Publié par Guy Millière le 20 septembre 2020

La mort de Ruth Bader Ginsburg était attendue. Chacun savait à Washington qu’elle était très malade. Elle avait survécu à trois autres cancers, mais elle était atteinte cette fois du cancer du pancréas et c’est un cancer dont, en général, on ne réchappe pas.

Le temps des hommages vient. C’était une femme brillante, courageuse, opiniâtre, et sur ces plans elle mérite tous les hommages. C’était aussi une femme de gauche, et ses positions en faveur du féminisme, de l’homosexualité, de l’avortement, de l’immigration en avaient fait une icône pour l’essentiel de la gauche américaine. Dès l’annonce de sa disparition, des membres de celle-ci se sont rendus sur les marches de la Cour Suprême pour poser des bougies, des fleurs, des messages, et cela va continuer.

Un combat se dessine et prend consistance dès à présent. La Cour Suprême est la clé de voute des institutions américaines (elle décide de la constitutionnalité des lois et des décisions présidentielles, et peut casser tout jugement rendu sur le sol américain, et ses décisions sont sans appel). Elle est partagée entre des juges de gauche, partisans de la “living Constitution”, Constitution vivante, théorie qui considère que la Constitution doit être adaptée aux temps modernes et au “progrès”, et qu’il est donc possible de s’en éloigner (ce qu’a fait Ruth Bader Ginsburg à de nombreuses reprises), et juges conservateurs, partisans de l’”originalisme”, position considérant que le texte de la Constitution doit être scrupuleusement respectée. Il y avait, avant la mort de Ruth Bader Ginsburg, quatre juges de gauche : outre Ruth Bader Ginsburg, Stephen Breyer, Elena Kagan, Sonia Sotomayor, et cinq juges originalistes, John Roberts, Clarence Thomas, Samuel Alito, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh. L’un des cinq, John Roberts, avait fait défection plusieurs fois et rejoint des positions de gauche. La mort de Ruth Bader Ginsburg affaiblit le camp de la gauche, et ce à moins de cinquante jours de l’élection présidentielle. Il y a désormais trois juges de gauche, et cinq juges originalistes, dont l’un est un maillon faible.

Les Démocrates vont tout faire pour que Ruth Bader Ginsburg ne soit pas remplacée avant l’élection, car son remplacement ferait passer le nombre d’originalistes à six, ce qui ferait que la Cour Suprême serait conservatrice pour deux ou trois décennies (les juges de la Cour Suprême sont nommés à vie). L’une des hypothèses sur laquelle ils comptaient après le 3 novembre était une contestation des résultats, et la possibilité d’en appeler à la Cour Suprême pour trancher. Ils pensaient en ce cas qu’en faisant pression sur John Roberts, ils pourraient obtenir qu’il vote avec la gauche, et permette à celle-ci de l’emporter et à Joe Biden d’être proclamé Président.  Ils peuvent encore à présent compter sur un scénario proche : si John Roberts vote avec la gauche, cela signifiera qu’il y a quatre voix de gauche et quatre voix conservatrice. Il en résulterait une crise constitutionnelle, qu’ils seraient prêts à assumer et accepter.

