
L’après-mort est une question liée à la condition humaine. Croyance ou foi, cette question existentielle conduit à une vision spirituelle, à une anthropologie et à une éthique.
Déjà dans les temps lointains de la préhistoire, les premiers hommes se sont mis à peindre leurs rêves d’au-delà et leurs incantations sur les parois de leurs cavernes. Du fait qu’ils appartenaient à la même humanité que nous, ils exprimaient à leur manière ce qu’ils ressentaient avec émotion : la fragilité de leur survie face aux dangers, le froid, les bêtes sauvages, les agressions des autres clans pour les femmes ou la nourriture, la tristesse de voir partir des êtres aimés…
La mort omniprésente et non masquée leur posait des questions existentielles de manière plus brutale qu’à nous aujourd’hui. La disposition des tombes préhistoriques d’il y a plusieurs centaines de milliers d’années démontre leur questionnement et leur désir d’honorer la dignité de leurs proches. Plus près de nous, dans l’Orient ancien, l’épopée de Gilgamesh nous parle de « l’homme qui ne voulait pas mourir », c’est l’espérance d’un après-la-mort qui commence à se manifester dans le récit et le mythe. La grande civilisation égyptienne a mis cette question au centre de ses réalisations architecturales issues de sa vision de la vie et de la mort.
La question de la résurrection rejoint toutes les questions que se posent les êtres humains face à la mort. Y a-t-il une nouvelle réalité après notre dernier souffle, y a-t-il quelqu’un qui nous attend ? S’il y a une nouvelle vie après la mort, est-ce que cela ne va pas changer notre vie avant la mort ?
Le mot français « résurrection » est, comme beaucoup de termes théologiques, un décalque du mot latin resurrectio, lui-même traduction du grec anastasis. Ce terme signifie l’action de se lever, après le sommeil ou se relever après une chute. Le terme anistemi veut dire faire se lever, relever, il traduit l’hébreu qum qui a pour sens se lever. Au point que dans les évangiles, lorsque Jésus dit à quelqu’un : « lève-toi ! », c’est la même formulation que s’il disait : « ressuscite ! ».
Ce terme hébreu se trouve dans des textes bibliques ou extrabibliques des deux ou trois siècles avant notre ère, ce qui veut dire que dans certaines mouvances du judaïsme, une représentation de la résurrection ou du relèvement a pris forme peu à peu.
Un parcours dans la tradition juive et dans la tradition chrétienne va nous permettre de préciser que – contrairement à ce que pensent beaucoup – le concept de résurrection n’est pas une création du christianisme. A la suite de Jésus, Rabbi Yeshua, ce sont des juifs convaincus qui ont lancé la tradition chrétienne, et ils l’ont fait de l’intérieur de leur tradition juive, avec les matériaux spirituels hébraïques préexistants ; et cela pour rendre compte de ce qu’ils affirmaient avoir expérimenté dans leur relation avec Jésus. Cette résurrection était pour eux annonciatrice de leur propre résurrection, à condition que leur mode de vie les y prédispose.
Il faut peut-être aussi clarifier le fait que l’idée de résurrection telle qu’on la découvre dans la Bible ne correspond pas à l’idée grecque d’immortalité. Dans la conception grecque, l’âme humaine est incorruptible par nature, c’est une étincelle divine tombée de l’Olympe, donc dès que la mort survient et qu’elle la libère des liens du corps, cette âme rejoint automatiquement la divinité. La matérialité du corps était ressentie comme une fâcheuse entrave à sa destinée éternelle.
Dans la Bible, on voit que la personne humaine tout entière n’échappe pas au fait de tomber au pouvoir de la mort. L’âme (nefesh) va devenir prisonnière du sheol tandis que le corps (basar) pourrira dans le tombeau. Mais ce n’est qu’un état transitoire dont l’être humain va ressurgir, vivant d’une vie nouvelle à l’appel de Dieu. Dieu étant créateur et sauveur, il n’abandonne pas ses créatures. L’homme se relève alors de la terre où il gisait, il se réveille du sommeil où il avait glissé.
