Publié par Daniel Pipes le 11 avril 2021

Après avoir sévi pendant un millénaire de façon quasi-ininterrompue [1], l’hostilité chrétienne envers l’islam et les musulmans a fini par faiblir. Dans le cadre de changements majeurs, l’impérialisme et la laïcité ont permis à l’Europe de surmonter les peurs séculaires de la conquête et de la fausse doctrine.

Au cours de ce processus, les chrétiens ont également remarqué que l’islam n’était pas la chose horrible qu’il semblait être autrefois. On a alors vu se développer, dans des proportions considérables, l’admiration, la sympathie et même des sentiments de culpabilité vis-à-vis des musulmans, chose presque inimaginable avant 1700. Pourtant, le vieil héritage demeure et est particulièrement ravivé par la montée de l’islamisme et de l’immigration à l’œuvre en Occident depuis un demi-siècle.

L’exposé qui suit examine différents types de changements et différents types de continuités. L’Europe est marquée par trois grands changements : la puissance armée, l’estompement de la religiosité et une gauche à la recherche d’alliés.

Les changements : l’impérialisme européen

À deux reprises, les Européens prémodernes ont répondu par des contre-attaques aux campagnes de conquête islamique lancées contre la chrétienté. L’Empire arabe a suscité les assauts byzantins, espagnols et croisés. L’expansion ottomane en Europe s’est heurtée à l’impérialisme européen moderne. Cela dit, une différence essentielle distingue la première phase de la seconde. En 1248, au moment où elles s’affrontèrent, les troupes françaises et égyptiennes étaient à peu près à égalité. Mais, les siècles de stagnation et de déclin qu’a connu le monde musulman et qui ont correspondu avec le développement du monde chrétien ont fait qu’après 1700, les armées européennes ont clairement et systématiquement pris l’offensive. En 1798, lorsque les troupes françaises et égyptiennes s’affrontèrent à nouveau, le rapport de force avait très nettement basculé en faveur des chrétiens [2].

C’est l’année 1699 que l’on retient généralement comme date de ce changement. C’est à cette date en effet que l’Empire ottoman signa avec la Sainte Ligue le Traité de Carlowitz, qui lui fut très désavantageux. Par la suite, les Européens furent en mesure d’affronter directement les musulmans. Après avoir représenté une menace pour l’Europe pendant plus d’un millénaire, ces derniers durent désormais se défendre face à des Européens recourant avec avidité à une supériorité militaire incontestable.

En 1699, l’Empire ottoman signa avec la Sainte Ligue le Traité de Carlowitz, qui lui fut très désavantageux. Après avoir menacé l’Europe pendant plus d’un millénaire, les musulmans durent désormais se défendre face à la supériorité militaire de l’Europe.

Cet écart conduisit, en l’espace d’un siècle et demi, à la conquête européenne de la quasi-totalité des territoires à majorité musulmane et l’assujettissement d’environ 95% des musulmans dans le monde. [3] Les conquêtes prirent leur essor en 1764, année de l’occupation du Bengale par la Compagnie britannique des Indes orientales, et se poursuivirent jusqu’en 1919, lorsque les chrétiens eurent établi leur pouvoir sur l’ensemble des territoires à majorité musulmane à l’exception de la Turquie, de l’Iran, de l’Afghanistan, de l’Arabie et du Yémen (d’autres régions à majorité musulmane tombèrent sous contrôle thaï et chinois). C’est une rivalité entre puissances européennes qui permit aux trois premiers de ces États de rester indépendants. Quant aux deux autres, ils ne présentaient pas suffisamment d’attrait pour attiser les ambitions impériales européennes.

Au total, ce sont douze États européens modernes et quatre autres États à majorité chrétienne qui réalisèrent la conquête de territoires d’outre-mer peuplés par des communautés musulmanes : Royaume-Uni, Portugal, Espagne, France, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède, Allemagne, Autriche, Italie, Grèce, Russie, Éthiopie, Philippines et États-Unis. Tous ces pays entrèrent dans une rivalité mutuelle acharnée, faite de guerres fréquentes impliquant l’absence de plan d’attaque ou de complot.

À l’inverse de l’ordre régnant à l’époque prémoderne, ce sont les Européens qui, désormais, encerclaient les musulmans, dissipant les angoisses chrétiennes traditionnelles à l’égard de l’islam tout en insufflant un esprit de suprématie qu’ils associaient souvent à la foi chrétienne. Les Européens furent exaltés par cette puissance nouvelle. Selon les mots de l’historien Henry Dodwell, « le sentiment croissant d’infériorité militaire portait avec lui une multitude de conséquences morales ». [4] Les musulmans ne représentaient plus une force prête à détruire la chrétienté mais apparaissaient désormais aux yeux de la plupart des chrétiens comme des peuples appauvris, brisés, arriérés et nécessitant la domination et la tutelle européennes.

Dans un traité de 1796 conclu avec les États barbaresques, les tout jeunes États-Unis d’Amérique déclarèrent qu’ils « n’avaient en soi aucune marque d’inimitié contre les lois, la religion ou la tranquillité des musulmans ».

On notera la rapidité du changement. En 1686, le diplomate britannique Paul Rycaut qualifiait les musulmans de « fléau du christianisme ». [5] En 1807, William Jones, fondateur de la linguistique moderne et professeur d’arabe à l’Université de Cambridge, parlait des Arabes comme « une nation qui a toujours eu ma préférence. » [6]

Cette détente quant à l’attitude eut également des conséquences sur la politique étrangère. Ainsi, dans un traité conclu en 1796 avec les États barbaresques, les tout jeunes États-Unis d’Amérique déclarèrent qu’ils « n’avaient en soi aucune marque d’inimitié contre les lois, la religion ou la tranquillité des musulmans » et appelèrent à « l’harmonie » entre les deux parties. [7] Des dissidents tels que Wilfrid Scawen Blunt en Égypte et au Soudan ou Edward Granville Browne en Iran sympathisèrent avec les musulmans colonisés qui combattaient les gouvernements européens.

