Publié par Abbé Alain René Arbez le 15 mai 2021

Le fait d’aborder la contribution chrétienne au sionisme et à la résurgence d’Israël en tant qu’Etat juif ne signifie évidemment pas que le christianisme puisse récupérer à son profit cette dimension fondamentale du judaïsme depuis l’exil et surtout depuis l’an 70 de l’ère chrétienne.

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L’an prochain à Jérusalem ! est une phrase éminemment constitutive de la foi juive, mais les chrétiens se retrouvent directement concernés par ce qui touche à l’alliance entre Dieu et Israël, (un peuple, une loi, une terre) car c’est sur cette alliance-là – et sur aucune autre base – qu’ils estiment avoir été greffés. Cette affiliation au judaïsme s’est réalisée par l’intermédiaire du juif Jésus, reconnu par ses premiers disciples (tous juifs) comme messie et comme fils de Dieu. Tout ce qui a affaibli et affaiblirait encore l’ancrage d’Israël dans cette alliance (impliquant la terre) brouille ipso facto l’identité chrétienne. Un christianisme ex nihilo n’existe pas.

Cette réflexion sur les liens entre sionisme et chrétienté n’a pas non plus pour but d’exonérer l’hostilité historique des chrétiens envers les juifs, car c’est là une responsabilité écrasante et impardonnable. Les aléas de l’histoire sont complexes mais ne peuvent pas être éludés. Les figures – minoritaires – que nous allons évoquer vont paradoxalement nous rappeler combien la fidélité de l’Eglise chrétienne envers ses propres origines s’est toujours montrée à la fois fragile et menacée. Et pourtant le fil rouge du lien spirituel judéo-chrétien s’est maintenu au cours des siècles malgré un courant majoritaire opposé ! Dans la tradition juive, on sait que le petit nombre fidèle est plus essentiel et parfois plus significatif que la grande masse indifférente…

Il y a deux aspects complémentaires dans le sionisme, un aspect plus spirituel et traditionnel et un autre plus politique et moderne, et les deux sont historiquement liés. En d’autres termes, on ne peut pas laisser dire, comme on l’entend ou le lit trop souvent, que la naissance de l’état moderne d’Israël serait simplement une “colonisation” octroyée par les Européens en guise de dédommagement de la Shoah. Ce raccourci apprécié par certains milieux révisionnistes tend à faire l’impasse sur des courants historiques avérés. Car la renaissance moderne d’Israël, officialisée en 1948, est la conséquence logique d’un processus qui vient de très loin dans l’histoire, et qui n’a jamais cessé au cours des siècles ! Un processus dans lequel les chrétiens ont été impliqués, au-delà de tous les dénis !

Le cardinal Christophe Schönborn, archevêque de Vienne, a écrit il y a quelques années un article dédié à la mémoire de Théodore Herzl, et il dit ceci :

C’est un fait aussi bien pour la foi juive que pour la foi chrétienne, qu’il y a eu une fois et une seule, dans l’histoire de l’humanité, un pays bien déterminé, dont Dieu a pris possession pour toujours comme étant Son héritage(1 S,26/19), Son pays (Jr2/7), et qu’Il a confié au peuple élu par Lui, Israël, comme étant Son propre peuple (Dt 1/36). On ne peut guère mettre en doute que la fondation de l’Etat d’Israël soit liée à la promesse biblique de la terre.”

Regardons comment, malgré un climat général antijudaïque depuis 2000 ans, des chrétiens ont pu jouer un rôle non négligeable dans l’affirmation publique de la légitimité du retour à Sion pour les juifs disséminés dans la diaspora.

En 2001, l’Eglise catholique a publié sous la signature de Joseph Ratzinger un document du Conseil biblique pontifical qui a pour titre “Le Peuple juif et ses saintes Ecritures dans la Bible chrétienne”.

Cette réflexion théologique présente un double intérêt : d’une part elle rappelle que les chrétiens reconnaissent comme base de leur foi la bible hébraïque, avec l’alliance qui implique le don définitif de la Terre d’Israël à son peuple ; d’autre part elle affirme une ligne nouvelle qui accepte comme légitime pour des catholiques le fait de lire la Bible hébraïque en fonction d’une perspective juive, et non plus comme autrefois, en christianisant systématiquement par rétroprojection les livres de ce qu’on appelait l’Ancien Testament.

En ce qui concerne l’opinion publique, la question du sionisme et de l’antisionisme reste une question d’actualité encore plus aiguë depuis les intifadas palestiniennes, les surenchères continuelles, les campagnes de boycott, les manœuvres onusiennes, etc. Avec la surmédiatisation unilatérale des événements du Proche-Orient, on a assisté à l’amplification d’une controverse permanente dans l’hostilité généralisée envers Israël. Il s’est créé une vulgate de la pensée unique sur le sujet, provenant plus spécialement des milieux d’extrême gauche et altermondialistes, entraînant dans sa spirale les chrétiens dits progressistes, aussi bien catholiques que protestants, sans oublier de nombreux alterjuifs récupérés comme cautions.

Ainsi se réveille sous un nouvel habillage une vieille haine séculaire qui sommeillait. Il faut remarquer au passage que tous ceux qui se disent pro-palestiniens – majoritaires – sont systématiquement anti-israéliens. Il suffit de consulter certains médias catholiques ou protestants pour s’en apercevoir.

