Publié par Hélène Keller-Lind le 23 mai 2020

Ainsi donc la « Loi Avia », censée combattre la haine dans les réseaux sociaux, les plateformes collaboratives et autres moteurs de recherche, donnerait les pleins pouvoirs, non pas à la justice, mais aux opérateurs de sites pour ce faire et si ceux-ci n’agissaient pas avec la plus grande célérité, de fortes amendes leur seraient imposées. Objectif louable, mais l’enfer, on le sait, est pavé de ce type d’intention car qui décidera de ce qui est un contenu haineux ou pas ? Or, Facebook vient de nommer à son Conseil de Surveillance une certaine Tawakkol Karman, montrant ainsi les dangers de cette loi.

Le 16 mai dernier un Tweet de l’avocate pour les droits de l’homme et analyste de sécurité, Irina Tsukerman, contenant une vidéo, attire l’attention[1]. Elle s’y adresse à Tawakkol Karman, lui demandant comment elle peut établir des ponts entre Al-Qaïda et Facebook, les Frères musulmans et l’Iran, le Qatar et sa propre poche, rencontrer à Doha un ministre iranien alors qu’elle condamne l’action des Houthis financés par l’Iran au Yémen…Et évoque sa nomination au Conseil de surveillance de Facebook…Alors que « la loi Avia » fait débat en France…Des pistes à suivre…

  Vidéo :

Le Conseil de Surveillance de Facebook, se voulant un modèle pour chasser la haine d’Internet et une lauréate yéménite du Prix Nobel

Il a fallu à Facebook près d’un an et demie de consultations pour déterminer qui siègera à son Conseil de Surveillance, entité légale indépendante, chargé des décisions quant à contenu et modération. Avec un coût initial de 130 millions de dollars. Un Conseil composé pour représenter un échantillon de diverses cultures et idéologies dans le monde. Soit quarante personnes ayant vécu dans 27 pays. Un modèle que Facebook pense voir repris par d’autres sur Internet pour en expurger la haine. Un Conseil qui aura le dernier mot, y compris sur le co-fondateur et président de Facebook, Mark Zukerberg.[2]

C’est donc à ce Conseil que la Loi Avia entend s’en remettre. Or, parmi ses membres on trouve Tawakkol Karman. Une journaliste yéménite qui fut en première ligne dans le combat s’inscrivant dans le cadre des « révolutions du jasmin », non violente la concernant, contre l’ancien président Saleh que l’opposition fit tomber au bout de trente ans de règne. Portant de seyants foulards pour remplacer le niqab qu’elle avait longtemps revêtu par conviction car membre du parti islamiste al-Islah, la branche yéménite des Frères musulmans, elle fut souvent interviewée sur cette Place du Changement où se réunissaient les contestataires, d’où sa notoriété. Sa participation à la chute du Président yéménite lui valut un Prix Nobel partagé avec deux autres lauréates en 2011.

Oui, mais troquer le niqab pour le foulard ne signifie pas abandonner l’idéologie des Frères musulmans

Elle entama alors des tournées dans de nombreux pays, rencontrant ainsi le Premier ministre d’alors, Alain Juppé, en novembre 2011. À cette occasion, « revenue sur la victoire des islamistes d’Ennahda fin octobre aux élections tunisiennes, elle soulignait que « ce parti n’a pas été le seul gagnant des élections », et estimé que cela serait « une erreur d’écarter les mouvements islamistes », de même que les salafistes. « Même les mouvements les plus radicaux pourraient changer et se transformer s’ils participaient à un processus politique ». [3]

Elle adoubait ainsi un parti avec à sa tête le Frère musulman Ghannouchi, [4] qui déstabilisait la Tunisie. Cette prise de position en faveur du parti islamiste a de quoi d’autant plus surprendre que l’on sait que quelque temps plus tard la démission de ce parti jihadiste au pouvoir était demandée et obtenue [5]

Tawakkol Karman a également soutenu le président Morsi, autre membre des Frères musulmans, un temps au pouvoir en Égypte, avant d’être renversé. En août 2013 elle se rendit au Caire pour soutenir ceux qui protestaient en sa faveur mais fut refoulée à l’aéroport. [6] En juillet 2019, lors d’une cérémonie à la mémoire de Morsi qui s’est tenue à Istanbul où elle vit aujourd’hui, elle chantait ses louanges, le décrivant comme ‘premier président arabe élu à la majorité, un homme de paix se conduisant de manière civilisée ». [7]

Sa proximité avec les Frères musulmans ne fait donc aucun doute, même si elle dit avoir quitté le parti al-Islah. Or cette mouvance prônant un Islam politique est considérée comme mouvement terroriste ou proche de ces thèses par Égypte, Émirats arabes unis ou Grande Bretagne », déclarait Lynda Guirous, porte-parole de LR, devant le Sénat. [8]

Financée par le Qatar, autre soutien du terrorisme dans le monde, félicitée par Qaradawi, rencontre à Doha avec l’Iranien Zarif

