Publié par Maurice Saliba le 20 décembre 2019

Kholoud Bariedah, jeune femme saoudienne de 20 ans, a été arrêtée en 2006 par la police religieuse dans sa ville natale à Djeddah lors d’une rencontre amicale dans un appartement privé avec des jeunes de son âge. Dans une autobiographie très poignante elle détaille comment elle a été appréhendée et condamnée à quatre ans de prison et 2000 coups de fouet. Un an après sa libération, elle renonce à l’islam et devient athée.

Depuis cette époque, Kholoud Bariedah milite activement en faveur des droits des femmes dans le monde islamique. Son autobiographie est sortie en allemand en 2018 sous le titre, Keine Tränen für Allah : Wie ich von Tugendwächtern verurteilt wurde und dem Frauengefängnis von Mekka entkam (Pas de larmes pour Allah : Comment j’ai été condamnée par les gardiens de la vertu et j’ai échappé à la prison pour femmes à La Mecque)[1].

A la lecture de cette autobiographie, on se demande si ces faits se sont déroulés au Moyen Âge ou au début de ce 3ème millénaire. En réalité, il s’agit d’un présumé « crime » qualifié d’incompatible avec la toute puissante charia de Mahomet et de sa croyance en Arabie saoudite, ce pays qui interdit aux hommes et aux femmes de fêter ou de se réunir ensemble. Ce prétendu « flagrant délit » a lieu en 2006, au cœur même de la ville de Djedda, la capitale économique de l’Arabie saoudite, berceau de l’islam.

L’accusée est Kholoud, une jeune femme de 20 ans. À l’instar de tous les jeunes de son âge dans le monde, elle participait dans sa ville natale à une soirée amicale en compagnie de quatre copines et d’un copain. C’est à ce moment-là que la police religieuse la prétendue gardienne de la vertu surgit à l’improviste, défonce la porte de l’appartement et s’acharne contre les jeunes qui s’y trouvaient, sous prétexte de les corriger et de faire respecter la charia de sa majesté le dieu Allah.

Kholoud panique aussitôt face à ces assaillants. Elle ne sait pas s’ils étaient des terroristes, des bandits ou « des gardiens de l’éthique islamique » venus pour les violer. Elle se bat durement contre l’un d’entre eux. Elle crie fort et s’acharne contre lui. Elle cherche à s’en libérer et réussit enfin à s’enfuir. Elle se rend vite au commissariat de la police le plus proche pour porter plainte contre ces « étranges intrus ».

Or, son long calvaire va démarrer dans ce commissariat. La police se retourne contre elle. Elle l’accuse d’avoir osé se battre contre un religieux et de l’avoir insulté. On lui fait savoir que son comportement constitue, selon la loi, une grave atteinte contre l’État, l’islam et leurs représentants. Têtue et fière, elle refuse de plaider coupable ou d’exprimer un certain remords, puisqu’elle ne trouve aucune raison valable pour cette accusation. « Tout simplement, je viens de passer une soirée avec des amis sans alcool ni sexe. Où est le crime ? Où est le délit ? Où est le mal ? », se demande-t-elle.

Pour protester contre cette accusation, elle réclame l’aide d’un avocat pour l’assister et défendre ses droits les plus simples. Agacé par cette provocation susceptible de dévoiler certaines pratiques malveillantes et troublantes pour les tribunaux religieux devant des avocats civils et, par conséquent, devant le public et les médias, le juge instruisant son dossier, la condamne à quatre ans de prison ferme et 2000 coups de fouet. Il ordonne qu’elle soit immédiatement envoyée dans un centre pénitencier à la Mecque, spécialisé dans la correction et la rééducation des femmes.

D’habitude, dans un cas similaire, on condamne « l’accusée » à un an de prison et parfois à 100 coups de fouet selon la gravité du délit. Sauf si elle est enceinte, la peine sera réduite à six mois.

Choquée par cette condamnation qui ne lui accorde aucun droit d’interjeter appel devant un autre tribunal national ou international, Kholoud est conduite dans ladite prison pour femmes à la Mecque. À l’écoute de ce verdict, elle se croyait « balancée du haut d’un immeuble de six étages », avoue-t-elle dans son autobiographie.

Un des policiers qui l’accompagnait à ladite prison, lui fait comprendre qu’elle devrait mémoriser le Coran pour raccourcir la durée de sa détention. Dès son arrivée à La Mecque, on l’isole dans une cellule insalubre avec un matelas, un lavabo et une toilette sale. Elle est humiliée, battue et devient presque folle à cause de cet isolement. Un vrai cauchemar. Ainsi enfermée, elle tente à plusieurs reprises de cogner sa tête contre le mur pour mettre un terme à son psychodrame.

