Publié par Michel Onfray le 23 juin 2020

Source : Tribunejuive

Dans un texte lumineux, le philosophe explique pourquoi et comment, en changeant de combat et d’idéologie, la gauche actuelle a fini par oublier la France et les Français.

Il y eut une guerre franco-allemande perdue par la France dont on ne parle pas : c’est celle qui a opposé l’idéaliste Marx au pragmatique Proudhon.

Marx a bien sûr gagné ce combat. Il eut un allié de poids avec Lénine puis Staline, qui ont appliqué la théorie communiste sur une grande partie de l’Europe. Je sais que les dévots du concept estiment que le goulag n’était pas chez Marx, mais la légitimation de la violence s’y trouve. Or, le goulag n’est jamais que l’une des formes prises par cette violence.

Les intellectuels ont été nombreux à souscrire à la fable marxiste au XXe siècle, car elle réjouit leur goût pour les idées, les concepts, les mots, le verbe, la rhétorique, la dialectique, la sophistique. L’idéalisme marxiste a dominé la vie intellectuelle française pendant la moitié d’un siècle, jusqu’en 68. Car le mois de mai enterre cette vieille gauche portée par Sartre en France au profit d’un gauchisme structuraliste incarné par Foucault et quelques autres. Le vieux marxisme à la papa s’est effondré comme un château de cartes: la lutte des classes, l’avant-garde éclairée du prolétariat, la dictature de ce même prolétariat, le centralisme démocratique, la violence accoucheuse de la révolution, tout cela s’est trouvé jeté dans les poubelles de l’Histoire.

Pour Marx, il n’y avait ni Noirs, ni Jaunes, ni Blancs, ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans, ni hommes ni femmes, ni hétérosexuels ni homosexuels, mais des bourgeois exploiteurs et des prolétaires exploités.

Avec quelques-uns, Foucault incarne le structuralisme qui fournit son idéologie au nihilisme contemporain. Le structuralisme annonce, avec force démonstrations obscures, qu’il existerait des structures invisibles, indicibles, ineffables qui gouverneraient tout ce qui est! Exit l’Histoire, vive le règne des Idées pures.

Tous les structuralistes reviendront de cette expérience car elle s’est avérée philosophiquement une impasse. Mais leur vie a continué outre-Atlantique. Ils ont été traduits aux États-Unis. Or, des textes fumeux en français traduits en anglais ne gagnent jamais en clarté, il s’y joint même une dose supplémentaire d’obscurité. Ajoutons à cela les gloses de professeurs qui rendaient plus incompréhensibles encore les thèses que ces auteurs français avaient eux-mêmes déjà abandonnées depuis une dizaine d’années.

French Theory

Après mai 1968, l’Histoire européenne a contribué à rendre plus caduc encore l’arsenal conceptuel marxiste: abandon du socialisme par Mitterrand en 1983, précipitation de ses alliés communistes dans cette aventure, chute du mur de Berlin en 1989, fin de l’Empire soviétique en 1991: la gauche française ne pouvait plus regarder vers Moscou pour penser – sauf à méditer sur des ruines et des décombres.

Elle a donc tourné son regard vers l’ouest et, fascinée par les campus américains, elle a demandé du contenu idéologique aux néostructuralistes qui avaient dépassé le marxisme dogmatique au profit du gauchisme culturel. De sorte que ce qui fut une mode française, le structuralisme, est redevenu à la mode en France, un demi-siècle après sa mort, sous le nom de… French Theory!

Cette théorie française, si peu française après qu’elle fut passée par les moulinettes de la traduction et de la glose universitaire, critique, entre autres: la raison occidentale, la possibilité d’une vérité, le «phallogocentrisme» pour utiliser le concept de Derrida qui dénonce ainsi le pouvoir des discours du mâle blanc occidental, les processus démocratiques du débat et de la décision, la séparation des sexes, l’écriture de l’Histoire par les Occidentaux.

En même temps, elle adoube les marges comme des centres: les homosexuels, les transgenres, les femmes, les Noirs et les Maghrébins, les immigrés, les musulmans, mais aussi, ce sont les sujets de prédilection de Foucault, les prisonniers, les fous, les hermaphrodites, les criminels, sinon, ce sont là les héros de Deleuze, les drogués ou les schizophrènes. Dès lors, le prolétaire n’est plus l’acteur de l’Histoire, il est sommé de laisser sa place aux minorités: il ira se consoler de ce congédiement théorisé par Terra Nova chez les Le Pen.

La gauche marxiste monolithique, perdue après la mort de Marx et de son empire, a laissé place à une gauche moléculaire. La première visait l’universalisation de sa révolution ; la seconde, la généralisation du communautarisme. L’ancienne faisait peur au capital, la seconde le réjouit: en détruisant les nations, les peuples, les pays et les États, elle accélère le mouvement vers un gouvernement mondial qui sera tout, sauf de gauche. Les Gafa y travaillent déjà.

Inscrivez-vous gratuitement pour recevoir chaque jour notre newsletter dans votre boîte de réception

Si vous êtes chez Orange, Wanadoo, Free etc, ils bloquent notre newsletter. Prenez un compte chez Protonmail, qui protège votre anonymat

Dreuz ne spam pas ! Votre adresse email n'est ni vendue, louée ou confiée à quiconque. L'inscription est gratuite et ouverte à tous

En savoir plus sur Dreuz.info

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading