
Moïse
*, Al-Kahira, 1818-1882 de Bat Ye’or est une grande fresque qui décrit la vie de Zuwella, le quartier juif du Caire au XIXe siècle. Une avalanche d’images, de couleurs, de vies, de destins qui, par sa façon rappelle les tableaux de Bombay dans Le dernier soupir du Maure
* (Salman Rushdie).
Dès la première page, on est projeté au cœur des deux thèmes principaux du livre : l’espoir et l’oppression. L’espoir dans le renouveau du royaume de Jérusalem permet aux Juifs de supporter la terrible oppression imposée par les maîtres musulmans.
Ce jour-là, les Juifs de Zuwella se massent dans la synagogue pour écouter un messager qui parle de l’oppression subie par les Juifs de Jérusalem. Cette oppression ressemble à celle dont eux-mêmes souffrent, mais s’ils accordent tant d’attention à Jérusalem, c’est que cette ville est le cœur de leur espoir.
« Cette année, le prix que nous devons payer à l’oppresseur pour racheter notre droit de vivre sur notre terre a été augmenté. Nous avons payé au début de cette année, mais trois mois plus tard nos oppresseurs nous ont réclamé la jizya [1] de l’année prochaine. Ce fut une grande calamité, les indigents, les veuves, les infirmes et même les notables, qui ne pouvaient payer furent emprisonnés… On vendit jusqu’aux bancs et aux meubles des synagogues. On célébra le culte dans l’obscurité, on ne pouvait même pas acheter l’huile des lampes. »
À Jérusalem, il faut aussi payer au gouverneur une taxe pour aller prier au mur du Temple, mais cela n’empêche pas les nouveaux venus du Maghreb, qui s’installent dans des baraques à proximité, de recevoir les Juifs à coups de pierres et d’insultes et de les rançonner à leur tour.
L’envoyé de Jérusalem raconte encore qu’en Judée, un janissaire [2] a enlevé la fille du rabbin de Safed et l’a enfermée dans son harem. Il l’a obligée à se convertir. Elle s’est jetée du haut de la terrasse. Le janissaire a abandonné son corps aux chiens. « Que le Seigneur ait pitié des enfants de Sion ».
Les Juifs supportent l’oppression, la misère, la souffrance quotidienne en se réfugiant dans l’espoir, un espoir plus fort que la triste réalité, un espoir qui leur rend leur dignité : leur espoir messianique dans un monde meilleur, dans le renouveau de la Jérusalem juive et du royaume juif.
Chateaubriand, qui avait visité Jérusalem en 1806, avait été frappé par ces deux dimensions : la persécution et l’humiliation endurées par les Juifs d’une part et, d’autre part, l’espoir que représente pour eux la Ville, un espoir qui les fait vivre et les aide à supporter leur sort. Il écrivit :
« il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays ; il faut les voir, attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. »
Cette entrée dans le livre est emblématique de la détresse des Juifs du Caire et de tous les pays islamisés. Juste après cette soirée de mobilisation pour Jérusalem (comme on dirait aujourd’hui), dans une misérable ruelle de Zuwella nommée Sa’ar, naît Moïse. Il sera notre guide dans le roman, au travers de cette époque mouvementée de l’affaiblissement de l’empire ottoman après quatre siècles de domination.
Moïse verra de grands changements dans sa vie, qui le conduiront de la misère et du dénuement à la richesse, à une presque liberté et à la mort. Sous le régime ottoman, les dhimmis (chrétiens et juifs, êtres de seconde zone) sont nommés des « raïas ».
Partout dans le monde islamique, les Juifs sont opprimés. À plusieurs reprises dans le roman, on voir arriver au Caire des Juifs réfugiés de pays où la répression est encore plus dure, du Yémen, du Maghreb, du Soudan, de Perse.
Le sort des raïas juifs du Caire n’a pas pourtant grand-chose à envier à celui des Juifs de Jérusalem. S’ils sont aussi émus du sort des Juifs de la Ville, c’est qu’ils guettent, ils attendent, ils espèrent le rétablissement de la royauté des Juifs dans Jérusalem. Leur foi est l’un des aspects les plus touchants de ces communautés, nourries des Écritures saintes. Ils supportent l’oppression parce qu’ils ont accès à une autre réalité, où ils se soumettent totalement aux projets divins, quels qu’ils soient. Dans ce monde, dit le sage Eleazar, « tout a son utilité, même le méchant ».
