Publié par Gaia - Dreuz le 16 février 2020

Source : Reformes

Tombés jeudi 30 janvier, les derniers chiffres de l’Office fédéral des statistiques révèlent une Suisse toujours moins religieuse. Décryptage avec le sociologue des religions Christophe Monnot.

La sécularisation de la Suisse poursuit son chemin. Selon les derniers chiffres recensés par l’Office fédéral de la statistiques, le nombre de personnes sans appartenance religieuse, dans ce pays qui a porté la Réforme protestante, a même devancé la population affiliée à l’Église réformée. Également en perte de vitesse, le catholicisme résiste mieux à cette tendance, en pleine accélération. Par ailleurs, pour la première fois, le nombre de personnes rassemblées sous «autres communautés chrétiennes», subit un léger recul. Faudrait-il y voir un effet de plafond du côté des évangéliques? Décryptage de ces résultats avec le sociologue des religions Christophe Monnot.

Quel commentaire vous inspirent premièrement ces nouveaux résultats?

Ces chiffres ne m’étonnent pas. La sécularisation est une tendance lourde que l’on observe en Europe depuis les années 1970/1980. En Suisse, le décrochage a été un peu plus tardif, mais il est bien réel. Ce qui frappe néanmoins, c’est l’accélération de ce phénomène. Aujourd’hui, la Suisse compte d’ailleurs plus de personnes sans appartenance religieuse que de protestants. Cette catégorie se situe à présent en deuxième position, après les catholiques romains. Si ça continue comme ça, le groupe majoritaire en Suisse sera bientôt celui des sans-confessions. Et cela arrivera bien plus rapidement que ce qu’on aurait pu prévoir dans les années 1990-2000.

Pour quelles raisons le catholicisme résiste-t-il mieux à ce mouvement de désaffiliation?

Il y a plusieurs facteurs, d’abord sociodémographiques. Premièrement, la majorité de la population protestante provient des cantons-villes, tandis que dans les campagnes l’Église catholique est majoritaire. Les réformés représentent donc une population plus urbaine, tertiaire, soit celle qui s’est détachée plus rapidement de la religion. Deuxièmement, c’est une population qui ne s’est pas renouvelée avec les vagues migratoires, contrairement à l’Église catholique romaine. De plus, les gens de la 2e et 3e génération vont se désaffilier beaucoup plus difficilement. Il y a donc deux fuites au tonneau réformés: la désaffiliation et le vieillissement de la population.

Pourquoi se sécularise-t-on plus rapidement dans les villes que dans les campagnes?

Il y a à cela plusieurs facteurs. Si vous êtes dans une petite ville à la campagne et que vous démissionnez de votre paroisse, tout le monde le saura. Alors qu’en ville, vous êtes anonymes. Ensuite, en ville, vous avez une population beaucoup plus mobile. Donc vous déménagez, vous pouvez changer de canton. Vous êtes alors obligé d’annoncer votre départ, mais vous ne vous réaffiliez pas forcément en arrivant dans un nouveau canton. Par ailleurs, le type de profession, le revenu, la classe sociale va aussi influencer votre attitude face au religieux.

Comment ces éléments impactent-ils notre attitude face au religieux?

Les enquêtes sociologiques montrent qu’en moyenne, plus le niveau d’éducation est élevé et plus le niveau de croyance diminue. Les enquêtes montrent également que plus le PIB d’un pays est élevé et plus le pays sera sécularisé – l’exception étant bien sûr les États-Unis.

La religion est en train de s’effacer tranquillement du pack culturel suisse

Pour quelles raisons les étrangers de la 2e ou 3e génération se désaffilient-ils plus difficilement?

