Publié par H16 le 26 septembre 2020

Il y avait longtemps que l’État ne s’était pas mêlé d’immobilier. Heureusement, youpi, un nouveau projet de loi vient de voir le jour. Pas de doute : quand il s’agit d’inventer des mesures pour développer des rapports plus harmonieux entre les vilains propriétaires qui refusent de louer leurs logements et les gentils locataires ont du mal à se loger, l’État a de la ressource : la nôtre.

Selon le principe que si cela ne marche pas, c’est forcément qu’on n’a pas essayé assez fort, l’ambition de l’État reste donc de développer des rapports « équilibrés » et « conformes à l’intérêt général » du parc locatif privé : comme les lois précédentes ont déséquilibré les relations entre les locataires et les propriétaires, on va en introduire de nouvelles et ça va marcher. Forcément.

Sans surprise, l’État revient donc occuper le devant de la scène avec la loi du député Nogal, qui vient de pondre 37 propositions dans un dodu rapport. Cette loi proposée le 14 janvier dernier, qui devrait probablement être adoptée, tourne autour de trois mesures phares, dont notamment la mise sous séquestre du dépôt de garantie qui est versé par le locataire au propriétaire, au moment de la signature du bail.

Nous aurons l’occasion de revenir sur les deux autres propositions, mais cette mise sous séquestre promet déjà un fort taux de croustillance.

Un seul intermédiaire pour tous les gérer

Normalement, le dépôt de garantie doit être restitué au plus tard dans les 2 mois qui suivent le départ du locataire déduction faite des éventuels travaux de remise en état. Or, le député Nogal note :

« 65% des actions en justice engagées par les locataires portent sur la non-restitution du dépôt de garantie. Par crainte de se voir privés de cette somme à la sortie de la location, les locataires font le choix de plus en plus fréquent de ne pas payer le dernier mois de loyer, privant dans les faits les propriétaires de toute garantie. »

65% ? Diable ! Les chiffres du ministère de la justice évoquent ici 7018 affaires dans un rapport de 2017… En face des 35 millions de logements loués en France, ces 7000 affaires justifient-elles une nouvelle loi et toutes les ressources financières et intellectuelles qui y seront consacrées ?

Le député motive cependant sa production législative en arguant du bénéfice de cette loi tant pour les locataires que pour les propriétaires, celle-ci réduisant considérablement la méfiance entre les deux parties dès lors qu’on applique une méthode qu’on retrouve chez nos voisins anglais ou belges : le dépôt de garantie sera séquestré chez un professionnel agréé jusqu’à la fin de la location, et sera reversé au locataire ou au bailleur, selon le cas, après accord ou décision de justice.

En somme, pour éviter un contentieux en cas de désaccord, la nouvelle loi prévoit de trancher les désaccords par contentieux. Malin.

Malgré tout, notons qu’une récente étude de SeLoger (décembre 2019), 60 % des locataires seraient favorables à cette consignation. Le rapport répondrait donc parfaitement à leur attente.

Manque de pot, c’est plus compliqué pour les propriétaires : selon une enquête menée fin 2019 auprès des bailleurs, 95% y seraient opposés comme le rappelle l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) qui refuse donc cette séquestration des dépôts de garantie plutôt considérée comme une confiscation.

En outre, le rapport comporte un autre écueil : définir un organisme tiers n’est pas simple.

Ainsi, la Caisse des Dépôts et Consignation (à laquelle le député pensait) a indiqué ne pas pouvoir recevoir ces fonds. Quant à l’ANIL, qui avait postulé, elle n’a pas été retenue.

Finalement, le député a revu sa copie et considéré que les administrateurs de biens, qui remplissent déjà ce rôle de manière traditionnelle, pourraient convenir : ils ont déjà les assurances financières et la responsabilité civile pour cela et sont régulièrement contrôlés par leurs caisses de garantie. Pourquoi dans ce cas déléguer cette mission à un autre organisme ? Cela n’a pas de sens et notre sémillant député a fini par le réaliser : ce que les professionnels font déjà parfaitement dans un cadre légal, ils peuvent continuer à le faire finalement puisque, malgré ses efforts, il n’a pas trouvé de solution pour le leur retirer.

