Publié par Jean-Patrick Grumberg le 25 janvier 2020

La réponse de Téhéran montre que la politique américaine actuelle envers l’Iran fonctionne.

Il y a deux semaines, disaient les experts des plateaux télévision, les États-Unis allaient déclencher une nouvelle guerre au Moyen-Orient, voire une troisième guerre mondiale, après qu’un drone ait tué le plus dangereux et moins connu terroriste au monde, l’Iranien Qasem Soleimani, alors qu’il quittait un aéroport international à Bagdad.

Le général, jadis dans l’ombre, qui récemment s’affichait imprudemment en photo un peu partout, était l’un des criminels les plus efficaces de l’histoire contemporaine. Les observateurs de qualité disent qu’il était plus dangereux que Ben Laden et Baghdadi, le leader de l’Etat islamique. Il avait en effet construit une armée tentaculaire de milices par procuration dans toute la région, y compris bien entendu le Hezbollah, et a contribué à étendre la domination de Téhéran dans les pays voisins dans le but de créer un croissant de circulation continu destiné à entourer Israël : son objectif était que l’Iran ait deux frontières avec Israël en Syrie et au Liban, alors qu’Israël n’a pas de frontières avec l’Iran.

La poussière des frappes américaines maintenant retombée, aucun des scénarios apocalyptiques dont tant de médias ont parlé ne s’est réalisé. Ca vous étonne ? Je ne pense pas.

L’Iran a lancé une attaque de missiles sur une base américaine en Irak, mais cette attaque était purement destinée à sauver la face auprès du peuple iranien. Comme les responsables irakiens l’ont révélé le lendemain, l’Iran les avait informés d’une attaque imminente, un message que les Irakiens ont transmis aux Américains et qui était destiné à éviter de tuer des Américains de peu de la réponse du président Trump. Aucune mort n’a été à déplorer, et le régime iranien a annoncé à ses partisans que des dizaines, voire des centaines d’Américains avaient été tués à la suite des frappes.

En fait, aucun des scénarios apocalyptiques n’était plausible, et il semble bien maintenant que la puissance de l’Iran ait été sensiblement surévaluée.

La réalité est que l’Iran a peu d’options contre les Etats-Unis.

  • Il n’est pas intéressé par une guerre directe avec les Etats-Unis ni aucun de ses mandataires ou alliés dans la région, et n’en a certainement pas les moyens techniques et financiers.
  • Le régime est confronté à des sanctions de plus en plus sévères imposées par Washington, et les troubles intérieurs s’accumulent avec des manifestations de rue occasionnelles qui exploseraient en cas de déclenchement d’une opération contre les Etats-Unis, et bien que ce soit difficile à croire, contre Israël.
  • Les alliés de l’Iran en Irak et au Liban sont soumis à une pression sans précédent de la part des protestations de rue, qui persistent depuis octobre.
  • En Syrie, la monnaie s’effondre à des niveaux historiques, plus d’un tiers du pays est en dehors du contrôle du gouvernement soutenu par l’Iran. L’Iran et la Russie s’y regardent en chien de faïence, avec des intérêts divergents qui ont été exacerbés par la décision de retrait par Trump de la région occupée par les Kurdes. La Turquie y est en embuscade.
  • L’Iran est en proie à des crises internes profondes, et même si le renversement du régime des Mollahs semble peu probable, ce dernier est sur la défensive, ce qui limite grandement son pouvoir de nuisance.

Et dans la panique qui a suivi l’annonce de l’assassinat de Soleimani, l’Iran a abattu un avion ukrainien avec 140 Iraniens à bord, et a dans un premier temps tenté de cacher son crime. Les experts et d’anciens responsables affaires étrangères d’Obama ont mis en garde Trump contre une épreuve de force entre l’Iran et les États-Unis. Lorsque l’affrontement n’a pas eu lieu, les critiques ont maintenu que c’était par chance. Ils disent maintenant que ce n’était que partie remise et qu’il faut s’attendre au pire. Ils ne s’excusent jamais de leurs erreurs, et les médias invitent toujours ceux qui se sont trompés hier à donner leurs prédictions pour demain comme s’ils étaient infaillibles, comme s’ils ne s’étaient pas diamétralement trompés les fois précédentes. Les médias français – mais plusieurs en Amérique aussi – sont allés a suggéré que la guerre a été évitée parce que les mollahs ont fait preuve de “plus de retenue” que les États-Unis. Ils n’ont pas la moindre preuve pour appuyer cette affirmation, mais nous ne sommes plus à une époque où, pour les journalistes, les faits importent.

En réalité, leur alarmisme n’a jamais été justifié.

