Publié par Dern le 5 décembre 2019

Ce n’est pas le Joueur du Grenier qui a viré vilain facho. C’est l’époque qui a viré demi givrée.

Si vous aimez le rétro gaming, cette pratique qui consiste à jouer à des jeux datés, si vous aimez l’humour excessif et le boulot bien fait, la chaine Youtube « Le joueur du Grenier » est faite pour vous.

Le JdG (joueur du grenier) n’est pas seulement une chaîne Youtube populaire, montée par Frédéric Molas et son acolyte Sebatien Rassiat, et tournant sans interruption depuis 2009 (joyeux anniversaire).

C’est aussi le cas en l’espèce d’une petite chaîne de qualité, faite avec les moyens du bord, beaucoup de chatterton on imagine, et une énorme quantité de passion.

Aujourd’hui, Fredéric se retrouve régulièrement sous le feu de la vindicte twiterrienne (i.e. de la planète twitter), pour n’avoir pas exprimé les opinions conformes au Grand Progrès.

Débuts conformes

Pourtant, le projet démarrait comme il faut. La PQR s’y intéresse rapidement, d’autant qu’il se tient au secret sur sa vie personnelle, mais aussi parce que la mode du geek était lancée : dans les années 2010, le geek était tendance, à tel point que Le Petit Robert, dictionnaire préféré de nos profs de philo, lui a fait une place dans ses entrées.

La presse se passionne donc pour ce jeune débrouillard à l’air bonhomme originaire de Perpignan, qui monte ce projet à partir de zéro, depuis le grenier de sa maman, tel le cliché de geek que l’on s’imagine. Rapidement, la chaîne décolle, lui permettant d’en vivre et même de faire profiter à d’autres de son succès: il finance de petites associations de terrain, comme autisme 28 ou la ligue contre le cancer. Un geste d’autant plus désintéressé que sa petite entreprise démarre à peine.

La recette de son succès est efficace, et originale sur la scène Youtube française. On découvre un personnage ayant des crises de rage dantesques sur des jeux vidéo qui furent parfois nos amours de jeunesse. Tel un Philippe Etchebest des anciens jeux, il décortique chaque détail de sa cible et l’explose à coup de jurons tous davantage dans la surenchère.

En 2014, le très féministe webzine Madmoizelle l’interviewe même pendant la Japan Expo. Sur la question du sexisme, crime dont on l’accuse déjà sur la toile, il est ferme et revendique le droit à l’humour : « On a tout fait : les blagues sexistes, les blagues racistes, les blagues homophobes, sur le SIDA, sur le cancer… on allait pas être raciste sans être à un moment machiste ! T’imagines ? Ça aurait été dommage. (rires) »

Le péché de Pensée

L’époque était plus douce, et on lui passe ces incartades au nom de la liberté d’expression et du droit à la caricature. Notamment parce que la jetset de Youtube le pensait absous préventivement de par son appartenance supposée au Camp du Bien.

Et là, c’est le drame. La révélation Ô ! combien maudite prend la forme d’une interview pour Libération. Voici l’objet d’affliction :

« Frédéric se dit de droite, «mais pas celle du capital, celle de l’économie réelle, qui propose des choses concrètes». Il vote Dupont-Aignan, et aime s’accrocher sur ce sujet avec ses amis de gauche, «on croirait un débat Sega-Nintendo» » .

Horreur et quarante-deux fois damnation ! Dans un Youtube qui devient de plus en plus trusté par la frange idéologique de gauche, on présume qu’une star comme lui, alignant entre deux et huit millions de vues par vidéo, partageait a priori les vues de la Team Progrès.

Ultime déshonneur que de ne pas coller fermement, à grands renforts de glue citoyenne et joyeuse, au si tolérant et ouvert Camp du Bien !

Le prix de la liberté

Pour se faire une petite idée de la difficulté de sa position, on prendra en comparatif le Youtubeur Usul, qui s’adressait au départ au même public que celui du JdG. Sa chaîne peine à totaliser un dixième de l’audience du JdG, mais ses prises de position sont systémo-compatibles, bienpensantes et cochant les cases approuvées par le cerfa Bisounours 56.23. Alors pour draguer un public djeunss que les médias de gauche, centrés sur les boomers soixante-huitards vieillissants, ont du mal à capter, Mediapart s’offre Usul.

Le JdG, fidèle à lui-même, reste l’un des seuls dans la sphère Youtube française à n’être dépendant d’aucune boite de production et à n’avoir de comptes à rendre qu’à lui-même, et aux annonceurs qu’il choisit pour sponsoriser ses vidéos. Le prix de la liberté, alors que chaque vidéo demande un investissement financier conséquent que d’autres plus conformes se font payer par de grands médias ou organismes publics.

En attendant, Frédéric s’est déclaré ouvertement pour un candidat de la Liste Interdite : toutes ses paroles seront donc désormais systématiquement passées sous l’œil de Moscou, par la procédure uniquement à charge d’un public ultra vigilant.

Pokémon twittos, attaque !

