Publié par Liliane Messika le 19 décembre 2019
PM and Sara Netanyahu at iCreate along with Indian PM Modi

Deux États accouchés dans la douleur

En 1947-48, deux partitions ont été votées par l’ONU, qui devaient aboutir à 4 pays, mais dont seulement trois ont vu le jour.

La Partition de l’Inde, en août 1947, entre l’Inde laïque et le Pakistan musulman, sur demande de la minorité musulmane, a créé un double exode, parmi les plus importants que la planète ait connu.

Neuf mois plus tard, la deuxième partition de la Palestine mandataire ne donnait naissance qu’à un seul État : Israël.

Sa moitié et frère jumeau, l’État arabe de Palestine, avait été refusé par la Ligue Arabe, qui parlait pour l’ensemble de la Oumma, dont les habitants musulmans de Palestine.

La première partition datait de 1921 et avait vu la création ex nihilo d’un protectorat britannique, l’émirat de Transjordanie : 75% du territoire dévolu au Foyer national juif offerts par les Britanniques, en remerciement des services rendus par la dynastie hachémite, pendant la première guerre mondiale. « À la fin de la Grande Guerre, les puissances alliées mettent en œuvre les Accords Sykes-Picot, qui organisaient le partage de l’empire ottoman, ainsi que la Déclaration Balfour promouvant l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Un mandat est accordé à la France sur la Syrie et à la Grande-Bretagne sur la Mésopotamie et la Palestine. Avant même l’entrée en vigueur du mandat (29/09/1923), le gouvernement britannique demande la révision du texte pour rendre les dispositions relatives à la constitution du foyer pour le peuple juif inapplicables à l’est du Jourdain, c’est-à-dire au territoire qui deviendra la Transjordanie, puis, en 1946, la Jordanie.[1] »

L’ambiguïté entre les juifs et les Juifs

Le mandat confié par la SDN à la Grande-Bretagne était de porter sur les fonts baptismaux (!) un État pour le peuple juif. Pour le PEUPLE juif, pas pour les gens de confession juive, même si, à l’origine (à l’époque du Pharaon Ramsès, quand les Hébreux étaient esclaves en Égypte), les deux notions se confondaient encore. Mais justement : la sortie d’Égypte (que Jésus commémorait avec ses disciples le soir de la dernière Cène) permit au groupe des Hébreux, des individus jusque-là seulement liés par une croyance monothéiste, de se fondre en un peuple pendant les deux générations passées à errer dans le désert. À leur arrivée en Israël, alors nommé Canaan, les juifs (gens de confession juive) étaient devenus les Juifs (membres du peuple juif). Ils avaient une langue, une Loi, une religion, des coutumes, une histoire et un sentiment d’appartenance à la même communauté.

Aujourd’hui, l’État juif.2, situé au même endroit que le royaume de David et de Salomon, rassemble des Juifs de toutes origines et de toutes spiritualités : juifs orthodoxes, pratiquants, laïcs, athées, voire convertis à d’autres religions, mais appartenant tous à ce peuple qui se reconnaît dans la fuite (physique ou métaphorique) de l’Égypte du pharaon Ramsès II, probablement au XIIIe siècle avant Jésus-Christ.

De l’Oumma au nationalisme

Du temps où l’Inde était une colonie britannique, les tensions entre les citoyens musulmans et ceux d’autres confessions étaient nombreuses et fréquentes. La Ligue musulmane pour toute l’Inde (All India Muslim League) avait été fondée en1906, pour défendre les intérêts des musulmans contre le Congrès national indien, laïc, mais majoritairement hindou, ce qui déplaisait aux musulmans. En 1930, le président de cette Ligue, Mohamed Iqbal, déclara qu’il fallait créer un État musulman, pour éviter que les disciples du Prophète soient opprimés par la majorité hindoue.