Changements : détente sur le plan religieux

Le changement dans l’équilibre des pouvoirs se produisit en même temps que la baisse de la religiosité chrétienne, ouvrant la voie à des considérations plus variées et nuancées sur Mahomet, l’islam et les musulmans. La colère face à la prétendue tromperie de l’islam et l’indignation envers les pratiques sexuelles musulmanes s’estompèrent. La forme traditionnelle d’hostilité chrétienne perdit son emprise sur les intellectuels des Lumières qui voyaient simplement l’islam comme une chose pas plus mauvaise que le christianisme. En effet, l’opposition des Lumières au christianisme institutionnel donna même lieu à des discours élogieux en faveur de cet ennemi héréditaire.

Ironie du sort, la faible estime portée jusqu’alors à l’islam évolua au point que le prophète de l’islam devint le vecteur d’expression de sentiments d’opposition à l’Église. L’historien Thomas Carlyle qualifiait Mahomet de « héros » [8] tandis que le dramaturge George Bernard Shaw le surnommait « l’homme merveilleux … le Sauveur de l’humanité ». [9] Certains libres penseurs, y compris Voltaire et Napoléon Bonaparte, préféraient l’islam au christianisme. Cette nouvelle ouverture conduisit à d’autres réexamens : les orientalistes comme Edward Lane étudièrent l’islam et les musulmans dans un esprit consciemment détaché et objectif. Des mystiques comme Louis Massignon s’engagèrent dans une étude poussée de la foi islamique. Des mécontents comme St. John Philby se convertirent à l’islam, vecteur de protestation. Prises collectivement, leurs idées influencèrent les attitudes populaires envers les musulmans, marquées désormais par une opposition et une colère atténuées.

Les œuvres d’imagination traduisirent cette nouvelle sensation de force et de légèreté. Dans les années 1680-1690, un espion turc fictif doté d’une personnalité attrayante et d’un sens de l’humour aigu – ce à quoi les Européens ne s’attendaient pas jusqu’alors de la part d’un musulman – campa le rôle principal dans les huit volumes de L’espion turc et les pays musulmans obtinrent un traitement favorable. De la même manière, dans ses Lettres persanes publiées en 1721, Montesquieu eut recours aux échanges épistolaires fictifs en provenance de et vers l’Iran pour critiquer la société française, un procédé littéraire auparavant exotique. Le style néo-mauresque infusa le romantisme islamique dans l’architecture.

La turquerie, cette mode consistant à représenter des sujets européens en costume turc ou dans un environnement turc, fut également le signe d’un changement d’attitude qui débuta dans les années 1720 et dura quelques décennies. L’historien Peter Hughes écrit que si « la Turquie dans son ensemble suscita moins d’admiration philosophique que la Chine », elle présentait néanmoins un attrait particulier :

L’attrait qu’exerçaient manifestement les sujets turcs, avec leurs allusions aux sérails, aux sultanes, aux bains orientaux, entre autres choses, était de donner un caractère très légèrement voluptueux aux peintures dans lesquelles ils apparaissaient. … À cette date de l’histoire européenne, l’Empire ottoman n’était plus perçu comme inquiétant par la société raffinée mais clairement empreint d’un certain piquant tel que les relations entretenues par une jeune femme d’apparence parfaitement européenne, que l’on voit dans la maîtresse peinte par [Charles- André] Van Loo, en compagnie d’un Grand Turc. [10]

Charles-André Van Loo, Le Grand Turc donnant un concert à sa maîtresse, 1737.

Les attitudes fantasques s’étant substituées à l’inquiétude morbide, l’Orient musulman devint, pour la première fois, un objet de romance et d’intrigues légères. À la suite de Lord Byron, de jeunes aristocrates firent route vers l’Orient à la recherche d’un genre d’aventure nouveau et plus délicat. Richard Burton, qui visita clandestinement La Mecque et Médine, incarna l’explorateur à la mode. L’école orientaliste de peinture, dirigée par Eugène Delacroix, acquit une grande popularité en dépeignant le Moyen-Orient sous un jour exotique. La noblesse polonaise nourrit l’idée prestigieuse d’une supposée origine iranienne (« sarmate »). En 1870, les musulmans avaient été si bien apprivoisés qu’un groupe de francs-maçons fonda le fantaisiste Ancient Arabic Order of the Nobles of the Mystic Shrine (Antique Ordre arabe des Nobles du Sanctuaire mystique), assorti du port du fez dans le temple de la Mecque à New York. D’après la description qu’en faisait l’historien Jacob S. Dorman, les Shriners, comme on les appelait, « invitaient leurs auditoires à se libérer de leurs malheurs quotidiens d’occidentalisés et à profiter, insouciants, d’un spectacle orientaliste absurde ». [11]

Les Mille et Une Nuits devinrent une source de rêveries de premier plan en inspirant, entre autres, Nikolai Rimsky-Korsakov dans sa suite symphonique Scheherazade. Des romantiques allemands tels que Johann Wolfgang von Goethe (West-östlicher Divan) introduisirent dans leurs écrits des thèmes relatifs au Moyen-Orient. L’un d’eux, Friedrich Rückert (Oestliche Rosen), fut même un éminent professeur de langues orientales. Des auteurs anglais tels que Rider Haggard (She) et Rudyard Kipling (Kim) reflétèrent également ce changement d’attitude. Le romancier français prolifique Pierre Loti (Fantôme d’Orient) fit de la vie turque et arabe l’objet d’un engouement romantique.

Dans les années 1920, un orientalisme particulièrement intense se développa aux États-Unis, tant chez les Blancs que chez les Noirs. Le roman britannique et film américain The Sheik, avec Rudolph Valentino dans le rôle-titre, raconte l’histoire d’un Bédouin d’Afrique du Nord enlevant une Anglaise qui finit par succomber à son charme et trouve le bonheur dans son harem. Le film donna naissance à un nouveau genre, la « romance du désert » (avec des titres tels que When the Desert Calls et The Son of the Sheik) ainsi que des airs de musique populaires (The Sheik of Araby). Comme le note L. Carl Brown de Princeton, l’attrait de ces histoires résidait dans un « rejet volontaire de la réalité au profit de la pure imagination ». [12]

Les Noirs américains adoptèrent cette attitude positive dans une optique plus sérieuse, et considérant les Maures et les musulmans comme les vecteurs positifs permettant de fuir la discrimination raciale. À l’image de Noble Drew Ali puis WD Fard, Elijah Muhammad, Malcolm X et Louis Farrakhan, une série de personnages charismatiques développa des versions folkloriques de l’islam qui prirent diverses formes, y compris le Moorish Science Temple of America (« Temple de la science maure d’Amérique »), la Nation of Islam (« Nation de l’Islam ») et les Five Percenters (« Cinq pour cent »). Malgré les rares points communs partagés avec l’islam normatif de l’Arabie du septième siècle, ces nouvelles religions furent, pour des centaines de milliers de Noirs, le pont entre le christianisme et l’islam normatif.

