Publié par Abbé Alain René Arbez le 28 décembre 2023

Initialement publié le 19 juin 2020 @ 23:59

Le pape Benoît XVI a beaucoup apporté à notre temps en tant que pape mais aussi en tant que théologien attentif aux situations complexes du monde et de l’Eglise.

Pour comprendre les bases de son approche, il suffit d’analyser le discours qu’il a tenu à Berlin en 2011 devant le Bundestag. Son propos commence par une référence éclairante : la prière du roi Salomon le jour de son intronisation. Le pape s’adressant aux politiciens allemands observe que dans son invocation à Yahvé, le fils de David n’a pas demandé à Dieu le succès temporel ni la richesse matérielle. Il a demandé « un cœur docile pour gouverner son peuple et pour discerner entre le bien et le mal » (1 Rois3,9). Benoît XVI y voit le critère déterminant pour l’homme politique d’aujourd’hui. Et le pape précise l’attitude du christianisme au cours des siècles : « Contrairement à d’autres religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’Etat et à la société un arsenal juridique révélé. Il a renvoyé à la nature et à la raison comme véritables sources du droit ». Il souligne « l’importance de l’harmonie entre raison objective et subjective, ce qui suppose le fait que ces deux sphères soient fondées dans la raison liée au Créateur ».

Et le pape a mentionné la posture des « théologiens chrétiens, associés à un mouvement philosophique et juridique formé depuis le 2ème siècle avant JC. Il y eut une rencontre entre le droit naturel social issu des philosophes stoïciens et les maîtres influents du droit romain. De ce contact est née la culture juridique occidentale, déterminante pour la culture juridique de toute l’humanité. De ce lien préchrétien entre droit et philosophie commence le chemin qui conduit, à travers le Moyen Age chrétien, au développement juridique des Lumières, jusqu’à la Déclaration des droits de l’homme ».

Mais poursuit Benoît XVI, ce logiciel n’a plus cours de nos jours… Un dramatique changement est survenu au cours du dernier demi-siècle. Et Benoît XVI espère un chemin de reconstruction à partir d’une « écologie de l’homme, car celui-ci possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme ne se crée pas lui-même, sa volonté est juste lorsqu’il respecte la nature, et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est ». Pour le pape allemand, ce qui se manifeste dans la nature renvoie à une raison créatrice supérieure, un creator spiritus. C’est ce que confirme le professeur Sergio Bernardinelli, sociologue de l’université de Bologne et ancien collaborateur du cardinal Ruini : « la société séculière a un urgent besoin que quelqu’un, quelque part, parle de Dieu d’une façon qui ne soit pas mondaine. De quel Dieu parler ? Celui d’Abraham et de Jésus Christ. Mais pour que le concept de ce Dieu puisse faire naître des formes de vie ecclésiales et sociales, nous avons avant tout besoin de foi »

Cette vision du pape Ratzinger est bien difficile à retrouver avec le même ancrage théologique dans les discours et les actions du pape François. Ce qui s’explique en partie par le parcours personnel latino-américain de ce dernier. Après les événements de mai 68 à Paris et à Londres, les mêmes troubles sociaux arrivent en 1969 en Argentine. Nommé maître des novices à 34 ans, le jeune P. Bergoglio milite au milieu des revendications pour le retour de Juan Domingo Peron, exilé à Madrid. Il devient même le guide des jeunesses peronistes de la Guardia de Hierro. En 1973, nommé provincial des jésuites argentins, il assiste à la réélection triomphale de Peron. Pendant toutes ces années, le futur pape élabore le concept du mythe du peuple acteur de l’histoire. Ce peuple a le droit inné de « tierra, techo, trabajo » (une terre, un toit, du travail). Son mentor est l’anthropologue allemand Rodolfo Kusch, exerçant en Argentine. A sa suite, pour Jorge Bergoglio le mot « peuple est un mot logique, un mot mythique ». C’est ce qui fonde sa théologie du peuple, et qui le pousse à rejoindre le peuple.