V.S. Naipaul, Prix Nobel de littérature 2001, né à Trinidad dans une famille d’ascendance hindoue, a beaucoup écrit sur le pays de ses grands-parents. Dans son livre Jusqu’au bout de la foi (Beyond Belief, 1998[2]), il explique que la création du Pakistan, pour mettre en place un État basé sur la Sharia, était aussi motivée par l’opposition à la création d’une Union indienne basée sur la laïcité, que par la volonté d’entre-soi : « L’islam n’a rien à voir avec le christianisme, dit Iqbal. Loin d’être une religion de la conscience et de la pratique privées, l’islam s’accompagne de certains « concepts juridiques ». Ces concepts ont une « dimension civique » et créent un certain type d’ordre social. L’ « idéal religieux » ne peut être séparé de l’ordre social. « Par conséquent, la construction d’une république sur des bases nationales [une république indienne laïque], …, est tout simplement inconcevable pour un musulman. » (…) les musulmans ne peuvent vivre qu’avec des musulmans.(…) Ce qui, en réalité, sous-tend cette revendication d’un Pakistan et d’une république musulmane, et qui n’est pas spécifié, c’est le refus par Iqbal de l’Inde hindoue.»

Réfugiés et réfugiés

Le Pakistan, « Pays des Purs » en Ourdou, est l’acronyme composé à partir du nom des provinces qui le composent : Penjab, Afgania, Kashmir, Indus-Sind, BalouchisTAN. La partition de l’Inde pour le créer a conduit plus de 15 millions de personnes à fuir : environ 5,8 millions de musulmans émigrant vers le Pakistan et environ 3,4 millions d’Hindous et de Sikhs quittant le Pendjab pour l’Inde. On estime à un million le nombre de tués[3]. « Des trains entiers de musulmans fuyant vers l’ouest furent attaqués par des hindous ; et des convois d’hindous cherchant le salut à l’est, massacrés par des musulmans. [4]» 

Les réfugiés du Pendjab s’agglutinaient dans les villes indiennes, notamment à New Dehli, confrontés à la misère, au pillage, à la violence. Nulle agence de l’ONU ne s’occupa d’eux : ils relevaient de leur gouvernement.

Le 14 mai 1948, le  jour-même où l’État d’Israël déclara son indépendance et invita les citoyens arabes à participer à l’État nouveau-né[5], les armées des cinq pays arabes alentour l’attaquèrent, après avoir demandé à leurs « frères » musulmans de quitter les lieux pour leur permettre d’exterminer tranquillement les Juifs. Environ 500.000 d’entre eux les écoutèrent et partirent dans les pays voisins : Jordanie, Liban, Syrie… À l’issue des combats, l’objectif d’éradication des Juifs n’avait pas été atteint et un armistice fut signé par Israël avec chacun des belligérants. Les pays frères refusèrent d’intégrer leurs coreligionnaires réfugiés chez eux, pour qui fut créée une agence spéciale de l’ONU : l’UNWRA.

L’indépendance d’Israël décida tous les pays musulmans à expulser leurs citoyens juifs en confisquant leurs biens. Environ 700.000 réfugiés juifs des pays arabes furent absorbés par le jeune État hébreu, sans un centime d’aide onusienne.

Un septuagénaire rédige son testament

Si l’Inde et Israël ont créé des systèmes juridiques inspirés du Droit anglais, il n’en va pas de même pour le Pakistan, aujourd’hui République islamique du Pakistan, dont le droit suit la Sharia à la lettre.

À l’âge respectable de 70 ans, Israël a adopté, le 19 juillet 2018, sa loi fondamentale, définissant le pays comme l’État-nation du peuple juif[6]. Aussitôt, la flambée antisioniste s’empara des médias français. Le Monde : « La loi ne reconnaît le droit à l’autodétermination qu’aux juifs. Elle retire par ailleurs à l’arabe son statut de langue officielle au côté de l’hébreu.[7] »

Que dit exactement, cette loi ?

« Article 1. Principes de base : a) La Terre d’Israël est la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été établi. b) L’État d’Israël est l’État nation du peuple juif, dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. c) L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël concerne uniquement le peuple juif. »

La loi statue que, seuls les Juifs sont concernés par l’autodétermination du peuple qui a fait d’Israël, depuis sa renaissance en 1948, l’État juif. Cela interdit de facto de déclarer que l’État juif n’est pas juif, mais qu’il est, euh voyons…  Au hasard : arabe palestinien ?

Quant à la langue, elle fait l’objet de l’article 4 : « a) L’hébreu est la langue officielle. b) La langue arabe a un statut spécial dans l’État; les dispositions concernant l’utilisation de l’arabe dans les institutions publiques ou à leur égard seront fixées par la loi. c) Aucune disposition du présent article n’affecte le statut accordé à la langue arabe avant l’entrée en vigueur de la présente loi. »

Autrement dit, l’arabe, qui n’était pas langue officielle, mais qui possédait un statut spécial, continuera exactement comme par le passé. Le Monde aurait mal compris ? Oui, Le Monde comprend toujours de travers ce que disent les Juifs, surtout les Israéliens, sauf quand ils sont aussi anti-israéliens.

