Publié par Abbé Alain René Arbez le 17 janvier 2021

 Plan de la réflexion :                                 

Les divers usages de la prophétie dans un monde désorienté

La prophétie en relation avec l’ensemble des récits bibliques

La fonction de la prophétie biblique, message d’espérance

Qu’est-ce qu’un prophète ?

Le témoignage critique de l’évêque Jean Pierre Camus (17ème s.)

La prophétie bien interprétée conduit à la sagesse

Climat mondial actuel

Notre monde tourmenté traverse des étapes angoissantes à bien des égards. Les messages médiatiques se font l’écho à la fois des peurs et des espoirs d’une humanité fracturée par les injustices, les menaces terroristes, les tensions géopolitiques, les carences écologiques, les périls épidémiques, les famines, les persécutions, et tant d’autres phénomènes qui donnent à la planète une atmosphère de fin des temps. Dans ce climat, des esprits partagés se tournent vers les prophéties pour y déceler un programme de condamnation et de châtiment, et les complotistes y reconnaissent la description précise de réseaux diaboliques contemporains.

Si le calendrier maya prédisait la fin du monde pour 2012, certains publics se persuadent que les symptômes apocalyptiques sont bien présents, et ils font une lecture catastrophiste de l’actualité en se référant à des passages bibliques qui selon eux prennent valeur de prédiction en voie de réalisation.

Les mentalités new age recyclent toutes sortes de pratiques divinatoires d’un autre âge avec la prétention d’annoncer l’avenir grâce aux puissances de la nature, s’imaginant ainsi exorciser les affres du présent. Nostradamus reprend du service, et à partir de textes obscurs et ambigus, on nous décrit la proche fin de règne d’un pape ou le basculement de régions entières dans un déclin inexorable soumis aux illuminati du nouvel ordre mondial.

Que ce soit par l’utilisation abusive de passages bibliques ou par des techniques de divination multiples, on voit se dessiner la prétention d’annoncer un avenir sombre qui serait déjà écrit dans les cieux. Ce qui suppose une prédestination à la manière des tragédies mythologiques de la Grèce, ou encore selon un fatalisme issu de la fausse interprétation biblique d’un tyran céleste omniprésent. On n’est pas loin de l’astrologie pour laquelle des entités intersidérales lointaines conditionnent nos existences.

Présages et prophéties

Dans l’antiquité, les oracles jouaient un rôle central dans la vie des peuples. Mais nous verrons que les « oracles de Yahvé » proclamés par les prophètes n’ont rien à voir avec ceux des prêtres de Zeus ou d’Isis. Si nous prenons l’exemple de la mission prophétique de Jonas, nous constatons que le message est frontalement opposé au fatalisme grec. Quand Jonas avertit les païens de Ninive que le malheur va s’abattre sur eux s’ils ne changent pas de comportements, il annonce un avenir que ne pouvait assurer la logique propre à cette civilisation. Ayant été entendu par la population, il voit que sa prédiction catastrophique s’annule par la conversion collective à la vérité d’un Dieu qui offre le libre arbitre aux êtres humains. La prophétie biblique est donc un message d’avertissement et non de condamnation, et c’est par le principe de rédemption que triomphe l’espérance.

La prophétie est souvent comprise comme une révélation qui annonce un avenir déjà scellé. Le dictionnaire affirme que la prophétie est proclamée par une « personne qui prédit l’avenir ». Pourtant, dans la Bible et sous des formes différenciées, un prophète n’est ni un medium ni un voyant, c’est sans doute un visionnaire, au sens de quelqu’un qui parle au nom de Dieu pour le salut de l’humanité. Moïse en est une figure majeure, et le Nouveau Testament montre précisément que Jésus est un second Moïse (Hébreux 1,1) qui élargit et accomplit les bienfaits de la loi d’amour donnée au Mont Horeb.

Par rapport aux prophéties, les cercles littéralistes ont la fâcheuse habitude d’extraire un texte de l’époque et du milieu qui l’ont produit pour lui donner une valeur en soi, alors que tout passage biblique ne prend sens que par rapport à l’ensemble de la Révélation, puisque la Bible est une Unité de la Parole, Premier et Nouveau testaments. Le cri de la colère de Dieu doit être complété par la promesse de la miséricorde !

Des exégètes affirment que la Sainte Ecriture est, par elle-même, un « recueil de prophéties » en interaction, annonçant les temps nouveaux du olam haba. Ce qui apparaît comme malédictions ou bénédictions ne peut être extrapolé hors de son contexte et comporte une visée concernant l’ensemble du peuple de Dieu pour l’aboutissement salvifique de sa pérégrination terrestre.

