Publié par Abbé Alain René Arbez le 7 mai 2020

La grande fresque johannique, élaborée au cours du 1er siècle, et publiée au début du 2ème, donne à voir le Jésus de la foi comme le Fils Eternel, le sauveur de l’humanité, Christ Seigneur au coeur de relations trinitaires avec le Père et l’Esprit.

Le livre des Actes des Apôtres apporte une perspective quelque peu différente, puisqu’on y rencontre Jésus en tant que prophète galiléen, exalté par Dieu dans sa résurrection d’entre les morts. Le 3ème évangile présente la vie de Jésus dans un récit signé Luc, et qui se termine avec l’ascension de Jésus au ciel le dimanche de Pâques. L’auteur des Actes, dont on n’est plus très sûr qu’il soit Luc, situe quant à lui l’ascension quarante jours plus tard (Lc24,50 et Ac 1,6). Les deux textes sont dédiés à un inconnu, un certain Théophile, l’ami de Dieu, qui peut en fait représenter tout croyant au Christ vainqueur de la mort.

On peut noter des discordances entre les deux récits, ce qui pose le problème de l’auteur, désigné comme étant le même Luc par le canon de Muratori (180). On a bien de la peine à retrouver des enseignements de Paul dans les récits de celui qui est habituellement présenté comme son collaborateur direct. On estime que les Actes sont postérieurs à l’évangile de Luc d’environ une vingtaine d’années.

Le profil de Jésus dans les Actes diffère de celui donné par Jean ou même par Paul. En Ac. 3,13 nous voyons que Jésus est dénommé par l’auteur « le saint serviteur », titre biblique habituellement attribué à Abraham, Moïse et David. Le même terme se retrouve dans les manuscrits de Qumrân, mais aussi dans la Didachè. Ce qui signifie que les Actes tiennent à inclure Jésus dans la tradition juive, aux côtés des justes agréés par Dieu. Les titres de Jésus les plus fréquents, chez Jean, sont Fils de l’Homme et Fils de Dieu : or ils apparaissent très peu dans les Actes. Le titre de Jésus le plus porteur de sens pour les communautés évoquées dans les Actes est « Seigneur », c’est-à-dire celui « qui est ressuscité d’entre les morts », « conformément aux Ecritures ».

« Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié… » (Ac 2,32) On perçoit bien que la messianité et la seigneurie du Christ renvoient non pas au Jésus terrestre mais au Jésus glorifié dans les cieux, partageant le trône céleste du Père. Le livre des Actes appuie son discours sur Jésus à partir de prophéties réalisées au cours de son parcours. Dans son premier discours, Pierre affirme que « le prophète David avait prédit la résurrection du Christ » dans le psaume 16,8-11. Le récit montre également un sympathisant éthiopien qui demande à Philippe de lui expliciter le lien entre Isaïe 53,7 (Serviteur souffrant) et le destin particulier de Jésus. (Ac 8,36)

A travers le livre des Actes, on perçoit que l’Eglise primitive comprenait d’abord Jésus comme un homme envoyé par Dieu aux juifs pour leur annoncer une bonne nouvelle : celle du shalom et de la rédemption. Selon les Actes, c’est après sa mort et sa résurrection que Jésus a été reconnu comme ayant un statut particulier auprès de Dieu.

Lorsqu’ils sortirent de prison, les apôtres en prière se tournèrent non pas vers Jésus, mais vers Dieu le Père : « Maître, c’est toi qui as créé le ciel et la terre » (Ac 4,24). Et même Paul et Silas prisonniers à Philippes chantèrent eux aussi leurs hymnes à Dieu (Ac 16,25). Cela donne à penser qu’au tout début de la mise en œuvre du mouvement de Jésus, Pierre et les apôtres se considéraient toujours comme agissant à l’intérieur du judaïsme, en utilisant des formulations traditionnelles. Selon le témoignage des Actes, les disciples de Jésus fréquentaient assidûment le Temple, et c’était leur lieu habituel de prière et d’enseignement, sans doute jusqu’en l’an 70, date de sa destruction par les Romains. « Chaque jour au Temple, ils ne cessaient d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ » (Ac 5, 42) « Pierre et Jean montent au temple à l’heure de la prière, à la neuvième heure »(Ac 3,1), c’est précisément le moment où sont offerts les sacrifices du soir.

