Publié par Jean-Patrick Grumberg le 16 août 2020
Manifestants dans les rues de Beyrouth en 2019

Le président libanais a déclaré à la télévision française qu’après la signature des accords de paix entre Israël et les Emirats, il pourrait être le suivant.

L’effet domino était à prévoir. Certes, reconnaissons que nous avons été nombreux à envisager, suite au déplacement de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem qu’un tel effet se produirait sous nos yeux. Nous l’attendons encore, bien que je n’ai jamais pensé que les Etats européens suivraient : l’Europe est le continent le plus antisémite du monde occidental.

Comparaison n’est pas raison, derrière le rideau, plusieurs pays arabes ont déclaré qu’ils regrettaient ne pas avoir été les premiers à sauter le pas, et le gendre et conseiller du président américain Jared Kushner, l’un des artisans du rapprochement entre Israël et les EAU, a déclaré que plusieurs Etats arabes suivraient très probablement dans les mois qui viennent [si cela se produit avant les élections de novembre, Donald Trump ne sera pas fâché].

Je me demande comme vous si l’ambassade des Emirats sera à Jérusalem ou à Tel-Aviv. Je peux vous dire que dans les coulisses, le président Macron et le quai d’Orsay jouent toutes leurs cartes et appuient sur tous leurs relais pour que cela ne se produise pas : la France est la tête de file du courant anti-Israélien européen, et tant qu’elle aura un président français sorti de l’ENA, elle ne reconnaîtra pas Jérusalem comme capitale. Cela ne se fera que le jour où les Français éliront un président musulman. D’après Houellebecq, et les milliers de témoignages que je lis dans les commentaires, ce n’est pas pour dans longtemps.

Revenons au président libanais

Michel Aoun profite de la fenêtre de tir qui lui est offerte par l’explosion catastrophique au port de Beyrouth : tous les Libanais font porter le chapeau au Hezbollah, qui ces jours-ci a sagement décidé de se faire petit, et n’est pas en position de taper le poing sur la table.

De plus, le narratif du Hezbollah selon lequel sa présence est destinée à protéger le pays contre l’agresseur israélien, a pris du plomb dans l’aile lorsque l’organisation terroriste s’est impliquée dans le conflit syrien : il lui était difficile d’expliquer en quoi il concernait le Liban.

Les dominos avaient failli tomber, il y a une dizaine d’années, lorsque le président syrien avait envisagé de normaliser ses relations avec Israël. Le Liban aurait immédiatement suivi. Mais la Turquie avait objecté. Là, l’objection n’arrivera pas de Syrie, trop affaiblie pour menacer le Liban, mais de l’Iran via le Hezbollah. Sauf que le Hezbollah vient de mutiler des milliers de Libanais.

Nasrallah s’est contenté de qualifier l’accord entre les EAU et Israël de “coup de poignard dans le dos”. C’est inexact : c’est un coup de poignard de face, dans le cœur.

Le président libanais Michel Aoun a exprimé sa volonté d’envisager des pourparlers de paix avec Israël dans une interview accordée à la chaîne d’information française BFMTV dans la nuit de samedi à dimanche.

Quand le journaliste a demandé à Aoun si le Liban ferait la paix avec Israël, M. Aoun a déclaré :

“Cela dépend. Nous avons des problèmes avec Israël, et nous devons d’abord les résoudre”. Aoun n’a pas précisé quels problèmes devraient être résolus, mais il a fréquemment évoqué les disputes territoriales.

Les journalistes ont affirmé que la déclaration d’Aoun a “surpris”. Soit ils sont fainéants et ne font pas leur travail, soit ils sont tellement amers des accords avec les Emirats qu’ils ont perdu le goût de l’information, soit ils ne comprennent rien à la région : trois jours après l’explosion, le Liban a déclaré vouloir reprendre les négociations avec Israël sur son conflit territorial.

Conflits territoriaux

Fermes de Shebaa

Lorsqu’on pense conflit territorial entre Israël et le Liban, on pense “Fermes de Shebaa”, ce lopin de terre à la frontière syro-libanaise que le Liban réclame.

Le différend sur la propriété des fermes de Shebaa a résulté en partie des manquements et erreurs du Mandat français, et plus tard des gouvernements libanais et syrien, qui n’ont pas délimité la frontière entre le Liban et la Syrie.

Des documents des années 1920 et 1930 indiquent que les habitants payaient des impôts au gouvernement libanais.

Cependant, du début des années 1950 jusqu’à la guerre des Six Jours, la Syrie était la puissance dirigeante de facto.

En 1978, Israël a envahi et occupé le sud du Liban, et en 1981, le plateau du Golan, y compris les fermes de Shebaa, a été annexé par Israël.

Mais ce n’est pas de cette bande de terre dont parle essentiellement Aoun, mais de la mer.

Bordure maritime

Le Liban conteste la “ligne bleue” internationale avec Israël.

Mais depuis la catastrophe de Beyrouth, les responsables libanais ont exprimé la volonté de négocier la frontière maritime, et de commencer à exploiter les réserves de gaz naturel au large des côtes libanaises.

  • Israël et le Liban se battent depuis des décennies sur plus de 860 miles carrés d’eau dans lesquels des réserves potentielles de gaz naturel attendent.
  • La zone économique exclusive israélienne s’étend sur 130 km à partir du coin nord de la côte, et sur 204 km à partir du coin sud de la côte, et englobe une très vaste zone, y compris des voies de navigation étrangères. (Israël n’est pas signataire de la Convention des Nations unies sur la mer, mais a accepté les principes directeurs de la Convention).
  • Sur la frontière terrestre, la FINUL – la Force intérimaire des Nations unies, chargée du maintien de la paix au Liban mais qui incarne à la perfection la statuette des trois singes (rien voir, rien entendre, rien dire) – travaille toujours sur un accord, qui depuis des années est délimité par une “Ligne bleue”.
  • Le Liban conteste cette “Ligne bleue” internationale en 13 points sur les 200 que compte sa frontière sud.

Résultat, le secrétaire adjoint aux Affaires du Proche-Orient et actuel médiateur entre les deux pays, David Schenker, a évoqué que des progrès sur cette question se dessinent, et attendent l’accord du Liban.

  • Le président Michel Aoun a exprimé – depuis l’explosion – sa volonté de parvenir à un accord sur la frontière maritime.
  • Le président du Parlement, Nabih Berri, l’aurait également déclaré.
  • Berri, un proche allié du Hezbollah, et lui-même chef de la faction Amal, a déclaré la semaine dernière à un journal local que les discussions avec “les Américains sont presque terminées”, a rapporté Al Arabiya lundi 10 août.
  • Le Hezbollah a lui aussi assoupli sa position (1) et publiquement reconnu avoir confié à Berri le soin de décider de la position du Liban, selon le rapport, qui a noté que le Hezbollah était jusqu’à présent – sans surprise – “le principal opposant à la conclusion d’un accord”.
  • Plus vite le conflit maritime sera résolu, plus vite les deux nations pourront développer ces réserves énergétiques offshore, et plus vite les relations pourraient se normaliser, voire déboucher sur une paix qui ne ferait que prolonger l’époque où le Liban applaudissait la création de l’Etat juif.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

  1. https://english.alarabiya.net/en/News/middle-east/2020/08/10/Hezbollah-softens-stance-on-Israel-maritime-border-dispute-after-Lebanese-rage

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