Une étude sur les prophéties dans la Bible a détecté que seulement 2% des textes vétérotestamentaires évoquent le Messie, à peine 5% esquissent l’ère de la Nouvelle Alliance, et moins de 1% concernent des événements à prévoir dans un temps proche. Dans les étapes les plus difficiles traversées par Israël, on retrouve dans les Ecrits prophétiques une forte insistance sur le jugement dernier, mais on ne peut perdre de vue que la finalité de ces mises en garde a pour objectif final l’accès au Royaume de Dieu !

Un théologien d’excellence comme St Thomas d’Aquin définit la prophétie comme un acte de connaissance : « les prophètes perçoivent les réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. Le nom de « prophète » est composé de « pro », c’est-à-dire « loin », et de « phanos » qui signifie apparition, parce que les prophètes voient apparaître ce qui est éloigné pour la multitude » (Somme théologique IIa IIae, Qu 171, art.1)

Si la Pythie de Delphes émettait des oracles, il s’agissait de prédictions de l’avenir comme d’événements devant obligatoirement arriver, c’est l’économie du fatum. Les prophètes bibliques sont quant à eux des éveilleurs des consciences cherchant à ce que des changements de comportement modifient à temps le cours des choses. Nous sommes dans la logique du « Dieu de tendresse, lent à la colère et plein d’amour » chanté par les psaumes. S’il est question de châtiment dans certaines proclamations prophétiques, c’est pour rappeler que Dieu n’est pas indifférent au sort de ses enfants, et qu’il est le garant de la justice, sans pour autant dévaluer sa miséricorde. Ce sont surtout les hommes qui se châtient eux-mêmes en s’éloignant de la volonté de Dieu. Certaines prétentions humaines insensées apparaissent comme un tragique auto-goal…

Le prophète biblique

Pour délivrer son message, le prophète biblique ne recoure pas à l’art divinatoire, à la magie, à l’analyse du vol des oiseaux ou à l’examen des entrailles animales. L’homme de foi ne provoque pas la divinité pour obtenir une révélation. De ce fait, la prophétie biblique est une manifestation de l’Esprit et de la Parole de Dieu. A l’origine de sa mission, le prophète se sent touché par une Parole qu’il doit impérativement transmettre à ses contemporains pour leur bien. Le cas de Jérémie est exemplaire : « Tu m’as séduit, ô Eternel, et je me suis laissé séduire ! Tu as manifesté la force de ta présence et tu l’as emporté. A longueur de journée, ta Parole ô Eternel m’attire outrages et des insultes. Et lorsque je me dis : je veux oublier sa Parole et je ne parlerai plus en son nom, il y a dans mon cœur comme un feu qui m’embrase enfermé dans mes os, je m’épuise à le contenir et je n’y parviens pas ! » (Jr 20,7)

L’humble témoignage d’Amos va dans le même sens : « Amos répondit à Amatsia : je ne suis ni prophète, ni fils de prophète, mais je suis berger. L’Eternel m’a pris derrière le troupeau et il m’a dit : va ! prophétise à mon peuple Israël ! » (Am 7,14)

Dans la Bible, la première prophétie s’exprime dans le Livre de la Genèse.  L’histoire d’Adam et Eve trompés par la ruse du serpent décrit poétiquement le drame de l’humanité. Ayant cru le mensonge satanique affirmant que Dieu est injuste et tyrannique, et que par eux-mêmes ils pourraient devenir des dieux, le couple du jardin d’Eden se condamne lui-même à subir l’ambivalence du bien et du mal. Ce conflit mortifère entre les ténèbres et la lumière sera présent dans tous les récits et renforcera l’attente du salut.

A travers une vie mouvementée au service de la Parole, le prophète Jérémie a alerté sur les dangers du pacte accordé par son peuple à des partenaires aux sombres projets. Il n’est pas écouté et la tragédie annoncée vient inexorablement frapper les habitants de la Judée. Mais c’est pourtant le message d’espérance qui l’emporte alors que tout semble perdu : Jérémie  affirme que la vie reprendra et qu’Israël trouvera la joie de vivre en paix. Malgré le réalisme de ses déductions et anticipations validées par les faits, Jérémie ne joue pas au prophète de malheur.

