République turque fondée par Kemal Atatürk est aujourd’hui l’héritière de l’Empire ottoman. C’est donc à la Turquie que les États représentant les peuples victimes des massacres viennent aujourd’hui demander des comptes, au moins d’ordre moral. L’affaire devient donc diplomatique.

L’accusation de massacre intentionnellement organisé a été lancée peu après les événements par la publication des « Documents Andonian ». Il s’agit d’une série de documents (dont cinquante télégrammes chiffrés et deux lettres), publiés en 1919-1920 par le journaliste arménien Aram Andonian – rescapé de la rafle du 24 avril 1915 qui marque le début du génocide arménien –, et portant sur les massacres d’Arméniens commis dans l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale. S’ils sont authentiques, ces documents prouvent irréfutablement la planification des massacres par le comité central du parti Union et Progrès (Jeunes-Turcs), qui dirigeait l’Empire ottoman depuis 1908. L’établissement d’un tel lien permet de qualifier sans ambiguïté ces massacres de « génocide », bien que cette qualification repose sur de nombreux autres éléments tels que les comptes-rendus des procès tenus à Constantinople et ailleurs en Turquie en 1919 et 1920, les témoignages des diplomates présents et d’autres documents produits notamment par la Commission Mazhar, instituée sur l’ordre du sultan Mehmet VI en 1918.

Les détracteurs de la thèse du génocide pensent que les massacres ont été commis à l’initiative de subordonnés chargés par le gouvernement ottoman de déplacer les populations chrétiennes de l’est de l’empire. Ainsi, l’historien néerlandais Érik Jan Zürcher pense que les massacres ont été ordonnés non pas par le gouvernement ottoman lui-même, mais par un cercle restreint à l’intérieur du Comité Union et Progrès, nommé le parti des Jeunes-Turcs au pouvoir. Il appuie ses conclusions, en particulier, sur la tenue de procès en cour martiale intentés à l’encontre de plusieurs centaines de militaires coupables de massacres, et ce dès 1916. À ce titre, il estime que les massacres ne peuvent pas être qualifiés de génocide. Il préfère parler de « purification ethnique ». Bien d’autres questions font l’objet de débats complexes entre historiens et il n’est pas question dans cette brève étude de les trancher.

Un enjeu international

Mais ces controverses ont une importance majeure dans la mesure où les plaies et les passions demeurent vives, d’autant plus que les implications politiques sont de première importance, tant intérieures aux États qu’internationales. Pour l’essentiel, les descendants des victimes veulent obtenir de la Turquie, héritière de l’Empire ottoman, la reconnaissance de la culpabilité de la Sublime Porte.

Actuellement, deux camps s’opposent : celui des États qui ont reconnu sous une forme ou sous une autre la culpabilité des Turcs et la qualification de « génocide » ; et celui des Turcs qui les refusent. À cela près qu’il est fort dangereux de vouloir décréter par la force de la loi, sous peine de sanctions pénales, une « vérité » historique, car cela revient à tarir la fécondité de la réflexion. Le législateur n’a aucune compétence en la matière, l’histoire relevant par nature d’une démarche scientifique de libre discussion à partir de sources toujours susceptibles d’être complétées et enrichies.

Quoi qu’il en soit, en 2015, 22 parlements nationaux avaient reconnu l’existence du génocide arménien dont la France (en 2006), la Belgique, la Suisse. Le Vatican, par la voix du pape Jean-Paul II en 2001 puis du pape François Ier en avril 2015, a reconnu officiellement le génocide.

La Turquie refuse le terme de génocide, comme celui de déportation. Elle préfère le vocable de déplacement, ignore la violence de l’événement et minimise le nombre des victimes (voir encadré ci-dessous). Le négationnisme d’État est aussi institutionnalisé : le code pénal turc de 2004 punit d’une peine d’emprisonnement tout « dénigrement public » de l’identité turque, de l’État turc, de son gouvernement ou d’autres institutions étatiques, ce qui a permis d’inquiéter le prix Nobel Orhan Pamuk (qui reconnaît le génocide) en 2005.

