Publié par Abbé Alain René Arbez le 17 octobre 2020

Depuis environ deux siècles, des spécialistes des Saintes Ecritures ont travaillé sur les accès possibles au profil du Jésus historique par-delà la lettre des textes qui est une interprétation de foi. Les méthodes plus récentes offrent des moyens d’investigation qui, malgré l’excellente connaissance du milieu où furent élaborées les confessions de foi au 1er siècle, n’épuisent pas le mystère de la personne du Christ.

Traditions orales

Il faut déjà être conscient que ce qui a été premier dans la transmission (tradition) ne fut pas l’écrit mais l’oral. En milieu hébraïque la tradition orale précède l’écrit et elle a valeur en soi. A l’époque de Jésus, les courants majoritaires du judaïsme valorisaient la Torah she be alpe (sur la bouche) autant que la Torah she bi-ktav (dans l’écrit). Les rédacteurs du nouveau testament à partir des matériaux de l’ancien ont procédé de la même manière dans la logique du midrash en fonction des événements transmis oralement autour des paroles et actions de Jésus parmi les siens. Les textes inspirés reconnus au 2ème siècle comme canoniques par l’Eglise catholique ne sont pas tombés du ciel, à la façon dont le prétendent les musulmans avec leur coran, mais leurs rédactions sont passées par des étapes successives, s’enrichissant de l’expérience spirituelle des communautés judéo-chrétiennes premières.

Marc, dont le récit est certainement le plus ancien, insiste sur le fait que Jésus – à la manière d’un rabbi – enseignait. En lisant les trois versions synoptiques, on remarque qu’elles rapportent de nombreuses paroles de Jésus, marquées d’une sagesse façonnée par l’héritage spirituel d’Israël. Mais la transmission a dû s’effectuer avec une relative liberté d’expression puisque le sermon sur la montagne révèle des différences chez Matthieu et chez Luc, ainsi les Béatitudes et le Notre Père ne sont pas identiques chez les deux évangélistes. Le Jésus johannique qui parle exprime davantage la conviction des communautés du 1er siècle que le propos exact de l’homme Jésus. D’où la question qui se pose de la fidélité des textes au Jésus historique.

Jésus de l’histoire et Jésus de la foi

Le cœur du message évangélique est l’annonce de la résurrection du Christ. L’événement s’est produit dans l’histoire mais ne se réduit pas à un fait historique. La première prédication chrétienne n’aurait aucun sens sans le choc d’un fait inscrit dans l’histoire, puisque des témoins en attestent. Il est donc logique que les générations suivantes fassent confiance à ces témoignages issus d’un événement fondateur interprété dans la foi à partir des traditions antérieures du peuple d’Israël.

Donner toute sa place au Christ de la foi n’empêche pas de chercher à retrouver le Jésus de l’histoire. Il est vrai que Jésus lui-même n’a rien écrit. Nous connaissons sa personnalité à travers des témoins ayant eux-mêmes reçu son message transmis de témoins antérieurs.

Sources romaines

Il existe des sources romaines officielles comme la lettre de Pline le Jeune (112) adressée à l’empereur Trajan où il précise sa méthode d’investigation du milieu chrétien dans le cadre des persécutions. Il précise que les adeptes de Christ « se réunissent habituellement à date fixe et chantent un hymne à Christ comme à un dieu. Ils s’engagent par serment à ne pas commettre de vol, de brigandage ni d’adultère… »

Il existe aussi le passage des Annales de Tacite (116) où il raconte comment Néron, après avoir incendié Rome, désigne les chrétiens à la vengeance du peuple. « Réprimée, cette détestable superstition perçait de nouveau non seulement en Judée où le mal avait pris naissance, mais encore à Rome où ce qu’il y a de plus honteux dans le monde afflue. On se saisit de ceux qui confessaient leur foi, pour qu’ils fussent déchirés par les dents des chiens, ou encore on les attachait à des croix pour qu’enduits de matière inflammable ils éclairent les ténèbres comme des torches »

Dans sa Vie des Douze Césars, (120) Suétone parle aussi des martyrs : « On livra au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse ». Dans sa Vie de Claude, il mentionne le Christ : « Comme les juifs se soulevaient continuellement à l’instigation d’un certain Chrestos, il les chassa de Rome ».

