La terre entière est emplie de droit”
Aharon Barak
Sur fond de crise mondiale du Coronavirus, une crise politique et institutionnelle sans précédent se déroule en Israël. La démission dramatique du président de la Knesset, Yuli Edelstein, après la décision non moins dramatique de la Cour suprême d’intervenir dans le fonctionnement interne de la Knesset, ont porté à son paroxysme le processus entamé depuis trois décennies, par lequel la Cour suprême – organe non élu chargé de veiller au respect des lois votées par la Knesset – s’est érigé en premier pouvoir, au mépris des lois et des règles de séparation du pouvoir. “La Cour suprême détruit la Knesset!” a déclaré Edelstein, et cette déclaration n’était pas exagérée du tout.
Le débat public israélien semble aujourd’hui se résumer à un affrontement entre ceux qui croient encore que l’avenir politique d’Israël doit se décider dans les urnes, et ceux qui pensent qu’il doit être tranché par le procureur de l’Etat et par les autres membres de l’establishment judiciaire. Ou, pour dire les choses en d’autres termes, entre ceux qui croient encore que la démocratie représente le pouvoir du peuple, et ceux qui prétendent ‘remplacer le peuple’ (comme l’avait déclaré sans la moindre ironie Gideon Levy dans les colonnes du quotidien Ha’aretz, après les avant-dernières élections) pour confier le pouvoir aux “élites éclairées”, mieux à même selon eux de décider de l’avenir de notre pays (1).
Pour comprendre comment le droit en général, et la Cour suprême en particulier, ont acquis la place qu’ils occupent aujourd’hui dans la vie publique et politique israélienne, il faut se pencher sur la figure de celui qui a – de l’avis de ses partisans comme de ses contempteurs – rempli le rôle le plus important au cours des trois dernières décennies pour modeler le visage des institutions et de la démocratie israélienne tout entière. Je veux parler du juge Aharon Barak, qui fut le huitième et le plus influent président de la Cour suprême et le père de la “Révolution constitutionnelle”. Dans les lignes qui suivent, je voudrais m’attacher à un aspect bien particulier de la doctrine juridique et de la philosophie d’Aharon Barak : sa dimension “religieuse”.
Si cette expression peut sembler étonnante a priori, elle ne surprendra pas les observateurs attentifs de la vie politique israélienne, qui connaissent le zèle quasi-religieux animant certains militants de la lutte contre la “coercition religieuse” (expression qui recouvre souvent toute manifestation publique du caractère juif de l’État d’Israël). Celui-ci s’inscrit dans un phénomène plus général, que le philosophe russe Boulgakov avait décrit au sujet des révolutionnaires russes d’origine juive, notant qu’ils étaient mus par une ferveur presque mystique et qu’ils avaient trouvé dans l’idéologie marxiste un substitut au judaïsme, qu’ils avaient abandonné et trahi (2).
Selon Menahem Elon – qui fut le principal adversaire de Barak au sein de la Cour suprême – et selon d’autres juristes israéliens éminents, il ne fait aucun doute que le juge Aharon Barak est animé par un esprit révolutionnaire, quasiment religieux. “Barak pense que ‘la terre entière est emplie de droit. Il n’existe pas à ses yeux de vide juridique, et toute action que nous menons comporte selon lui un aspect juridique. Cette conception correspond à une vision du monde religieuse, et non à une conception juridique. L’expression employée par Barak, “Toute la terre est emplie de droit” est calquée sur l’expression tirée de la prière juive, “Toute la terre est emplie de Sa gloire”. Selon Barak, le système judiciaire présente un caractère religieux, qui intègre toute l’expérience humaine…” (3)
Le jugement porté par Menahem Elon rejoint celui de Menahem Mautner, ancien doyen de la faculté de droit de Tel-Aviv. Dans son livre Le déclin du formalisme et l’essor des valeurs dans le droit israélien (4), Mautner établit une comparaison en apparence étonnante entre le droit en Israël aujourd’hui et l’église dans la société catholique autrefois. “Le droit dans les sociétés laïcisées, écrit-il, remplit la même fonction que remplissait l’église dans les sociétés religieuses”. Selon Mautner, le conflit culturel interne à Israël n’est plus ainsi, comme on le décrit souvent, un conflit entre les tenants du “fondamentalisme religieux” et les partisans d’une démocratie laïque et éclairée. Il est devenu, ces dernières décennies, un conflit entre deux fondamentalismes : un “fondamentalisme religieux” et un “fondamentalisme juridique” laïc (5).
