
La place qu’occupe la Shoah dans le discours et dans l’idéologie antisioniste est un aspect essentiel à leur compréhension. Comme l’écrit le philosophe Elhanan Yakira, “l’antisionisme est un scandale, et c’est précisément sa nature pathologique que révèle le recours constant à la Shoah de la part des antisionistes” (1).
Avant d’analyser de manière précise cette nature pathologique, nous voudrions donner plusieurs exemples de recours au thème de la Shoah (ou “variations autour du mythe du Shoah Business”), qui nous permettront de comprendre la finalité du mythe et de mieux cerner la nature véritable – et scandaleuse, pour reprendre l’expression de Yakira – de l’antisionisme.
Dans son livre Post-sionisme post-Shoah, capital pour notre sujet, Elhanan Yakira prend pour point de départ de sa réflexion, l’interrogation que suscite “l’utilisation de la Shoah comme arme idéologique”, employée pour “renforcer toutes sortes de diabolisations, disqualifications et délégitimations d’Israël”. L’hypothèse qu’il avance, pour expliquer ce paradoxe, est que “la Shoah est perçue à la fois comme la source, la raison, la cause et la seule justification possible de l’existence d’Israël”. Il faut donc récuser cette justification, pour supprimer la légitimité d’Israël. C’est ce paradigme central du discours antisioniste (s’attaquer à la Shoah comme justification de l’existence d’Israël), auquel il donne le nom de postulat dominateur.
Observons que le discours antisioniste attribue quant à lui son obsession de la Shoah à une soi-disant omniprésence de celle-ci dans le discours officiel israélien (2). (Un peu comme dans l’histoire du patient obsédé sexuel, auquel le thérapeute montre différentes formes géométriques, qu’il interprète de manière récurrente comme des femmes nues, et qui finit par s’indigner : “C’est vous qui n’arrêtez pas de me montrer des images obscènes!”) L’antisioniste est lui aussi un obsédé qui s’ignore : il voit partout des images de la Shoah, dans le journal télévisé sur la situation à Gaza, en Cisjordanie, et jusque dans les rayons de son supermarché, où les fruits importés d’Israël suscitent chez lui une irrépressible envie de boycott…
C’est en ce sens qu’on peut d’ores et déjà analyser le discours antisioniste comme une pathologie politique. Tout comme l’antisémite voit des Juifs partout, l’antisioniste voit partout la main d’Israël (ou du Mossad, accusé par José Bové d’avoir organisé les incendies de synagogues en France au début des années 2000…). Cette pathologie est encore plus flagrante – comme nous le verrons – dans le cas des Juifs antisionistes radicaux, chez qui l’obsession anti-israélienne s’accompagne d’une démarche identitaire, que nous avons déjà analysée en recourant au concept de religion politique, et sur laquelle nous allons revenir dans le présent volet de notre exposé.

C’est aussi ce ‘postulat dominateur’ qui permet de comprendre le lien – a priori non évident – entre les militants et théoriciens de l’antisionisme et les auteurs négationnistes, lien longuement décrit et analysé par Elhanan Yakira, qui parle à ce sujet d’une communauté d’opprobre, laquelle réunit négationnistes intégraux à la Faurisson, tiers-mondistes anti-israéliens soutenant des positions négationnistes avec hésitation, et “négationnistes soft” prenant la défense de Faurisson par positionnement idéologique, comme Noam Chomsky.
A l’origine du mythe du Shoah business : le négationnisme arabe de la Shoah
Si l’on tente de déterminer l’origine de l’accusation de “Shoah-business”, c’est-à-dire de l’accusation portée contre Israël et le sionisme d’avoir exploité délibérément la Shoah (ou même d’y avoir contribué), il faut – là encore – tourner le regard vers l’obscur objet de la haine antisioniste, à savoir Israël. Shmuel Trigano, dans un livre important paru en 2005, rappelle que le négationnisme est une invention arabe palestinienne, tout autant qu’européenne. “Les Palestiniens ont inventé très tôt, entre 1945 et 1948, bien avant l’heure, la thèse négationniste. Oscillant entre la dénégation de l’extermination, qualifiée de simple “persécution/oppression” (idhitad) pour la minimiser et son “exagération choquante” produit d’un “complot sans pareil dans les temps modernes” des sionistes, ils n’hésitèrent pas, dès 1946, à voir dans la mémoire de la Shoah une ruse de propagande…” (3)
Trigano cite notamment le journal Filastin, lequel écrivait dès 1945 que “les Juifs ont grossièrement exagéré le nombre de leurs victimes en Europe, pour gagner le soutien mondial du fait de leur catastrophe imaginée. L’histoire montrera avec le temps que les Juifs sont ceux dont les pertes sont les moins importantes comparées à d’autres peuples et que leur propagande et leur marchandage à propos de ces victimes sont un moyen pour établir un Etat juif en Palestine”.

