Publié par Abbé Alain René Arbez le 23 avril 2020

Armand Abecassis, professeur de philosophie et écrivain, publiait il y a 20 ans « En vérité je vous le dis », déjà un témoignage marquant dans le dialogue judéo-chrétien.

Son souci était alors de montrer que les Ecrits du Nouveau Testament sont élaborés à partir d’éléments issus de la tradition juive, et que, dès lors, il serait bien difficile d’enseigner les évangiles en ignorant tout du judaïsme qui les a inspirés.

Son dernier ouvrage « Jésus avant le Christ » reste dans cette même trajectoire de retour aux sources pour une meilleure compréhension du personnage historique autant qu’une approche éclairée du dogme chrétien.

Cette réflexion très documentée ouvre des pistes d’approfondissement tant pour les juifs que pour les chrétiens, à partir du patrimoine biblique commun. On vérifie dans cette étude à quel point entre juifs et chrétiens, « la foi de Jésus nous unit,  et la foi en Jésus nous sépare ».

Dès l’introduction du livre, A. Abecassis rappelle : « Jésus comme ses disciples était juif et est resté juif de sa naissance à sa mort. Il n’était pas chrétien et ignorait ce qu’on a appelé après sa crucifixion le christianisme ».

On peut diviser l’ouvrage en trois parties : 1/ « Généalogie, naissance et titulatures » l’auteur éclaire de quelle manière les communautés primitives ont interprété les qualités du maître Jésus. « 2/ « Les béatitudes » l’analyse du texte montre qu’il s’agit d’un commentaire typiquement juif des 10 paroles. 3/ « Les antithèses » réflexion sur l’autorité de Jésus qui déclare « il vous a été dit, moi je vous dis », formulation paradoxale qui ne signifie pas opposition mais plutôt élargissement. A. Abecassis présente le style midrashique, propre à la tradition juive, qui sous-tend les titres et dénominations attribués à Jésus dans une interprétation effectuée à partir de la Parole de Dieu et de ses multiples approches. L’auteur reconnaît la légitimité de la démarche initiale midrashique des chrétiens, mais il bute sur la formulation dogmatique de la personne du Christ apparue par la suite. Il perd le fil à partir du moment où les conciles ont dû exprimer dans des concepts grecs la messianité de Jésus, en tant que Fils et Verbe éternel du Père. La profession de foi paulinienne restreignant la dimension initiale juive à une confession du Christ mort et ressuscité lui apparaît comme rupture par rapport au personnage historique juif pratiquant. A. Abécassis, en connaisseur de la littérature néo-testamentaire, compare les styles spécifiques des 4 évangiles, en montrant leur intention théologique différenciée. Il s’arrête particulièrement sur la citation du prophète Malachie chez Luc, en faisant remarquer que le texte original a été tronqué pour des raisons apologétiques : « Il ramènera le cœur de pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères » (Mal 3,24) Ainsi, l’évangéliste ne conserve que la première partie puisque le « père » (le judaïsme) doit se tourner vers le « fils » (le christianisme). Or, constate A. Abecassis, la réception de la source est occultée volontairement, dans le but de faire comprendre qu’une histoire nouvelle fait suite à celle d’Israël arrivée à son terme. Cette remarque est très pertinente, car elle explique en partie ce qui s’est passé dans le déni chrétien au cours des siècles. Alors qu’une parabole évangélique mettait en garde lorsque Jésus enseignait qu’une graine sans racines se dessèche rapidement, et que l’apôtre Paul lui-même dénonçait l’oubli des origines : « ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte ! » (Rom 11,18)

Armand Abecassis apporte sa réflexion sur le titre « Fils de Dieu » appliqué à Jésus par les premières communautés. Il rappelle le sens de l’aboutissement du projet collectif depuis Adam, qui selon Luc s’accomplirait en Jésus seul, alors que tout Israël est appelé « Fils de Dieu » (Ex 4,22) Pour l’auteur, on a là le signe de la volonté théologique des rédacteurs du Nouveau Testament, pour lesquels l’essentiel n’est pas d’en rester aux dimensions historiques mais de formuler des expressions de foi à la forte signification métaphysique.

L’auteur pose à travers ces questionnements des interrogations pertinentes qui encouragent les chrétiens à prendre la mesure de l’élaboration du kerygme apostolique, à partir des sources juives. On peut distinguer deux versants dans la réflexion d’A. Abecassis : le message initial tel que présenté dans les évangiles et conforme à la logique midrashique du judaïsme, et les credos qui ont fait suite dans les communautés ecclésiales instaurant une distance avec la matrice originelle.

Mais il est dommage, de notre point de vue, que Armand Abecassis arrive à la conclusion que la dynamique chrétienne ait finalement établi une rupture radicale et définitive par rapport aux fondations hébraïques. C’est un point de vue qui nécessite d’être discuté et replacé en perspective, compte tenu des recherches exégétiques et historiques chez les théologiens chrétiens. Mais aussi en écoutant les apports de chercheurs juifs comme Daniel Boyarin, dans ses ouvrages  « le Christ juif » et son « Histoire de la partition entre judaïsme et christianisme ».

On pourrait aussi ajouter l’utilité de travailler sur l’histoire de la dogmatique chrétienne qui s’explique par la nécessité – dans des périodes troublées – de défendre le noyau dur de la foi face à des virus insidieux venus d’ailleurs, et dont certains apocryphes sont le révélateur. Le dogme est souvent mal vu, mais n’a-t-il pas été un rempart indispensable contre le marcionisme et les multiples essais de déjudaïsation de la foi chrétienne ?

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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