Sous la pression internationale, le gouvernement d’Ankara a cependant effectué quelques accommodements, jugés cependant trop timides. Le 24 avril 2015 le président Erdögan a déclaré : « Nos cœurs sont ouverts aux descendants des Arméniens ottomans de par le monde » et, comme en 2014, a présenté ses condoléances aux victimes des massacres.

Par ailleurs, les Turcs demandent que les Russes reconnaissent le génocide des Tcherkesses, perpétré en 1864, lorsque ce peuple musulman fut expulsé manu militari du Caucase. 800 000 personnes avaient alors péri et les rescapés formèrent une diaspora, forte aujourd’hui de 3 millions de personnes dont 2 millions dans la seule Turquie.

Ce « dialogue de sourds » dépasse une querelle d’historiens : il s’agit de questions d’orgueil national qui empêchent tout débat serein. Dans les années 1980, les Arméniens ont mené des actions terroristes contre les Turcs ou des intérêts turcs jusqu’à ce que l’attentat aveugle commis à l’aéroport d’Orly en juillet 1983 par l’ASALÀ (Armée Secrète Arménienne de Libération de l’Arménie, d’inspiration à la fois nationaliste et marxiste-léniniste) ne suscite un rejet de cette forme d’action au sein des communautés arméniennes. Quant au gouvernement turc qui se réclame de l’islam, donner raison aux Arméniens pourrait être considéré comme une marque de faiblesse de sa part.

Une fois de plus, la césure entre des peuples appartenant à des civilisations différentes, l’islam et le christianisme, apparaît irréductible. Peut-être même que les différences de référentiels métaphysiques et religieux nourrissent une incompréhension intellectuelle infranchissable.

Sous l’aspect politique, pour les organisations « de gauche », tant en Turquie qu’ailleurs dans le monde, l’exigence de la reconnaissance du génocide arménien est considérée comme inséparable de la défense intransigeante des libertés démocratiques en Turquie, face à un État toujours tenté par des méthodes autoritaires. Elle suppose en même temps le soutien inconditionnel aux droits nationaux du peuple kurde, comme aux droits politiques et syndicaux des « masses laborieuses » de l’ensemble du pays.

Le contexte des massacres

Mais comment ces faits douloureux se sont-ils déroulés ? Et dans quel contexte ? Telles sont les questions auxquelles nous devons maintenant répondre.

Les massacres de 1915-1916 sont, avant les tragiques événements qui agitent actuellement le Proche-Orient avec notamment l’État islamique, les derniers en date de tous les massacres de grande ampleur commis par des musulmans contre des populations qui ne le sont pas, qu’elles soient chrétiennes ou d’une autre religion. Le premier connu fut commis par Mahomet lui-même contre la tribu des Banu Qurayza en l’an V de l’Hégire lorsqu’il en fit massacrer tous les hommes et vendre les femmes et les enfants comme esclaves.

Le peuple arménien est installé dans la région caucasienne et dans l’Est de l’Asie mineure depuis la plus haute Antiquité. Au carrefour de grands empires, notamment les différents empires perses, tant mazdéistes que musulmans (des Achéménides aux Qadjar en passant par les Abbassides), Rome, Byzance, les Arabes, les Turcs seldjoukides puis les Turcs ottomans, les Arméniens se sont toujours battus pour préserver leur civilisation et recouvrer à chaque fois que possible leur indépendance. Évangélisés dès le ive siècle par saint Grégoire l’Illuminateur, développant un christianisme enraciné inséparable de leur identité, les Arméniens se trouvèrent très vite confrontés à l’islam et à la nécessité de défendre leur foi.

