Publié par Jean-Patrick Grumberg le 19 septembre 2020

La juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, une femme très à gauche, ardent défenseur de toutes les causes progressistes, et deuxième femme à siéger à la Cour suprême, est décédée à l’âge de 87 ans.

Sous de nombreux aspects, la Cour suprême est un organe plus important encore que la présidence (protection des libertés religieuses, immigration illégale, droit de porter une arme, avortement…), et le choix du juge à la Cour suprême, nommé à vie, a un impact considérable sur la direction politique du pays.

Donald Trump a été dans la position de nommer deux juges constitutionnalistes, dont l’un, Brett Kavanaugh, a fait l’objet d’une infâme campagne de diffamation parce qu’il remplaçait le juge Anthony Kennedy, un juge qui penchait tantôt pour les progressistes, tantôt pour les conservateurs.

Autant dire que le décès de Ruth Bader Ginsburg – RBG – à 46 jours des élections est un sujet brûlant, tellement brûlant qu’il va modifier la dynamique des élections présidentielles.

Procédure de nomination

La procédure de nomination est très simple :

  • Un nouveau juge est nommé lorsqu’un siège est vacant, soit par le décès d’un juge, soit par son départ en retraite.
  • Le président choisit un candidat.
  • Le FBI fait une enquête sur son passé et sa vie privée.
  • La commission juridique du sénat fait sa propre enquête.
  • Le Comité permanent du pouvoir judiciaire fédéral de l’Association du barreau américain commence à évaluer le candidat sur la base de ses qualifications professionnelles. Enfin, le comité vote pour déterminer si un candidat est “bien qualifié”, “qualifié” ou “non qualifié”.
  • La commission juridique du sénat vote sa recommandation au sénat.
  • Le sénat approuve ensuite et confirme le candidat par un vote à la majorité simple des 100 membres du sénat. Le vice-président peut voter, c’est donc 100+1.

Danse des hypocrites

  • Si vous lisez un média de gauche, vous lirez aujourd’hui les déclarations passées des Républicains disant qu’il ne faut pas nommer un SCOTUS (ce sont les initiales de Supreme Court Of The United States ou juge à la Cour suprême) quand il va y avoir une élection présidentielle la même année.
  • Si vous lisez un média de droite, vous allez lire l’inverse et découvrir les déclarations des Démocrates disant qu’il faut nommer immédiatement un nouveau SCOTUS alors que depuis hier, ils disent qu’il ne faut pas.
  • Les deux disent vrai, mais malhonnêtes comme toujours, les journalistes oublient de façon bien pratique ce qu’ont déclaré ceux de leur camp.
  • La réalité est que les deux camps politiques de Washington sont aussi hypocrites l’un que l’autre – on est au cœur du marécage puant – et qu’ils ont tous, à un moment où à un autre, fait des déclarations totalement contraires à ce qu’ils ont dit précédemment, tantôt pour, tantôt contre la nomination d’un juge à la Cour suprême, selon les circonstances.
  • Les médias n’ont pas l’honnêteté de le dire et vous rapportent qu’un son de cloche afin de vous influencer. Sauf Dreuz, qui considère que le respect que nous devons à nos lecteurs consiste à les informer honnêtement et le plus complètement possible.

Ce qu’ils ont dit

1 Mitch McConnell, président du bloc Républicain majoritaire au Sénat, a déclaré hier que “Le candidat du président Trump sera soumis au vote du Sénat des États-Unis avant la fin de l’année.

  • À la mort d’Antonin Scalia en 2016, le leader de la majorité Républicaine au Sénat Mitch McConnell, a bloqué la nomination de Merrick Garland par Barack Obama, refusant de donner une date pour voter, parce que c’était une année électorale et qu’un nouveau président serait forcément élu.
  • Hier, Mitch McConnell a déclaré l’inverse. Il a dit que Donald Trump devait choisir sans attendre, et que son candidat pour remplacer Ruth Bader Ginsburg à la Cour suprême serait soumis au vote du Sénat sans délai.