On comprend ainsi que les prophéties bibliques sont des signes et des appels à la prise de conscience. Leur but n’est pas de prédire l’avenir ou d’annoncer la catastrophe, mais d’avertir les hommes pour qu’ils changent d’attitude et reviennent à la vérité de Dieu. Même l’injonction du Deutéronome recèle une tonalité prophétique au sens de l’exercice du libre arbitre voulu par le Créateur : « Voici que je mets devant toi la vie et la mort, le bonheur ou le malheur…Choisis donc la vie pour que tu vives ! » En prenant au sérieux le message des prophètes et avecl’aide de l’Esprit, chacun a le pouvoir d’influer sur l’avenir qui se dessine. Il s’agit donc d’une manifestation de l’amour de Dieu qui désire le bien de son peuple.

Les systèmes politico-économiques ont tendance à être oppressifs. Dans ce cas de figure, l’oracle d’Ezekiel sur Babylone démystifie les prétentions d’une civilisation prométhéenne. Avec la tour de Babel, l’homme veut défier Dieu en perçant les cieux de ses réalisations, c’est cette attitude mégalomane du roi de Babylone qu’Isaïe décrit : « Je serai semblable au Très haut ». Comme les empereurs de Rome, le roi babylonien  s’autodivinise, ce qui est de mauvais augure pour les habitants comme pour les captifs. L’exemple de Tyr focalise l’attention sur ce genre de dérive maléfique. C’est alors que Dieu demande à Ezekiel : « Dis au prince de Tyr : ainsi parle le Seigneur l’Eternel. Ton cœur s’est haussé et tu as dit : je suis Dieu ! » (Ez 28,2) Tyr étant la plus puissante cité commerciale de l’époque, c’est une vraie plaque tournante pour toutes les régions du Proche Orient et même jusqu’aux côtes d’Angleterre et d’Afrique. Première mondialisation ! La cité se voyait « porte des nations » à la place de Jérusalem, mais aucunement dans le domaine spirituel…Pour Ezekiel, c’est Jérusalem la vraie porte des nations, afin que soit diffusée la lumière bienfaisante de la Torah. En 1Rois 8,43, nous voyons le roi Salomon qui demande à Dieu d’exaucer les étrangers venant prier dans le Temple « afin que tous les peuples de la terre connaissent le Dieu d’Israël ».

Les prophètes voient Jérusalem comme porte des nations et Zakarie en résume la pensée : « Ainsi des peuples nombreux et des nations puissantes viendront rechercher la présence du Seigneur des armées célestes à Jérusalem pour l’implorer » (Zak 8,22)

Au temps du nouveau testament

Ainsi toutes les prophéties de la Bible convergent vers un objectif que l’apôtre Paul résume en une phrase : « Par le Christ, Dieu a agi pour réconcilier tous les êtres humains avec lui sans tenir compte de leurs fautes. Nous vous en supplions : au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Cor. 5,19)

Le livre de l’Apocalypse est un récit prophétique majeur qui clôt le Nouveau Testament. Il transmet en langage codé et selon des figures fantasmatiques un message d’espérance à des croyants persécutés par l’Empire romain. Les sectes s’en sont souvent emparées pour décréter la fin des temps lisible selon elles dans les événements du monde présent. Certains membres de communautés chrétiennes veulent à tout prix y lire des annonces pour le 21ème siècle, quitte à faire du concordisme primaire en associant des expressions antiques à des personnages de notre temps. Certes, on peut déduire de l’apocalypse que les mêmes causes qu’hier produisent les mêmes effets aujourd’hui, mais il semble hasardeux d’aller au-delà et d’identifier des personnages politiques actuels. Le manichéisme moderne se plaît à fixer le camp du bien et le camp du mal, alors que l’évangile rappelle que le bon grain ne pousse pas sans être entouré d’ivraie.

L’Eglise primitive a eu affaire à des affabulations tendancieuses tirées des Ecritures et à des prophètes auto-proclamés qui semaient le trouble dans les communautés sous l’influence de courants gnostiques et ésotériques. Les rédacteurs des évangiles dénoncent les « faux prophètes » qui sévissent au 1er siècle. Eusèbe de Césarée (2ème et 3ème s.) met en garde contre ces dérives et il renvoie aux saintes Ecritures dans une interprétation intelligente du message. « Les fidèles d’Asie examinèrent les discours récents et démontrèrent qu’ils étaient profanes. Ils chassèrent ainsi de l’Eglise les sectateurs et les retranchèrent de la communion » (Histoire de l’Eglise Livre 5, ch. 16,7)

Un évêque du XVII° s.