Des éléments de cet esprit des Mille et Une Nuits survécurent longtemps après qu’un nouveau renvirement de pouvoir eut rendu cet esprit obsolète. Ainsi, dans un livre américain populaire The Arab World, publié en 1962, l’écrivain britannique Desmond Stewart pouvait encore affirmer qu’un visiteur occidental se rendant dans les pays arabophones entre « dans le royaume d’Aladdin et d’Ali Baba ». [13] Les joyeuses élucubrations ne meurent que lentement.

Les marxistes considèrent les musulmans comme le substitut de la classe ouvrière, comme les révolutionnaires qui renverseront l’ordre bourgeois établi. Un syndicaliste français a exhorté les musulmans à « s’unir à la classe ouvrière pour détruire le système capitaliste ».

Changements : la Gauche découvre l’islamisme

Ces opinions sympathiques acquirent une signification politique accrue dans les années 1970, au moment de l’essor de l’islamisme. À cette époque, le « certain piquant » relevé par Hughes s’appliquait désormais à la formation d’alliances avec les islamistes.

Ce phénomène prit forme avec le premier événement islamiste majeur à affecter les Occidentaux : la Révolution iranienne de 1978-79. [14] Le moment clé se produisit lorsque l’intellectuel français de gauche Michel Foucault se réjouit de ce dont il fut un témoin de première main en Iran et qualifia l’ayatollah Khomeiny de « saint ». Ramsey Clark, un ancien procureur général des États-Unis, rendit visite à Khomeiny pour lui apporter son soutien. [15] Des gauchistes latino-américains de premier plan tels que Fidel Castro, Hugo Chávez et le fils de Che Guevara, Camilo, se rendirent en pèlerinage à Téhéran. Le politicien britannique Jeremy Corbyn prit l’argent des mollahs et se présenta à la télévision iranienne. [16]

Les attentats du 11 Septembre inspirèrent des éloges similaires. Le compositeur allemand Karlheinz Stockhausen les qualifia de « plus grande œuvre d’art pour tout le cosmos » et le romancier américain Norman Mailer jugea ses auteurs comme « brillants ». Dans le même esprit, Noam Chomsky, le professeur du MIT, rendit visite au chef du Hezbollah et approuva le programme d’armement de l’organisation. Ken Livingstone, un trotskiste devenu maire de Londres, embrassa physiquement le penseur islamiste Yusuf al-Qaradawi. [17] En 2004, dans sa campagne pour la présidentielle américaine, Dennis Kucinich cita le Coran, exhorta le public d’une mosquée à chanter « Allahu Akbar » (« Dieu est grand ») et annonça fièrement : « Je garde une copie du Coran dans mon bureau. » [18]

Un certain nombre de gauchistes importants – Lauren Booth, H. Rap Brown, Keith Ellison, George Galloway, [19] Roger Garaudy, Yvonne Ridley, Ilich Ramírez Sánchez (« Carlos le Chacal ») et Jacques Vergès – franchirent l’étape suivante en se convertissant à l’Islam.

L’alliance islamo-gauchiste (ou vert-rouge) repose sur plusieurs éléments. Premièrement, les deux parties partagent un adversaire existentiel commun. Selon Galloway, « le mouvement progressiste à l’échelle mondiale et les musulmans ont les mêmes ennemis », par quoi il entend la civilisation occidentale et en particulier son propre pays, la Grande-Bretagne, les États-Unis et Israël ainsi que les juifs, les chrétiens croyants et les capitalistes. [20] Sánchez affirma que « seule une coalition de marxistes et d’islamistes peut détruire les États-Unis. » [21]

Deuxièmement, la gauche et les islamistes partagent des objectifs politiques spécifiques : en tant qu’anti-impérialisme (mais seulement dans le cas de l’Occident), une victoire irakienne sur les forces de la coalition, la fin de la guerre contre le terrorisme, la diffusion de l’anti-américanisme et l’élimination d’Israël. À l’inverse, ils s’accordent sur la nécessité d’une immigration de masse et du multiculturalisme en Occident. Ils travaillent de manière effective la main dans la main et accomplissent ensemble davantage que ce qu’ils peuvent faire séparément. Le premier exemple majeur de cette alliance eut lieu en Grande-Bretagne en 2001, lorsque des organisations comme le Parti communiste britannique et la Muslim Association of Britain formèrent la Coalition Stop the War (en référence à l’Afghanistan et à l’Irak).

Troisièmement, les deux parties entretiennent de bonnes relations mutuelles. Les islamistes ont accès à la légitimité, aux compétences et à la position de la gauche, tandis que les gauchistes gagnent de la chair à canon. Selon Douglas Davis du London’s Spectator, la coalition

est une aubaine pour les deux côtés. La gauche, une clique de communistes, de trotskistes, de maoïstes et de castristes sur le déclin, se cramponnait aux débris d’une cause à bout de souffle. Les islamistes pouvaient fournir des chiffres et de la passion mais ils avaient besoin d’un moyen pour investir le champ politique. Une alliance tactique est devenue un impératif opérationnel [22].

Davis cite un gauchiste britannique qui explique plus simplement : « Le fait de travailler ensemble nous offre des avantages pratiques qui suffisent à compenser nos différences ».