Dans cette condition qui la rend hystérique, elle frappe régulièrement contre la porte de sa cellule. Mais personne ne vient à son secours. La peur la déchire chaque fois qu’elle pense qu’elle est condamnée à rester ainsi incarcérée et isolée dans cette minuscule cellule pendant quatre ans. Elle perd même la notion du temps et celle de la vie. Seuls les temps de prière lui rappellent parfois l’heure, le jour ou la nuit. Elle dort beaucoup et se croit dans une oubliette ou dans un désert lugubre sans issue.

Presque deux mois plus tard, son isolement est assoupli. Elle est transférée dans une autre unité d’incarcération où se trouvent d’autres jeunes femmes prisonnières. Elle se lève pour la prière de l’aube, assiste à des leçons du Coran avant de rejoindre d’autres prisonnières pour faire le ménage, participer à la préparation des repas et effectuer des travaux humiliants.

Environ 60 jeunes femmes de moins de 30 ans sont réparties en quatre par cellule dans cette unité d’une grande institution chargée de les redresser et de les soumettre au respect total de la charia. Certaines prisonnières étaient impliquées dans le trafic de drogue. D’autres sont tombées enceintes hors mariage ou ont fuit le domicile familial pour refus d’un mariage forcé. Une d’entre elles fut décapitée plus tard en public pour un meurtre présumé. Cette pratique est bien connue en Arabie Saoudite qui médiatise ce spectacle ahurissant, puisqu’il permet au gouvernement de faire preuve d’autorité et de fermeté.

Condamnée à 2000 coups de fouet, Kholoud reçoit toutes les deux semaines, toujours le vendredi, 50 coups de bâton. Un soldat la frappe sur le dos devant trois « vénérables religieux », chargés de superviser la stricte application du châtiment et de vérifier sa conformité avec la charia d’Allah. Le pire c’est qu’elle n’avait pas le droit de se plaindre ni de sangloter lors de cette séance de correction. Sinon, la charia du dieu Allah celui qui est qualifié « de clément et de miséricordieux » enjoint le fouetteur de reprendre la séance de fouettage à partir de zéro.

Tout compte fait, Kholoud subit 600 coups de fouet seulement, car, onze mois plus tard, elle est libérée de façon prématurée. Elle en explique la raison dans son autobiographie. Elle s’est toujours rappelée du conseil du policier dans le véhicule lors de sa conduite en prison : « Vous devez apprendre le Coran par cœur pour pouvoir réduire votre peine. »

Et c’est ce qu’elle a fait, puisqu’elle a mémorisé toutes les sourates du Coran, plus de 600 pages. Elle courait avec ce livre et lisait les sourates à haute voix. C’était sa méthode de mémoriser. Ses camarades prisonnières se moquaient d’elle, lui disant : « Personne n’a pu le faire avant toi et tu ne seras jamais la première. » Mais après onze mois de détermination et de persévérance, elle devient la première femme qui ait réalisé cet exploit depuis la création de cette maison carcérale pour les femmes il y avait déjà 25 ans. Lors du test, l’examinateur prenait arbitrairement un passage du Coran. Il commençait à lire les premiers mots d’un verset et Kholoud devait compléter oralement la suite. Finalement, la directrice de cette prison de correction la libère et la qualifie « d’épouse du Coran ».

Quant à l’impact de cette institution pénitentiaire sur son comportement vis-à-vis de la religion, Kholoud reconnait que lorsqu’elle était isolée, elle se croyait être formatée, endoctrinée. Elle pensait qu’elle avait mérité une juste punition de la part d’Allah, car elle n’avait pas assez prié, ni correctement jeûné durant le mois de Ramadan. Mais un an de liberté plus tard, c’est l’ex-Kholoud qui se réveille. Elle revient à la normalité pour célébrer des fêtes, étudier, gagner de l’argent, voyager et vivre le vrai amour.

Kholoud explique ce revirement si rapide. Elle se rend compte qu’elle ne pourra jamais mener une vie selon le Coran dans le futur, ni respecter les préceptes de la charia islamique qui téléguide la vie quotidienne des citoyens en Arabie Saoudite et abrutit les gens. Elle a toujours manifesté sa colère contre un régime politique étroitement lié à l’islam et à ses préceptes moyenâgeux et humiliants pour les femmes.

