Publié par Abbé Alain René Arbez le 4 janvier 2024

Initialement publié le 7 novembre 2020 @ 08:00

Dans une société occidentale malade de son relativisme, fractionnée en individualismes sans limites morales, avec d’une part un christianisme affaibli et dévitalisé, et d’autre part un judaïsme si discret, il n’est pas difficile pour l’islam de se prétendre le seul témoin de la transcendance, fût-ce au prix d’une violence verbale ou physique suscitée par son texte sacralisé.

Dans les pays séculairement façonnés par le christianisme, aux valeurs civilisationnelles incontestables, la désertion de leur foi par les chrétiens apparaît comme une aubaine pour l’islamisation, qui visiblement s’accélère, avec la complaisance des dirigeants politiques. Les tout derniers événements, en particulier ceux de Conflans-Saint-Honorine et de Nice ont provoqué à juste titre un traumatisme émotionnel dans les opinions publiques.

Lors des attentats de Charlie hebdo, un grand mouvement avait rassemblé au nom de la liberté d’expression des milliers de manifestants autour du slogan « Je suis Charlie ». Après les meurtres islamistes dans la basilique Notre Dame, on peut toujours rêver de voir les mêmes défiler aujourd’hui avec la revendication « Je suis catho »…

Des chrétiens commencent cependant à se poser les questions de fond, alors que la majorité d’entre eux est encore dans une approche très confuse de la coexistence entre islam et valeurs chrétiennes (même laïcisées). La déchristianisation et la perte des repères peut expliquer cette difficulté, et l’onde de choc qui suit les attentats n’est pas un ressort suffisant et durable pour se positionner clairement envers l’avenir.

D’où vient le sentimentalisme attentiste des chrétiens face à la menace islamique ? Le concile Vatican II, dans un réflexe de bienveillance altruiste avait encouragé une approche positive à l’égard des religions, afin de prendre en compte ce qui est bon chez les autres, et d’y retrouver les « semences du verbe » (Ad gentes). Cela part sans doute d’une bonne intention, mais est-ce aujourd’hui la posture adaptée à la situation d’insécurité et de confusion qui prédomine ?

Le dernier texte du pape François ajoute à l’ambiguïté. « Tutti fratelli » un beau titre pour une exhortation à humaniser le monde en proie aux luttes fratricides. Mais la référence papale aventureuse au grand imam d’Al Azhar est piégée dans la mesure où elle met sur le même plan théologique christianisme et islam. Ceci est contraire au concile lui-même, qui n’a jamais demandé un dialogue entre catholicisme et islam, mais plus simplement entre chrétiens et musulmans, (au niveau des personnes) lorsque cela est possible. Certes, les êtres humains sont frères en humanité, mais ils ne sont pas frères en convictions religieuses qui impliquent des anthropologies et des visions du monde différentes et même antagonistes. La persécution violente ancienne et actuelle des chrétiens en est un des aspects majeurs à ne jamais perdre de vue.

Les catholiques ont eu depuis un siècle une curieuse tentation idéaliste de retrouver les traits de leur foi dans la religion islamique. Inconsciemment, les particularités de l’islam ont ainsi été superficiellement christianisées, sans trop approfondir le contenu. L’influence d’orientalistes comme Massignon n’y est pas pour rien, et beaucoup s’imaginent qu’une mosquée est l’équivalent d’une église, et que le coran est une simple variante de la bible.

La montée du relativisme culturel depuis les années 70 a permis à l’islam de se faire une place dans le supermarché des idées, et à travers les « dialogues interreligieux » de se poser en interlocuteur en passant par la grande porte des religions officielles, comme le judaïsme et le christianisme. Des personnages publics comme Tariq Ramadan ont prétendu « moderniser l’islam », alors que le projet réel des Frères musulmans est d’islamiser la modernité.