Libé, pour sa part, s’interrogeait : « dans quelle mesure ce texte s’imposera face à la «loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté», adopté en 1992 et définissant Israël comme un ‘’Etat juif et démocratique’’.[8] » Pour Libé, un État juif tout court ne peut pas respecter la dignité humaine ou être démocratique, s’il ne le précise pas en toutes lettres. D’ailleurs, seuls sont démocratiques les États qui l’indiquent dans leur titre : la République démocratique du Congo, l’ex-République démocratique allemande, la République populaire démocratique de Corée…

Une deuxième septuagénaire écrit un testament plus radical

Le 11 décembre 2019, l’Inde a adopté une loi facilitant l’obtention de la nationalité indienne par des réfugiés… sauf s’ils sont musulmans. Le Monde avait de quoi s’indigner bien plus violemment que quand les Juifs déclarèrent être seuls concernés par leur détermination comme Juifs dans l’État juif, mais il a pris la chose beaucoup plus calmement : « L’Inde adopte une loi très controversée contre les musulmans. Le texte refusant la nationalité aux réfugiés disciples du Prophète a été approuvé mercredi. Un pas de plus dans la mise en pratique de l’idéologie nationaliste hindoue portée par le gouvernement.[9] »

De son côté, Libé voit carrément le bon côté de la nouvelle loi : « Seuls les adeptes de six religions pourront en bénéficier : hindous, bouddhistes, chrétiens, sikhs, jaïns et zoroastriens. Toutes les grandes religions régionales, sauf l’islam. Pour les nationalistes hindous au pouvoir (BJP, Parti du peuple indien), cette mesure a pour but d’offrir un refuge aux minorités religieuses persécutées dans ces trois pays musulmans (Afghanistan, Pakistan et Bengladesh). » 

Libé admet que les religions autres que l’islam sont persécutées dans les pays musulmans : champagne ! Il regrette que les musulmans ne soient pas concernés par la mesure facilitant la naturalisation, mais on est loin des procès d’intentions habituels contre l’État juif.

Le monde encore plus à l’envers, c’est Le Figaro qui défend le mieux les futurs sans-papiers : « Près de deux millions de personnes, des musulmans pour la plupart, risquent d’être déclarées comme ‘’étrangers’’, faute d’être inscrites dans le Registre national des citoyens de l’État indien d’Assam, publié samedi 31 août. Au pouvoir dans cette région, le parti nationaliste BJP du premier ministre Narendra Modi affirme vouloir ensuite les expulser. Mais le Bangladesh refusera sans doute de les accueillir, ce qui en ferait des apatrides au sort incertain.[10] »

Les Hindous ont peur du grand remplacement et BDS est muet

Les Hindous ont peur du grand remplacement et nos médias ne se moquent même pas d’eux : « En 1951, il y avait 84 % d’hindous [en Inde]. Aujourd’hui, ils sont 79 %. En 1951, les musulmans pesaient 9 % de la population. Aujourd’hui, ils sont 14 %[11] » a expliquéAmit Shah, le ministre de l’Intérieur indien, pour justifier la nouvelle loi.

Quant au mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions contre Israël, dont les affidés affichent un masque de douleur victimaire chaque fois qu’on les prend la main dans le seau d’antisémitisme, il avait là une belle occasion de montrer qu’il n’était pas mû par la haine des Juifs, mais animé du désir d’égalité pour les musulmans. En bonne logique, il aurait créé une filiale « Boycott Désinvestissement Sanctions contre l’Inde ». Il n’aurait même pas eu besoin de changer ses initiales. Bof, de toute façon, l’acronyme s’arrête au S de sanctions. La précision du pays visé par sa vindicte islamophile est inutile, puisqu’il n’y en a qu’un et que, manifestement, il n’y en aura jamais d’autre. En effet, même si elle est « justifiée » par un désir de protection des religions minoritaires en pays islamiques, la discrimination vis-à-vis des musulmans indiens est patente.