Ecoutons la tonalité du psaume 88 :
« Que ma prière parvienne jusqu’à toi, tends l’oreille à ma plainte ! On me compte parmi les moribonds, me voici comme un homme fini, reclus parmi les morts, comme les victimes couchées dans la tombe, et dont tu perds le souvenir car ils sont coupés de toi…
Tu m’as déposé dans les profondeurs de la fosse. Feras-tu un miracle pour les morts ? Les trépassés se lèveront-ils pour te célébrer ? Dans la tombe peut-on dire ta fidélité et dans l’abîme ta loyauté ?
Dans l’Orient ancien, le mystère de la mort et de la vie était souvent évoqué dans des mythes où un dieu ressuscite. Comme la résurrection printanière de la vie qui renaît après l’hiver, Osiris en Egypte, Tammouz en Mésopotamie, Baal en Canaan, inscrivaient chaque année leur cycle de renaissance dans la vie des hommes. Pour les populations pastorales et agricoles de cette région, cette représentation était à l’image de la nature qui meurt et qui renaît, et des rituels sacralisaient ce drame de la condition humaine mortelle en lien avec le cosmos.
La Révélation du Dieu d’Israël rompt avec ces représentations naturalistes. On va passer progressivement de la nature à la culture, et du biologique à l’histoire, donc d’une certaine manière d’une condition mortelle subie à une condition humaine responsable, et cela grâce à la relation d’alliance avec Dieu, qui est une relation personnalisante très différente des liens avec les divinités cyniques ou magiques du paganisme.
A travers cette révélation, Israël approfondit l’expérience de la condition humaine non seulement pour lui-même, mais aussi pour l’ensemble des peuples. C’est le sens de l’élection, qui est une mission de témoin au milieu des nations païennes, grâce à l’éclairage de la Torah.
Evolution de l’idée de résurrection dans le judaïsme
De tout temps les hommes se sont donné une représentation du monde des vivants et des morts. Dans l’antiquité biblique et même à l’époque de Jésus, on se représente trois niveaux, la sphère céleste est la demeure de Dieu, qui réside en haut. La terre est le domaine des vivants, le sous-sol, l’en bas est la demeure des morts, le sheol. Dans ce lieu de la mort, les défunts ont une existence diminuée, au ralenti. Leur nefesh est comme épuisée. On les appelle les refaîm, les affaiblis.
Le Dieu du premier Testament se révèle comme Le Vivant, comme « celui qui fait vivre et fait mourir » 1 S 2.6 Parce qu’il est le maître des temps et de l’histoire (adon olam). C’est sur la base de cette conviction fondamentale que dans l’Israël biblique a mûri la croyance en une vie au-delà de la mort. On dispose ainsi de nombreux témoignages scripturaires de nature variée sur le sujet.
Cette croyance a évolué au cours des périodes historiques, sous l’impulsion de certains événements éprouvants en particulier, comme l’exil au 6ème s. av. JC ou le massacre à l’époque des Maccabîm au 2ème s. av. JC
Le fil conducteur est que le Dieu créateur est le Dieu de la Vie, le Dieu des Vivants, et qu’il « n’abandonne pas son ami à la tombe », comme dit le psalmiste.
Dans les textes du premier testament s’entremêlent des récits qui nous parlent de résurrection du peuple, menacé de disparition, et d’autres qui nous parlent de résurrection des justes.
Dans le 1er livre des Rois, 17.17-24, le retour à la vie qui va s’opérer pour les morts est fortement teinté par l’anthropologie de Gen. 2.7 puisque le départ du souffle de l’enfant, (la neshama) désigne sa mort, jusqu’au moment où son être (nefesh) retourne en lui et qu’il redevient vivant !