Et ça ne loupe pas. Trois « affaires » en ligne éclatent, dans toute la virulence dont cette époque peut nous régaler, alors qu’il y a quelques années encore, on tolérait les divergences d’opinion si elles étaient présentées sous le spectre de l’humour ou de la dérision.

En 2017, plaisantant sur la drague, il compare le fait de séduire à une technique pour attraper un pokémon. Mais contrairement à ce qui est attendu de lui à la déclaration de « sexiste » d’enthousiastes paladins en justice sociale, il ne s’excuse pas comme c’était prévu dans le scénario et maintient son droit à l’humour face à la meute enragée, le tout avec un ton compassé de donneur de leçons sûr de sa supériorité morale. On admire la patience et la pédagogie dont il fait preuve à ce moment.

En février 2019, un de ses amis met en ligne une photo de lui et sa femme, où l’on voit ce petit couple heureux comme dans les magazines, suivi du hashtag #couplegoals. Pour y répondre avec de l’humour, Frédéric Molas, marié depuis octobre 2018, met en scène une bagarre avec sa femme Sorina, où il feint de lui mettre un coup de poing. Il poste ensuite la photo suivante, où elle lui met un faux coup de pied en pleine tête.

Le second degré était évident, et il assure avoir discuté de ceci avec sa femme. Mais la Team Premier Degré veut du sang, et pousse des cris d’orfraie, préférant lui mettre sur le dos une incitation à la violence envers les femmes, alors même que s’il peut se permettre ce trait d’esprit, c’est justement qu’il ne colle pas du tout à ces accusations.

C’est en avril que l’équipe du premier degré poursuit son assaut. Deux femmes portent plainte contre X, blâmant les « influenceurs » qui pousseraient leurs communautés de followers à harceler des cibles sur twitter.

Frederic Molas répond encore une fois par un trait d’humour, en grossissant la stupidité d’une pareille déclaration avec dérision : il fait semblant de lancer sa communauté comme on lancerait une pokéball, pour montrer que les personnes qui le suivent ont une conscience et ne sont pas des toutous aux ordres. En vain.

De la pé-da-go-gie

Dans un monde régi par les communautés et les appartenances idéologiques, présupposées ou avérées (la différence devient anecdotique), la « communauté » de fans se rallierait autour d’un chef qui donnerait des manières d’agir, et serait prescripteur de prêt à penser express. Cette vision ultra communautariste venue des Etats-Unis pollue de plus en plus notre débat public, et les nouveaux garants de cette Eglise sont les plus acharnés dans la conformité au nouveau dogme. Le JdG, par le simple fait de vouloir conserver sa liberté de ton, déplaît à cette Ecclésiarchie qui ne loupe pas une occasion de lui faire payer ses incartades.

Cette escalade devient de plus en plus absurde, les procès d’intention de plus en plus grotesques, et plus le JdG se refuse à ployer sous la souveraine accusation de « sexiste », plus les attaques se font virulentes à son encontre. Après tout, il aime les jeux vidéo et est drôle, ce n’est pas possible qu’il pense différemment du groupe, voyons, ce sont les méchants nazis qui ne sont pas d’accord ! Il faut donc lui réexpliquer et faire de la pé-da-go-gie, de la manière la plus infantilisante et suffisante possible.

Le plus pénible, avec ces inquisiteurs, est qu’ils pensent systématiquement que leurs stars préférées vont partager leur vision du monde, sans nuance, tel un Timéon de CM1 s’imaginant que papa et maman seront toujours d’accord avec lui. On ne peut pas leur en vouloir, quand on voit la vitesse avec laquelle les vedettes hollywoodiennes s’empressent de ramper devant la dernière pleurnicherie à la mode.

Droit dans ses bottes

Dans une interview donnée début 2018 à Absol, Frédéric clarifie ses positions desquelles il ne déroge pas : « on ne peut pas prendre comme mètre étalon de l’humour la personne la plus « choquable » du monde. Il y aura toujours quelqu’un qui va prendre ça… surtout sur internet, où c’est un sport de s’offusquer. Se plaindre est devenu le seul moyen d’exister. S’ils arrêtent de se plaindre, ils arrêtent d’exister. »

« Je suis partisan de la liberté. Tout le monde peut se moquer de tout le monde. » dit-il, tout en soulignant la différence avec le harcèlement. « Il n’y a vraiment que nous les occidentaux qui avons l’air de complexer à l’infini et de faire un sentiment d’autoflagellation constante. […] Merde, la colonisation, j’étais pas là, moi ! »

Cette liberté de ton, il l’a toujours revendiquée. Il n’a jamais changé de ligne de conduite ; en revanche, la société s’est crispée, le débat est devenu étroitement surveillé. Et si sa constance était le secret de sa réussite ? De nos jours, appeler à la modération dans le débat est considéré comme extrême.

Dans ce monde de plus en plus aseptisé, l’humour sans autre censure que celle du bon goût devient une rareté. Cela rend le JdG d’autant plus appréciable.

J’ai mis cette photo uniquement parce qu’il la trouve « absolument dégueulasse ».

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Dern. Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur (son site)

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