Deux enfants juifs orphelins du Yémen illustrent un aspect peu connu de la dhimmitude : l’esclavage. Les dhimmis (ou raïas) sont réduits en esclavage selon la conjoncture politique, au gré du bon vouloir du pacha, même s’ils ont payé l’impôt du droit de survivre.
Les Musulmans sont peu présents dans Zuwella, mais ils inspirent une terreur qui rôde et suffit à maintenir les raïas à leur place. C’est par exemple la rumeur des atrocités commises par les Ottomans en Macédoine, aux cris de « c’est le djihad, exterminez la race grecque ». C’est aussi le spectacle de ce vieux Juif, Joseph, victime d’un faux témoignage, qui refuse de se convertir et est sur le champ supplicié à mort à la vue de tous.
Au XIXe siècle, la condition des raïas s’améliore, grâce au soutien des puissances européennes. Lorsqu’en 1852, le Sultan décide que les Musulmans et les raïas auront les mêmes droits, le père de Moïse refuse cependant d’y croire :
« ne plus être raïa ? droit ? justice ? Qu’est-ce que ce charabia ? des paroles qui viennent d’Europe, du vent ici. Rachète au pacha ton droit de vivre et de travailler et dis merci d’être toléré. »
Effectivement, l’égalité peine à s’installer. Des derviches au regard enflammé haranguent les foules. Pour eux, le Sultan de Constantinople est un mécréant, les chefs musulmans oublient le Coran, se lient avec des égarés et suivent leurs voies. Le pouvoir de Constantinople se délite, face aux puissances européennes.
L’une des forces de ce livre, qui le rend très émouvant, c’est qu’il nous entraîne dans la vie quotidienne des raïas, dans leurs espoirs et leurs craintes. Avec des personnages forts, dignes et terriblement humains, il nous montre comment ce régime tient, mais aussi la force des raïas qui leur permet de résister en silence, par l’espoir et par leur foi. Il était grand temps qu’un romancier leur rende cette justice.
Et qui mieux que Bat Ye’or, qui a consacré son existence à mettre en évidence des témoignages, à faire connaître la dhimmitude, pouvait nous amener dans cet univers romanesque.
Alexandre Feigenbaum
Moïse, Al-Kahira, 1818-1882* - Roman 270 pages, 23 €. Les provinciales
- [1] Impôt individuel acquitté par les non-musulmans pour avoir le droit de vivre.
- [2] Soldat d’élite de l’infanterie turque appartenant à la garde immédiate du sultan.
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Merci Bat Yeor. Fille du Nil et mémoire de la réalité de l’antisémitisme viscéral musulman.
On a longtemps voulu nous faire croire à un age d’or des dhimmis sous domination arabe. Selon certains, l’idée vient de la Haskala, le mouvement européen dit des Lumières juives au XIXè, qui cherchait à stigmatiser l’antijudaïsme chrétien et se servait du doux sort, purement imaginaire, des Juifs en terre d’Islam.
Age d’or dénoncé par Maïmonide, un géant incontesté du judaïsme du Moyen-Âge à aujourd’hui. Ce penseur central, et toujours d’actualité, dans l’histoire juive a vécu dans la seconde moitié du 12è siècle. Né à Cordou en Espagne, dès l’adolescence, il a parcouru l’Espagne fuyant avec sa famille l’intolérance meurtrière des musulmans. Finalement ils se réfugient en Afrique du Nord qui n’était pas moins violence et intolérante. Après avoir essayé la terre d’Israël ( Saint Jean d’Accre) dominée par les Croisés chrétiens sanguinaires il s’établit à Fostat, ancien nom du Caire. Il était devenu un rabbin, une lumière incontestée (gadol hador – grand de sa génération) et fut consulté par les Juifs à travers le monde.
Bien sûr il connaissait le sort des Juifs mieux que personne et les exactions chrétiennes à travers l’Europe dès la Première croisade (1096 – 1099).