De même, lorsque le peuple d’Israël est mis en danger dans sa survie, en raison des guerres qui cherchent à l’anéantir, on retrouve encore la même anthropologie poétique de Gen 2, 7. Par exemple au 8ème s. chez Osée, après la chute du royaume du nord, Os 6.2 : « Le troisième jour, l’Eternel nous aura relevés et nous vivrons en sa présence » On retrouve le même sensavec le récit des ossements desséchés d’Ezekiel, là il est question aussi d’une réanimation du peuple par l’esprit (ruah) exactement comme le don du souffle (neshama) lors du modelage créateur d’Adam. Ez 33.11 et 37.11 : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d’eux, comment pourrions-nous vivre ? »
« Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ferai remonter de vos tombeaux, je vous ramènerai sur la terre d’Israël ! »
Même un texte ultérieur comme Isaïe 26.19 est à comprendre dans le même sens de relèvement et de résurrection de tout le peuple :
« Tes morts revivront, leurs cadavres se relèveront, réveillez-vous et criez de joie, hôtes de la poussière ! Car ta rosée est une rosée de lumière et la terre redonnera vie aux ombres »
Le moment-clé dans l’évolution de la foi en la résurrection des morts sous l’angle à la fois communautaire et personnel est certainement la crise gravissime soulevée par Antiochus Epiphane (167-164). Nous sommes au 2ème s. av. notre ère.
C’est alors que toute une partie de la jeunesse juive a été massacrée sauvagement par ce roi syrien qui veut imposer les mœurs hellénistiques aux habitants d’Israël. Il a fait ériger des effigies païennes jusque dans le Temple et il aime provoquer en attaquant les convictions des croyants au Dieu unique de l’alliance. Les anniversaires royaux sont célébrés de manière sacrilège dans le lieu saint, avec des rites dyonisiaques, impliquant de la prostitution sacrée.
Mattatias lève la révolte contre ces injures au Dieu des pères, puis ses fils Judas Maccabée et ses frères. Alors s’abat sur les résistants une persécution massive. Les juifs fervents, attachés à la justice de Dieu se sont demandés comment il était possible que des êtres tout donnés à leur foi puissent ainsi être fauchés en pleine jeunesse sans rétribution de leur courage et de leur fidélité. Le livre de Daniel rédigé au cours de cette période sombre offre un témoignage passionné en faveur de la résurrection, il manifeste la sollicitude de Dieu pour ceux qui ont connu une fin tragique et prématurée pour honorer son saint Nom.
« En ce temps-là surgira Mikael, qui se tient auprès des fils de ton peuple. En ce temps-là ton peuple sera sauvé. Beaucoup de ceux qui dorment au pays de la poussière se réveilleront. Ceux qui auront eu l’intelligence de la vérité resplendiront comme la splendeur du firmament et ceux qui en auront amené beaucoup à la justice brilleront comme les étoiles à jamais. » Dan 12.1-3
A la fin du 2ème s. le 2ème livre des Maccabim ch. 7 fait l’éloge de sept frères qui ont donné leur vie pour rester fidèles au Dieu d’Israël et celui de leur mère qui les a encouragés. Leur mère les a réconfortés en leur disant qu’agissant ainsi ils auraient part à la résurrection.
« Il tendit les mains héroïquement à la torture et dit avec courage : c’est de D. que je tiens ces membres et c’est à cause de sa Loi que je les dédaigne maintenant. C’est de Lui que j’espère les retrouver. »
La victime s’adresse au persécuteur : « Mieux vaut mourir de la main des hommes en tenant de D. l’espoir d’être relevé par lui d’entre les morts, car pour toi, il n’y aura pas de résurrection à la vie »
Le bourreau et le martyr ne peuvent donc en aucun cas avoir la même destinée après avoir quitté ce monde terrestre.
Judas Maccabée offre même un sacrifice expiatoire pour les martyrs morts pour la foi. On lit au ch. 12 v. 44
« Si Judas n’avait pas espéré que ceux qui étaient tombés ressusciteraient, il eût été superflu de prier pour des morts. Il fait ce sacrifice expiatoire pour que les morts fussent délivrés de leur péché. »
On voit que le péché est considéré comme un obstacle à la résurrection et il faut qu’il soit ôté pour que le relèvement des défunts puisse se réaliser dans la lumière de Dieu.
Avant la rédaction du livre de Daniel, un autre écrit juif non biblique et marginal nous donne des indications intéressantes. Il s’agit de Hénoch éthiopien dont la partie la plus ancienne s’appelle le Livre des Veilleurs et remonte au 3ème s.