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Rodolfo Kusch s’était inspiré de Heidegger en distinguant l’être et l’étant. Selon lui, l’être correspond à la vision rationaliste et dominatrice de l’homme occidental, tandis que l’étant exprime la vision des peuples indigènes latino- américains, en harmonie avec la nature et animés par un mythe. Kusch considère que la première approche, centrée sur l’Europe, est intolérante et détruit la seconde. Le jeune Bergoglio admire cette vision binaire du monde et va s’en inspirer dans la durée. Par exemple, lorsqu’en tant que pape, il reçoit à diverses reprises les « mouvements populaires », occasions durant lesquelles ses discours très fournis en arguments éclairent l’orientation de son programme politique. Ces « mouvements » latino-américains n’ont en soi rien de spécifiquement catholique. Leur idéologie hérite des rassemblements anticapitalistes de Seattle et Porto Alegre. Dans la même optique le pape François estime voir jaillir « un torrent d’énergie morale qui naît de l’implication des exclus dans la construction du destin de la planète ». On retrouve presque les accents de Frantz Fanon avec ses « damnés de la terre », avant-garde d’une révolution mondiale. C’est dans cet état d’esprit que le pape François rencontre lors de plusieurs événements Juan Evo Morales président bolivien, héraut de la gauche latino-américaine, ainsi que Rafael Correa, président de l’Equateur, l’économiste Jeffrey Sachs et le militant marxiste (démocrate) Bernie Sanders.

Plus récemment, lors de la crise des flux migratoires qui touche particulièrement l’Italie, le pape François signe un texte enflammé en faveur de l’accueil inconditionnel et illimité de tous les migrants qui débarquent en Europe. Et il prend position précisément la veille du jour où le Sénat italien doit se prononcer sur le code de la nationalité impliquant la facilitation du droit du sol…

Pour illustrer la Journée annuelle des migrants, on peut dire que le pape est dans son rôle lorsqu’il rappelle les exigences éthiques du respect du prochain. Il s’appuie sur une citation tirée de l’encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate mettant en exergue – à juste titre – la centralité de la personne humaine dans la révélation judéo-chrétienne. Mais la prise de position du pape François franchit un seuil en faisant irruption sur le terrain politique en tenant des propos accusateurs et culpabilisants. Dans Caritas in veritate, son prédécesseur Benoît XVI évoquait le développement local à stimuler dans les pays d’origine des migrants afin que les jeunes africains n’abandonnent pas leur patrie à son sous-développement.

Or le pape François oubliant ce préalable se focalise sur un accueil illimité et sans conditions de tous les migrants qui abordent en Europe. Il stigmatise durement les Européens alors que des mesures ont été prises et que les initiatives étatiques et privées ont apporté des contributions budgétaires conséquentes. Le danger d’un tel propos immigrationniste est de provoquer un appel à la désertion des pays en difficulté, et d’instaurer un déversement permanent de populations du sud vers le nord. Recommander l’attention aux personnes en danger cherchant asile en Europe est une chose, mais inciter par principe à l’émigration, en exigeant la régularisation systématique de tous les arrivants illégaux ainsi que leur prise en charge, c’est négliger la responsabilité de régulation incombant aux dirigeants occidentaux. C’est aussi imposer à leurs peuples des contributions financières inconditionnelles, ainsi qu’un remplacement socio-culturel invasif. Ceci, alors que des crises économiques et du chômage sévissent dans les pays d’accueil, et que des campagnes de déstabilisation démocratiques s’amplifient.

Accueilli par les Responsables orthodoxes lors de son voyage en Bulgarie, le pape François a réitéré ses formulations habituelles et comminatoires sur les migrants. Certains se sont demandé pourquoi dispenser tant de conseils répétitifs aux nations chrétiennes mais si peu aux pays musulmans, où règnent tant d’injustices, de violence et de persécutions. (Sans oublier que les riches pétro-monarchies ont refusé tout accueil de réfugiés coreligionnaires sur leur sol). Le malaise a grandi chez des chrétiens impressionnés par les paroles pontificales, spécialement intransigeantes avec les pays désirant réguler les migrations, mais tolérantes avec les activistes mondialistes et islamistes qui s’en prennent aux valeurs de la civilisation occidentale. Comment peut-on passer sous silence l’inflation de la délinquance et de la criminalité importées en Occident et sociologiquement visibles dans les statistiques ?

Il y a de quoi se poser des questions lorsque le pape, chargé d’une mission d’unité et d’encouragement, en vient à condamner  « l’attachement à la patrie qui incite à l’exclusion et à la haine de l’autre », et exprime « sa préoccupation face aux courants agressifs envers les immigrés, par un nationalisme croissant qui omet le bien commun ».

