Publié par Gaia - Dreuz le 14 janvier 2020

Source : Cath

Le président Abdel Fattah al-Sissi est «plein de bonne volonté» à l’égard des chrétiens égyptiens, «mais un fanatique, jusqu’au bas de la chaîne hiérarchique, peut tout bloquer», confie le Père Kamil Samaan. Ce prêtre copte catholique est de passage en Suisse fin octobre pour témoigner de la vie pas toujours facile des chrétiens égyptiens.

Engagé dans le dialogue œcuménique et les droits humains en Egypte, le Père Kamil Samaan, âgé de 67 ans, vient du village d’El Shanaina, dans le gouvernorat d’Assiout, en Haute-Egypte. Il travaille pour la convivialité entre les Egyptiens au sein d’une ONG qui regroupe des coptes  orthodoxes et catholiques, des protestants et des musulmans. Il se veut optimiste, car malgré la présence de fanatiques islamiques – avant tout dans le gouvernorat de Minya, qui reste un fief des Frères musulmans -, le dialogue est possible avec les musulmans modérés. Mais l’obstacle majeur reste la mentalité de la majorité de la population: la discrimination des chrétiens reste ancrée dans les esprits en Egypte!

De Nasser à Sadate, de mal en pis

Cela a commencé sous le régime de Nasser, qui avait adopté un ton nationaliste arabe, alors qu’avant tous se sentaient citoyens et vivaient en paix: chrétiens, musulmans, juifs… Ces derniers sont partis suite à la fondation d’Israël. La discrimination des chrétiens s’est aggravée sous Sadate, qui s’était allié aux Frères Musulmans. Les chrétiens étaient alors régulièrement pris pour cible et la société s’est beaucoup islamisée. Et rien n’a changé sous Moubarak.

Sous le régime des Frères Musulmans, le cauchemar

Sous Mohammed Morsi (2012-2013), c’était le cauchemar. Les Frères Musulmans encourageaient les chrétiens égyptiens qui avaient aussi un passeport étranger à quitter le pays, pour en réduire le nombre, alors que les chrétiens sont présents dans le pays dès l’origine du christianisme, des siècles avant l’invasion arabo-musulmane.

De nombreuses églises d’Egypte ont été la cible des islamistes, ces dernières années | © Jacques Berset

«Les chrétiens sont les premiers citoyens de l’Egypte, pourtant les islamistes considèrent l’Egypte comme ‘une terre d’islam, exclusivement pour eux. Mais déjà à cette époque, l’intelligentsia musulmane dissuadait les chrétiens de partir, estimant que la société égyptienne allait beaucoup perdre. Les couches urbaines formées sont plus ouvertes. Beaucoup d’intellectuels musulmans, qui ont étudié dans les écoles catholiques, sont solidaires».

L’intelligentsia musulmane craint le départ des chrétiens

En effet, de plus en plus de journalistes, écrivains et intellectuels musulmans se lèvent pour défendre les droits des chrétiens en Egypte, relève le Père Kamil Samaan. Il ll faut créer avec eux un rempart contre les fanatiques et l’extrémisme.

Le Père Kamil Samaan, veut construire des liens avec les musulmans qui soutiennent la présence chrétienne en Egypte | © Jacques Berset

Lui-même a vécu une expérience qu’il qualifie de «très positive» avec ses voisins musulmans: lors des troubles suivant le renversement de Morsi, en août 2013, les musulmans d’El Shanaina ont fait une chaîne humaine afin d’empêcher quiconque de s’attaquer à l’église de son village. «Cela dépend souvent de la proportion de chrétiens et de musulmans dans un village. Ici, on était moitié-moitié, il y avait un certain équilibre, la vie était normale, avec une fois un maire musulman et une autre fois un maire chrétien…»

Les Frères Musulmans repliés sur Minya

«Avant, les conflits survenaient surtout dans les gouvernorats d’Assiout et de Minya, qui comptent 35 % de chrétiens. Les Frères Musulmans se sont repliés sur Minya, un gouvernorat plus pauvre que celui d’Assiout, où la population est mieux éduquée et plus forte culturellement et économiquement. A Minya, le taux d’analphabétisme est officiellement de 40%, mais dépasse certainement les 50%».

La vie des chrétiens y est plus difficile, car à l’évidence l’hostilité est liée au niveau de vie et à l’ouverture d’esprit: les populations qui se sentent laissées de côté sont plus vulnérables aux discours islamistes, et plus facilement manipulables. «Dans cette région, les autorités sont souvent complices des extrémistes: elles ont la même mentalité et sont persuadées de la supériorité de la religion musulmane».

L’Eglise copte est très présente en Haute-Egypte| © Jacques Berset

«Persuadées de la supériorité de la religion musulmane»

Si le discours officiel des guides musulmans d’Al-Azhar, pilier et référence de l’islam sunnite,  est modéré, il en va tout autrement du contenu des cours qui y sont dispensés. Le cheikh Abbas Shuman, adjoint du cheikh d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayeb, et deux de ses conseillers, ne sont plus en place. «C’est une bonne nouvelle qu’ils soient partis, car c’étaient des fanatiques! Espérons que la partie modérée l’emporte».

En effet, souligne-t-il, les chrétiens du Moyen-Orient ne seront pas protégés par l’Occident, mais bien par leurs compatriotes musulmans, dont la grande majorité n’a pas d’accointances avec les extrémistes. Il espère voir la situation s’améliorer, car après les sanglantes attaques djihadistes qui ont visé les chrétiens ces dernières années, le terrorisme a baissé d’intensité, à part quelques attentats, ces derniers mois, à Minya et au Caire, dont une voiture piégée visant un hôpital près de la place Tahrir.

