Publié par H16 le 27 janvier 2020

On ne peut pas dire que les commémorations de l’attentat de Charlie Hebdo auront servi à quoi que ce soit, au contraire.

Alors que des foules étaient sorties manifester dans les jours qui avaient suivi l’assassinat de la rédaction du journal satirique, les années qui ont passé ont très clairement permis aux opinions d’évoluer, mais pas du tout dans le bon sens : si le droit au blasphème semblait acquis en République française en 2015, il n’en va pas du tout de la même façon cinq ans plus tard.

Beaucoup a déjà été dit dans « l’affaire Mila », cette adolescente qui, lors d’une vidéo en direct, a exprimé aussi clairement que crûment son avis sur l’islam (« c’est de la merde » selon elle), entraînant insultes, menaces de mort à son encontre et sa déscolarisation expresse. Son développement actuel permet cependant d’illustrer la dérive de tout un pays.

Tout d’abord, on ne peut que souligner l’incroyable lenteur et la mollesse consternante du soutien de tout ce que le pays comprend pourtant d’associations, souvent subventionnées à fonds publics, militantes tant pour le droit des femmes que pour le droit des lesbiennes ou pour la liberté d’expression.

Une semaine après le début de la fièvre qui s’était emparée des réseaux (et avant qu’une autre fièvre, plus médicale celle-là, vienne définitivement faire oublier l’effervescence médiatique autour de Mila), les communiqués de presse des associations les plus concernées ne se bousculent pas, à tel point que Charlie Hebdo s’en est ouvert

Alors que le moindre dérapage qu’on pourrait vaguement soupçonner, de loin, comme homophobe, déclenche généralement la montée en sauce immédiate de toute la garde et l’arrière-garde médiatique, depuis twitter jusqu’aux besogneux journalistes des inévitables journaux « engagés » en passant par les blogs plus ou moins connus, il aura fallu plusieurs jours d’insultes homophobes, de menaces de viol et de mort pour qu’enfin, quelques associations émettent de petits tweets dans lesquels elles se font fort d’expliquer qu’elles n’approuvent pas des masses ces réactions, tout en bardant leurs désapprobations calculées d’un petit « même si » qui montre clairement l’absence de soutien à l’adolescente.

Quant au gouvernement, il est resté sagement muet, laissant bien sûr toute l’affaire se développer sans piper le moindre mot jusqu’au 24 janvier, une semaine après les faits, par le truchement de l’inutile secrétaire d’État Schiappa qui s’empressera à la fois de soutenir Mila (malgré tout) et de (bien sûr) charger l’odieuse récupération politique de l’affaire par l’extrême droite, sans quoi ce soutien de dernière minute aurait pu apparaître comme sincère.

L’affaire est entendue : nous sommes dans le règne du « oui mais ».

Tout ce que la France compte d’influents semble d’accord pour user d’une grosse louche de relativisme qui met sur le même plan les menaces de viol, de mort, de torture et les expressions d’opinion, parfaitement légales et autorisées, d’une adolescente de 16 ans. On murmure que oui, toutes ces menaces de mort, c’est tout même pas terrible, ça fait un peu tache dans une République du vivrensemble, et on s’empresse d’ajouter un petit « MAIS » pour embrayer sur une analyse plus ou moins subtile des propos tenus pour savoir, si, finalement, l’ado ne l’aurait pas un petit peu cherché, hein, m’voyez.

À tel point que le procureur de la République saisi du dossier s’est empressé d’ouvrir une enquête sur les menaces de mort (eh oui, c’est la loi)… tout en ajoutant bien sûr une autre enquête sur la jeune fille (pour incitation à la haine raciale, la race islamique devenant apparemment un concept légal en France), histoire de faire bonne mesure.

