Publié par Gaia - Dreuz le 5 novembre 2019

Source : Lesobservateurs

Le 31 Octobre 2019 devait être une date très particulière : le jour où le Royaume-Uni aurait – enfin! – quitté l’Union Européenne.

Des engagements forts avaient été pris ; c’était le principal objectif du gouvernement anglais, tel que rappelé par la Reine elle-même dans son discours de réouverture de la session parlementaire. Le Trésor anglais avait même commencé à battre quelques milliers de pièces de 50 pence commémoratives. Il faut désormais les détruire en les fondant à nouveau – en attendant la nouvelle date, je suppose. Heureusement pour lui, le métal n’a pas de mémoire. Les gens, si.

Il y a anguille sous roche.

Boris Johnson a été porté au poste de Premier Ministre par un plébiscite de la base du parti, comme une sorte de Winkelried du Brexit. Il réussirait là où Theresa May avait plus qu’échoué. Il serait la volonté qui toujours trouve un chemin.

Reconnaissons-lui plusieurs succès: le plan de relation entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, “impossible à renégocier” depuis deux ans selon Mme May et M. Junker, fut finalement remis sur la table. Le fameux “backstop” irlandais, caillou dans la chaussure du Brexit, vilipendé par les autorités anglaises, trouva une solution. Mieux, le Parlement britannique alla même jusqu’à accepter ce nouvel accord négocié avec l’UE!

Dans ces circonstances, le report du Brexit jusqu’au 31 janvier semble inconcevable. Mais l’énigme n’en est une que pour ceux qui n’ont pas compris la nature profonde du Brexit – non pour les Anglais, mais pour l’Union Européenne.

Le front anglais et le recul de Boris

Comme expliqué dans ces pages le mois dernier, Boris Johnson subit depuis sa prise de fonction une véritable guérilla de la part du Palais de Westminster. Les Parlementaires lui infligent camouflet sur camouflet. Ils n’osent le démettre mais font tout ce qu’ils peuvent pour lui couper les ailes, miner ses capacités de négociation et plus généralement saboter les efforts de son gouvernement pour accomplir le Brexit.

Plus intéressant encore, et ne comptez pas sur le moindre média pour le rappeler, les parlementaires actuellement élus ne représentent plus guère qu’eux-mêmes ; ils sont particulièrement peu représentatifs du peuple, tellement lassé des tergiversations depuis trois ans qu’il aurait volontiers accepté un Brexit sans accord.

Les élus en question le savent tant et si bien qu’ils ont toujours refusé à Boris Johnson de convoquer des élections, de peur que l’agitation de la campagne électorale et les échéances du calendrier ne précipitent un Brexit sans accord.

La classe politique anglaise ne veut pas d’un Brexit sans accord. À aucun prix. Jamais.

Boris Johnson, et croyez ma tristesse sincère en l’écrivant, fait aussi partie de la classe politique anglaise. Alors qu’il déclarait crânement deux mois plus tôt qu’il préfèrerait être “mort au fond d’un fossé” plutôt que de repousser le Brexit, il se dégonfla comme une baudruche en demandant un report à l’UE.

En cela, il se plia à la décision (illégale puisque outrepassant ses droits) du Parlement. Il aurait pu choisir de désobéir. Rien de plus simple: il n’aurait eu qu’à faire la sourde oreille pendant quelques jours. Il aurait même pu porter l’affaire devant les tribunaux, le deuxième meilleur moyen de dépasser des délais après une commission parlementaire. Il aurait ainsi risqué au pire quelques jours de prison – selon des modalités encore à éclaircir, le cas étant inédit – mais peu de choses en somme. Emporté par la bonhomie de son Premier Ministre, le Royaume-Uni serait alors sorti de l’UE sans accord le 31 octobre. Boris Johnson aurait ainsi laissé son nom dans l’histoire tout en devenant de loin le plus populaire de tous les hommes politiques britanniques, en ayant respecté ses promesses.

Pourquoi Boris Johnson s’est-il ainsi couché? Sa force de caractère est sans doute bien plus faible que ce que beaucoup espéraient de lui. Il y avait des signes avant-coureurs, comme le fait qu’au pied du mur et par solidarité gouvernementale il ait lui-même voté en son temps en faveur de l’accord de Brexit concocté par Theresa May (avec le Backstop irlandais et tout le tremblement), mais on a toujours tendance à ignorer les faits contraires aux espoirs que l’on nourrit.

D’accord. Boris Johnson a obtenu des victoires tactiques, mais s’est montré étonnamment faible au moment crucial en transmettant une demande de report du Brexit à Bruxelles. Dont acte. Mais il reste un mystère, et un mystère plutôt important. Pourquoi l’Union Européenne a-t-elle accepté de repousser le Brexit de plusieurs mois? À partir du moment où elle était satisfaite du nouveau Brexit (et tout semble montrer qu’elle l’est) il n’y avait aucune raison de repousser le Brexit, et encore moins d’autant.

Ce “petit mystère” est une entourloupe de première pour faire échouer le Brexit et maintenir le Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Et les risques de retourner le vote de juin 2016 n’ont jamais été aussi grands.

Explications.