Les circonstances entourant le meurtre de Soleimani ont non seulement exposé les nombreuses vulnérabilités de l’Iran et les options limitées d’escalade contre les Etats-Unis, mais aussi les mythes sérieux qui façonnent une grande partie de la perception américaine et internationale du régime iranien. Plus précisément, l’idée que l’Iran puisse infliger des dommages aux Etats-Unis est une vision romancée, ou influencée par leur propagande et celle des médias de la situation dans la région. En un mot, la puissance de l’Iran est largement surestimée et fait penser à l’image qui était envoyée d’Irak lors de l’invasion par les Etats-Unis.

En 2020, contrairement aux premières années après l’invasion de l’Irak, le président Trump ne veut pas avoir d’influence dans les zones de conflit telles que l’Irak et la Syrie, il veut se retirer de ces régions où les Etats-Unis n’ont rien à faire, et les laisser se débrouiller entre eux.

L’Iran, en revanche, a beaucoup investi pour maintenir ses alliés au pouvoir. Mais ils sont presque tous sous pression dans leurs propres pays, traditionnellement très instables. En d’autres termes, à l’inverse de la dynamique de la guerre en Irak, les États-Unis peuvent déstabiliser avec l’Iran dans la région sans crainte, bien plus que l’Iran. C’est une nouvelle réalité à laquelle les experts et les décideurs politiques américains doivent s’adapter, mais leur haine de Trump les aveugle souvent. Le changement de politique envers l’Iran sous l’administration Trump – pour augmenter la pression militaire, politique et économique afin d’affaiblir son hégémonie régionale – expose de telles vulnérabilités et démontre que les États-Unis peuvent dissuader l’Iran avec des coûts minimes. C’est exactement la doctrine Trump que ses opposants et les médias ne veulent ni voir, ni reconnaître, ni chercher à analyser – seulement la dénoncer comme dangereuse.

Par exemple, lorsque le président Obama a annoncé qu’il lancerait des frappes punitives contre le régime syrien soutenu par l’Iran après son utilisation d’armes chimiques en 2013 – ce qu’il a eu peur de faire et n’a pas fait – les arguments ont été en faveur des frappes. Les experts et les médias, unanimes, disaient que Damas avait violé une ligne rouge explicite, qu’Obama avait déclarée comme interdite au niveau international, et ils approuvaient Obama. Vous pouvez chercher, ils ne parlaient ni de troisième guerre mondiale, ni d’embrasement régional.

Obama a finalement fait marche arrière et a conclu ce qui ne peut être décrit que comme un accord sauvant la face avec la Russie, pour mettre fin à l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie et démanteler son arsenal. Malgré l’accord, ces attaques ont persisté. Obama a choisi de regarder ailleurs. Les experts n’ont pas accusé Obama d’avoir remis les clefs de la région à Poutine.

Des scénarios de “troisième guerre mondiale” sont maintenant présentés. Certains ont même évoqué les “formidables défenses aériennes” de la Syrie – qui n’existent pas.

Dans la réalité, c’est le président Trump qui a lancé des frappes punitives contre le régime de Bachar al-Assad quatre ans plus tard lorsque ce dernier a une fois de plus utilisé des armes chimiques.

Une fois de plus, les experts ont crié au danger. Une fois de plus, aucun des scénarios catastrophes ne s’est développé. Pourtant, et contrairement à 2013, la Russie était présente sur le terrain, à l’intérieur de la Syrie, depuis son intervention militaire en 2015 : les enjeux étaient donc encore plus importants pour les États-Unis en 2017, Trump n’a pas hésité, les faits ont démontré qu’il avait raison.

Le fait est que renoncer à toute politique américaine volontaire à l’égard de l’Iran n’a que peu de fondement dans la réalité.

Elle est basée en grande partie sur l’exagération et la peur. En retour, cela enhardit le régime qui se prend à sa propre propagande et constate son efficacité par l’attitude mijaurée de la première puissance mondiale, et lui donne des ailes pour opérer dans toute la région en toute impunité.

C’est pourquoi Soleimani, qui avait du sang américain, français, israélien sur les mains, faisait des apparitions publiques non loin des forces américaines pendant la lutte contre l’État islamique. Et qu’il a organisé l’assaut contre l’ambassade américaine à Bagdad après avoir ordonné une attaque sur une base militaire abritant des forces américaines, laquelle a tué un entrepreneur civil américain.

Il était certain que les États-Unis n’oseraient pas le prendre pour cible ou réagir. Il sous-estimait Trump, influencé par des médias qui le présentent comme incompétent et beau-parleur. Soleimani est une victime de la désinformation. Il a payé de sa vie les Fake News.

Personne ne s’attendait à ce que Trump mène une attaque d’un tel niveau. Sous l’administration Obama, les États-Unis semblaient avoir donné carte blanche à l’Iran dans la région – ne répondant pas à ses provocations tant que l’Iran agissait avec un démenti plausible. La base de la politique Obama était que c’est l’Iran et l’ONU, et non les États-Unis, qui avaient le dessus, parce que la doctrine Obama voulait que les Etats-Unis prennent un rôle secondaire dans le monde. Le président français Sarkozy s’en était étonné, apprenait-on dans un câble publié par Wikileaks. Sarkozy s’étonnait que pour la première fois, les Etats-Unis ne prenaient pas la parole durant une importante réunion du Conseil de sécurité, mais au contraire s’étaient mis en retrait et qu’il avait pu prendre la parole et faire valoir avec force le point de vue de la France.