Quatrièmement, les marxistes considèrent les musulmans comme le substitut de la classe ouvrière, comme les révolutionnaires qui renverseront l’ordre bourgeois établi. Marx prédit que le prolétariat industriel jouerait ce rôle mais, au lieu de cela, la condition ouvrière s’étant constamment améliorée, le prolétariat ne put atteindre son potentiel révolutionnaire et la crise anticipée du capitalisme ne se produisit jamais. Les ouvriers furent alors remplacés par les islamistes qui réalisèrent les prédictions marxistes tout en travaillant à des fins entièrement différentes. Le radical français Jean Baudrillard fit des islamistes le portrait d’opprimés se rebellant contre leurs oppresseurs. [23] Olivier Besancenot, un syndicaliste français, considère les islamistes comme « les nouveaux esclaves » du capitalisme et trouve naturel qu’ils « s’unissent à la classe ouvrière pour détruire le système capitaliste ». [24]

Continuités : la colonisation

Les opinions favorables dominaient tant que les musulmans ne se montraient pas menaçants. Les opinions anciennes refirent surface alors que la confiance chrétienne s’estompait en raison de quatre changements : la difficulté de gouverner des peuples assujettis, l’éclatement des empires, la réaffirmation de l’indépendance des peuples musulmans et l’émigration à grande échelle vers l’Occident.

L’impérialisme et la laïcité de l’Europe ne parvinrent pas à éliminer tous les vestiges de l’hostilité médiévale envers les musulmans, d’autant plus que cette hostilité était réciproque. L’impérialisme moderne fit ressurgir les impulsions latentes des Croisades et de la Reconquista. Le souvenir des Croisades restait puissant. Les pertes anciennes, jamais digérées, contribuèrent à motiver la reconquête, par l’Europe occidentale, de nombre de ces terres autrefois chrétiennes. « Saladin, nous voilà » : voilà comment un général français conquérant annonça son arrivée à Damas en 1920 [25]. En 1972, un diplomate évoqua la rivalité entre musulmans et chrétiens dans la province malaisienne de Sabah : « Ce qui se passe à Sabah aujourd’hui n’est que le pâle reflet de ce qui s’est passé il y a 1 000 ans, à l’époque des croisades. » [26]

L’impérialisme des Européens multiplia les contacts souvent hostiles avec les musulmans, ranimant ainsi des animosités très anciennes et des tensions croissantes entre chrétiens et musulmans. De nombreux mouvements anticoloniaux, comme ceux d’Algérie et du Caucase, portaient clairement une marque islamique. L’assujettissement des musulmans par les Européens calma les craintes séculaires envers l’islam sans toutefois les éteindre car les musulmans en général résistèrent à la domination chrétienne avec une férocité particulière, comme les Français en firent l’expérience en Afrique de l’Ouest, les Allemands en Afrique de l’Est, les Russes dans le Caucase, les Britanniques en Afghanistan et les Néerlandais dans les Indes orientales. Quant aux Espagnols, aux Américains et aux Philippins, ils reçurent tous la leçon aux Philippines.

Une fois conquis, les musulmans se signalèrent par leur réticence à adopter les langues, la culture ou la religion des Européens, créant du ressentiment parmi les administrateurs et les missionnaires. Les dirigeants coloniaux durent concevoir de nouvelles méthodes pour gouverner leurs populations musulmanes, comme le système Lyautey au Maroc ou les États de la Trêve dans le golfe Persique. Pire encore, la plupart du temps, les musulmans contre-attaquaient et les noms de ces incidents rappellent des affrontements médiévaux : le Trou noir de Calcutta, la Révolte des Cipayes (Indian Mutiny), l’Insurrection bulgare (Bulgarian Horrors), le massacre d’Alexandrie, le dernier combat de Gordon, le Mollah fou (Mad Mullah) de Somalie et le grand incendie de Smyrne. Comme le disait très justement l’historien Norman Daniel : « l’Empire a accru la suspicion héréditaire de l’Islam » [27].

Continuités : la décolonisation et ses suites

Le déclin rapide de la puissance européenne au cours de sa longue guerre civile, de 1914 à 1945, révéla les limites dans l’évolution des attitudes chrétiennes. Si le monde musulman tomba presque complètement aux mains des Européens en l’espace d’un siècle et demi, l’indépendance par rapport à l’Europe se fit plus rapidement encore, principalement au cours des deux décennies allant de 1945 à 1965. Le recouvrement de l’indépendance musulmane suivie de l’efflorescence de l’islamisme montra que la peur séculaire à l’égard des musulmans était demeurée tapie dans l’ombre. Déjà en 1921, le raciste notoire mais érudit Lothrop Stoddard notait : « Le monde de l’Islam, mentalement et spirituellement en veille depuis près de mille ans, s’agite à nouveau et se remet en marche. » [28] Quelques années plus tard, le géographe américain Isaiah Bowman prédit que, parmi les problèmes affectant les empires britannique et français, « aucun n’est aussi vaste, aucun n’est aussi crucial que la question du contrôle sur des populations musulmanes nombreuses et sectaires pour ne pas dire fanatiques. » [29] En 1946, un rapport du renseignement américain établissait que « les États musulmans représentent une menace potentielle pour la paix mondiale ». [30]

Après l’indépendance, de nouvelles tensions attisèrent de plus belle les vieilles angoisses chrétiennes. Chrétiens et musulmans perpétuèrent leur longue tradition de conflit dans des lieux aussi divers que la Bosnie-Herzégovine, Chypre, le Liban, le Tchad, le Soudan, l’Ouganda, l’Érythrée, le Mozambique et les Philippines. Parmi les étapes majeures, il y eut la nationalisation du canal de Suez par Gamal Abdel Nasser, la guerre d’indépendance d’Algérie, l’embargo pétrolier décrété par les pays arabes en 1973, la révolution iranienne ainsi que les guerres en ex-Yougoslavie, au Koweït, en Afghanistan et en Irak.

En novembre 1979, l’occupation iranienne de l’ambassade des États-Unis à Téhéran dura 444 jours et constitua une véritable étude de cas en termes de passions ravivées. Bien plus qu’une crise diplomatique entre deux gouvernements, cet épisode entraîna un déchaînement de passions qu’il convient d’observer.

La crise des otages incita des milliers d’Iraniens à marcher dans les rues et à reprocher à l’Amérique tous les maux imaginables dont souffrait la société iranienne, allant « des assassinats et des troubles ethniques aux embouteillages [et] à la toxicomanie ». [31] Le dirigeant iranien, Ruhollah Khomeiny, qualifia de « grand Satan » une Amérique dont il vilipenda la culture et insulta le président. Les Américains répondirent en conséquence en expulsant des émigrés iraniens et en peignant le visage de Khomeiny sur des cibles de fléchettes. Après la Seconde Guerre mondiale, les Iraniens provoquèrent beaucoup plus d’animosité que n’importe quelle autre nationalité, loin derrière les Coréens et les Vietnamiens.