Pourtant, la lecture comparative du coran et de la bible laisse assez vite apparaître l’incompatibilité fondamentale entre les doctrines. L’illusion fréquente consistant à penser que « nous avons le même Dieu » ne résiste pas à l’analyse des textes. Le musulman dit : « il n’y a de dieu qu’Allah » (« ashadu an lâ ilâha illa I-illâh »), pour affirmer l’unicité de Dieu. Or, on constate que la formule est négative («  = il n’y a pas… »), ce qui annonce la foi islamique comme religion du rejet de tout ce qui n’est pas conforme à sa vision spécifique. Cette négation-affirmation exclusiviste se dit chargée d’évacuer tout polythéisme. C’est avec cette perception catégorique que le coran dénonce la foi trinitaire des chrétiens, surnommés « associateurs » parce que Jésus est appelé Fils de Dieu. Les musulmans s’imaginent que les chrétiens adorent trois dieux (Dieu, Jésus et Marie). Pour les chrétiens, en revanche, Dieu est un Dieu unique, même s’il s’exprime en tant que Fils et en tant qu’Esprit Saint, hypostases consubstantielles.

Il y a donc entre musulmans et chrétiens un véritable contentieux. L’essentiel de la foi chrétienne est nié : Jésus n’est pas mort en croix, il n’est pas Fils de Dieu, il n’y a pas de rédemption, etc. Pour l’islam, Allah s’incarne dans un Livre, parole divine incréée. Le coran est-il Allah ? La réponse : « Lâ huwa lâ gayruhu !», c’est-à-dire : « il n’est ni lui, ni autre que lui ! » Pour les chrétiens, le Dieu unique s’exprime parfaitement à travers Jésus, un homme qui est son Fils, mais qui pour les musulmans est seulement un prophète de l’islam. Aucun des 99 noms d’Allah n’évoque qui est Dieu. Car les qualificatifs ne sont pas ontologiques, ils sont seulement descriptifs. Or le mot amour ne fait pas partie de la liste. Beaucoup de « savants » estiment ainsi qu’Allah ne peut pas « aimer », car selon eux, cela passe obligatoirement par le sexe. Dieu n’est donc pas « père » de ses enfants, et encore moins de son Fils Jésus, puisqu’il n’a pas eu d’épouse…L’idée d’un Dieu qui engendre à la vie n’est pas comprise.

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Al Ghazali (12ème s.) a écrit un célèbre traité sur l’amour, en tant que degré spirituel qui mène à l’union avec le divin. Mais pour le mystique musulman, cet amour n’est en aucun cas une définition de l’être même de Dieu. Dans sa « réfutation de la divinité de Jésus », Ghazali s’oppose fermement à la foi des chrétiens pour lesquels l’amour est l’essence même de Dieu. L’islam insiste sur la « miséricorde » d’Allah, mais qui est réservée uniquement à ceux qui l’adorent exclusivement et suivent ses préceptes, dans la soumission à sa toute-puissance et au destin qu’il a prévu pour chacun. « Allah pardonne à qui il veut et il châtie qui il veut » (5,18).

La miséricorde est mise en avant par la tradition coranique, mais elle ne se confond pas avec l’amour qui devrait logiquement en être la source. Pour l’islam, Allah est dieu pour lui-même, et pour le judéo-christianisme, Dieu est Dieu pour les êtres humains. C’est le sens même de l’alliance. De ce fait, la question qui surgit des divergences entre islam et christianisme, c’est : faut- il obéir, ou faut-il aimer ?

Etonnamment, la soumission à une transcendance autoritaire semble attirer un certain nombre de nos contemporains, angoissés par le vide existentiel et l’absence structurelle de voies d’humanité. Mais les philosophes modernes ont proposé des éthiques de dialogue et de responsabilité qui peuvent ouvrir des espaces spirituels malgré la pesanteur de l’individualisme régnant. Et la spiritualité biblique est riche d’alternatives au désenchantement de nos sociétés maladives.

Il y aura donc une grande différence entre la foi en un Dieu-amour et l’obéissance à une divinité contraignante sans visage, pour laquelle la raison doit s’effacer sous peine de châtiments (fermeture des portes de l’ijtihad). Pour St Augustin, seul l’amour permet d’obéir à des commandements avec sérénité. « Aime et fais ce que tu veux ! »

Plutôt que de se transformer en ONG, ou en supplétif politicien au gré des modes idélologiques, la mission de l’Eglise du Christ est aujourd’hui de témoigner de la transcendance à travers le visage d’un Dieu d’amour, par la mise en valeur de la tradition biblique, porteuse de lumières d’avenir face à l’emprise islamique et au matérialisme ambiant. Son rôle spirituel est aussi de dire aux chrétiens que si il est vrai que tout être humain a droit à de la considération, un système de pensée et d’action mondial tel que l’islam mérite urgemment une analyse approfondie qui ne se contente pas de bons sentiments.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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