De quoi s’agit-il précisément, et comment comprendre cette expression de “fondamentalisme juridique” dans la bouche de Mautner, qui se définit lui-même comme un membre des élites laïques libérales (au sens américain du mot liberal) ? En quoi ce concept permet-il de mieux saisir les enjeux du conflit actuel entre la Cour suprême et la Knesset, ou plus précisément entre les partisans de “l’activisme judiciaire” (concept qu’il nous faudra définir et préciser) et ses opposants?
La conception du droit d’Aharon Barak : un totalitarisme juridique
Pour comprendre les enjeux de la conception du droit que le juge Barak a insufflée dans le système judiciaire israélien, désignée communément comme “activisme judiciaire”, il faut analyser sa conception du rôle du juge. Selon sa biographe Naomi Levitsky, “dès son entrée en fonction (comme juge à la Cour suprême), le juge Barak a considéré la Cour suprême comme le gardien des murailles du pouvoir, et non pas seulement comme un organe ayant pour fonction de trancher des litiges entre deux parties”. Comme il l’a précisé dans un livre d’entretiens, paru après son départ à la retraite (6), le juge Barak considère que le président de la Cour suprême a notamment pour fonction de “protéger le système judiciaire” contre les pouvoirs législatif et exécutif. Cette conception est étroitement liée à l’idée qu’il se fait du pouvoir, explique Levitsky, car “à ses yeux, le pouvoir ne détient aucune légitimité propre, sinon celle qu’il tire du peuple et de la loi. Les compétences du pouvoir sont définies et limitées par la loi” (7).
Cette définition, prise à la lettre, pourrait sembler anodine et banale. En réalité, cependant, Barak soumet entièrement la légitimité (et l’activité) du pouvoir (exécutif ou législatif) à la loi, que seuls les juges sont à même d’interpréter. A ce titre, les juges sont bien l’autorité suprême, devant laquelle doivent s’incliner tant les dirigeants élus du peuple que les législateurs. Ainsi, le juge Barak n’est pas seulement intervenu pour protéger le pouvoir judiciaire contre les pouvoirs exécutif et législatif. En réalité, sa politique d’interventionnisme judiciaire a contraint la Knesset et le gouvernement à se défendre contre la suprématie de la Cour suprême dans la vie politique et publique. (A SUIVRE)
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.
NB J’ai abordé récemment au micro de Richard Darmon le processus par lequel la Cour suprême d’Israël est devenue le “premier pouvoir” et s’est arrogée des compétences exhorbitantes, y compris celle d’annuler toute loi de la Knesset et toute décision du gouvernement ou d’un autre organe élu. Histoire d’un véritable putsh judiciaire.
Ecouter l’émission ici
GRAND MERCI,PIERRE LURCAT!
Je partage votre avis à 100%. Cela va très mal en Israel…Dans l’article suivant je propose une stratégie pour sortir de ce Balagan
https://infos-israel.news/maspik-ve-maspik-assez-cest-assez-par-edmond-richter/
Nous avons le même phénomène en France… d’un côté ceux qui se disent intelligents et puissants, de l’autre le peuple qui est là pour travailler et se taire!!!
Même situation en France avec le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat, l’indépendance et l’immunité de fait des magistrats du siège, la jurisprudence qui annule les lois etc…
Sans parler de la Cour européenne des droits de l’homme, largement infiltrée par Soros…
Et quand une dictature est au Pouvoir , c’est pour longtemps !!
Chacun pouvait voir qu’ISRAEL se suicidait !!
La Cour Suprême s’est solidifiée , le ” Deep State ” est choisi ,
Alors BON voyage !!!
On cherche souvent des explications compliquées à des choses qui sont pourtant simples. Il s’agit du pouvoir de l’orgueil. Si les choses se passent normalement il est écrit que l’orgueil précède la chute … En attendant, cela fait d’immenses dégâts en effet.