Les relations qu’avaient entretenues jusqu’alors l’Iran et les États-Unis ne pouvaient guère expliquer cette hostilité mutuelle, les deux États ayant toujours bénéficié de bonnes relations et ce, depuis l’époque des services financiers dispensés en toute confiance par W.Morgan Shuster en 1911 jusqu’au toast exubérant du Nouvel An porté en 1977 par Jimmy Carter à l’Iran : « île de stabilité dans l’une des régions les plus troublées du monde. » [32] Les deux gouvernements coopéraient dans de nombreux projets vitaux, notamment la production de pétrole et la prévention d’attaques soviétiques. Nombreux étaient les Iraniens à étudier avec succès aux États-Unis, et tout aussi nombreux étaient les techniciens américains travaillant en Iran. L’animosité mutuelle indiquait autre chose que de simples tensions politiques. Si donc la fureur suscitée en 1979-81 ne peut s’expliquer par l’histoire des relations irano-américaines, il faut en chercher la cause dans l’hostilité millénaire entre musulmans et chrétiens.

Continuités : un héritage négatif

En effet, Norman Daniel indique à quel point « le concept médiéval [de l’islam] est resté extrêmement résistant [et] fait aujourd’hui encore partie de l’héritage culturel de l’Occident. » [33] Certes, l’élément religieux a perdu de son importance mais les anciennes thématiques sont restées profondément ancrées. Pour de nombreux Occidentaux, la fausse croyance, la violence, la tromperie et le fanatisme continuent à caractériser les musulmans. Dans certains cas, les anciens tropes refont surface de manière inchangée comme l’argument selon lequel les musulmans du Moyen Âge étaient des parasites culturels qui n’inventaient rien et ne faisaient que voler l’héritage des peuples qu’ils avaient conquis ou l’affirmation selon laquelle la taqiya (dissimulation) permet aux musulmans de mentir à volonté.

Ainsi, les vieux préjugés demeurèrent intacts. Dans son tract sensationnel de 1876, Bulgarian Horrors and the Question of the East, un Premier ministre britannique, William Gladstone, décrivait les Turcs comme « le seul grand spécimen antihumain de l’humanité. Partout où ils allèrent, ils laissèrent derrière eux de larges traces de sang et partout où ils étendirent leur domination, la civilisation disparut. » [34] Dans sa Story of the Malakand Field Force (1898), Winston Churchill, autre futur Premier ministre, exprima ce que de nombreux Européens pensaient de l’islam :

la religion mahométane attise, plutôt que de l’affaiblir, la fureur de l’intolérance. À l’origine, elle se propagea par l’épée et depuis lors, ses fidèles sont, plus que les fidèles de toutes les autres croyances, soumis à cette sorte de folie. [35]

Dans d’autres cas, les attitudes prémodernes à l’égard de l’islam furent adaptées pour cadrer avec le contexte moderne. Plus personne ne prétend que l’Islam est une hérésie chrétienne. En revanche, la nouvelle accusation consiste à dire qu’Allah est en réalité le dieu-lune païen Hubal. [36] Les affirmations médiévales selon lesquelles l’islam n’est pas une religion légitime restent vivaces mais elles ont désormais pris un tour politique. Geert Wilders, le politicien néerlandais, soutient que « l’Islam n’est pas une religion. C’est une idéologie totalitaire, dangereuse et violente, déguisée en religion. » [37]

Le sexe reste un sujet de critique important, bien que changeant. Autrefois, Mahomet fut vilipendé pour ses nombreuses épouses. Pour rester dans l’air du temps, il est désormais stigmatisé comme pédophile. L’image qu’on se faisait en Europe médiévale de la femme musulmane, à savoir celle d’une mégère (une « femme querelleuse et dominatrice, une virago, un dragon ou une harpie »), se mua en odalisque moderne (« une vile esclave de harem ») et plus récemment en victime de mutilations génitales féminines, de mariage d’enfants, de polyandrie et de crimes d’honneur. Les fantasmes de femmes voilées aux yeux lascifs cédèrent la place à des visages féminins entièrement couverts de leur burqa. Un autre Premier ministre britannique, Boris Johnson, les a comparés à des boîtes à lettres et à des dévaliseurs de banque. [38] Les « vies secrètes des cheikhs du pétrole », autrefois pleines d’attrait, [39] se sont transformées en histoires d’horreur sur les femmes-esclaves domestiques et les filles kidnappées. [40]

Le sexe reste au centre de la critique envers les musulmans, concernant des sujets comme les mutilations génitales féminines, les mariages d’enfants, la polyandrie et les crimes d’honneur.

L’hostilité religieuse traditionnelle envers les musulmans diminua au XVIIIe siècle pour faire place à un antagonisme culturel. Comme l’observe l’historien Bernard Lewis, les musulmans devinrent moins effrayants mais restèrent déplaisants pour les chrétiens : « l’hostilité doctrinale fit place à une forme plus vague de désapprobation qui survint à l’occasion de contacts réels. » [41] Si les Européens ne craignaient plus les musulmans, leur dégoût séculaire se maintenait. Alors qu’en 1991 débutait la guerre menée par les États-Unis contre l’Irak, Raymond Sokolov, un écrivain du Wall Street Journal, assista à une représentation de L’enlèvement au sérail de Mozart. Aux personnages habillés en Turcs et parlant pseudo-turc, il lança :

Ni l’humour de Mozart ni les situations de base de Mozart n’ont de sens à moins que nous ne convenions, au moins pendant que nous sommes au théâtre, que les musulmans sont absurdes et malveillants. Jeudi dernier, il n’était pas du tout difficile de voir les choses à la manière de Mozart [42].