On y trouve un descriptif du jugement dernier qui montre un grand souci de justice. Pour les malfaisants, un abîme de feu et de malédiction éternelle d’une part et pour les justes, l’accès à la Jérusalem nouvelle dans la félicité, d’autre part. Ce jugement dernier doit être le prélude de la résurrection des corps, avec au ch 20,8 la mention de « Remiel, l’un des saints anges chargés par Dieu du soin des ressuscités »
Dans la lettre d’Hénoch qui est datée du 2ème s. av JC on peut lire dans le même sens : « Leurs esprits ne périront pas, pas plus que leur mémoire devant celui qui est grand, pour toutes les générations à venir »
Comme chez Daniel, ils brilleront à la manière des astres dans les cieux, ils seront lumières et point de repère pour ceux qui vivent sur terre au milieu des ténèbres éprouvantes du paganisme.
A Qumran, chez les Esseniens, les convictions sont les mêmes. On a retrouvé des textes qui affirment la croyance en la résurrection des morts. C’est au temps du Messie, pensent-ils, que Dieu va ressusciter, ou revivifier, les morts.
Les archéologues se sont aperçus qu’à Qumrân, les tombes esséniennes sont orientées vers Jérusalem, ce qui recoupe ce que mentionne le Livre des veilleurs d’Henoch, « Aussitôt éveillés, ils se lèveront et marcheront tout droit vers la montagne sainte de la Jérusalem céleste »
Les Pharisiens quant à eux croient fermement à la résurrection. Certains d’entre eux pensent que l’événement aura lieu avant l’arrivée du Messie pour les défunts qui seront prêts à l’accueillir. D’autres estiment que le Messie doit venir d’abord pour que la transformation ait lieu.
Les Sadduccéens, sont les conservateurs de l’époque. Ils s’en tiennent à la Loi de Moïse, aux livres du Pentateuque, et refusent tout ce qui leur semble être nouveauté. Ils ne croient pas à la résurrection des morts.
Quelques récits du 1er Testament ou la clé de la résurrection est opérante
1// Gen 2 . D fait tomber sur l’homme un profond sommeil. L’homme doit mourir à ce qu’il était pour accéder à une création nouvelle et revivre autrement.
A partir de la côte d’Adam, Dieu crée la femme. Adam exulte : « celle-ci sera appelée femme » L’homme renaît à une vision nouvelle. Celle-ci se dit ZOT et c’est justement les premiers mots du Deutéronome Vezot Ha barakha, c’est la bénédiction. La vision nouvelle à laquelle accède Adam est bénédiction de Dieu.
2// Gen 12 L’Eternel dit à Abram : quitte ton pays, ta parenté, et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je te bénirai.
Lekh lekha = va et c’est pour ton bien !
Il y a là aussi rupture. L’aventure de la foi est un passage de la nature à la culture. Meurs à ce qui t’a fait jusqu’ici, pour naître à ce que je te ferai découvrir…Cette rupture de niveau est une sorte de mort à ce qui précédait pour ouvrir à un horizon nouveau.
3// Gen 22 L’Eternel dit : Abraham, prends ton fils ton unique que tu chéris Isaac, et va au pays de Moriyya, là tu l’offriras en sacrifice sur une montagne que je t’indiquerai…
Le fils dans la Bible est toujours le projet du père, l’avenir du père. Abraham accepte dans la foi de sacrifier son fils son avenir. Il meurt à son projet naturel pour entrer dans celui de Dieu.
La conclusion : Je sais maintenant que tu crains Dieu, tu ne m’a pas refusé ton fils.
Cette résurrection est comblée de bénédictions
4// Gen 28 Le songe de Jacob, avec l’échelle qui unit le ciel et la terre. Jacob s’éveille de son sommeil, et dit : l’Eternel est en ce lieu et je ne le savais pas ! Le lieu se dit makom = là où je me lève même mot que relever, ressusciter.
5 // Gen 37 l’histoire de Joseph et ses frères.