D’autres évocations romaines du nouveau mouvement se trouvent également chez des philosophes païens du 2ème siècle, tels Lucien de Samosate (170) qui se moque du sophiste crucifié, et pire encore dans la diatribe : Celse.

Les contemporains du christianisme naissant ne remettent visiblement pas en cause l’existence historique de Jésus.

Sources juives

Il existe encore des sources juives qui aux 1er et 2ème siècles apportent des éléments intéressants. Flavius Josèphe, prêtre originaire de Jérusalem devenu historien et assimilé à la civilisation romaine, livre des précisions dans ses Antiquités juives (93). Il rapporte la mort de Jacques « Ananus rassembla le Sanhédrin des juges et fit comparaître Jacques le frère de Jésus dit le Christ ainsi que quelques autres. Il les accusa d’avoir violé la loi et les livra à la lapidation ».

Un autre passage célèbre de cette œuvre de Flavius Josèphe transmis par Eusèbe fait l’objet de controverses, car il semble avoir été christianisé pour la circonstance. (« Il leur apparut le troisième jour… »). Au point qu’Origène écrit : « Tout en refusant de croire en Jésus comme Christ, Flavius Josèphe n’était pas loin de la vérité ! ». Ce texte de F. Josèphe est discuté, certains estimant qu’il peut être authentique, d’autres le rejettent comme modifié par un ajout tardif.

Le Talmud de Babylone (oral puis mis par écrit au 6ème siècle) dit ceci : « Un héraut marcha devant Jésus durant 40 jours disant : il sera lapidé car il a pratiqué la magie et égaré Israël. Que ceux qui connaissent le moyen de la défendre viennent et témoignent en sa faveur. On ne trouva personne qui témoignât pour lui et il fut pendu la veille de la Pâque ».

Évangile canoniques

Si l’Eglise a retenu 4 évangiles, c’est parce qu’elle rejetait les apocryphes. « Apocryphe » signifie « secret ». Certains auteurs dénommaient ainsi leur texte en pensant que leurs écrits étaient réservés à des initiés. Or les enseignements du Christ étaient clairement destinés par lui à tous les hommes sans aucune dimension ésotérique. Cela dit, les apocryphes nous rappellent que le dossier historique sur Jésus est plus élargi que les simples évangiles canoniques. Toutefois, leur caractère inspiré n’est pas reconnu, surtout avec les évangiles gnostiques dont Jérôme, traducteur de la Vulgate à partir de la Veritas Hebraïca,  dénonçait les « deliramenta apocryphorum ».

L’effort de recherche sur les évangiles s’est cristallisé dès le début du 20ème siècle. Schweizer, Bultmann, Jeremias, Dufour et beaucoup d’autres exégètes ont travaillé sur la formation des textes évangéliques dans le but de mettre en valeur le profil historique du Jésus de la foi.

L’école scandinave avec Gerhardsson a insisté sur le rôle de la tradition orale dans l’élaboration des évangiles. Il est intéressant de constater que cette tradition orale était très développée à l’époque de Jésus, et que lui-même ainsi que tout le courant pharisien – contrairement aux sadducéens – lui accordait une grande importance. C’est ce processus qui a permis de garder la mémoire des traditions anciennes et de les inclure dans la Mishnah, qu’ont ensuite développée plus tard les deux Talmuds. Les paroles et  actes de Jésus ont suivi le même cheminement dans les communautés primitives. L’interaction progressive entre les églises judéo-chrétiennes originelles et les églises hellénistiques a eu un impact dans la rédaction du 1er siècle. On retrouve dans les écrits évangéliques la fonction de prédication (Cf Pierre et Paul dans les Actes des apôtres), la fonction liturgique (récits de l’Eucharistie et du Notre Père), la fonction pastorale (enseignements des apôtres, dans les Actes, Epîtres de Paul). Le genre littéraire nouveau apparu dans les textes ne s’est développé qu’à partir des traditions orales qui l’ont précédé. Le message évangélique est bien le fruit d’une relecture croyante mais postpascale des événements.

La clé de lecture incontournable des quatre versions d’évangile est celle de la résurrection du Christ, colonne vertébrale de la révélation chrétienne.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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