Wilfred Cantwell Smith doute « que les Occidentaux, même ceux qui ignorent tout à fait qu’ils sont impliqués dans de telles choses, aient jamais tout à fait surmonté les effets de cette lutte fondamentale interminable. » [43] En 1985, Gai Eaton, un converti à l’islam, soulignait que

Moins de trois cents ans nous séparent [du traité] de Carlowitz, trois cents années au cours desquelles les Européens purent, du moins jusqu’à très récemment, essayer d’oublier leur longue obsession de l’islam. Cela n’a pas été facilement oublié. [44]

Hichem Djaīt insiste sur la longévité des préjugés médiévaux contre l’islam qui « se sont insinués dans l’inconscient collectif de l’Occident à un niveau si profond qu’il faut se demander, avec effroi, s’ils pourront jamais en être extirpés » [45].

Continuités : l’immigration

Amorcée dans les années 1960, l’immigration d’un nombre important de musulmans en Europe fit passer sa population d’immigrés et de convertis d’une quantité négligeable à près de trente millions (Russie exceptée). Les populations les plus nombreuses venaient d’Afrique du Nord, de Turquie et d’Asie du Sud même si aujourd’hui, pratiquement toutes les populations musulmanes sont représentées.

Si l’immigration vers l’Occident implique généralement de nombreux problèmes pratiques – maladies inconnues, barrières linguistiques, manque de compétences professionnelles et chômage élevé – les nouveaux arrivants musulmans apportent souvent d’autres complications qui découlent de leurs comportements islamiques. Beaucoup de ces comportements concernent les femmes : niqabs et burqas, prédation sexuelle, gangs pédophiles et viols collectifs, taharrush (agression sexuelle en groupe), mariages entre cousins germains, mariages polygames, mutilations génitales féminines et crimes d’honneur. D’autres problèmes reflètent une intention hostile : zones partiellement interdites, förnedringsrån (vols destinés à humilier), détention d’esclaves, réponses violentes aux critiques des musulmans ou de l’islam, violence destinée à faire progresser la domination de l’islam et efforts en vue d’appliquer la loi islamique à tous.

Le Djihad suscita des comportements négatifs envers les musulmans. En 2015, deux Frères musulmans français entrèrent dans les bureaux du journal satirique Charlie Hebdo, assassinant 12 personnes et en blessant 11 autres. Ci-dessus, un rassemblement organisé le 11 janvier 2015 à Paris en soutien aux victimes. [Photo : Olivier Ortelpa]

Plus particulièrement, la violence intra-musulmane se diffusa en Occident, conduisant à des meurtres tels que celui du chef de l’Organisation de libération de la Palestine, Issam Sartawi, perpétré au Portugal en 1983, celui de l’ancien Premier ministre iranien Shapour Bakhtiar en 1991 et celui de dissidents turcs à Paris en 2013. Le djihad devint particulièrement important : citons entre autres, le meurtre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II en 1981, le décret contre Salman Rushdie de 1989, les attentats du 11 Septembre, l’attentat de Madrid en 2004, l’assassinat du cinéaste néerlandais Theo van Gogh en 2004, l’attentat de Londres de 2007 et le massacre de Charlie Hebdo en 2015. Sans surprise, ces incidents et d’autres accentuèrent de plus belle les appréhensions chrétiennes.

L’immigration illégale de musulmans suscita de nombreuses luttes politiques en Europe, en particulier dans les pays géographiquement les plus exposés comme l’Espagne, Malte, l’Italie et la Grèce. Les plus grands combats suivirent l’invitation surprise lancée par la chancelière allemande Angela Merkel et appelant tout un chacun à venir en Allemagne, ce qui entraîna pour Europe l’arrivée d’environ 1,5 million de musulmans en dehors de tout contrôle et des répercussions sur plusieurs années.

À mesure que l’immigration musulmane augmente, les sentiments à l’égard de l’islam et des musulmans deviennent, sondage après sondage, de plus en plus négatifs. Par exemple, déjà en 1986 et 1988, des enquêtes sur l’opinion des Français montraient systématiquement qu’aussi bien les hommes que les femmes étaient moins susceptibles d’avoir des relations sexuelles avec un Arabe qu’avec n’importe laquelle des autres catégories citées (Africains, Asiatiques, Antillais). [46] En 2013, un sondage réalisé en France montrait que 73% des Français interrogés considéraient l’islam négativement tandis qu’un sondage réalisé aux Pays-Bas révélait que 77% des Néerlandais interrogés estimaient que l’islam n’enrichit pas le pays.

Aujourd’hui, certains analystes considèrent comme une menace civilisationnelle les faibles taux de natalité de l’Occident combinés à l’immigration de masse de musulmans, la propagation du multiculturalisme et l’islamisation rampante. Dans la conclusion de son étude sur le conflit entre chrétiens et musulmans, Alan Jamieson observe : « Au cours des longs siècles de conflit entre chrétiens et musulmans, jamais le déséquilibre militaire entre les deux parties n’a été aussi grand. Et pourtant, l’Occident qui domine ne peut clairement pas en tirer de consolation » car le champ de bataille n’est pas militaire. [48] Ou, comme le dit de façon plus abrupte le journaliste italien Giulio Meotti : « Si le christianisme oriental peut être éteint si facilement, l’Europe occidentale suivra. » [49]

Conclusion

Les Occidentaux ont tendance à se souvenir plus intensément de la menace musulmane que des interactions positives. Le souvenir des conflits se maintient plus fortement que celui du commerce, des échanges culturels et des actes de tolérance. Hormis les Siciliens, les érudits et les touristes, tout le monde a oublié Roger II, le roi normand de Sicile à la cour duquel l’érudition musulmane a prospéré à l’époque des Croisades. L’héritage andalou de la convivencia (coexistence) a été dépeint comme une exagération voire, une imposture. [50] Néanmoins, Susana Martínez de l’Université d’Evora au Portugal espère que cet héritage pourra apporter une solution :

Nous devons continuer à raconter … les histoires des gens ordinaires et la façon dont ils interagissaient, la façon dont ils partageaient des modes de vie similaires. Ces histoires sont un moyen puissant pour déconstruire les stéréotypes et les préjugés que nous pourrions avoir sur l’autre. [51]

J’approuve cet effort mais le fait de se concentrer sur des modes de vie partagés a moins d’impact émotionnel que la remémoration des défaites tragiques et des victoires héroïques. En effet, la confrontation hostile le long de « la plus ancienne frontière du monde » reste vive. L’historien Raymond Ibrahim résume de façon lapidaire cet état d’esprit : « l’Occident et l’islam sont des ennemis mortels depuis la naissance de ce dernier il y a quatorze siècles » [52].