Pour ces personnes, la religion fait encore partie d’une histoire personnelle, d’un «pack culturel».Alors que ce qu’on observe en Suisse, c’est que la religion est en train de s’effacer tranquillement du pack culturel suisse: ça devient un aspect totalement secondaire. Mais quand on débarque dans un autre contexte, la religion prend une dimension plus importante. Les lieux de culte, c’est là aussi qu’on va rencontrer les gens qui parlent notre langue et pratiquent les mêmes traditions. C’est un phénomène qui s’observe partout: quand on est en migration, l’aspect religieux reprend de l’importance. Il ne s’agit pas d’un réveil religieux, mais d’un package: les communautés d’ex-Yougoslavie vont par exemple se rendre à la mosquée non seulement pour prier, mais pour regarder la télévision kosovare en albanais. Ce phénomène explique aussi la meilleure résistance  du catholicisme. Après, évidemment, il y a aussi des phénomènes internes aux Églises.

Qu’entendez-vous par là?

Par exemple lorsqu’il y a eu les controverses avec Mgr Haas dans les années 1990, il y a eu beaucoup de catholiques qui se sont désaffilié à ce moment-là à Zurich. Les récentes affaires de pédophilie n’ont cependant vraisemblablement pas eu d’impact majeur sur les catholiques romains en Suisse. Du côté de l’Église réformée, on n’a pas ces scandales ou ces grands débats, mais on observe plus un détachement des personnes. Il s’agit souvent des jeunes adultes entre 30 et 40 ans qui quittent l’Église, parce qu’à force de s’en distancer, celle-ci ne signifie plus rien pour eux. Là encore le catholicisme résiste mieux.

Comment le comprenez-vous?
Cela peut s’expliquer par des éléments comme l’éducation. Souvent dans le catholicisme romain, l’éducation religieuse est soit faite à l’école ou en parascolaire. Beaucoup de gens la suivent, ce qui fortifie le lien avec l’institution. Dans les cantons réformés, c’est plus optionnel dans l’église, et là vous perdez déjà énormément de personnes. Il revient alors aux parents et à l’Église d’être plus pro-actifs pour maintenir ce lien.

Sur les dynamiques suisses, les évangéliques sont arrivés à un certain plafond

Dans les statistiques 2018 sorties cette semaine, un autre chiffre interpelle: c’est la première fois que les «autres communautés chrétiennes» subissent un recul…

Effectivement, on note un petit recul, mais je resterais prudent. Pour ma part, j’observe surtout une stabilisation de ces autres communautés chrétiennes entre 2010 et 2020. Une stabilisation qui est due premièrement à une migration qui change. On a vécu l’effet de la migration d’ex-Yougoslavie et des pays de l’Est qui amenait des orthodoxes, mais aussi de l’immigration des pays du Nord, souvent luthériens. Pour ce qui est des évangéliques, une récente étude de mes confrères Jörg Stolz et Olivier Favre a montré que ces derniers ont surtout augmenté en Suisse dans les années 1980, et qu’il y a eu après une stabilisation. Le fait est que les évangéliques de type classique suisse comme les méthodistes sont plutôt en perte de vitesse et que les charismatiques, s’ils progressent, n’augmentent pas assez vite pour compenser la baisse des premiers.

Est-ce à dire que les évangéliques auraient atteint une forme de plafond?

On ne peut pas tellement parler de plafond, parce qu’il suffit qu’il y ait une grande  migration qui vienne du Congo, du Nigeria ou encore du Brésil, et vous aurez de nouveau un pic d’évangéliques, de type diasporique cette fois. Mais sur les dynamiques suisses, effectivement, les évangéliques sont arrivés à un certain plafond.

Un dernier mot sur l’islam: la progression réelle de cette communauté semble être en décalage avec les craintes que l’on peut régulièrement entendre par certains…

Il y a effectivement un fantasme quant à l’augmentation de la communauté musulmane. Maintenant, il faut aussi voir que ces chiffres ne prennent en compte que la population permanente âgée de 15 ans et plus. Or dans ces 5,3%, on a énormément de jeunes parents, contrairement aux évangéliques réformés et autres catholiques romains. Ce qui pourra dans les prochaines années nous apporter tout à coup une augmentation du nombre de musulmans, non par des arrivées ou des conversions subites, mais par une simple mécanique démographique.

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