Publié par Dreuz Info le 15 février 2020

DREUZ – Nicolas de Pape, vous publiez “Sur la nouvelle question juive”*. Cette “question” vous paraît-elle se poser dans les mêmes termes en Europe et aux Etats-Unis ? La “nouvelle garde” du parti Démocrate, avec des profils tels que Ilhan Omar et Rashida Tlaib, paraît particulièrement réceptive aux thèses antisémites les plus éculées, ainsi qu’aux menées du BDS, ce groupe catégorisé comme antisémite par le Parlement allemand.

Nicolas de Pape : il est manifeste qu’il y a une « Internationale anti-juive ». Cela est dû au fait que la « religion multi-culturaliste » frappe l’ensemble du monde occidental, Amérique comme Europe. La société des Droits de l’homme et sa prétention à l’universalisme sont délétères pour les Juifs car ceux-ci sont, bien malgré eux, anachroniques : cosmopolites à l’époque où l’Etat national était porté au pinacle (le capitaine Dreyfus accusé de trahison parce que corps étranger à l’armée française), ils sont aujourd’hui en quelque sorte identifiés au sionisme et à l’attachement à l’Etat national juif à l’heure où un tsunami néo-progressiste submerge le concept même de nation, lequel serait porteur de tous les maux car structurellement raciste. La nouvelle garde du parti démocrate est le parfait exemple de la sentence d’Alain Finkielkraut : il n’y a pas de place pour les Juifs dans une société multiculturelle paroxystique. 

Il y a toutefois deux grandes différences entre l’Europe et l’Amérique : 1/en Europe, si les Juifs reconnaissables sont en danger et certains ont été déjà assassinés parce que juifs, on le doit à l’Islamisme ; aux Etats-Unis, l’antisémitisme meurtrier reste, pour le moment, fréquemment lié aux Suprémacistes blancs (cf. Pittsburgh) dans un pays où l’Islam est lilliputien (1% de la population) ; 2/Les Juifs américains vivent dans l’ensemble paisiblement leur judaïsme au contraire des Juifs européens dont les lieux cultuels et culturels sont protégés par l’armée ou la police. D’où l’incompréhension des Juifs américains face à Donald Trump qui a compris toute l’importance d’Israël comme lieu de repli en cas de « retour de la Bête immonde ». C’est pourquoi les plus fervents sionistes en Amérique sont non pas juifs mais chrétiens. On ne peut guère dire la même chose des Chrétiens européens entièrement préoccupés par le sort des Palestiniens alors que le massacre quotidien des Chrétiens d’Orient ne les émeut guère… 

Dans sa préface à votre ouvrage, Joël Rubinfeld distingue trois générations d’antisémitisme, de l’antijudaïsme à l’antisionisme actuel. Mais quelle est, au fond, la source commune à toutes les sortes d’antisémitisme ? Comment expliquer que tant de nos semblables aient en partage la haine des Juifs, avant de faire amende honorable, pour s’y adonner de plus belle avec de nouveaux prétextes ? Existe-t-il un substrat commun aux différentes formes de l’antisémitisme à travers les âges ?

La jalousie. 

Le racisme anti-noir par exemple, ou l’arabophobie, est un racisme consubstantiel à une forme de complexe de supériorité : l’Européen ou l’Américain blancs racistes regardent avec un certain mépris les misérables qui habitent les cités « sensibles » ou les migrants fraîchement arrivés du Tiers-Monde. Ils sont pauvres, sans compétence. On subodore qu’ils vont rapidement sombrer dans la délinquance, dans les trafics en tout genre. Ils viennent d’un « pays de merde » (cf. Donald Trump désinhibé qui dit tout haut ce que pas mal de gens pensent tout bas). 

L’antisémitisme, c’est l’inverse : c’est un racisme s’arcboutant sur un complexe d’infériorité. Il faut à tout prix éviter les généralités : tous les Juifs ne sont pas supérieurement intelligents. Mais, enfin, la réussite insolente des communautés juives à travers les âges et les territoires, le nombre impressionnant, proportionnellement aux 15 millions de Juifs qui peuplent la planète, de prix Nobel d’origine juive (on parle de 500), l’Etat juif qui, parti d’un désert tissé de rocailles, tient tête à tous ses ennemis et est devenu une Mecque technologique, cela suscite envie et incrédulité. Après plus de 5 700 ans d’histoire, le peuple juif est aussi un des plus vieux du monde. Enfin, il a en quelque sorte ressuscité après l’Holocauste. Mais comment font-ils ? Sur les réseaux sociaux, les antisémites virulents s’exclament souvent qu’il faudrait finir le travail d’Hitler…

Vous écrivez : “Diaboliser Israël permet aux Européens de se laver à bon compte de la culpabilité liée à l’Holocauste.” Pourriez-vous expliquer cette phrase ?