Cela pose la question de la culpabilité : qui est le principal agresseur ? Norman Itzkowitz de l’Université de Princeton soutient que l’Occident est le responsable principal : « La poursuite sans fin de la victoire par l’Europe chrétienne sur l’islam à toutes les époques a empoisonné l’atmosphère et cette situation perdure aujourd’hui encore. » [53] Plus convaincant, Bernard Lewis, également de Princeton, constate que les musulmans ont été les premiers à engager le conflit :

pendant environ mille ans, de l’avènement de l’islam au VIIe siècle jusqu’au deuxième siège de Vienne en 1683, l’Europe chrétienne fut sous la menace constante de l’Islam, une double menace, celle de la conquête et celle de la conversion. [54]

Si l’on considère la situation des chrétiens et des musulmans en 600 et en 1600, cette conclusion est incontestable.

La longévité et la constance des comportements sont remarquables. Comme l’observe Lewis, les musulmans adoptèrent envers l’Europe une attitude de mépris qui dura un millénaire et persista jusqu’à l’ère de l’impérialisme européen [55]. Les sentiments chrétiens à l’égard des musulmans si situaient presque exactement à l’opposé : ils craignaient et détestaient les musulmans avec une constance qui dura jusqu’à environ 1700, puis diminua au cours des trois siècles suivants. Certains Européens abandonnèrent complètement les anciennes attitudes mais l’hostilité envers l’islam conserva son emprise historique parmi tant d’autres. Pour reprendre les mots d’un autre chercheur de Princeton, Charles Issawi, « l’héritage du long et triste passé, toujours très présent, continuera de colorer les images et de troubler les relations entre l’Occident et le monde islamique encore longtemps. » [56]

Daniel Pipes (DanielPipes.org@DanielPipes) est président du Middle East Forum.

Annexe : conquêtes occidentales de territoires à majorité musulmane (1764-1919)

  • 1764 Bengale (Compagnie britannique des Indes orientales)
  • 1777 Balam-Bangan, Indonésie (Pays-Bas)
  • 1783 Crimée (Russie)
  • 1786 Penang, Malaisie (Grande-Bretagne)
  • 1798 Égypte (France)
  • 1799 Syrie (France)
  • 1800 Parties de la Malaisie (Grande-Bretagne)
  • 1801 Géorgie (Russie)
  • 1803–28 Azerbaïdjan (Russie)
  • 1804 Arménie (Russie)
  • 1808 Ouest de Java (Pays-Bas)
  • 1820 Bahreïn ; Qatar ; Émirats arabes unis (Grande-Bretagne)
  • 1830 Manchanagara, Indonésie (Pays-Bas)
  • 1830–46 Côte algérienne (France)
  • 1834–59 Caucase (Russie)
  • 1839 Centre de Sumatra, Indonésie (Pays-Bas), Aden, Sud Yémen (Grande-Bretagne)
  • 1841 Sarawak (Sir James Brooke, un Britannique)
  • 1843 Sind, Inde (Grande-Bretagne)
    1878–79 Défilé de Khyber, Pakistan (Grande-Bretagne)
  • 1881 Achkhabad, Turkménistan (Russie)
  • 1881-83 Tunisie (France)
  • 1882 Égypte (Grande-Bretagne), Assab, Éthiopie (Italie)
  • 1883-88 Bassin du Haut Niger (France)
  • 1884 Somalie du Nord (Grande-Bretagne, France), Merv, Turkménistan (Russie)
  • 1885 Roumélie orientale (Bulgarie), Rio de Oro, Mauritanie (Espagne)
  • 1885-89 Érythrée, Éthiopie (Italie)
  • 1887 Harar (Éthiopie)
  • 1887-96 Guinée (France)
  • 1888 Nord de Bornéo, Malaisie (Grande-Bretagne)
  • 1889-92 Somalie du Sud (Italie)
  • 1890 Zanzibar, Tanzanie (Grande-Bretagne)
  • 1891 Oman (Grande-Bretagne)
  • 1892-93 Bassin du Bas Niger (France)
  • 1893 Ouganda (Grande-Bretagne)
  • 1896–98 Nord-Soudan (Grande-Bretagne)
  • 1898–1903 Nord du Nigeria (Grande-Bretagne)
  • 1898–99 Sud du Niger (France)
  • 1899 Koweït (Grande-Bretagne)
  • 1900–14 Sud de l’Algérie (France)
  • 1903 Macédoine (Russie et Autriche)
  • 1906 Wadai, Tchad (France)
  • 1908 Crète (Grèce)
  • 1909 Nord de la péninsule de Malay (Grande-Bretagne)
  • 1911–28 Libye (Italie)
  • 1912 Dodécanèse (Italie), Sahara occidental (Espagne)
  • 1912-34 Maroc (France et Espagne)
  • 1913 Sud des Philippines (États-Unis), Thrace centrale (Bulgarie)
  • 1914 Ensemble de la Malaisie (Grande-Bretagne)
  • 1917 Israël ; Jordanie (Grande-Bretagne), Liban ; Syrie (France)
  • 1918 Parties de la Turquie (Italie, Grèce, France)
  • 1919 Irak (Grande-Bretagne)