A Lampedusa, le pape François a ignoré le rapport officiel de l’Agence Frontex, signalant que des ONG font le jeu des passeurs, en dépit de quoi il demande aux pays européens « d’ouvrir toutes grandes leurs portes aux migrants ». C’est dans le même esprit que le pape, en synchronie avec le Pacte de Marrakech, déplore que « l’arrivée de réfugiés suscite chez les populations locales suspicion et hostilité ». On retrouve toujours – au prix d’une confusion entre réfugiés et migrants – ce fil conducteur revendicatif dans les prises de position et les discours du pape François : l’exigence morale et spirituelle d’un accueil sans limites des migrants, qui se trouvent factuellement être en majorité musulmans originaires d’Afrique noire et d’Afrique du Nord.

Ce en quoi le cardinal Robert Sarah, guinéen, n’est justement pas d’accord. On retrouve dans ses propos les avertissements du cardinal Camillo Ruini 15 ans plus tôt, demandant que l’accueil des migrants en Italie ne soit pas attractif, et que surtout il ne soit possible que dans des conditions fiables de légalité et donc de sécurité pour les autochtones. Dans un livre, le cardinal africain redoute et dénonce « l’effondrement de l’Occident, la crise culturelle et identitaire de l’Europe, les dangers majeurs des processus de migration en cours ». Le cardinal Sarah ne mâche pas ses mots : « L’Europe semble programmée pour s’autodétruire. L’Europe veut s’ouvrir à toutes les cultures et à toutes les religions du monde, mais elle ne s’aime plus ! » Le cardinal guinéen se situe de ce fait en opposition frontale avec le souverain pontife régnant qui juge « idéale pour l’Europe une société multiculturelle ». Le pape trouve même suspecte la simple idée de maîtriser les flux et d’encadrer l’arrivée d’illégaux. Il déclare « Tout immigré qui frappe à notre porte est une rencontre avec Jésus Christ, lui qui s’identifie à l’étranger ». Lorsque revenant de l’île grecque de Lesbos, le pape embarquait, dans son avion pour Rome, douze musulmans syriens mais aucun chrétien, les réactions ont été nombreuses. Bien des chrétiens d’Orient ont été désemparés et se sont sentis abandonnés par l’Eglise.

Mais pourrait-on, face à ces choix iréniques, minimiser cette déclaration des responsables du groupe Etat islamique, qui donne à réfléchir : « Le Pape combat contre la réalité quand il s’efforce de présenter l’islam comme une religion de paix, alors que la religion enjoint aux vrais croyants de tirer l’épée du jihad ! C’est même leur plus grand devoir : imposer la loi d’Allah par l’épée est une obligation fondée sur le coran, parole de notre Seigneur. Même si vous arrêtiez de nous bombarder, de nous jeter en prison, d’usurper nos terres, nous continuerions de vous haïr. Parce que le coran nous commande de le faire. Nous ne cesserons de vous haïr que lorsque vous aurez embrassé l’islam ! »

Pourtant, le pape François répète que les religions n’incitent jamais à la guerre. Si excès il y a, dit-il, « c’est en raison de mauvaise compréhension des textes religieux, c’est à la suite de politiques de pauvreté, d’injustice, d’oppression ». Malgré les mises en garde répétées de conseillers compétents en  matière d’islamologie, le pape François maintient le déni en faisant passer pour conjoncturel ce qui est structurel, position inverse de celle du pape Benoît XVI dans son éclairant discours de Ratisbonne.

Mais comme le décrit le professeur Bernardelli, ces thématiques engagées, qui privilégient la hantise écologique, la critique systématique du marché capitaliste, la militance tiers-mondiste, risquent de rater la cible centrale impartie à l’Eglise dans ce monde. La dénonciation par l’Eglise des dérives sociétales ne doit pas se cantonner aux aspects politiques et sociaux. La Sainte Eglise, que le pape François désire légitimement réformer, peut-elle se contenter d’être reconfigurée en ONG humanitaire et militante altermondialiste ?

Peut-on édulcorer la tragique et féroce présence du mal chez les êtres humains ? Le mystère de l’iniquité existentielle dépasse les limites des systèmes sociaux, politiques et religieux. Cette béance au cœur de l’humanité fait appel à la transcendance et au salut. Ce qui fait clairement défaut dans le discours sur la « fraternité universelle » que prononcera prochainement le pape François en direction des leaders politiques et religieux du monde entier, sans aucune référence biblique.

En conclusion, l’élan prophétique de ces dénonciations du mal social, même inspirées des meilleures intentions, s’affaiblira d’autant plus que la voix ecclésiale reste prisonnière des logiques de ce monde et qu’elle ne porte pas avec force la dimension eschatologique que revendique la Parole de Dieu.      

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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