Lorsque j’ai commencé à écrire « Sur la Nouvelle Question Juive », Ariel Sharon est premier ministre d’Israël. Sans qu’il y ait un lien direct, l’époque correspond assez précisément à la recrudescence de l’antisémitisme en Europe. La plupart des commentateurs se refusent de l’admettre. En privé, certains me disent : si je condamne l’antisémitisme, c’est un gage pour Sharon. Il ne faut pas désespérer la rue palestinienne comme jadis les idiots utiles du stalinisme, Sartre en tête, se refusaient à désespérer Billancourt. Or si on parvient à démontrer que les Israéliens (descendants du peuple supplicié) font à Gaza ce que les Nazis firent dans le ghetto de Varsovie, les Européens, complices de l’Holocauste paraissent tout à coup moins funestes. A l’époque de l’opération « Plomb durci », il faut rappeler que le nombre de morts (1.400) est infiniment moindre que l’écrasement du Ghetto de Varsovie (300.000 morts en tout). A ceux qui parlent de « génocide palestinien », on doit leur rappeler qu’ils sont passés de 700.000 en 1948 à 6,1 millions aujourd’hui. Pas vraiment un génocide ! Mais comme l’écrit Françoise Giroud en 2003 dans Le Monde : « Avec une rapidité remarquable, dès la première pierre de la seconde Intifada, un retournement s’est produit, saisissant, qui serait inexplicable sans le tableau de fond sur lequel il s’inscrit. Enfin ! On a le droit de dire du mal des Juifs ! A Paris, les personnes de bon goût ne comptent que les morts palestiniens. Quand on arrive aux autres, on ne sait plus compter. D’ailleurs, ce sont des goujats… Les fils d’un peuple supplicié devraient savoir se tenir à table, je veux dire à la guerre, et prendre les coups sans les rendre, c’est à peu près ce qu’ici et là on entend et on lit (…) »

En dépit des horreurs du passé, l’histoire commune des Européens juifs et des autres Européens est millénaire et ne s’est jamais interrompue. Pensez-vous réellement que ce tissage plusieurs fois séculaire est en train de se déchirer et qu’adviendra, pour la première fois dans son histoire, une Europe sans Juifs ?

Le judéo-christianisme est un des piliers à la fois de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Dans Les Juifs, le monde et l’argent (Fayard), Jacques Attali démontre que la révolution américaine aurait été impossible sans l’immigration juive. La famille de Marek Halter par exemple, est arrivée en Europe à l’époque romaine. De grandes figures littéraires, artistiques, scientifiques européennes (Einstein, Freud, Marx, Spinoza…) sont juives… Les liens sont puissants. Et je ne crois pas que l’Europe va se vider rapidement et massivement de ses Juifs. Simplement, les jeunes juifs vont partir et la présence juive va se tarir par non-renouvellement démographique. Nous visiterons toujours, en Europe, ses magnifiques synagogues. Mais il n’y aura plus de Juifs dedans, seulement des touristes incrédules. 

À l’Européen juif qui souhaite s’expatrier pour fuir la violence, les crachats et les menaces, pour lui et pour ses enfants, quelle destination recommandez-vous ? Israël, pays en guerre plus ou moins larvée et permanente; ou les Etats-Unis d’Amérique ?

Je suis très mal placé pour donner ce type de conseils. Mais les Etats-Unis, aussi séduisants soient-ils, me semblent un abri très temporaire lorsque l’on y observe les affres de l’indigénisme triomphant et la tyrannie des minorités. A tous les Juifs américains qui soutiennent massivement le parti démocrate, je promets bien du plaisir dans 20 ans !

Pourquoi pas l’Asie ? Singapour, la Chine, La Corée du Sud. Le destin du monde s’y jouera dès 2040. Et les Asiatiques sauront accueillir les Juifs à leur juste valeur… Plus près ce chez nous, nul doute que la Grande-Bretagne post-Brexit sera plus accueillante que l’Union européenne toute entière occupée à cajoler la théocratie iranienne misogyne, homophobe et judéophobe…

Merci et bravo pour votre essai, à maints égards “hallucinant”; sans conteste l’un des plus éclairants et plus beaux textes sur la question depuis les “Réflexions” que publiait Sartre en 1946.

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