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  • [1] Détaillé dans la première partie de cette étude.
  • [2] Pour une comparaison entre ces deux rencontres, plus une troisième en 1956, voir « Three French Invasions of Egypt », un extrait de Daniel Pipes, In the Path of God: Islam and Political Power (New York: Basic Books, 1983), pp. 98-101.
  • [3] Voir l’annexe pour les détails année par année, tirée de ibid., pp. 102-03.
  • [4] Henry DodwellThe Founder of Modern Egypt: A Study of Muhammad ‘Ali, (Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press, 1931), p. 2.
  • [5] Sir Paul RycautThe History of the Present State of the Ottoman Empire, (Londres, R. Clavell, J. Robinson et A. Churchill, 1686), p. 213.
  • [6] The Works of Sir William Jones, Lord Teignmouth, éd. (Londres, John Stockdale and John Walker, 1807), p. 69.
  • [7] “Treaty of Peace and Friendship, signed at Tripoli November 4, 1796 (3 Ramada I, A. H. 1211), and at Algiers January 3, 1797 (4 Rajab, A. H. 1211),” in Treaties and Other International Acts of the United States of America, vol. 2, Hunter Miller, ed. (Washington, Government Printing Office, 1931), doc. 1-40: 1776-1818.
  • [8] Thomas CarlyleOn Heroes, Hero-Worship, and the Heroic in History (Londres, Chapman et Hall, 1840).
  • [9] The Light (Vicksburg, Miss.), 24 janvier 1933.
  • [10] Peter Hughes, Eighteenth-century France and the East, (Londres, Trustees of the Wallace Collection, 1981), pp. 13-14.
  • [11] Jacob S. Dorman, The Princess and the Prophet: The Secret History of Magic, Race, and Moorish Muslims in America, (Boston, Beacon Press, 2020), p. 52.
  • [12] L. Carl Brown, “Movies and the Middle East,” Comparative Civilizations Review, vol. 13, non. 13, 1er janvier 1985.
  • [13] Desmond Stewart, The Arab World (New York, Time-Life Books, 1962), p. 13.
  • [14] Cette section s’inspire de Daniel Pipes, « La menace alliée [islamiste-gauchiste] », National Review, 14 juillet 2008.
  • [15] The New York Times23 janvier 1979.
  • [16] Business Insider (New York), 2 juillet 2016.
  • [17] BBC News, 12 juillet 2004.
  • [18] Hugo Kugiya, “Audiences Small but Adoring: Kucinich undeterred by long-shot status“, Newsday, 10 février 2004.
  • [19] Jemima Khan, “One Day, I’ll be a national treasure“, The New Statesman, Londres, 25 avril 2012.
  • [20] The Boston Globe20 mai 2007.
  • [21] Ilich Ramírez Sánchez, L’islam révolutionnaire, Monaco, Éditions du Rocher, 2003.
  • [22] Douglas Davis, “United in Hate“, The Spectator, 20 août 2005.
  • [23] Jean Baudrillard, La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu, Paris, Galilée, 1991.
  • [24] Davis, “United in Hate“.
  • [25] James Barr, “General Gouraud: ‘Saladin, We’re Back!’ Did He Really Say It?” Syria Comment, University of Oklahoma, 27 mai 2016.
  • [26] Far Eastern Economic Review, 25 novembre 1972.
  • [27] Norman Daniel, Islam, Europe and Empire (Édimbourg: Edinburgh University Press, 1966), p. 482.
  • [28] Lothrop StoddardThe New World of Islam (New York: Fils de Charles Scribner, 1921), p. 355.
  • [29] Isaiah Bowman, The New World: Problems in political Geography, 4e éd. (Yonkers, N.Y .: World Book, 1928), p. 124.
  • [30] « Intelligence Review », Division du renseignement militaire, Département de la guerre, Washington, D.C., 14 février 1946, p. 34.
  • [31] The New York Times, 6 janvier 1980.
  • [32] Ibid., 2 janvier 1978.
  • [33] Norman Daniel, Islam and the West: The Making of an Image (Édimbourg: The University Press, 1958), p. 278.
  • [34] William GladstoneBulgarian Horrors and the Question of the East (New York et Montréal: Lovell, Adam, Wesson et Co., 1876), p. 10.
  • [35] Winston ChurchillThe Story of the Malakand Field Force (Londres: Longman, 1898), p. 40.
  • [36] Robert A. Morey, The Moon-god Allah in the Archeology of the Middle East (Las Vegas: Faith Defenders, 1994).
  • [37] “Geert Wilders: “In My opinion, Islam Is Not a Religion”, Gatestone Institute, 16 septembre 2017.
  • [38] The Telegraph (Londres), 5 août 2018.
  • [39] Linda Blandford, Super-Wealth: The Secret Lives of the Oil Sheikhs (New York: William Morrow, 1977).
  • [40] USA Today21 novembre 2001The Guardian (Londres), 5 mars 2020.
  • [41] Bernard Lewis, The Muslim Discovery of Europe (New York: Norton, 1982), pp. 482-3.
  • [42] Raymond Sokolov, “Mozart and the Muslims”, The Wall Street Journal, 23 janvier 1991.
  • [43] Wilfred Cantwell SmithIslam in Modern History (Princeton, N.J. et Londres: Princeton University Press et Oxford University Press, 1957), p. 106.
  • [44] Charles Le Gai EatonIslam and the Destiny of Man, 1ère éd. (Albany: State University of New York Press, 1985), p. 18.
  • [45] Hichem Djaīt, L’Europe et l’Islam (Paris: Seuil, 1978), p. 21.
  • [46] Le Nouvel Observateur, 24 juin 1988.
  • [47] Daniel Pipes, « L’anti-islam l’emporte sur l’islam en Occident », DanielPipes.org, 24 novembre 2013.
  • [48] Alan JamiesonFaith and Sword: A Short History of Christian-Muslim Conflict (Londres: Reaktion Books, 2006), p. 215.
  • [49] Giulio Meotti, “Europe: Destroyed by the West’s Indifference?” Gatestone Institute, 19 novembre 2017.
  • [50] Darío Fernández-Morera, The Myth of the Andalusian Paradise (Wilmington, Delaware: ICI Books, 2016).
  • [51] Marta Vidal, “Portuguese Rediscovering Their Country’s Muslim Past“, Al-Jazeera, 10 juin 2020.
  • [52] Raymond IbrahimSword and Scimitar: Fourteen Centuries of War between Islam and the West (New York: Da Capo, 2018), p. xvii.
  • [53] Norman Itzkowitz, “The Problem of Perceptions”, in L. Carl Brown, éd., Imperial Legacy: The Ottoman Imprint on the Balkans and the Middle East (New York: Columbia University Press, 1996), p. 34.
  • [54] Bernard LewisIslam and the West (New York: Oxford University Press, 1993), p. 127.
  • [55] Dans Bernard Lewis, The Muslim Discovery of Europe.
  • [56] Charles Issawi, The Change in the Western Perception of the Orient, in The Arab World’s Legacy: Essays (Princeton, N.J .: Darwin Press, 1981), p. 371.

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