“Le candidat du président Trump sera soumis au vote du Sénat des États-Unis [avant la fin de l’année]”, a dit le sénateur du Kentucky dans une déclaration vendredi soir, quelques heures seulement après l’annonce de la mort de Ginsburg.

2 Chuck Schumer, le chef de file du parti Démocrate au sénat, actuellement minoritaire, a déclaré hier que “le siège de Ruth Bader Ginsburg devrait être décidé par le prochain président”.

  • Chuck Schumer, président du bloc Démocrate minoritaire au sénat, a retourné contre lui les mots que McConnell avait prononcés en 2016.
  • Il a tweeté :

“Le peuple américain devrait avoir une voix dans le choix de son prochain juge à la Cour suprême. Par conséquent, ce poste ne devrait pas être pourvu avant que nous ayons un nouveau président.”

  • En 2016, Chuck Schumer avait dit l’inverse. Il avait demandé que le sénat tienne immédiatement un vote pour le candidat du président Obama :

“Montrez-moi la clause qui dit que le président n’est président que pour trois ans,” afin d’expliquer que la nomination du juge à la Cour suprême par le président sortant est valide.

  • Et là, Chuck Schumer vient de déclarer que “Le siège de Ruth Bader Ginsburg devrait être décidé par le prochain président”.

La valse des hypocrites bis

Les politiciens et les médias peuvent dire ce qu’ils veulent, la réalité est que leur position sur la nomination d’un juge à la Cour suprême par un président sortant ne dépend que d’une chose : s’ils sont en position de force ou pas.

  • Si le sénat a une majorité Républicaine, et qu’un SCOTUS est nommé par un président Démocrate la dernière année de son mandat, les Républicains vont bloquer sa nomination. Si le juge est nommé par un président Républicain, le sénat votera sa nomination.
  • Si les Démocrates du sénat sont dans la minorité, et que le juge est nommé par un président Démocrate sortant, ils vont tout faire pour qu’on vote, même si, comme en 2007, Chuck Schumer a voulu bloquer toutes les nominations à la Cour suprême de Bush.

Lors d’un discours prononcé lors d’une convention de l’American Constitution Society en juillet 2007, Schumer a déclaré que si de nouveaux postes à la Cour suprême devenaient vacants, les Démocrates ne devraient pas laisser à Bush la possibilité de les pourvoir.

Les risques

1 La différence fondamentale de philosophie entre un juge Démocrate et un juge Républicain, c’est que le Démocrate tend à faire disparaître la séparation des pouvoirs entre le législateur et le judiciaire, en cherchant à modifier les lois par une décision de la Cour suprême, lorsque son parti n’a pas pu y parvenir parce qu’il a été battu aux élections. A l’inverse, le juge Républicain cherche à préserver l’esprit de la constitution dans ses décisions de justice, et s’oppose à en faire évoluer l’interprétation au gré des idées du moment.

2 Si les résultats des élections de 2020 sont contestés devant les tribunaux – c’est une sérieuse probabilité en raison du vote par correspondance qui favorise la fraude et les erreurs, alors la décision des élections est prise par la Cour suprême. Si Trump ne nomme pas un SCOTUS et le sénat ne vote pas, et que le poste reste vacant – cela peut entraîner une impasse d’un vote avec 4 d’un côté et 4 de l’autre puisqu’il n’y a plus que 8 juges. Dans ce cas, c’est un tribunal inférieur qui décide de l’élection présidentielle.

3 Si Trump nomme un candidat que le Sénat valide, et que le Sénat passe à majorité Démocrate en novembre, les Démocrates ont déjà menacé qu’ils supprimeront la pratique de l’obstruction (flibuste) qui permet à la minorité d’étirer les débats en longueur et faire changer un vote (il faut 60 votes pour mettre fin à une discussion d’obstruction, ce qui n’est pas toujours atteint), et ils tenteront d’augmenter le nombre de juges à la Cour suprême, aujourd’hui de 9 membres, mais qui n’est pas limité par la constitution, et ce dans le but de nommer une majorité de juges de gauche. L’équilibre et la diversité, ils s’en tamponnent le coquillard.