Joseph a failli mourir, ses frères l’ont cru mort, mais il n’est pas resté prisonnier de la citerne où ils avaient pensé l’avoir éliminé, et Joseph revit ailleurs. Une vie nouvelle s’est offerte à lui.
6// le livre de Jonas : le prophète Jonas avait refusé la mission que D. lui confiait et qui était d’aller proclamer la parole à Ninive. Il craignait que convertis, ses habitants remplacent les enfants d’Israël. L’amour de son peuple l’avait conduit à s’opposer au choix de Dieu. C’est pour manifester ce refus que Jonas séjourne trois jours dans le ventre du monstre marin, au cœur de la mer, lieu des menaces et du néant. Après trois jours de mort, Jonas change de point de vue, se convertit au projet de Dieu et il est rejeté sur le rivage, nouvelle naissance ! Après quoi il ira à Ninive et les habitants se convertiront en faisant pénitence, la ville sera sauvée.
Jésus et ses disciples
Jésus reprend dans son enseignement de maître spirituel la tradition écrite et la tradition orale de son peuple en ce qui concerne la résurrection. Jésus comme les pharisiens dont il partage beaucoup de convictions croit que les morts revivront d’une vie nouvelle donnée par Dieu, surtout ceux qui ont lutté pour témoigner de la justice de Dieu et de ses valeurs insurpassables.
C’est pourquoi Jésus, certain de répondre pleinement à la volonté du Père, s’applique à lui-même l’espérance de la résurrection partagée par une majorité de juifs à son époque.
Il reprend à son compte l’enseignement des hassidîm, par les textes des psaumes où les justes expriment leur confiance d’être arrachés aux griffes de la mort. (Ps 16)
Il s’applique à lui-même les expressions de foi du judaïsme de son temps sans ajouter à cela quoi que ce soit de nouveau. Les évangiles montrent que Jésus annonce sa passion en lien avec l’horizon de la résurrection destinée aux témoins de Dieu. En parlant du troisième jour, alors qu’il va au devant du conflit et de sa condamnation, Jésus n’annonce pas qu’il sera relevé par Dieu au surlendemain de sa mort, il exprime simplement que la cause de la justice de Dieu dont il est porteur doit triompher. Le troisième jour n’est pas une indication chronologique mais avant tout une manifestation de foi au dernier mot de Dieu, maître des temps et de l’histoire, juge de justice et de miséricorde.
Ses disciples attendaient sans aucun doute la résurrection de leur maître – comme la plupart des juifs – mais ils l’attendaient au jour de la consolation finale, à la fin des temps. Les récits évangéliques insistent sur le fait que les femmes qui s’étaient rendues au tombeau trouvent la tombe vide et s’en étonnent. L’événement inouï n’est donc pas que Jésus ressuscite, mais qu’il anticipe dès maintenant la résurrection finale et générale offerte aux fils de Dieu.
La foi de Pierre et des apôtres va reposer sur les apparitions de Jésus vivant par delà sa mort. Ce que racontent les évangiles, ce n’est pas le retour à la vie d’un cadavre, ce n’est pas une réanimation. C’est la vie nouvelle promise aux justes à la fin des temps, mais déjà présente en Jésus de Nazareth. Les juifs fervents cherchaient à inscrire la logique du olam haba (monde à venir) dans le olam ha zè (monde présent.
L’idée semble être de dire : si Jésus est ressuscité par Dieu dès aujourd’hui, c’est pour vous conforter dans les options de vie à prendre dès maintenant, sans attendre le jugement dernier.
Cela souligne en même temps le fait que Jésus a enseigné le Dieu de tendresse et de pardon qui attend la teshuvah de chacun. Cette conversion doit s’exercer dès à présent pour ne pas perdre les opportunités de changement que la vie nous offre. Plus tard il sera peut-être trop tard.