Ce que montre cette citation, c’est que la négation arabe de la Shoah, et l’accusation concomitante portée contre le sionisme d’avoir exploité celle-ci à des fins politiques, n’ont pas été importées dans le monde arabe, en provenance de pays occidentaux (selon l’argument souvent évoqué, selon lequel l’antisémitisme serait étranger au monde arabo-musulman et y aurait été introduit tardivement). Elles y sont apparues dès le lendemain de la guerre en 1945, bien avant que Faurisson et ses émules ne diffusent leurs théories négationnistes en France et ailleurs. La question n’est pas seulement chronologique : elle revêt une importance majeure, si l’on veut apprécier à sa juste mesure l’étendue et la nature du phénomène antisioniste et négationniste au sein du monde arabo-musulman.
L’antisémitisme arabo-musulman : produit d’importation ou fabrication locale?
L’historien Robert Wistrich observait à cet égard que “la judéophobie moyen-orientale était considérée quasiment par tous comme un élément du conflit arabo-israélien, exploité avec cynisme à des fins de propagande par les dirigeants arabes et les élites intellectuelles”. C’était, poursuit Wistrich, en citant Bernard Lewis, “quelque chose qui vient d’en haut, des dirigeants, plutôt que d’en bas, de la société – une arme politique et polémique, à mettre au rebut lorsqu’elle devient inutile”(4). Cette erreur de perspective, très largement répandue, consiste donc à minimiser l’antisémitisme musulman (et sa forme récente, l’antisionisme et le négationnisme), en y voyant un produit d’importation tardif, exogène au monde arabo-musulman et utilisé à des fins politiques par ses élites.

Réfutant cette présentation simpliste et erronée, Georges Bensoussan observe que “ce serait une erreur de réduire l’antisémitisme arabo-musulman à une figure d’importation, même si l’on assiste ici, sans conteste, à l’islamisation des poncifs de l’antisémitisme occidental… Car, en réalité, l’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même. Le Coran abonde d’invectives sur les Juifs “traîtres”, et depuis que ces derniers ont rompu leur promesse antérieure avec Lui, les musulmans figurent le peuple élu de Dieu. Pour la plupart des commentateurs, le conflit israélo-arabe n’est que la poursuite de la lutte entre l’islam et les juifs”. A l’appui de cette dernière remarque, essentielle à la compréhension du contexte historico-culturel de l’antisionisme arabe contemporain (ou de ses origines historiques, dans le “temps long” de l’histoire musulmane), mentionnons cette phrase, déjà citée, tirée du quotidien égyptien Al-Ahram : “Notre guerre contre les Juifs est une vieille lutte, qui débuta avec Mahomet” (6).
Shmuel Trigano confirme cette analyse, en faisant remarquer que “la culture islamique n’avait pas à se forcer pour construire l’image du Juif falsificateur, dans la mesure où elle tient les Juifs (et les chrétiens) pour les falsificateurs de la parole de Dieu, le Coran” (7). Dans cette perspective, c’est toute la présentation chronologique, ou encore la généalogie traditionnelle de l’antisémitisme musulman qui est inversée : non seulement les musulmans n’ont pas eu besoin d’aller chercher l’antisémitisme en Europe (ce qu’ils ont fait, par ailleurs, notamment par le biais des chrétiens d’Orient, comme l’ont montré les travaux de Bat Ye’or, voir notre Introduction), mais en réalité, ils ont souvent été les premiers à développer certaines thématiques antijuives et antisionistes, dont ils ont trouvé le substrat dans leur propre univers culturel (8). Il convient donc de garder à l’esprit, avant de poursuivre plus avant notre analyse, cet élément essentiel que G. Bensoussan résume de manière limpide : “l’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même”.
Retrouver la suite de ce cours donné dans le cadre de l’Université Populaire du Judaïsme ici :
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.
- (1) E. Yakira, Post-sionisme, Post-Shoah, p.1. Presses universitaires de France, 2010.
- (2) Un exemple récent de ce phénomène est donné par le dernier livre du romancier israélien Ishaï Sarid, intitulé de manière significative Le monstre de la mémoire, publié aux éditions Actes Sud. Ce livre est présenté (de manière trop laudative) sur le site Akadem.