À partir du xvie siècle, sous Selim II, l’Arménie devint le champ de bataille de l’Empire ottoman et de l’Empire perse des Séfévides. Une frontière définitive ne fut fixée qu’en 1639, l’essentiel du territoire arménien étant placé sous la domination des sultans ottomans. La partie relevant de l’autorité perse passa sous souveraineté russe au début du xixe siècle, l’Empire des tsars se présentant comme défenseur des chrétiens. Ces territoires forment le cœur de l’actuelle république d’Arménie, autour d’Erevan, qui n’est qu’une petite partie de l’Arménie historique. En 1877, l’Empire russe avait en outre avancé ses frontières vers l’Anatolie, s’installant à Kars, au détriment des Ottomans et fixant les frontières qui demeuraient en 1914 mais en laissant la majorité des Arméniens au sein de l’Empire ottoman.

Au sein de ce dernier, les Arméniens avaient le statut de « dhimmis », ou « protégés », c’est-à-dire un statut de citoyens de second ordre qui leur laissait, moyennant tribut, le droit de s’administrer selon leurs lois. Il existait une nation (millet) arménienne. Toutefois, cette « protection » était fluctuante et les Arméniens traversèrent alternativement des périodes de calme et des périodes de persécution. C’est tellement vrai qu’au fil des ans, leur terre nationale vit progressivement s’installer en masse des musulmans, Kurdes et Turcs ; le peuplement arménien a perdu sa continuité géographique, notamment en Cilicie et dans la région de Van.

L’affaiblissement de la Sublime Porte à la fin du xixe siècle et la suppression du statut de dhimmitude poussa le sultan à vouloir uniformiser l’Empire ottoman. Il se heurta notamment aux Arméniens. Les réformes promises par les traités de 1878 (traité de San Stefano et traité de Berlin) restant lettre morte, des groupes arméniens, généralement révolutionnaires, se formèrent, tel le parti Hentchak en 1887 et le parti Dashnak en 1890. Dénonçant les méthodes du sultan, ils exigèrent l’application des réformes et l’établissement de la liberté pour tous ainsi que l’égalité entre Arméniens et musulmans.

Ces revendications devaient constituer l’un des principaux motifs invoqués pour le massacre des Arméniens. C’est ainsi qu’en 1894, à la suite du refus des Arméniens de Sassoun (aujourd’hui dans la province turque de Batman) de subir la double imposition fiscale exercée par l’État central turc et des féodaux kurdes, le sultan Abdülhamid II ordonna personnellement de massacrer les populations arméniennes. Les Kurdes, assistés par les hamidiés, régiments de cavalerie kurde, assiégèrent puis massacrèrent du 18 août au 10 septembre 1894 la population arménienne de Sassoun, inaugurant une vague de massacres à travers tout l’Empire Ottoman qui se prolongea jusqu’en 1897. En trois ans, 200 000 à 250 000 victimes furent dénombrées, sans compter les pillages, dépossessions et enlèvements de femmes ; 350 villages furent rayés de la carte, 645 églises détruites.

L’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs en 1908 tendit encore la situation. En témoignent les massacres de Cilicie d’avril 1909, faisant 30 000 victimes, arrêtés seulement par l’intervention des marines de guerre des États d’Europe.

L’année 1915

L’entrée en guerre de l’Empire ottoman en 1914 contre la Russie allait aggraver les tensions. Une partie des Arméniens resta loyale envers le sultan, une autre rejoignit les Russes sous l’égide de la Fédération révolutionnaire arménienne et mit en place un système de contrebande avec la Russie pour aider la population arménienne. Or, en janvier 1915, le général Enver Pacha (voir photo p. 87), défait par les Russes à Sarikamish, en attribua sans preuve véritable la responsabilité aux Arméniens accusés de désertion. Dès le 18 avril 1915, 60 000 Arméniens furent massacrés dans la région de Van, ville dans laquelle ils se replièrent alors dans le seul but de survivre. Cela allait servir de prétexte aux massacres suivants.

Par la circulaire 3052 du 24 avril 1915, le ministre de l’intérieur Talaat Pacha (voir photo p. 80) ordonna aux autorités militaires et aux administrations de l’Empire ottoman d’arrêter les élites arméniennes. Le jour même, des intellectuels arméniens furent arrêtés à Constantinople ; quelque 2 345 notables Arméniens le furent les jours suivants, avant d’être déportés puis massacrés dans leur majorité peu après : ce 24 avril a été retenu comme date symbolique du début du génocide.