Garçon, l’addition

La grande force des médias présentant le Brexit a été de le montrer comme un débat interne à l’Angleterre. Face à des autorités européennes forcément intelligentes et responsables, les Anglais s’étripaient comme de beaux diables sans parvenir à s’entendre. Ni à jamais présenter des solutions dignes des autorités européennes, pour ainsi dire.

C’est beau, et très faux.

Si je devais résumer en quelques phrases toute la fausseté de ce point de vue sur le Brexit, les voici:

  • Le Royaume-Uni est la cinquième économie mondiale.
  • Le Royaume-Uni est la deuxième économie de l’Union Européenne, derrière l’Allemagne et devant la France.
  • Le Royaume-Uni est aussi riche et puissant que les dix-neuf économies les plus faibles de l’Union Européenne, réunies.

Sur le plan économique européen, le départ du Royaume-Uni de l’Union Européenne est aussi énorme que si celle-ci passait de 27 membres à 8 membres. Et ce n’est même pas exact parce que c’est le deuxième membre le plus riche qui s’en va, et non la famille des cousins pauvres qui se remettent péniblement de leur demi-siècle de joug soviétique, alliée aux forçats obligés de se soumettre à l’euromark allemand.

L’Union Européenne ne veut pas que les Anglais s’en aillent. Point.

Ils contribuent bien trop au budget de l’Union.

Toutes les tractations depuis le lendemain du vote sur le Brexit, jusqu’à la durée interminable de ces tractations elles-mêmes, ne servent qu’à perpétuer les contributions anglaises au budget de l’UE. C’est aussi simple que ça!

Par conséquent, tout Brexit sans accord est absolument, rigoureusement impossible. Tout Brexit “ordonné” doit faire en sorte de perpétuer les contributions anglaises au budget de l’UE pour les siècles des siècles, fut-ce au prix de discussions perpétuelles. Les détails finaux ne seront jamais réglés, comme un divorce traîné devant les tribunaux et qui en fin de compte ne se conclurait pas, malgré des années de procédure.

Voilà la vérité.

Risque maximum

Le Brexit est plus en danger aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis trois ans. Et paradoxalement, l’apparente raideur de Boris Johnson sur le sujet en est la cause.

Les Libéraux-Démocrates anglais, le DUP, les Travaillistes, sont complices de Bruxelles, et je ne serais pas surpris que de l’argent change discrètement de main pour expliquer cet amour inconditionnel. Ils veulent tous que le Royaume-Uni reste dans l’UE. Les Travaillistes par exemple préconisent un deuxième référendum entre “rester” et “rester” – rester formellement dans l’UE et donc renier le vote de 2016, ou approuver une “relation future” avec l’UE tellement proche des obligations d’un membre de plein droit que cela ne fera aucune différence, en particulier au niveau des contributions budgétaires.

Les Conservateurs menés par Boris Johnson donnent l’impression de vouloir partir de l’UE, mais comme le montre l’exemple récent donné par le Premier Ministre, leur résolution s’écroule devant l’obstacle. Boris Johnson a fait de gros efforts pour nettoyer les écuries d’Augias de leurs éléments les plus europhiles, mais la tâche est trop herculéenne. Les électeurs ne seront pas plus omniscients pour faire le tri. Après les nouvelles élections de Décembre, il y a de fortes chances pour qu’une bonne minorité des nouveaux élus des Conservateurs soit encore composée de vendus à Bruxelles, simplement parce qu’ils sont enkystés dans la structure du parti.

Le Parti du Brexit de Nigel Farage est le seul qui soit crédible sur la question du Brexit et sur la concrétisation du vote anglais de 2016. Et récemment, il a commencé à sérieusement tailler des croupières aux autres partis, en particulier les Conservateurs.

Visant avant tout à sauver sa paroisse, Boris Johnson explique donc que pour que le Brexit se concrétise enfin il faut “voter Conservateur”. En les plaçant en tête des intentions de vote des électeurs, les sondages montrent que ceux-ci sont prêts à le croire. Nigel Farage le croit-il?

La dispute ou l’accord entre le Parti du Brexit et les Conservateurs sera la clé du scrutin. Si les deux partis parviennent à se partager les circonscriptions (ce qui revient au Parti du Brexit à avaler son chapeau) et à éviter les duels fratricides au sein du camp du Brexit dans les circonscriptions stratégiques, alors le futur parlement pourrait être à majorité pro-Brexit et les deux mouvements, travaillant main dans la main, pourraient parvenir enfin à le délivrer.

Ça fait beaucoup de si.

Le plus plausible est que le Nigel Farage et Boris Johnson ne parviennent pas à un accord, ou que celui-ci s’effondre avant le dépôt des listes. Conservateurs et Parti du Brexit s’affronteront dans une série de duels fratricides qui verront triompher le camp adverse, laissant le Parlement entre les mains de partis totalement opposés au Brexit.

Ils auront alors tout loisir de dénaturer encore plus l’accord de Brexit en faveur de Bruxelles à coup d’amendements, et resteront en poste pour assurer une “transition post-Brexit” qui ne se terminera jamais. Jeremy Corbyn pourrait même finir Premier Ministre à la faveur de la confusion et mettre en branle son agenda politique marxiste, incluant nationalisations massives et plans quinquennaux… Que du bonheur pour nos amis anglais.

Peu importe : à Bruxelles, on a retrouvé le sourire.

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