En cela Jésus est proche des rabbis de son temps. Au 1er siècle, rabbi Eliezer disait : « convertis-toi un jour avant ta mort ! Ses disciples lui répondent : un homme connaît-il le jour de sa mort ? Il répond : à plus forte raison, qu’il se convertisse donc aujourd’hui, car peut-être il va mourir demain…et ainsi il passera tous les jours restants de sa vie dans la repentance et le renouveau. »
Autre méditation semblable : « rabbi Yohanan ben Zakkaï dit : mashal d’un roi qui invite ses serviteurs à un banquet, mais sans leur en fixer le jour. Ceux d’entre eux qui étaient avisés se préparent et s’assoient à la porte de la maison et s’inquiètent de savoir s’il y a quelque chose à faire pour le roi. Les insensés s’en vont à leurs occupations en disant un banquet sans raison et sans peine ça n’existe pas. Soudain le roi arrive et appelle ses serviteurs. Les avisés se présentant à lui immédiatement tout prêts, en tenue, et les insensés tels qu’ils sont, tout négligés. Le roi se réjouit en voyant les avisés et s’énerve en voyant les insensés. Il dit : ceux qui sont parés pour le banquet, qu’ils mangent à volonté et fassent la fête. Ceux qui sont en tenue négligée, qu’ils se contentent de regarder. »
L’annonce de la résurrection de Jésus insiste volontairement sur la transformation qu’implique l’accueil de ce message d’espérance. Et ce n’est pas un hasard si les inscriptions chrétiennes baptismales que l’on trouve dans les catacombes de Rome reprennent la démarche classique de l’éveil à la vraie vie dès à présent :
« Eveille-toi toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Messie t’illuminera ! »
Les écrits évangéliques s’inscrivent eux-mêmes dans la grande tradition hébraïque dont la spécificité est le midrash, ce qui signifie : le fruit de la recherche.
Nous y trouvons des témoignages de la foi pascale des premières communautés, exprimée à partir de l’expérience de foi des disciples. Nous voyons que pour ces derniers la cause de Dieu et la cause de l’homme défendue par Jésus n’ont pas été anéanties dans la croix du Golgotha, l’anéantissement de ce porte-parole de l’amour que se voulait être Jésus n’a pas abouti, après sa mort il est reconnu comme présent d’une autre manière, et les groupes qui s’en réclament deviennent Eglise, c’est-à-dire assemblée convoquée par Dieu à partir de croyants en l’alliance, des juifs et des païens faisant prophétiquement table eucharistique commune.
Il faut préciser qu’au départ, ce groupe spirituel naissant n’est pas distinct du judaïsme, ce n’est qu’après la réunion des rabbins à Jamnia en 90 – académie du judaïsme pharisien en exil – que les deux communautés juive et christique vont prendre deux voies séparées.
La résurrection de Jésus est présentée selon les schémas et représentations habituels. Les contemporains de l’événement connaissent dans l’Ecriture l’enlèvement au ciel d’Elie et Hénoch. Avant de parler de résurrection, ils vont parler d’abord d’exaltation de Jésus le juste innocent réhabilité par Dieu.
Mais le récit le plus explicite parmi les récits de résurrection c’est la séquence des pèlerins d’Emmaüs. Jésus y est présenté comme un maître pharisien qui décrypte les événements à partir des Ecritures, afin « d’ouvrir l’esprit » de ses compagnons de route. Le texte revêt la structure de l’homélie pharisienne à la synagogue. Rabbi Simaï dit : « Il n’existe aucun passage de l’Ecriture dans lequel ne figurerait pas la résurrection des morts, il faut avoir la force de l’interpréter ».
Lorsque Rabban Gamaliel, maître de Shaoul de Tarse, est interrogé sur la résurrection, il répond : « D’où savons-nous, par l’Ecriture, que le Saint, béni soit-il ressuscite les morts ? A partir de la Torah, des Prophètes et des hagiographes ! » (Talmud de Babylone Sanhédrin 90b)
Tout l’intérêt de nos réflexions actuelles est de prendre la mesure de ce qui unit et distingue – sur de sujets fondamentaux comme aujourd’hui – ces deux voies bibliques, issues du même tronc hébraïque dont l’axe principal est l’annonce de la vie. C’est important pour nous et indispensable pour répondre ensemble, par des valeurs communes, et une éthique d’inspiration biblique, aux défis redoutables et passionnants du monde où nous vivons.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.