En cela, ce procureur n’est même pas différent du délégué général du Conseil français du culte musulman qui a expliqué que, je cite« Mila l’a bien cherché ». Si quelques réactions ont bien été enregistrées à la suite de la saillie de ce piètre représentant religieux dont l’argument peut se décliner facilement sur d’autres modes (« Charlie hebdo l’a bien mérité » ou « Elle portait une jupe trop courte, elle a bien mérité son viol »), on regrette l’absence palpable de toute réaction devant l’enquête ouverte par le procureur alors qu’elle procède exactement du même raisonnement.

En réalité, l’attitude de ce responsable du CFCM, de ce procureur et de ces associations montre l’incroyable dérive du pays.

D’une part, on sent se refermer sur les ligues de protection féministes un piège paradoxal, illustré par la récente affaire du poster « Islam is right about women » qui avait outré tous les bien-pensants aux États-Unis : ces associations, trop souvent engluées dans des paradigmes gauchistes, se retrouvent entortillées dans leurs contradictions internes à vouloir tout faire d’un côté pour favoriser l’égalité homme-femme, tout en se gardant bien, d’un autre côté, de dénoncer le sexisme inégalitaire et souvent violent de certains musulmans. Elles savent pertinemment qu’une telle dénonciation serait immédiatement taxée d’islamophobie, ce qu’elles redoutent presque autant que les coups de mâles blancs cis-hétéros privilégiés de 40 ans qui mangent du quinoa.

D’autre part, autant il semble acquis qu’en France, on peut amplement se payer la fiole du catholicisme, tant leurs pratiquants sont policés et que les débordements sont, de nos jours, plutôt rares pour ne pas dire inexistants, autant il semble plus délicat de se moquer du judaïsme qui déclenche plus facilement un tollé médiatique, autant il semble maintenant impossible d’émettre une critique même raisonnable de l’islam tant les réactions de certains sont extrêmement violentes, en ce compris des passages à l’acte : Mila aurait balancé un « Le catholicisme est une religion de merde », elle serait encore inconnue des réseaux sociaux à l’heure qu’il est…

À tel point qu’un blasphème, parfaitement légal en France, se voit pourtant assorti d’une petite enquête, au cas où, et histoire de montrer que la République sait s’aplatir quand il faut apaiser les passions dangereuses, n’est-ce pas (à ce titre, je n’ai pas souvenir de la moindre enquête jamais ouverte pour incitation à la haine raciale pour des propos blasphématoire anti-chrétiens ou anti-juifs).

Ces deux éléments (le piège paradoxal dans lequel ont sombré trop de personnalités, et la violence maintenant prise en compte de certains coreligionnaires musulmans) montrent l’incroyable dérive d’un pays dont les institutions n’ont pourtant pas arrêté de harper sur leur neutralité religieuse depuis 1905.

Cette dérive pourrait être limitée à quelques personnages du gouvernement, quelques figures de proue religieuses, quelques têtes de gondoles des associations féministes mais pas trop.

Malheureusement il n’en est rien.

La dérive est bien ancrée dans toute la société française qui cherche, au travers même de ses représentants, à museler les opinions dissidentes, cette liberté d’expression qui pourrait amener certains à se sentir froissés, à éprouver une gêne, à avoir les yeux humides et à piquer des colères lorsqu’on vient heurter, par des paroles ou des opinions tranchées, leurs petits sentiments d’êtres fragiles, et qu’aucun cerfa républicain ne suffira à apaiser.

L’incroyable loi Avia, du nom de cette député qui a tenté de grignoter un chauffeur de taxi, en est le dernier exemple le plus consternant, qui vise à limiter la parole sur des motifs extrêmement flous (« lutter contre la haine sur internet »). Si on a bien du mal à définir ce que « haine » signifie effectivement, on voit en revanche très bien comment des pans entiers de la liberté d’expression seront passé au broyeur à poussins.

À vouloir rechercher, à tout prix, l’apaisement et un vivrensemble chimérique, quitte à criminaliser les opinions qui dérangent, on a complètement vicié les rapports sociaux entre individus dans ce pays où chacun ne cherche plus qu’à faire taire l’autre au motif d’un respect impératif qui n’existe plus.

Ce pays est foutu.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © H16. Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur (son site)

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