 On sait aussi que Tawakkol Karman est financée par le Qatar, petit émirat très riche soutien du terrorisme dans le monde et lieu de résidence et de prêche de l’islamiste Qaradawi, interdit de séjour en France ou en Grande -Bretagne. Elle l’a rencontré à Doha, où il la félicitait pour son action et lui remettait une copie de son livre « Combattre al-Jihad » [9] Ainsi a-t-elle reçu 30 millions de dollars pour établir des sites web fournissant des nouvelles au Yémen. Nouvelles correspondant bien entendu à la vision qatarie du monde…[10] Sa nomination au Conseil de Surveillance de Facebook pose donc question…Et nombre de personnalités s’interrogent aussi sur le bien-fondé de cette décision car si son rôle dans la révolution yéménite reste incontestable sa proximité avec les Frères musulmans l’est tout autant.  Mais il y a aussi son revirement étonnant concernant le rôle de l’Arabie saoudite au Yémen qu’elle saluait en 2015 mais qu’elle vilipende aujourd’hui, adoptant la ligne du Qatar et de la Turquie…[11]

En 2017 un media l’accusait de financer Al-Qaida et le terrorisme, utilisant sa renommée pour voyager de par le monde…[12]

En octobre 2019 elle participait à la Conférence de Sécurité de Munich qui se tenait alors à Doha. Y participait également le ministre des Affaires étrangères iranien, Zarif, allé explorer ce que seraient les possibilités d’amélioration des relations entre son pays et le Qatar [13]. Selon elle, elle reprocha au ministre iranien le rôle de la République islamique dans la région et il lui aurait répondu par ce qui semblerait être une attaque sous forme de boutade : ‘nous sommes fiers de vous… je vous enjoins de vous rendre compte comment pensent les Iraniens et ce qu’ils accomplissent par comparaison aux Arabes en Arabie saoudite et dans les Émirats »[14]. Il faut savoir que Iran, Arabie saoudite et Émirats se livrent à un combat au Yémen par forces interposées, la République islamique d’Iran soutenant les milices terroristes des Houthis et les deux autres pays le pouvoir en place. Achevant de déchirer l’un des pays les plus pauvres au monde. Officiellement Tawakkol Karman rejette ce soutien iranien aux Houthis. Mais qui sait…

Sur la liste des 500 musulmans les plus influents dans le monde, mais avec une étrange hiérarchie en matière de droits de l’homme

Il faut dire qu’elle fait partie de la liste des 500 musulmans les plus influents au monde, établie par un organisme indépendant basé en Jordanie. [15] Ses activités en faveur des droits de l’homme et son Prix Nobel sont mentionnés ou contre les frappes par des drones américains contre le Yémen et plus récemment contre « le coup par les Houthis » et « l’occupation par l’Arabie saoudite et les Émirats… ». Pas un mot des Frères musulmans, de sa proximité avec le Qatar ou de ses étranges revirements…

Cela lui a-t-il valu cet intérêt de Facebook ? Pourtant un simple coup d’œil à la bannière de son compte Twitter suffit à comprendre où elle se situe.

Elle y affiche son soutien pour Jamal Khashoggi mort dans un consulat saoudien à Istanbul en octobre2018 dans des circonstances troubles. Il y a été assassiné par des agents saoudiens censés ne pas avoir agi pour le compte du régime, selon les autorités du pays. Meurtre pour lequel huit saoudiens ont été jugés et condamnés, cinq d’entre eux à mort et trois à de la prison. La famille de Jamal Khashoggi avait déjà manifesté sa confiance au régime saoudien lors de l’affaire. Famille affirmant n’avoir jamais entendu parler d’une quelconque fiancée turque qui donna l’alarme et très présente dans les médias. Étrange statut pour une femme dûment voilée disant avoir vécu avec cet homme. Son fils Salah, s’inscrivant, dit-il, dans l’esprit du mois de Ramadan, vient de pardonner aux condamnés, ce qui leur évitera la peine de mort. Il a communiqué cette décision le 22 mai 2020 sur son compte Twitter https://twitter.com/salahkhashoggi/status/1263613366247075841/photo/1

Si certains attribuent ce pardon à une largesse financière du royaume envers cette famille, il faut pourtant rappeler que le Washington Post, journal qui publiait les écrits de l’exilé volontaire, Jamal Khashoggi, sa qualité de journaliste indépendant ayant été fortement contestée, preuves à l’appui, a été contraint de reconnaître à mots couverts qu’il était bel et bien devenu un porte-plume du Qatar : « Les messages entre Khashoggi et un cadre de la Qatar Foundation International montrent que ce cadre, Maggie Mitchell Salem, a parfois façonné les colonnes qu’il a soumises au Washington Post, proposant des sujets, rédigeant du matériel et le poussant à prendre une position plus dure contre le gouvernement saoudien. Khashoggi semble également avoir compté sur un chercheur et traducteur affilié à l’organisation, qui promeut l’enseignement de la langue arabe aux États-Unis. » [16]

Quoi qu’il en soit, le choix de Tawakkol Karman, connue pour sa défense des prisonniers politiques, est étrange dans ce pays où elle réside et où les prisons sont pleines de journalistes emprisonnés, notamment depuis 2016 [17] Selon Reporters sans Frontières, « la Turquie est la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias ». [18]

Voici donc qui est l’un des membres de ce Comité de Surveillance de Facebook et Instagram, parmi les instances qui, selon la « loi Avia » interviendront pour chasser la haine d’Internet…

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Hélène Keller-Lind pour Dreuz.info.

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