Publié par Magali Marc le 22 janvier 2020

Historiquement personne n’a jamais arrêté un génocide. Si on s’en tient au XXème siècle, ni le massacre systématique des Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand (1904-1908), ni le génocide arménien par les Turcs (1915-1916), ni la Shoah (Deuxième Guerre Mondiale) , ni le génocide des Tutsi au Rwanda (1994) n’ont été arrêtés. L’exception serait peut-être l’auto-génocide perpétré par le Régime Khmer rouge au Cambodge (de 1975 à 1979) auquel mit fin l’invasion vietnamienne en 1979.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit la chronique de Jonathan S. Tobin*, parue sur le site du Jewish News Syndicate, le 20 janvier.

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Pourquoi l’argument du bombardement d’Auschwitz est toujours d’actualité

Le refus des Alliés de consacrer des ressources suffisantes au sauvetage et à l’arrêt de l’usine à meurtre nazie est une raison de plus justifiant l’existence d’un État souverain en Israël .

Dans son livre «From Beirut to Jerusalem», publié en 1989, le chroniqueur Thomas Friedman du New York Times, a écrit : « Israël est devenu le Yad Vashem avec une armée de l’air ». Cette phrase représente le genre de mauvaise plaisanterie qui a contribué à faire de Friedman un perroquet de la politique étrangère, installé sur son perchoir dans la page d’opinion du Times, même si ses chroniques sont dépassées et dépourvues de toute réelle perspicacité depuis des années.

Mais sa boutade aux dépens de l’État juif – et le lien entre sa détermination à survivre et la mémoire de l’Holocauste – n’a pas été oubliée.

C’est surtout parce qu’elle représente l’impatience de beaucoup de membres de l’élite bavarde face à l’acceptation par Israël de son rôle de garant ultime de la sécurité du peuple juif.

Depuis que le livre de Friedman est devenu un best-seller, il y a plus de 30 ans, la mémoire de la Shoah est plus que jamais mise en avant, alors que certaines des personnes qui se sont battues pour les six millions ne dénoncent pas le mensonge selon lequel les Israéliens se comporteraient comme des nazis.

Pourtant, en dépit de cette diffamation antisémite, le 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz est un moment opportun pour nous rappeler pourquoi le souvenir de ce qui s’y est passé et de ce qui ne s’y est pas passé est toujours au cœur de la raison d’être du sionisme moderne.

Il est impossible d’éluder le fait qu’au moment de l’histoire où les Juifs étaient massacrés par centaines de milliers dans l’usine de mort nazie d’Auschwitz, leur sort était une question mineure, même pour ceux qui, dans le monde civilisé, faisaient la guerre à l’Allemagne. C’est pourquoi le débat actuel sur l’échec des Alliés à bombarder Auschwitz continue d’inspirer la colère et la controverse jusqu’à aujourd’hui.

La question de savoir si Auschwitz aurait dû être bombardé fait l’objet d’un épisode de la série documentaire « Secrets of the Dead » de PBS, qui sera diffusée en première la semaine de l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. En dépit de certaines limites évidentes (notamment la pratique lamentable consistant à intégrer des reconstitutions dramatiques d’événements historiques par des acteurs), «Bombing Auschwitz» est une introduction intéressante à un sujet complexe et tragique.

Le film s’ouvre sur l’évasion miraculeuse d’Auschwitz en avril 1944 par deux jeunes prisonniers juifs : Rudolf Verba et Alfred Wetzlter. Les deux ont finalement réussi à se mettre en sécurité et à rapporter en détail ce qu’ils avaient vu aux autorités juives, qui ont ensuite pu transmettre le document au représentant de l’Office américain des réfugiés de guerre en Suisse. Le rapport décrivait en détail le mode de fonctionnement d’Auschwitz, y compris le processus de “sélection”, les chambres à gaz et les crématoires où les corps des victimes étaient brûlés.

Ils espéraient avertir les Juifs de Hongrie, qui étaient le prochain groupe principal que les Allemands et leurs collaborateurs avaient l’intention de transporter à Auschwitz pour une mort certaine.

Mais pendant tout le reste de l’année 1944, les trains pour Auschwitz continuèrent à circuler. Au plus fort de la tragédie, de mai à juillet 1944, environ 55 000 Juifs hongrois étaient déportés vers le camp de la mort chaque semaine. Plus de 5 000 furent gazés et incinérés chaque jour. Pendant toute la durée de la guerre, environ 1,1 million de Juifs furent assassinés à Auschwitz.