Consulté par les Juifs du Yémen victimes de la violence des autorités locales voici ce qu’il leur répond :
» Sache mon frère que c’est à cause de nos péchés que Dieu nous a dispersé au milieu de ce peuple, la nation d’Ismael, qui nous persécute gravement et invente des façons de nous faire du mal et de nous humilier.
Aucune nation ne l’a égalé pour nous abaisser et nous humilier. »
Epître au Yémen.
Bernard Lewis, professeur émérite à Princeton, déclare que les prétentions à la tolérance dans le monde musulman sont très récentes … l’égalité est contradictoire avec la vision théologique du monde (chez les musulmans). »
Selon Mark Cohen, spécialiste américain d’études proche-orientales » il y a un mythe d’une utopie interreligieuse développé par l’historien juif-allemand Henrich Graetz en critique du traitement subi par les Juifs d’europe chrétienne ».
Chateaubriand 1811 à propos du peuple juif sur sa terre :
» Il se laisse accabler de coups sans soupirer; on lui demande sa tête : il la présente au cimeterre.
Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir, son compagnon ira, pendant la nuit, l’enterrer furtivement dans la vallée de Josaphate, à l’ombre du Temple de Salomon.
Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une affreuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui, à leur tour, le feront lire à leurs enfants. Ce qu’il faisait il y a 5000 ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté 17 fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut le décourager ; rien ne peut l’empêcher de tourner ses regards vers Sion.
Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris sans doute ; il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays ; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. »
Pendant tout ce temps d’attente, Mark Twain fait un constat en 1867 sur la réalité de l’attachement et de la présence des Arabes en terre de Palestine :
» Un pays désolé dont la terre serait peut-être assez riche si elle n’était pas abandonnée totalement aux mauvaises herbes … A peine y-a-t-il un arbre ou un arbuste ça et là. »
Merci !
» il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays » selon Chateaubriand dont l’affirmation est un heureux reflet de la position prise dans le Coran lui-même sur le sujet.
Sourate 5 : Ô mon peuple ! Rappelez-vous des bienfaits d’Allah sur vous, quand il a désigné parmi vous des prophètes. Il a fait de vous des rois. Et il vous a donné ce qu’il a donné à nul autre au monde.
Ô mon peuple ! Entrez dans la terre sainte qu’Allah vous a prescrite. Et ne revenez pas sur vos pas (en refusant de combattre) car vous retourneriez perdants ».
Sourate 17, le voyage nocturne : Et après lui, Nous dîmes aux enfants d’Israël : « Habitez la terre. Puis lorsque viendra la promesse de la (vie) dernière, Nous vous ferons venir en foule ».
Pour tout musulmans ne pas reconnaître aux Juifs la propriété de la terre d’Israël c’est commettre une aberration théologique et un blasphème vis à vis du Coran lui-même.
Sauf que le coran exalte l’entrée des juifs en terre promise, pour mieux les en exclure dans une seconde étape, pour cause de châtiment par Allah. Le but étant de démontrer la supériorité des lois d’Allah qui décide de tout et son contraire, et le fait qu’il attribue aux musulmans la terre entière. La révélation coranique se veut la rectification finale de tout ce qui avait été initié auparavant. Dans cette logique hégémonique, l’islam ne peut considérer comme blasphème la captation de la terre d’Israël, ni les occupations de territoires mécréants..
On ressent combien cela doit être émouvant de lire ce livre….
Il reste une synagogue au Caire, nous sommes passés devant, avec un chrétien égyptien, qui nous avait donné pour consigne de ne surtout pas s’y intéresser et prendre des photos…
Un grand merci à Dreuz et à Alexandre Feigenbaum pour nous annoncer la publication d’un nouveau livre de Bat Yeor. Pour moi, quand cette grande dame publie un nouvel ouvrage, c’est toujours un évènement.
… Je viens de commander » Moïse Al-Kahira 1818-1882 » chez Les Provinciales…
Merci aussi à Philippe Goldmann pour ses commentaires érudits et bien intéressants.
j’ai aussi commandé ce livre mais en cliquant sur le lien on arrive chez Amazon