- (3) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz p. 64, Librairie Générale Française 2005.
- (4) R. Wistrich, “L’antisémitisme musulman, un danger très actuel”, Revue d’histoire de la Shoah, no. 180, Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive.
- (5) Revue d’histoire de la Shoah, no. 180. Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive, op. cit. p. 6-7.
- (6) Al-Ahram, 26 novembre 1955.
- (7) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz, p. 65
- (8) C’est précisément cette affirmation du caractère endogène à la culture arabo-musulmane de l’antisémitisme qui a valu à l’historien Georges Bensoussan les déboires que l’on sait.
quiconque a lu le Coran et connait les relations de Mahomet avec les juifs d’Arabie sait que celui-ci voulait les convertir et a conçu beaucoup d’amertume et de haine devant leur refus…
l’antisémitisme musulman n’a pas attendu les européens ni la shoah….
le liminaire écrit par André Chouraqui dans sa traduction du Coran est très limpide à ce sujet
L’antisémitisme est vieux comme l’islam !
professeur dans un lycée d’une petite ville du Maroc central, j’ai lu dans les toilettes l’inscription (en français) « Hitler n’a pas fini le bouleau », c’était en 1975
» …le manifeste “pour l’intégrité de la terre d’Israël”, signé par 60 personnalités, qui fut publié à la veille de Rosh Hashana 1968, quelques mois après la fin de la guerre.
On a peine à imaginer aujourd’hui que ce mouvement intellectuel en faveur du maintien de la présence juive en Judée-Samarie, sur le Golan et dans le Sinaï, qui réunissait la “crème” du monde des lettres israélien de l’époque, était constitué majoritairement par des hommes de la gauche sioniste, et non par des proches du Herout. »
Extrait tiré d’un article remarquable de Monsieur Lurçat https://frblogs.timesofisrael.com/le-testament-de-nathan-alterman-1910-1970-lecrivain-prophete-deretz-israel/
A l’évidence l’antisionisme musulman est plus qu’ailleurs un antisémitisme constitutif de l’identité de tout musulman.
Le sociologue algérien Smaïn Laarcher l’affirme :
» Cet antisémitisme (musulman), il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue… Et ça toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir que cet antisémitisme, il est d’abord domestique et, bien évidemment, il est sans aucun doute renforcé, durci, légitimé, quasi naturalisé au travers d’un certain nombre de distinctions à l’extérieur. Il le trouvera chez lui, et puis il n’y aura pas de discontinuité radicale entre chez lui et l’environnement extérieur … il est dans l’air que l’on respire. Il n’est pas du tout étranger et il est même difficile d’y échapper, en particulier quand on se retrouve entre soi, ce sont les mêmes mots qui circulent. »
Déclaration faites lors d’une émission télévisée : https://www.youtube.com/watch?v=c1fwNu6vf8I&t=23m20s
Dernière remarque déjà faites dans ces forums. La seule prière obligatoire qui est répétée 17 fois par jour et qui est enseignée en premier par les parents musulmans est la première sourate du Coran, versets 6 et 7 :
Guide-nous sur la voie de rectitude
La voie des [musulmans] que Tu as gratifiés, non pas celle des Juifs réprouvés (ou qui déclenchent Ta colère], non plus que des [chrétiens] qui s’égarent.
Entre crochets l’explication conforme la quasi totalité des commentateurs musulmans depuis 14 siècles. Voire Wikipédia sur la sourate Al Fatiha : https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Fatiha
Principe de base du Sionisme, parfaitement défini par un de ses pères : David Aaron Gordon : « un pays n’a d’avenir que si ses citoyens travaillent sa terre de leurs propres mains ». VRAI à 100% !
Au regard de ce principe, Israël ne peut même pas prétendre à être qualifié, ou plutôt honoré, pour être appelé pays sioniste.
Merci pour la profondeur de votre réflexion. J’en conclus qu’aucun pays occidental n’a d’avenir. Ni Les Etats-Unis ni aucun pays européen puisse que tous ces pays font travailler de la main d’oeuvre étrangère pour nombre de production agricole de manière continue ou saisonnière.
Monsieur le grand dispensateur de brevet d’honorabilité ne fait pas la différence entre l’avenir d’un pays et le sionisme que vôtre auteur ne mentionne pas contrairement à vous.
Pas toujours simple de tordre une citation pour quelle rendre dans votre schéma de « pensée » et serve vos intentions.