De façon intéressante, on note au passage que 39% des locataires interrogés par l’étude de Seloger attendent aussi une défense juridique des professionnels de l’immobilier en cas de litige, montrant ainsi qu’ils n’ont pas compris que leurs dépôts de garantie seront en réalité consignés chez les représentants des propriétaires.

Malgré tout, pour Jean-Marc Torrollion, le président de la Fédération nationale de l’immobilier, « la séquestration des dépôts de garantie par les professionnels, pour les biens en gestion intermédiée ou de particulier à particulier, est un gage de sérieux et de garantie pour les propriétaires bailleurs ».

Cependant, pour Corinne Jolly, présidente du site de vente de Particulier à Particulier, il est nécessaire de s’opposer à ce projet de loi, puisque selon elle, deux tiers des Français ont choisi de louer de particulier à particulier, et ils ne veulent pas qu’on leur impose de passer par un intermédiaire qu’il faudra certainement rémunérer pour le service d’une manière ou d’une autre.

On le voit : ce n’est simple ni chez les particuliers, ni chez les professionnels.

Plusieurs questions se posent

Ainsi, qu’en est-il d’un éventuel conflit d’intérêt du professionnel, devenu arbitre par la force des choses (puisqu’il consigne les fonds et les restitue à la fin du bail si accord), et qui est en même temps mandataire du propriétaire et rémunéré par lui.. Comment s’assurer alors de sa neutralité ?

Avec ce nouveau rôle, les professionnels devront jouer un rôle de conseil, d’accompagnement et de conciliation dans les conflits entre propriétaires et locataires et parfois pour des mandats qu’ils ne gèrent pas forcément : ceci suppose du temps, d’engager leur responsabilité, le tout a priori sans rémunération puisque ce service est censé être gratuit…

Et à mesure que les fonds séquestrés seront plus importants, qui paiera la hausse des prix des garanties financières du professionnel ? Selon toute vraisemblance, il est probable qu’il devra – comme le font avocats et huissiers – se rémunérer sur les intérêts produits par les sommes séquestrées. Comment garantir alors des délais de restitutions aussi courts que possibles alors que l’intérêt bien compris consiste dans ce cas à allonger ces délais ?

En outre, lorsque le bail est signé entre particuliers, le locataire devra choisir le professionnel pour son séquestre de garantie. Ces administrateurs de biens devront-ils donc proposer cette prestation sans frais à des personnes extérieures à leur clientèle ? Que se passera-t-il si un locataire ne trouve pas d’administrateur pour recevoir les fonds ? L’État les forcera-t-il d’une manière ou d’une autre à les recevoir ?

Le député Nogal aurait pu mieux examiner les bonnes pratiques de nos voisins et s’inspirer un peu plus de celles de nos amis belges, par exemple : chez eux, les locataires séquestrent le dépôt de garantie auprès de leur propre banque qui le répartit à la fin du bail, sur présentation d’un papier co-signé par les deux parties. Le locataire garde les intérêts s’il y en a. La solution aurait été simple et rapide à mettre en place, les banques proposant déjà des garanties pour les loyers impayés. Mais en Socialie Triomphante, rien ne peut être simple.

En outre, quel aurait été l’intérêt de l’État dans de la simplicité ? On comprend en effet que l’accumulation de ces sommes séquestrées dans les « solutions » de notre député permettrait à l’État de mettre la main (au moins temporairement) sur des sommes potentiellement importantes, sans avoir à les collecter, et d’en imposer les intérêts, de façon totalement « transparente » pour les particuliers.

Et en cette période de disette économique, un tel gâteau est très tentant.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © H16. Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur (son site)

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