@gigobleu. Tout le contraire de l’humilité, ne connaissent-ils pas la loi données à leur père par les prophètes ? Leur Dieu n’est-il pas le Dieu d’Israël, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ? Et en regard de la lignée messianique, quand verront-ils en Jésus le sauveur ? Ils ne l’ont point reconnu tant qu’il était parmi nous, ici bas, qu’ils relisent Esaie 53. Je comprends les psaumes qui traitent de : “ils me louent de leur bouche mais leur cœur reste éloigné de Moi”. Bientôt, tout œil le verra mon ami.
l’interventionnisme de la Cour Supreme est desastreux.
Moi je suis juriste et legaliste mais je n’ai jamais vu cela.
Pour le moment j’espere un sursaut de sionisme et de civisme de Gantz et d’Ashkenazy qui ont l’air d’etre plus soucieux des interets du pays que Lapid et Yaalon.
J’espere que Netanyahu et Gantz arriveront a s’entendre dans une union d’urgence avec Netanyahu pour continuer de prendre les decisions adequates pour sauver le maximum de personnes.
Ensuite j’espere de vraies elections non verolees, un sursaut democratique pour donner au Likoud et a ses allies du bloc de droite en leur donnant une majorite confortable afin qu’ils puissent enfin d’une part se debarrasser dans les coalitions des antisionistes et surtout limiter les pouvoirs de la Cour supreme comme voulait le faire Shaked.
En attendant Edelstein a agi de la meilleure facon qui soit et je n’attends rien de bon de son remplacant Meir Cohen vu ce que j’ai deja entendu sur lui et elu grace aux voix de la Liste Unifiee pour supprimer tout pouvoire au Likoud pouvant pourtant se reclamer de 58 mandats avec ses allies
Josué 22:19
Si vous tenez pour impur le pays qui est votre propriété, passez dans le pays qui est la propriété de l’Éternel, où est fixée la demeure de l’Éternel, et établissez-vous au milieu de nous ; mais ne vous révoltez pas contre l’Éternel et ne vous séparez pas de nous, en vous bâtissant un autel, outre l’autel de l’Éternel, notre Dieu.
Bonne analyse
Je ne comprends pas !
Comment Aharon Barak peut être animé par un esprit religieux si (pour reprendre sa citation) :
« L’expression employée par Barak, “Toute la terre est emplie de droit” est calquée sur l’expression tirée de la prière juive, “Toute la terre est emplie de Sa gloire”. Selon Barak, le système judiciaire présente un caractère religieux, qui intègre toute l’expérience humaine…” (3) »
Et qu’en même temps selon la légende sous sa photo, il soit le « “grand-prêtre” des élites laïques israéliennes » ?
Et j’ai beau lire les longues explications qui traduisent sa conception, il n’empêche que le résultat que l’on voit par les décisions prises sous son égide…
SONT PARTIALES, ILLOGIQUES ET INJUSTES.
Le grand blabla juridique dont il se prévaut, finalement ne fait de lui, qu’une sorte de DICTATEUR.
C’est flagrant non ? Ou alors, nous avons perdu toute rationalité, toute raison ?
Chère Aline,
L’expression “esprit religieux” est à prendre ici au sens figuré,
comme on pourrait parler de son “zèle” ou de sa “foi” totale dans le droit..
Bien à vous
Pierre Lurçat
@Pierre Lurcat,
Merci de vos explications…Je comprends mieux quand vous me faites valoir qu’Aharon Barak fait du « Droit » tel qu’il est défini, son idéologie et même sa religion.
Pour autant faut-il entendre que les termes de celui-ci, soient imprescriptibles ou inamovibles ? Que les époques et les circonstances importantes n’imposent pas d’en revoir les principes, quand ceux-là, deviennent selon des conjonctures nouvelles, inadéquates et même tout à fait contraires à l’esprit du Droit lui-même ?
J’ai l’impression quelquefois, que suivre à la Lettre « Le Droit », devient criminel et suicidaire, quand ce n’est pas pire.
Est ce difficile d’appréhender pour ce « fanatique » ? Ou bien, lui et l’Organe qu’il sert ne sont-ils pas devenus les serviteurs de leurs volontés qui semblent devenir totalitaire ?
Tout à fait d’accord avec vous – Vous avez prononcé le mot juste DICTATEUR