Publié par Abbé Alain René Arbez le 14 juillet 2020

Eusèbe de Césarée et Epiphane donnent une liste précise des 15 premiers évêques de Jérusalem jusqu’au choc de 135, lorsque l’empereur Hadrien vient écraser la révolte juive et débaptiser la ville sainte en Aelia Capitolina.

Or ces quinze premiers évêques de l’Eglise-mère, à la suite de Jacques et de Simon son frère, sont tous juifs observants. Ils sont circoncis, pratiquent le shabbat et prient au Temple, jusqu’à sa destruction en l’an 70 par Titus fils de Vespasien. Le dernier de ces évêques hébreux est Jude, qui sera mis à mort en 135 avec beaucoup d’autres juifs massacrés par Hadrien.

On a peu de détails historiques sur ce qu’était la vie des premières communautés judéennes disciples de Jésus ressuscité. Les Actes des Apôtres, le livre attribué à Luc, nous donne une version remaniée en faveur des Gentils devenus majoritaires dans l’Eglise. Le ministère de Shaoul Ha Qatan, (Paul), actif auprès des juifs de diaspora et des païens convertis, y trouve une place plus significative que Pierre, dont le nom hébreu est « Eben », pierre de construction, de proximité linguistique avec « ben » = fils, ou prolongation.

La vie des juifs de Judée adeptes de « la Voie » (pas encore appelés « christianoï ») est assez peu décrite, car éloignée des milieux qui seront rédacteurs du Nouveau Testament et adaptateurs de la foi originelle à la culture grecque.

On est frappé par la diffusion fulgurante du messianisme christique en Asie mineure dans la diaspora, dès le 1er siècle, par l’adhésion massive des rabbins de sensibilité universaliste. Une foi nouvelle qui s’est d’abord diffusée à partir de Jérusalem, en Judée, Samarie, et Galilée, jusqu’à Rome où résidait une importante population juive. 

Jérusalem, la cité sainte, va bien sûr rester la référence symbolique de l’Eglise-mère, mais Rome prend peu à peu paradoxalement de l’importance, tout en étant à la fois centre de l’Empire persécuteur et référence fondatrice lors du martyre de Pierre et Paul, source d’autorité doctrinale. (Ce n’est pas qu’une vision catholique, car parmi d’autres, le théologien protestant Oscar Cullmann valide l’historicité de la mort de Pierre et Paul à Rome entre 62 et 67).

A Rome, Clément, ce membre de la communauté juive locale, va jouer un rôle décisif, car il sera en responsabilité épiscopale de 92 à 99 dans une période très agitée. Il est parfois appelé « pape », pour dire « successeur de Pierre », ce qui est anachronique, puisque l’appellation « pape » est un terme grec qui n’apparaît que plus tard, pour être ensuite attribué globalement et rétrospectivement à tous les évêques de Rome.

Clément est né à Rome, c’est un citoyen romain, comme Paul. On le considère comme le 1er père apostolique, car dans la seconde moitié du premier siècle, il adresse une lettre célèbre à la communauté des Corinthiens, un document intitulé « Lettre de l’Eglise de Rome à l’Eglise de Corinthe », qualifié par Eusèbe de Césarée de « puissante missive, pleine d’autorité ecclésiale ».

Clément est vénéré comme saint par l’Eglise catholique, l’Eglise orthodoxe, l’Eglise copte et l’Eglise anglicane. Irénée de Lyon (2ème s.) mentionne Clément dans sa liste des successeurs de Pierre, en insistant sur le fait que ce chef d’Eglise a côtoyé les apôtres, qu’il s’est entretenu avec eux, fortement marqué par leur prédication et leur catéchèse du Christ. Irénée souligne le fait que la « Tradition (transmission du kerygme originel) des Apôtres » est présente en permanence à l’esprit de Clément pour accomplir son ministère de présidence.

La lettre de Paul aux Philippiens (4,3) témoigne de la présence de Clément parmi les collaborateurs de Paul. Parlant de deux femmes Evodie et Syntyche, Paul demande qu’on leur vienne en aide « elles qui ont combattu pour l’évangile avec moi, et avec Clément et mes autres compagnons d’œuvre dont les noms sont dans le livre de vie »

Eusèbe de Césarée précise que Clément est encore évêque de Rome lorsque Trajan succède à Nerva en 98. Autre témoignage, le « Pasteur d’Hermas », un document chrétien ancien dont la version finale date du début du 2ème siècle mais qui comporte des éléments antérieurs contemporains de l’époque de Clément.

En effet, un passage du texte dit : « Voici un petit livre à donner aux élus de Dieu… » Puis le visionnaire auteur de l’ouvrage ajoute : « Quand j’aurai tout rédigé, tu le feras connaître à tous les élus. Tu enverras une copie à Clément, et Clément l’enverra aux autres villes, c’est sa mission ! Tu le liras à la ville en présence des presbytres qui dirigent l’Eglise ». On a discerné dans cet extrait la trace de l’organisation hiérarchique de l’Eglise primitive, avec une mission particulière de Clément dans la fonction qui lui est propre.