Il s’agit de l’évêque de Belley, (Bugey) Mgr Jean Pierre Camus, un érudit du grand siècle, qui apprécie la réflexion philosophique afin de conforter la posture théologique. Dans plusieurs ouvrages successifs (« les diversitez », « les leçons exemplaires », « les rencontres funestes », de 1609 à 1632) l’écrivain analyse avec précision les risques d’une crédulité exagérée envers les prophéties. Il remet en cause les « songes prophétiques » invoqués de manière mystique par des personnes qu’il considère comme « gouvernées par la passion ». Il estime qu’on peut « être enflé de la prophétie, comme on l’est de la vanité »… « La créance en des superstitions est inexcusable pour un chrestien ». Pour Mgr Camus, il faut aborder les choses avec prudence, car le sage voit de loin venir les maux et il sait s’en préserver à la manière du paysan qui prévoit un orage et a la sagesse de se mettre à l’abri. Cela dit, il relativise la capacité humaine à détecter les drames à venir : « la prudence humaine est si courte qu’elle se trompe ordinairement en ses pensées… l’homme ne voit rien venir et il ne peut pénétrer le secret des cœurs ». Toutefois, la vraie sagesse consiste à s’en remettre à la Parole de Dieu, car « le monde est rempli de signes » dit-il, qui confirment les desseins de Dieu ! C’est parce que la Providence agit dans le monde et y laisse des signes que l’on peut anticiper l’avenir et faire des choix.

Sa conclusion spirituelle est que la Providence assure un ordre en ce monde d’ici-bas, selon des fins que seuls les croyants les plus humbles peuvent entrapercevoir. L’évêque considère l’importance de la liberté, car Dieu ne contraint pas l’homme à approuver ses desseins, même s’il lui offre son appui. Ce qui se dégage de cette intéressante réflexion de Mgr Camus, étonnamment moderne, c’est l’importance qu’il donne à la raison dans l’interprétation de foi des projections prophétiques.

Paul Beauchamp

Paul Beauchamp, un spécialiste du Premier Testament, rejoint cette référence à la sagesse, car pour lui, il y a « deux écritures de l’action de Dieu en ce monde : la prophétie et la sagesse ». La prophétie est langage de l’histoire, dans la mesure où elle essaie de comprendre ce qui rythme la trame du temps et en maintient le fil conducteur. L’exégète insiste pour dire que la prophétie n’est pas d’abord prédiction, comme beaucoup le pensent spontanément, elle est surtout interprétation. Elle aide le croyant à découvrir le sens des événements, l’enjeu spirituel de l’actualité. Les prophètes sont des intermédiaires de la révélation de Dieu dans l’histoire de son peuple, et les sages élargissent le propos dans une perspective universelle. La sagesse du Qohelet se veut réaliste : « il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel » (Qo 3,1). « Je vois l’occupation que Dieu a donnée aux fils d’Adam pour qu’ils s’y dévouent. Il fait toute chose belle en son temps. A leur cœur il donne même le sens de la durée, sans que l’homme puisse découvrir l’œuvre que Dieu fait depuis le commencement jusqu’à la fin » (Qo 3,10).

Le temps de Dieu est dans la durée (olam) tandis que le temps de l’homme est éphémère. L’homme peine à décrypter le lien entre événements et œuvre de Dieu. « J’ai vu toute l’œuvre de Dieu. L’homme ne peut découvrir l’œuvre qui se déroule sous le soleil. Malgré le fait que l’homme travaille à la rechercher, mais sans la découvrir. Même le sage qui affirme qu’il sait ne parvient pas à la découvrir »(Qo 3,8) Le problème pour Qohelet, c’est le non respect de l’alliance par le peuple. Heureusement, disent les prophètes, la toute-puissance de Dieu réside dans sa compassion, sa miséricorde envers les fautifs. Qohelet poursuit : « Seigneur, tu reprends progressivement les coupables et tu les avertis, leur rappelant en quoi ils pèchent. Afin qu’ils renoncent au mal et qu’ils t’accordent leur foi ». C’est ainsi que la prophétie dévoile l’action de Dieu au sein des événements de l’histoire.

C’est la sagesse qui pousse à la percevoir comme appel permanent à l’espérance dans ce qui fait la trame des situations quotidiennes.  Pour allier prophétie et sagesse, et ne pas se fourvoyer dans le caractère donné aux prophéties, on peut se référer au conseil de l’apôtre Paul :
« Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse en ce que je vous ai enseigné un commandement du Seigneur. S’il l’ignore, c’est qu’il est ignoré de Dieu ! » (1Cor 14,34)  Cela dit, même si la Révélation est close à la mort du dernier apôtre, rien n’empêche Dieu de parler au cœur d’hommes et de femmes de notre temps, pour rappeler des vérités utiles à tous. La critique de Paul ne viserait donc que ceux et celles dont le message reçu s’exonère des fondamentaux de la foi.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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