Téhéran avait fini par croire que les seuls outils dont disposaient les États-Unis contre lui étaient les sanctions économiques, et qu’ils pouvaient les contourner grâce à leurs réseaux d’États dans la région et le désir des Européens de faire des affaires avec la République islamique. En prenant ses fonctions, Trump a réévalué les sanctions sous un angle pragmatique, et a déployé d’autres procédés, notamment le ciblage fréquent des mandataires iraniens dans des endroits comme la Syrie – pour empêcher la construction de réseaux similaires à ceux qu’elle a établis en Irak – et un régime de sanctions étendues a été appliqué.

Ces outils ont assez rapidement été efficaces, et ont commencé à nuire au régime iranien et à ses alliés. La pression a poussé Téhéran à des actions erratiques, et les attaques inhabituelles de l’année dernière ont été en grande partie symptomatiques de cette anxiété. Puis est venu le meurtre de Soleimani, qui a probablement été une décision plus stratégique que circonstancielle de l’administration Trump, qui était destinée à perturber le cycle d’escalade de la terreur.

Malgré les alarmistes, qui critiquent Trump quoiqu’il fasse – ils l’auraient accusé de trahison et de faveur à Poutine s’il n’avait pas éliminé Soleimani quand il en a eu la possibilité – les circonstances entourant l’assassinat de Soleimani montrent que la politique de Trump envers l’Iran fonctionne. Comme prévu, mieux que prévu, à peu près comme prévu, c’est assez difficile à dire avec précision car il est peu probable que les conseillers stratégiques du président puissent anticiper avec autant de détail la réaction des Mollahs.

L’approche de la “pression maximale” est double. Elle consiste d’une part à serrer les vis économiques sur l’Iran, ce qui réduit ses capacités financières à l’intérieur, fait monter la grogne et l’esprit de révolte du peuple iranien, complique le financement de ses opérations de déstabilisation – les difficultés financières du Hezbollah sont une des conséquences – et à organiser les efforts régionaux pour accroître la pression sur un régime occupé à colmater les problèmes.

L’intention de Trump n’est pas seulement de forcer Téhéran à négocier un nouvel accord sur son programme nucléaire, comme il le déclare publiquement, mais de réduire la capacité du dictateur islamique à dominer les régions qui l’entoure en asséchant ses ressources. Ces pressions fonctionnent non pas parce qu’elles n’ont pas été tentées auparavant, mais parce qu’elles sont imposées simultanément et s’inscrivent dans une globalité d’actions dont l’élimination de Soleimani est une des composantes. Le soutien du président américain aux protestations populaires, bien qu’il n’est pas de nature à renverser le régime, est assez préoccupant pour mettre les Mollahs sur la défensive, et les pousser à commettre de nouvelles erreurs dont l’une, ou la conjonction de plusieurs, pourrait leur être fatale. Malgré la propagande et la désinformation relayée par les médias occidentaux pour aider l’Iran à sauver les apparences, la rue est révoltée et a désobéi. Les vidéos d’Iraniens refusant de piétiner les drapeaux américain et israélien circulent et sont vus par des millions de personnes. Le sentiment nationaliste, le désir de vivre à l’Occidental, de se débarrasser de la police des mœurs islamiques éclipsent les tensions tribales qui ont autrefois aidé le régime.

Trump devra maintenant augmenter la pression pour convaincre le régime islamique que les anciennes pratiques qui lui ont permis de combler le vide laissé par le retrait des Etats-Unis après la guerre de 2003 en Irak, et les soulèvements populaires de 2011 au Moyen-Orient, les fameux “printemps arabes” qui ont apporté le chaos actuel, sont révolues.

En ce sens, il ne fait aucun doute que l’élimination de Soleimani est un changement de donne et que l’Iran va devoir revoir sa stratégie au Moyen-Orient, non seulement parce que Téhéran a perdu un stratège sociopathe avide de tuer et considéré comme extrêmement capable, mais parce que l’opération lui a montré que Trump a sifflé la fin de la récré, et que les Mollahs devaient envisager devoir maintenant affronter les conséquences de leurs actions dans la région.

Tout ce que Trump doit faire maintenant, c’est rester sourd aux critiques de Washington, de l’Union Européenne frustrée des juteux contrats perdus, et des médias, afin de poursuivre sa politique de pression maximum, et le président Trump a fait la preuve que lorsqu’il s’agit de rester sourd au harcèlement constant des critiques venant de toutes parts, il est un maître.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

Texte librement inspiré d’une rubrique publiée dans la National Review. https://www.nationalreview.com/2020/01/us-iran-tensions-soleimani-strike-alarmists-were-wrong-about-strike/

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