  • Au total, 33 des 100 sièges sénatoriaux sont en lice pour des élections régulières.
  • Là où c’est chaud, c’est que seulement 12 sièges détenus par les Démocrates sont en jeu, contre 23 sièges détenus par les Républicains.
  • Le revers de la médaille, c’est que les Démocrates avaient déjà proféré ces menaces, bien avant qu’un poste de juge à la Cour se libère.
  • En 2018, les Républicains ont remporté la majorité avec 53 sièges. Les Démocrates ont beaucoup perdu et sont retrouvés à 45 sièges. 2 Indépendants qui votent avec les Démocrates ont été élus.
  • Voici les Etats avec des élections sénatoriales le 3 novembre : Alabama – Alaska – Arizona (spécial) – Arkansas – Colorado – Delaware – Géorgie – Idaho – Illinois – Iowa – Kansas – Kentucky – Louisiane – Maine – Massachusetts – Michigan – Minnesota – Mississippi – Montana – Nebraska – New Hampshire – New Jersey – Nouveau-Mexique – Caroline du Nord – Oklahoma – Oregon – Rhode Island – Caroline du Sud – Dakota du Sud – Tennessee – Texas – Virginie – Virginie occidentale – Wyoming.

Ginsburg : “mon rêve le plus fervent”

  • Le “souhait le plus fervent” de Ginsburg était qu’elle ne soit pas remplacée “avant l’installation d’un nouveau président” a déclaré sa petite-fille Clara Spera.
  • Devant la Cour suprême, les manifestants ont scandé ce dernier vœu pendant toute la soirée.

Si cette information sur la “dernière volonté” de Ginsburg est vraie, alors la célèbre juge avait une incompréhension fondamentale de son rôle et de son poste.

Car elle n’était pas propriétaire de son siège. Elle possédait simplement le privilège de l’occuper, et elle l’a effectivement occupé pendant de nombreuses années – et ce n’était ni son rôle, ni son droit, ni son privilège de dire aux branches législatives comment “son” poste devait être occupé.

  1. Ce n’était pas “son” poste.
  2. La séparation des pouvoirs le lui interdisait moralement de le souhaiter.

Destruction de la propagande que vous allez entendre partout

Les médias mentent par omission, ce qui m’oblige à rappeler deux vérités.

1 Les médias étant essentiellement de gauche, donc très – mais alors très très – inquiets d’une nomination d’un juge constitutionnaliste, mes amis ont commencé à paniquer, parce que même Fox News leur a fait de l’intox, en rappelant qu’il a fallu 54 jours pour valider la nomination de Brett Kavanaugh, et qu’il ne reste que 46 jours avant l’élection.

C’est très malsain et très vicieux car c’est un mensonge par omission, les pires de tous.

Si les journalistes étaient honnêtes, ils ne se contenteraient pas de parler de Kavanaugh et des 54 jours pour le faire élire. Ils diraient aussi qu’il a fallu 33 jours pour élire la juge Sandra Day O’Connor (du 19 août au 21 septembre 1981), et 19 jours pour John Paul Stevens (du 28 novembre au 17 décembre 1975).

Et la confirmation de Ginsburg elle-même en 1993 a pris 42 jours.

2 Les médias sont tous vent debout pour affirmer que Trump n’a moralement pas le droit de nommer un SCOTUS si près d’une élection qu’ils sont certains qu’il va perdre. Joe Biden a déclaré la même chose, que le prochain juge devait être décidé par le peuple – c’est à dire par le président qui sera élu par le peuple.

Cela peut avoir l’apparence d’une certaine réalité. Ca n’en est pas :

  • Vingt-neuf fois dans l’histoire américaine, il y a eu une vacance à la Cour suprême au cours d’une année d’élection présidentielle, ou juste avant la prochaine élection présidentielle.
  • Le président a nommé un SCOTUS dans les vingt-neuf cas.