BDS dévoilé

Un rapport de 120 pages, intitulé « Les nouveaux antisémites – Le mécanisme de radicalisation du mouvement BDS et la campagne de délégitimation d’Israël[12] », élaboré en 2019 par un collectif d’ONG, dont Zachor Legal Institute et StopAntisemitism.org, s’est attelé à détricoter les manœuvres antisémites de BDS, en dévoilant ce faux « mouvement des droits civiques » pour ce qu’il est : l’instigateur d’une campagne de délégitimation aux objectifs génocidaires, plutôt que le mouvement des droits de l’homme qu’il prétend être : « Aujourd’hui, BDS comprend 28 membres, dont au moins cinq organisations définies comme terroristes par les États-Unis et l’Union européenne. Cette coalition soutient et renforce la campagne mondiale de délégitimation en fonction d’un ordre du jour déterminé lors de sa conférence biennale à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne et d’un certain nombre d’organisations terroristes. Il renforce également la campagne en fusionnant un groupe d’organisations peu structurées au sein d’un bloc international actif contre Israël.

La propagation et la perpétuation de l’antisémitisme, par le biais d’une campagne de délégitimation, s’appuient sur une radicalisation de la critique, apparemment légitime, d’Israël, qui vise à la délégitimation philosophique, sociale et politique de l’État d’Israël, culminant en antisémitisme pur et simple. Les organisations et les militants prétendent se référer à des valeurs universelles, dont les droits de l’homme, la justice sociale et l’éducation, afin d’éviter l’accusation d’antisémitisme en prétendant que leurs déclarations antisémites sont une critique légitime des politiques israéliennes. »

BDS, un concentré de haine

BDS concentre sa haine sur les Juifs d’Israël en prétendant soutenir les Palestiniens. Mais s’il est vent debout contre l’État juif, lorsque 60 terroristes du Hamas sont tués lors d’attaques contre la frontière israélienne[13], il est totalement muet quand des milliers de civils sont victimes de l’armée syrienne ou de l’apartheid libanais.

De la même façon, quand des musulmans sont réellement discriminés par un État, comme l’Inde par sa nouvelle loi, BDS perd sa voix, sa fougue et l’enthousiasme qu’il manifeste exclusivement contre Israël.

Et nous, nous perdons notre dernier espoir de voir ce mouvement et ses militants manifester une once d’honnêteté intellectuelle.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Liliane Messika pour Dreuz.info.

[1] Source : documents de la Société des Nations C.529.M.314.1922.VI – https://mjp.univ-perp.fr/constit/ps1922.htm

[2] https://www.amazon.fr/Beyond-Belief-Islamic-Excursions-Converted/dp/0375706488/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=Beyond+belief+V.S.+NAipaul&qid=1576609540&s=english-books&sr=1-1

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Partition_des_Indes

[4] https://www.la-croix.com/Debats/Ce-jour-la/15-aout-1947-douloureuse-independance-lInde-Pakistan-2017-08-14-1200869552

[5] « Nous invitons les habitants arabes du pays à préserver les voies de la paix et à jouer leur rôle dans le développement de l’État, sur la base d’une citoyenneté égale et complète et d’une juste représentations dans tous les organismes et institutions de l’État, qu’ils soient provisoires ou permanents. » https://mjp.univ-perp.fr/constit/il1948.htm

[6] https://mabatim.info/2018/07/24/puisquon-vous-dit-que-lantisionisme-nest-pas-antisemite/

[7] https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-la-loi-sur-l-etat-nation-adoptee-a-la-knesset_5333366_3218.html

[8] https://www.liberation.fr/planete/2018/07/27/israel-la-loi-de-l-etat-nation-juif-ne-cesse-de-causer-des-remous_1669026

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/11/l-inde-adopte-une-loi-tres-controversee-contre-les-musulmans_6022532_3210.html

[10] https://www.lefigaro.fr/international/pourquoi-l-inde-exclut-elle-deux-millions-de-personnes-de-la-citoyennete-20190903

[11] https://www.tdg.ch/monde/asie-oceanie/naturalisation-excluant-musulmans-provoque-vague-colere-inde/story/29332672

[12]https://static1.squarespace.com/static/5cc20f51ca525b73bdd50e3a/t/5df73bfe4b14fd7c68a52cb1/1576484029584/The+New+Anti-Semites.pdf

[13] https://mabatim.info/2019/03/24/choeur-de-militants-dans-un-classique-de-loperette-antisioniste/

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