Quelques enclaves où persiste le terrorisme

La situation est désormais plus stable, à l’exception des menées persistantes d’islamistes armés dans les villes de Rafah, Sheikh Zwayed et El-Arich, dans le nord du Sinaï, qui s’en prennent régulièrement aux forces de sécurité et aux institutions de l’Etat.    

L’église de Saint Ménas, au sud du Caire, a été visée par une attaque | © dpa Aly Fahim/Keystone

Actuellement, on procède toujours à la légalisation des églises construites sans permis, en vertu d’articles de la Constitution qui le permettent. «Si un lieu de culte a été employé comme église, alors on ne peut pas le fermer, c’est la théorie. A Minya, c’est plus difficile, car les Frères Musulmans y ont toujours le monopole, mais 1’500 églises ont déjà été légalisées dans tout le pays».

«Quand des juges bloquent la légalisation, il y a toujours la possibilité de faire recours, mais cela prend beaucoup de temps. Cela provoque souvent des protestations et des manifestations. Je dirais finalement que si notre situation n’est pas toujours facile, elle est, à mes yeux, tout de même prometteuse. De plus en plus la société fait montre d’ouverture!» (cath.ch/be)

Le Père Kamil Samaan témoigne à Genève et à Meyrin les 26 et 27 octobre 2019, à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED-ACN), à l’occasion de la 13e Journée nationale de prière pour les chrétiens discriminés et persécutés.

Les coptes, la plus grande Eglise chrétienne du Moyen-Orient
A la suite de la chute de Morsi, renversé le 3 juillet 2013 par les forces armées égyptiennes, et durant l’été 2013, les chrétiens ont été attaqués à de multiples reprises. Le 14 août 2013 au matin, dans une action planifiée dans toute l’Egypte, 86 églises et couvents étaient incendiés à l’aide de cocktails Molotov ou endommagés par les islamistes pro-Morsi. «Même si toutes les communautés ont tendance à exagérer leur nombre, les chrétiens en Egypte représentent au moins le 10% des quelque 100 millions d’Egyptiens».

En Egypte, les statistiques sont toujours très discutées et surtout pas fiables: les coptes orthodoxes disent que les chrétiens sont plus de 20 millions, «mais je pense qu’ils sont au plus quelque 10 millions».  De loin les plus nombreux sont les coptes orthodoxes – la plus grande Eglise chrétienne du Moyen-Orient -, tandis que les autres chrétiens sont très minoritaires au pays des pharaons. Les catholiques, divisés en 7 rites, sont les coptes catholiques (près de 200’000), suivis des latins (30 à 40’000, un chiffre gonflé par l’émigration en provenance du Soudan). Les melkites sont de 4 à 5’000, tandis que les syriaques, les chaldéens, les maronites et les arméniens sont à chaque fois quelques centaines. JB  

Père Kamil Samaan, l’œcuménisme au cœur
Né le 30 octobre 1952 à Assiout, à quelque 370 km au sud du Caire, le Père Kamil Samaan a commencé sa formation à l’âge de 12 ans au séminaire des Pères franciscains situé dans la capitale de la Haute-Egypte. Jusqu’en 1969, il y fait ses premières armes en théologie, avant de rejoindre le séminaire de Maadi, au Caire, où il termine ses études de base. Après une période de service militaire en 1976-1977, effectuée dans la région de Suez, il est ordonné prêtre le 12 juin 1978. Il a ensuite travaillé dans la pastorale à Assiout durant 5 ans, avant de partir en 1983 à Rome. Il y poursuit ses études à l’Institut biblique pontifical, où il obtient son doctorat en 1990. A son retour au Caire, il enseigne au grand séminaire inter-rituel de Maadi.

Aumônier depuis 2017 à l’hôpital italien du Caire, le Père Kamil Samaan travaille, depuis un an, avec deux autres prêtres et quatre laïcs, au sein d’une commission pour la réhabilitation de victimes de violences, en particulier sexuelles. Il s’agit d’une initiative des diocèses d’Assiout et de Minya, en Haute-Egypte. Il dirigeait l’orphelinat du Bon Samaritain au Caire de 2010 à 2017. Ancien président de l’Institut Supérieur de Sciences religieuses du Caire (200o-2011), il y enseigne l’Ecriture Sainte. Il fait partie de la commission nationale «Justice et Paix» égyptienne. Il a été également membre du Comité scientifique de la Fondation Oasis, créée en 2004 à Venise à l’initiative du cardinal Angelo Scola, dans le but de promouvoir la connaissance réciproque et la rencontre entre le monde occidental et le monde musulman. Il a enseigné de 2015 à 2017 l’Ecriture sainte au séminaire protestant du Caire, l’Evangelical Theological Seminary.  Il fut également co-secrétaire du Conseil des Eglises d’Egypte jusqu’en 2017, où il représentait l’Eglise catholique dans toute sa diversité (7 rites différents).

Le Père Kamil Samaan a participé à la fondation d’un Institut œcuménique pour le Moyen-Orient à Beyrouth, qui accueille des étudiants chrétiens de toutes les confessions et de tous les rites. Les cours sont donnés à 40 étudiants venant du Soudan, d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, d’Irak, de Palestine et du Liban. Créé à l’initiative de la Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants (FUACE), une fédération œcuménique accueillant des personnes de toutes les traditions chrétiennes: protestante, orthodoxe, pentecôtiste, catholique et anglicane et d’autres confessions. Cet établissement s’est donné pour objectif de former des étudiants en sciences bibliques. Le Père Kamil Samaan est le frère de Mgr Kyrillos Samaan, évêque copte catholique d’Assiout. JB

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