Les Républicains pensent que Trump va gagner, mais s’attendent à des litiges et à des fraudes venant des Démocrates, et pensent que les hypothèses sur lesquelles compte la gauche peuvent se produire. Ils ne veulent pas d’une crise constitutionnelle. Ils feront tout pour que Ruth Bader Ginsburg soit remplacée avant l’élection. En théorie, ils peuvent procéder au remplacement, et ils en ont constitutionnellement le droit. Le Président peut nommer un juge, le Sénat peut l’entendre au cours d’une audition, le Sénat peut voter. Le juge peut être nommé avant le 3 novembre. La majorité républicaine au Sénat comprend cinquante-trois sénateurs. Il faudra un vote de cinquante et un d’entre eux pour que la nomination soit effective. Il y a malheureusement deux ou trois sénateurs républicains aux positions erratiques (RINO : Republican In Name Only). Une sénatrice, Lisa Murkowski, a déjà dit refuser de voter pour la nomination d’un nouveau juge avant le 21 janvier 2021. Une autre, Susan Collins, penche vers la même position. Un sénateur aigri parce que Trump est Président et qu’il a, lui, perdu en 2012, Mitt Romney, a déjà montré dans le passé qu’il pouvait trahir son camp. D’autres, tels Cory Gardner, semblent craindre de ne pas être réélus. Le combat s’annonce donc difficile. C’est un combat qui va influer sur la campagne présidentielle. Si Trump parvient à nommer un juge, et il ne fait aucun doute qu’il veut nommer un juge aussi vite que possible, il assurera une majorité originaliste solide pour une vingtaine d’années, et cela le renforcera pour le 3 novembre en mobilisant pleinement les électeurs conservateurs. Cela fera aussi que toute manœuvre démocrate censée être tranchée par la Cour Suprême sera condamnée à échouer. Trump pourra ajouter que celui qui sera Président de 2020 à 2024 nommera sans doute au moins un juge supplémentaire : Stephen Breyer, juge de gauche, a 82 ans, et pourrait quitter la Cour au cours des quatre prochaines années, et son remplacement par un originaliste supplémentaire ferait passer la majorité conservatrice à sept, contre deux juges de gauche. Trump doit remplacer très vite Ruth Bader Ginsburg. Il le sait. 

Les Démocrates sont prêts à tout pour qu’un juge ne soit pas nommé. Des turbulences étaient à attendre. Elles vont être plus fortes encore. Ruth Bader Ginsburg voulait vivre jusqu’à ce qu’un Démocrate remplace Trump. Elle a échoué. Elle a dit, au titre de dernières volontés qu’elle ne voulait pas qu’un juge la remplace avant qu’un nouveau Président soit élu. Les Démocrates utilisent déjà l’argument. Ils disent aussi que les Républicains se sont opposés en 2016 au remplacement d’Antonin Scalia par Merrick Garland, désigné par Obama. Comme l’a dit Mitch McConnell, la situation était différente alors : le président était démocrate, la majorité au Sénat était républicaine, et les Républicains ne voulaient pas d’un juge nommé par un président auquel ils étaient opposés. Présentement, un Sénat républicain votera pour un juge nommé par un Président républicain. Les Démocrates disent que la Cour Suprême doit inclure des juges de gauche et des conservateurs pour être équilibrée : la Cour Suprême a été établie pour veiller sur la Constitution. La théorie de la living Constitution à mes yeux ne respecte pas la Constitution, et si ses partisans sont très minoritaires, cela me semble le meilleur moyen de veiller sur la Constitution.

Donald Trump a publié voici peu une liste de juges qu’il envisage de nommer. La favorite à mes yeux est Amy Coney Barrett. C’est une femme, et remplacer une femme par une femme ôterait un argument aux Démocrates. Trump a dit qu’il allait nommer une femme. Amy Coney Barrett est une conservatrice solide au passé impeccable. C’est une originaliste. Il sera difficile, le cas échéant, aux démocrates de l’accuser de viol. Mais ils peuvent trouver d’autres accusations tordues et monstrueuses, je sais.

Plusieurs Démocrates ont dit que s’ils gagnent l’élection présidentielle, ils veulent accroître le nombre de juges à la Cour Suprême, et donc modifier les institutions (ils envisagent aussi de passer à une élection au suffrage universel direct, qui fracturerait le pays). Ils fournissent un argument de plus à Trump. Les Américains attachés aux valeurs américaines et aux institutions voteront Trump. Et plus que jamais, voter Trump est voter pour les institutions et l’Amérique. Voter Biden est voter contre les institutions et contre l’Amérique.  

© Guy Millière pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

PS : J’ai lu dans un journal français une “spécialiste des Etats-Unis” oser dire que si Trump est réélu et si Trump nomme une remplaçante à Ruth Bader Ginsburg, les institutions américaines seraient “en danger”. C’est exactement le contraire de la réalité : si les Démocrates devaient l’emporter, les institutions américaines seraient en danger. Un ”spécialiste” français des Etats-Unis doit mentir et dire n’importe quoi pour être “spécialiste des Etats-Unis”. Il n’y a quasiment pas d’exception. Consternant.

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