Le rapport sur Auschwitz a fini par circuler parmi les dirigeants de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Le Premier ministre britannique Winston Churchill a écrit que ce qui se passait était « le crime le plus horrible de toute l’histoire du monde ». Les dirigeants juifs et les responsables du War Refugee Board ont insisté pour que les forces aériennes américaines et britanniques bombardent les voies ferrées et l’usine de la mort elle-même.

L’espoir était que cela pourrait mettre Auschwitz hors service, ainsi que d’envoyer un avertissement aux Allemands que les Alliés étaient conscients de ce qui se passait et que les responsables seraient traduits en justice après la guerre. Mais les Alliés n’ont jamais pris ces mesures.

Les raisons de cette inaction étaient complexes.

Les militaires britanniques et américains estimaient qu’une mission sur Auschwitz était trop difficile.

Pourtant, des avions américains avaient déjà bombardé un complexe d’usines I.G. Farben dans les environs, et certaines bombes étaient tombées par erreur sur le complexe du camp, tuant des gardes nazis ainsi que des détenus.

Les estimations étaient justifiées dans le sens où un véritable bombardement de précision était impossible à l’époque, et les dommages causés par les bombes aux chemins de fer auraient également pu être réparés rapidement.

Pourtant, les obstacles à l’action contre Auschwitz allaient bien au-delà des problèmes techniques.

Certains refusaient de croire les récits des atrocités nazies ou ne pouvaient tout simplement pas comprendre ce qu’on leur racontait. L’une des faiblesses du film de PBS est qu’il prend les informations qui ont été divulguées sur Auschwitz en 1944 indépendamment de ce que les Alliés savaient déjà.

Un an avant le débat sur Auschwitz, le président Franklin Roosevelt avait déjà entendu personnellement Jan Karski, le courageux officier polonais qui s’était faufilé dans le ghetto de Varsovie et dans les camps allemands, puis en était ressorti avec d’autres preuves de l’effort des nazis pour industrialiser le meurtre. Les plans allemands d’anéantissement des Juifs d’Europe étaient également connus et publiés, même s’ils étaient minimisés par les grands médias de l’époque.

Les excuses concernant l’incrédulité ne résistent pas à l’examen.

Le plus important était le sentiment que toute préoccupation autre que celle de gagner la guerre contre l’Allemagne constituait une dangereuse diversion des efforts militaires.

Bien que compréhensible dans le contexte de l’époque, cette attitude ne tenait pas compte du fait que pour les Allemands, tuer les Juifs était une priorité. Ils ont peut-être perdu la guerre, mais gagner la bataille du génocide était tout aussi important pour eux.

Pendant ce temps, certains aux États-Unis, comme le secrétaire adjoint à la guerre John McCloy, ont déclaré que le bombardement du camp pourrait inciter les Allemands à commettre de nouvelles atrocités, comme s’il y avait quelque chose pire qu’Auschwitz.

D’autres craignaient de tuer des détenus au cours des raids, bien que ces craintes n’aient pas inclus l’idée que leurs ravisseurs avaient déjà marqué les Juifs d’Auschwitz pour la mort.

Mais la plupart des responsables alliés ne s’intéressaient tout simplement pas à la question du sauvetage ou de l’arrêt des massacres en cours. Comme le dit l’historienne Deborah Lipstadt dans le film, « personne ne s’en est soucié ».

Si FDR et le reste de son Administration avaient traité la question du sauvetage avec l’urgence historiquement prescrite, beaucoup auraient pu être sauvés des chambres à gaz d’Auschwitz.

La leçon à retenir ici est que les Juifs étaient essentiellement livrés à eux-mêmes dans une guerre génocidaire qui était essentiellement distincte de celle menée par les armées.

Lorsqu’en 2003, l’armée de l’air israélienne a effectué un survol d’Auschwitz, c’était plus qu’un simple coup de publicité. Elle reste ancrée dans la conscience de ceux qui sont chargés de la défense du peuple juif aujourd’hui.

Israël est bien plus qu’un mémorial de l’Holocauste et un établissement militaire ; pourtant, la capacité de se défendre représente une garantie que plus jamais les Juifs n’attendront en vain des amis pour sauver ceux qui sont en danger.

S’il est souhaitable que le souvenir de l’Holocauste motive le monde à prévenir de nouveaux génocides, les 75 dernières années ont prouvé à maintes reprises qu’il s’agit là d’un espoir généralement déçu.

C’est la nécessité de préserver la capacité et la volonté des Juifs de se défendre – et non la rhétorique vide entendue lors de la Journée de commémoration de l’Holocauste – qui est la véritable leçon d’Auschwitz.

*Jonathan S. Tobin est le rédacteur en chef de JNS – Jewish News Syndicate. Il contribue également à la National Review et est chroniqueur pour le New York Post, Haaretz et d’autres publications.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Traduction de Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

Sources :

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