Le Sénat aura-t-il une majorité pour élire un juge avant le 3 novembre ?

Les Démocrates ont besoin de la défection de 4 Républicains pour bloquer le vote. McConnel a 53 sénateurs, il en a besoin de 50 car le vice-président a 1 voix.

  • La sénatrice Lisa Murkowski (Alaska), qui a déjà voté contre le dernier candidat de Trump à la Cour suprême, Brett Kavanaugh, et qui a plus sa place dans le parti Démocrate, vient de déclarer qu’elle ne votera pas pour le candidat de Trump si près de l’élection.
  • La sénatrice Susan Collins (Maine) a exprimé des sentiments proches, mais d’une part, elle doit faire face à une élection difficile cet automne, et ses électeurs ne lui pardonneront pas un vote négatif et elle ne peut pas se permettre de froisser sa base d’électeurs Républicains, et d’autre part, elle s’est attiré les éloges de ses électeurs conservateurs pour avoir voté pour Kavanaugh.
  • Reste le jaloux frustré. Le sénateur Mitt Romney (Utah), qui a rompu avec son parti lors de la procédure d’impeachment parce qu’il n’a jamais digéré que Trump, qu’il considère comme inférieur à lui, ait été élu et pas lui. Romney n’a pas eu peur de se mettre en travers du chemin de Trump et des électeurs sur des sujets aussi cruciaux que l’impeachment. Il n’a pas encore dit ce qu’il ferait en cas de vacance de la Cour suprême, mais il est dans le collimateur des observateurs pour une défection potentielle.
  • Cory Gardner du Colorado, Martha McSally de l’Arizona, Thom Tillis de la Caroline du Nord et Joni Ernst de l’Iowa ont affaire à des élections tendues.
    Mais ils sont restés proches de Trump et ne voudront pas contrarier ses partisans. Martha McSally a d’ailleurs déjà pris position et déclaré qu’elle votera son soutien au candidat de Trump.

Conclusion

Chapeau bas à McConnel, qui ne recule pas devant un affrontement politique titanesque.

En déclarant que : “Le candidat du président Trump sera soumis au vote du Sénat des États-Unis”, quelques heures seulement après l’annonce de la mort de Ginsburg, Mitch McConnel qui a déjà été harcelé jusque devant chez lui par des groupes d’activistes, se prépare, à lui et sa famille, des journées et surtout des nuits très compliquées jusqu’au mois de novembre, vu les encouragements dont bénéficient les Antifa.

La campagne électorale vient de prendre une toute nouvelle trajectoire, avec ce nouvel enjeu. Des alliances nouvelles vont se créer, les hésitants vont faire bouger les lignes, et les sondages vont le montrer. Les RINO (Republicans in name only) vont devoir prendre position et ils risquent de s’exposer pour ce qu’ils sont. Les sénateurs Républicains dont l’élection a lieu en novembre vont devoir se positionner clairement pour le vote du candidat choisi par Trump s’ils veulent être réélus.

Conclusion de ma conclusion

Il ne fait aucun doute qu’une Cour suprême aux opinions diverses prend de meilleures décisions qu’une Cour unifiée, qu’elle soit de droite comme de gauche, et qu’une majorité conservatrice automatique ne rendrait pas le meilleur service à la qualité des décisions qui seront prises.

D’un autre côté, il est regrettable que les Démocrates se servent de la Cour suprême pour faire évoluer la Constitution dans la direction des progressistes de gauche – ce rôle est dévolu au législateur. Ils sont d’ailleurs assez hypocrites pour réclamer le respect de la Constitution quand ça les arrange – pour attaquer Trump par exemple – et demander qu’elle évolue quand ils veulent que les lignes bougent.

Pour cela, et parce que la tradition est une chose solide, validée par le temps, qui a amené l’Amérique à sa grandeur et sa noblesse, et le progressisme étant une suite de paris et d’hypothèses non vérifiés, je préfère une Cour suprême un peu moins diverse, un peu moins raffinée, et moins progressiste.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

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