Après sa libération, elle renonce à l’islam et prend la fuite à l’étranger, d’abord en Turquie, puis via la Suède en Allemagne, où elle obtient l’asile en 2015.

Lors de son séjour en Turquie, elle déclare dans un YouTube son athéisme. Dans un petit appartement à Istanbul, elle écrit beaucoup à propos de la charia en Arabie Saoudite, notamment à propos de l’insupportable tutelle des hommes sur les femmes et des atrocités observées dans la maison carcérale réservée à la gente féminine.

Cette charia prétend que la femme doit être contrôlée par un homme de la naissance à la mort, fût-il un père, un frère ou un mari. Elle n’est pas autorisée d’avoir un passeport ni de voyager sans tuteur. Dans certains hôpitaux, les femmes qui ne sont pas accompagnées ou assistées par des préposés masculins, subissent des problèmes dégradants, humiliants et avilissants. En prison, aucune femme ne peut être libérée tant que son tuteur légal ne vienne la chercher. Kholoud évoque le cas de plusieurs femmes qu’elle a rencontrées en prison. Elles y étaient depuis longtemps et devaient y rester même après la fin de leur peine. Leurs familles les considèrent comme indignes et portes malheur puisqu’elles ont sali leur honneur et la gloriole de sa tribu. Elles préfèrent les oublier et les laisser périr là où elles sont.

Kholoud explique la raison pour laquelle elle a décidé d’écrire ce livre relatif à son séjour en prison. Elle parle d’un cauchemar qu’elle a vécu et qui se répétait en 2014 la nuit dans son sommeil. Elle revoyait souvent une de ses anciennes camarades en prison morte décapitée, mais aussi les filles dans cette maison où elle a séjourné la suivre comme des fantômes. Elle se réveillait en sueur dans sa chambre à Istanbul et se disait : « Soit je supprime chaque mot de mon ordinateur portable et je retourne à Djeddah, soit j’écris enfin toute mon histoire et ce que j’ai vécu. »

Alors, à 32 ans, sa décision est prise, puisqu’elle ne se sentait absolument pas libre avant d’écrire son histoire et de dévoiler l’état des lieux – honteuse et catastrophique des prisons pour femmes en Arabie saoudite et de les faire connaître au monde entier.

En dépit de son amour pour sa terre natale, sa belle ville de Djeddah et ses plages, Kholoud sait bien qu’elle ne pourra jamais y retourner après la publication de ce livre et avant de voir un jour son pays d’origine devenu plus humain, plus tolérant, moins fanatique et plus respectueux des droits des femmes et de leur dignité. Elle refuse de publier ce livre sous un pseudonyme, car elle veut qu’il soit le reflet de sa personnalité, de son histoire, de ses mots, de sa langue, de sa révolte, de ses souffrances et de ses ambitions. Et il ne peut passer que sous son vrai nom, quoi qu’il arrive.

Kholoud a-t-elle peur d’une vengeance après avoir dévoilé le vrai visage d’une maison carcérale pour femmes en Arabie saoudite et la situation amère et honteuse quant aux conditions misérables des femmes dans cette société qui prétend « être la meilleure nation créée pour le bien de l’humanité » ?

Effectivement, elle est consciente d’avoir franchi le Rubicon, mais aussi d’avoir encouru des risques face à un régime impitoyable vis-à-vis d’un dissident ou d’un contestataire. Le cas du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 à Istanbul est la preuve. Même le cas du prince Khaled ben Farhan de la famille royale qui a révélé le meurtre d’une servante par le roi actuel. Il se trouve également en fuite, toujours recherché et menacé.

Kholoud souhaite mener une vie « normale », loin des tracasseries avec le régime, bien que la sécurité absolue n’existe nulle part. « Aujourd’hui, nous sommes là, mais demain nous n’avons aucune garantie d’y être », a-t-elle déclarée au lendemain de la parution de son livre.

Son livre, Pas de larmes pour Allah, est dédié à ses parents, à sa famille et à sa ville natale Djeddah. Ses parents l’ont accompagnée en prison, lui rendaient visite presque toutes les semaines. Même aujourd’hui, ils sont en contact étroit avec elle via les réseaux sociaux.

Maurice Saliba

[1] Kholoud Bariedah, Keine Tränen für Allah (Pas de larmes pour Allah ; traduit de l’arabe par Dr. Günther Orth). KnaurVerlag (Éditions Knaur HC), 2018, 311 pages.

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