Présentée officiellement comme un déplacement de populations pour les éloigner du théâtre des opérations miliaires et éviter la trahison de populations jugées – à tort – peu sûres, la déportation qui se mit en place se mua en une opération d’anéantissement de tous les Arméniens.

Déjà, en février 1915, les conscrits arméniens avaient été désarmés puis expédiés à l’arrière où ils furent éliminés. Dans les provinces orientales, les notables furent systématiquement arrêtés au motif d’un complot contre le gouvernement. Après avoir été torturés, ils furent déportés puis massacrés. Un avis de déportation fut publié, en vertu duquel toute la population non mobilisable devait être évacuée vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie. Des convois de femmes, d’enfants et de personnes âgées furent emmenés loin de chez eux, à pied, avec peu ou pas de bagages. 306 convois regroupant plus d’un million de personnes ont ainsi été dénombrés entre avril et décembre 1915. Les hommes non évacués furent systématiquement massacrés, les plus belles femmes et les enfants enlevés pour être revendus en tant qu’esclaves, tandis que le reste des convois était massacré au fil des étapes, tant par les gendarmes de l’escorte que par des tribus kurdes et les miliciens recrutés à cette fin. Seuls quelques milliers de personnes survécurent. Dans les vilayet (subdivision administrative de l’Empire ottoman) de Bitlis et Dyarbekir, presque tous les Arméniens furent assassinés sur place.

Sous la pression des alliés, informés des massacres, le gouvernement ottoman promulgua le 27 mai 1915 la loi Tehcir autorisant l’expulsion de la population arménienne hors de l’Empire ottoman, sous couvert de « déplacement de populations suspectes d’espionnage ou de trahison ». Elle fut abrogée officiellement le 4 novembre 1918.

Mais l’élimination des populations chrétiennes ne s’arrêta pas là. Selon le Document Andonian précité, le 15 septembre 1915, le ministre de l’intérieur Talaat Pacha envoya le télégramme suivant à la direction du parti Jeunes-Turcs d’Alep : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. » Des prisonniers de droit commun furent libérés afin d’assister les forces armées ottomanes dans l’exécution des massacres. Ils furent regroupés dans une entité militaire secrète nommée « Organisation spéciale ».

Dans le reste de l’Empire, le programme d’élimination prit les formes d’une déportation, conduite par chemin de fer sur une partie du parcours, les familles restant parfois réunies. Environ 870 000 personnes furent déportées vers Alep puis envoyées soit vers l’Euphrate, soit vers les déserts de Mésopotamie où elles moururent de soif. Les derniers groupes de déportés le long du chemin de fer de Bagdad furent exterminés en juillet 1916. Seul survécut un tiers des Arméniens : ceux qui habitaient Constantinople et Smyrne, les Arméniens du vilayet de Van, sauvés par l’armée russe, soit deux cent quatre-vingt-dix mille rescapés.

Le gouvernement ottoman s’employa systématiquement à éliminer toute preuve du génocide. Les photographies des convois de déportés furent interdites, les missionnaires empêchés d’apporter nourriture, eau, vêtements aux rescapés. La censure officielle interdit aux médias de faire mention des massacres. Tout fonctionnaire s’opposant à l’exécution du génocide fut muté, démis de ses fonctions ou fusillé. Parmi ces fonctionnaires réfractaires, on peut nommer Hasan Mazhar Bey, gouverneur d’Ankara jusqu’en août 1915, qui dirigea par la suite la Commission Mazhar susmentionnée.

Les alliés restèrent impuissants face à ces massacres tandis que les Allemands, alliés aux Turcs, ne firent pas grand effort pour les empêcher de commettre leurs forfaits. Quelques interventions militaires alliées en rapport avec le génocide sont à signaler, notamment l’intervention de la marine française au Musa Dagh (Mont Moïse) qui sauva 4 000 personnes et celle du général russe Ioudenitch à Van.