C’est sans doute la raison pour laquelle le livre des Actes nous montre Gamaliel, le célèbre maître de Paul, dont la yeshiva est particulièrement renommée, argumentant avec prudence qu’il faut observer si « ces hommes » agissent oui ou non pour « manifester les merveilles de Dieu » (Ac 5,38). Il ne les traite pas comme des dissidents agissant en dehors des divers groupes existant au sein du judaïsme.

Dans les Actes, la communauté des disciples est désignée par le mot grec « ekklesia » qui signifie simplement assemblée, même au sens le plus laïque. Le nom initial qui désigne le groupe des disciples de Jésus de Nazareth est « La Voie » (Ac 9,2), terme qui renvoie à la « Voie du Seigneur », visant Dieu plutôt que Jésus : ainsi, le juif d’Alexandrie Apollos a été « instruit dans la Voie du Seigneur » (Ac 18,24). L’expression « la Voie » se retrouve également à Qumrân, communauté de ceux qui « ont choisi la Voie » (1 QS 9,18) et qui « marchent dans la perfection de La Voie » (1 QS 4, 22), ainsi que dans la Didachè.

En ce qui concerne les communautés se réunissant au nom de Jésus ressuscité, les Actes soulignent de manière quasi idyllique les relations de haute qualité qui prédominent. Partage des biens mis librement en commun au service de tous, table commune entre croyants juifs et croyants d’origine païenne. On peut cependant lire entre les lignes que la réalité a dû être tout autre, même s’il est clair que la « fraction du pain » a réussi à rassembler dans la même foi des personnes de cultures différentes autour du même kerygme.

Il ressort de ce texte, dont l’auteur dit dès le départ qu’il l’a « ordonné » de cette manière, deux étapes soigneusement mises en perspective : l’annonce de la bonne nouvelle aux milieux juifs autour de la figure de Pierre, puis la propagation du message chez les païens autour du personnage de Paul. Mais la dynamique d’ensemble fait apparaître que les judéo-chrétiens, majoritaires au départ dans les communautés, ont été progressivement  marginalisés par les pagano-chrétiens, si généreusement invités par les équipes apostoliques issues de l’Eglise mère judéenne originelle.

Ce qui est certain, c’est que la description de la communauté ecclésiale formulée par le livre des Actes consolide le fait que Jésus n’a pas voulu fonder un mouvement séparé du judaïsme. Les synoptiques rappellent à ce titre que Jésus se disait envoyé aux brebis perdues de la Maison d’Israël. L’évolution divergente qui suivra se fera en fonction de paramètres multiples, surtout après le concile de Yavné en l’an 90. Par ailleurs, il est intéressant de noter que les premières prières des liturgies chrétiennes puisent dans le patrimoine juif du Temple et de la synagogue. Ce qui donne un éclairage significatif au fait que les célébrants s’adressent toujours à Dieu le Père au cours du culte. La Didachè précise que l’ancien qui préside loue, au nom de tous, « Dieu le Père par son Enfant Jésus Christ ». Les canons eucharistiques ont repris la même démarche, toujours valable à ce jour, et les prières universelles sont tournées vers le Père : même si le concile de Nicée en 325 a insisté sur le fait que Dieu est pleinement présent dans la personne humaine de Jésus.

Pour éviter le trithéisme, les liturgies orientales prévoient qu’à la bénédiction finale, le prêtre dit : « Que Dieu tout puissant vous bénisse, un seul Dieu : Père, Fils et Saint Esprit ! »

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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