Selon certains récits postérieurs, Clément est mort en martyr, condamné à   être exécuté comme beaucoup de juifs et de chrétiens (la différence confessionnelle n’existe pas encore aux yeux des autorités romaines). C’est une condamnation « pour athéisme », accusation résultant du refus de diviniser l’empereur de Rome et de brûler l’encens devant son effigie. Des récits racontent que face au refus de l’évêque Clément d’honorer les dieux officiels, l’empereur Nerva décida de l’envoyer aux travaux forcés pour extraire du marbre à Chersonèse. Malgré la tâche exténuante, sa foi lumineuse fit des conversions parmi ses compagnons de bagne. Puis Trajan arrivé au pouvoir s’irrita de l’aura acquise par Clément et il décida d’attacher une ancre de marine au cou de l’évêque et il le fit précipiter dans la mer Noire.

LA LETTRE DE L’EGLISE DE ROME A L’EGLISE DE CORINTHE, signée Clément.

L’épître de l’évêque Clément aux Corinthiens a été rédigée en 95, à la fin du règne de Domitien. Elle est considérée comme le premier document d’Eglise non canonique mais contemporain de la rédaction du Nouveau Testament. Elle est envoyée aux chrétiens de Corinthe avant même que soit publiée la version finale de l’évangile de Jean (109).

La communauté chrétienne de Corinthe était en proie à de graves divisions internes, en raison, semble-t-il d’une contestation par la base, du ministère des presbytres en charge pastorale. Conflit de générations, ou tiraillements entre cultures juive et grecque, revendications charismatiques, divers éléments expliquent le fait que des groupes aient démis de leurs ministères des pasteurs irréprochables. C’est avec une bonté paternelle et un souci équitable que Clément demande le rétablissement des pasteurs légitimes dans leurs fonctions et l’apaisement dans les relations communautaires. La formulation de la lettre démontre que l’organisation hiérarchique de l’Eglise est déjà en place mais pas encore fixée, les presbytres et les épiscopes ainsi que les diacres n’ayant pas atteint un statut bien défini au sein des assemblées. Pour appuyer sa conciliation, Clément, connaisseur de la culture biblique, fait abondamment appel à des passages du Premier Testament (dont la place tient un quart de toute l’épître). Parmi les références retenues par Clément on trouve : Caïn, Esaü, Hénoch, Noé, Abraham et bien d’autres. On reconnaît dans les passages cités la version biblique de la Septante, mais la judéité de Clément s’exprime par des expressions comme avinou Abraham, avinou Yaacov, notre père Abraham, notre père Jacob. Le nom de Dieu est remplacé par « Il » en signe de respect du Tétragramme, mais on décèle aussi des références à des traditions apocryphes juives connues à l’époque (ex : l’assomption de Moïse). Certains échos de la Règle de Qumrân y sont également repérables, pour évoquer le rôle de chacun dans la communauté.

En conclusion, ce document, est très proche de l’époque apostolique et de la mise en œuvre mémorielle de la Tradition vivante sous la forme des Ecrits canoniques du Nouveau testament. Cette épître de Clément est la première manifestation de la préséance de l’Eglise de Rome dans le concert des communautés en croissance. Le rôle de l’évêque de Rome apparaît comme un service de l’unité et un rappel des fondamentaux de la foi judéo-chrétienne. Etonnamment, si l’auteur du 4ème évangile vivait encore à Patmos, c’est plus lointainement, de Rome, que venait l’exhortation adressée aux Corinthiens.

Origène présente Clément de Rome comme « disciple des Apôtres ». Il y a un texte du grand Irénée de Lyon, au 2ème s. , qui s’est battu contre les menaces de scission de groupes dissidents et qui a rappelé la nécessité d’un pôle d’autorité. Il écrit : « La grande Eglise très ancienne et connue de tous, a été fondée et constituée à Rome par les deux glorieux apôtres Pierre et Paul. La tradition qu’elle tient des apôtres et la foi qu’elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu’à nous par des successions d’évêques. C’est donc avec cette Eglise de Rome, en raison de sa puissante et légitime autorité de fondation, que doit nécessairement s’accorder toute Eglise ».

Tertullien (fin 1er s.) écrit que Clément a reçu sa mission par imposition des mains de Pierre lui-même.

Certains spécialistes estiment que Clément est aussi l’auteur de la lettre aux Hébreux. On retrouve dans la lettre aux Corinthiens des emprunts facilement reconnaissables et le style est le même dans les deux documents.

Clément évêque de Rome nous a laissé une épître de l’époque apostolique où transparaît le profil d’un judéo-chrétien passionné dans ses convictions bibliques et modéré dans ses exhortations fraternelles. Un témoin du Christ qui est allé jusqu’à donner sa vie par amour pour le monde à venir.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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