Et maintenant…

Parmi les survivants, plusieurs centaines de milliers se sont réfugiées en Arménie russe, quelques milliers en Perse. Les survivants de la déportation en Mésopotamie furent installés dans des camps de réfugiés à la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Près de 200 000 Arméniens se réinstallèrent en Cilicie, protégés par les troupes françaises mandataires en Syrie. Mais en février 1920, face aux attaques des forces de Mustapha Kemal, la France évacua la Cilicie. 30 000 Arméniens furent alors massacrés par les Turcs, les survivants s’exilant en Syrie, au Liban ou en France, où vivent plus de 600 000 Français originaires d’Arménie. D’autres partirent aux États-Unis (1,2 million y vivent aujourd’hui) ou en Amérique latine. Enfin des Arméniens demeurèrent en Turquie, vivant cachés ou islamisés de force.

Aujourd’hui, il ne reste plus que 60 000 Arméniens en Turquie où leur situation, comme celle des autres communautés chrétiennes (regroupant 40 000 personnes), reste difficile. La diaspora arménienne est très importante de par le monde, avec environ 8 millions de personnes, la République d’Arménie ne comptant que 3,3 millions d’habitants.

Les relations entre la République d’Arménie et la Turquie restent difficiles, d’autant plus que l’Arménie est en conflit avec l’Azerbaïdjan, État des Turcs azéris (très lié à Ankara) à propos de la province arménienne du Karabagh, reprise en 1991 aux Azéris auxquels elle avait été donnée par Staline.

Sur l’actuelle frontière turco arménienne, surplombant l’Akhourian, un affluent du fleuve Araxe, la cathédrale Sainte-Mère-de-Dieu de la ville ruinée d’Ani, ancienne capitale du royaume arménien des Bagratides au Moyen-Âge actuellement en territoire turc, inaccessible depuis l’Arménie, symbolise cette tension venue du fond de l’histoire et qui ne semble pas près de s’apaiser.

Les Arméniens ne furent pas les seules victimes de massacres à l’époque. Plus généralement, c’est l’ensemble des chrétiens du Proche-Orient qui fut concerné par les événements de 1915-1916. Dans le même temps, furent déportés et massacrés deux groupes de personnes : d’une part les populations chrétiennes de Mésopotamie regroupées sous l’appellation générique de Chaldéens ou d’Assyriens et dont le nombre des victimes est estimé entre 500 000 et 700 000, soit 70 % de la population de l’époque ; d’autre part 350 000 Grecs pontiques (région de Trébizonde, Samsun et Sinope), installés depuis l’Antiquité sur les bords de la mer Noire et dont bien peu survécurent. Ces morts sont inséparables et sont tous victimes de la politique ottomane menée dans le contexte particulier de la Première Guerre mondiale où la Turquie, alliée des Puissances centrales, se trouvait localement confrontée aux Britanniques et aux Russes.

La Turquie refuse le terme de génocide : comment présente-t-elle les faits ? Selon elle, les Arméniens ont été victimes de pillards issus de leur peuple. Depuis la fondation de la Turquie kémaliste, en 1923, la version officielle d’Ankara n’a en effet pas varié : les Arméniens ont certes été massacrés en masse – Kemal Atatürk qualifiait ces actes d’infâmes – mais ils sont tombés victimes des rigueurs de la guerre, d’épidémies fatales et d’actes de violence isolés et l’État ottoman n’a donc eu aucune responsabilité dans cette hécatombe.

Dans le domaine religieux, les Arméniens se répartissent entre deux Églises : l’Église apostolique arménienne, autocéphale, dont le patriarche, le catholicos, actuellement Karekine II Narsissian, réside à Etchmiadzin près d’Erevan et est le chef de 10 millions de fidèles ; l’Église catholique arménienne appelée aussi Église de Cilicie avec 350 000 fidèles dirigée, jusqu’à son décès le 25 juin 2015, par le patriarche Nersès Bedros XIX.

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