Enjeux

Martin Luther King : sache ceci mon ami : antisioniste signifie de manière inhérente antisémite

Les enjeux du sionisme ne concernent donc pas que les juifs, ils englobent aussi les chrétiens – leur foi, leur avenir – à plusieurs niveaux. On peut relire à ce propos cette déclaration limpide du pasteur Martin Luther King – elle date déjà de 40 ans ! – où il affirme :

Tu déclares, mon ami que tu ne hais pas les juifs, que tu es seulement anti-sioniste. Alors sache ceci : antisioniste signifie de manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi ! Le sionisme n’est rien moins que le rêve et l’idéal du peuple juif de revenir sur sa propre terre ; soutenir le droit du peuple juif à vivre sur l’antique terre d’Israël : tous les hommes de bonne volonté se réjouiront de la réalisation de la promesse de Dieu, que son peuple retourne dans la joie sur la terre qui lui a été volée. C’est cela le sionisme, rien de plus, rien de moins.”

La Bible hébraïque est aussi – telle quelle – Ecriture sainte chez les chrétiens : il est donc assez logique que des chrétiens aient au cours des siècles pris au sérieux ce qu’ils lisaient dans leur texte sacré. Il est logique aussi, quand on connaît les traditions, que les milieux protestants aient souvent été plus sensibles à la thématique de la terre promise Eretz Israel, du fait que l’accès à l’Ancien Testament était pour eux essentiel, alors qu’il n’était, hélas, devenu qu’accessoire dans le public catholique. Pendant de longues périodes, il n’y a eu que les spécialistes cultivés, les théologiens et les mystiques qui en connaissaient l’importance capitale.

Ce n’est que depuis le Concile Vatican II, il y a une soixantaine d’années, que les textes du premier testament (pourtant si bien sculptés pendant des siècles dans la pierre des chapiteaux d’églises et mis en valeur sur les fresques des cathédrales) sont lus chaque dimanche au cours de la messe…

C’est aussi cette culture biblique bien protestante qui a fait que dans de nombreuses familles on a privilégié à certaines époques les prénoms de baptême hébraïques. Cette ouverture spécifique du monde protestant est due à Calvin, qui le premier au seuil de l’époque «moderne» a insisté sur l’unité de la Bible à travers sa partie juive et sa partie chrétienne.

Mais il faut également relever le fait que, globalement, toutes les traditions chrétiennes, orthodoxes, catholiques et protestantes, ont eu leur part d’antisémitisme au cours des générations précédentes, et plus récemment au moment de la Shoah. En Allemagne après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le 90% des pasteurs protestants étaient membres du parti nazi.. Heureusement, dans cette étape assombrie, des attitudes courageuses et déterminées de laïcs chrétiens, de pasteurs, de prêtres et d’évêques ont apporté un peu de lumière et d’espoir au milieu de ténèbres terrifiantes.

Regard historique

Regardons les différentes périodes historiques où s’est manifesté dans les milieux chrétiens, un intérêt positif pour l’avenir des juifs, précisément en raison de l’enracinement spirituel dans la Bible :

(On trouve sur cette question des éléments intéressants entre autres dans l’étude faite par Yves Chevalier, (des amitiés judéo-chrétiennes), et dans celle de Sœur Hedwig Wahle, religieuse de ND de Sion. Il en existe aussi chez Paul Giniewsky, un spécialiste juif de ces questions)

Il y a d’abord – et ça commence très tôt – les courants millénaristes qui affirment que dans le cadre de la création d’une nouvelle terre par Dieu, les juifs retourneront en Israël, et qu’alors un règne de justice s’étendra sur le monde. Ces croyances ont été partagées par des figures de l’Eglise ancienne comme St Irénée de Lyon ou Méliton de Sardes. Augustin instaure une rupture avec cette façon de penser et ce n’est qu’avec les anabaptistes que cette vision millénariste revient sur le devant de la scène religieuse. Ces sensibilités ne disparaîtront jamais, même si les Eglises officielles catholiques et réformées se sont montrées hostiles à cette vision, qu’elles jugeaient périlleuse car susceptibles de servir de caution à des mouvements d’illuminés ou de révolutionnaires incontrôlables.

Parmi les visionnaires spirituels, au 14ème siècle, deux moines frères mineurs, Jean de Roquetaillade, un Français, et Telesforo da Cosenza, un Italien, annoncent une ère nouvelle universelle accompagnée de la restauration d’Israël et de la reconstruction du Temple de Jérusalem.

Au 16ème siècle, un presbytérien anglais Thomas Brightam et Jakob Böhm, philosophe allemand (deux mystiques) prévoient le rétablissement des juifs en terre sainte. Le premier y ajoute la chute de l’empire ottoman (qui avait pourtant conquis Constantinople cent ans auparavant !)

17 et 18èmes siècles

A l’époque de la révolution anglaise, avec Cromwell, les juifs auparavant chassés d’Angleterre y sont réadmis, et les puritains sont persuadés que c’est la dernière étape avant leur rassemblement en Terre promise. Une pétition envoyée au parlement de Londres en 1649 manifeste le désir que “la nation d’Angleterre et les habitants des Pays-Bas soient les premiers à transporter les fils et les filles d’Israël dans la terre promise à leurs ancêtres Abraham, Isaac et Jacob pour un héritage éternel…”

Dans le même sens, c’est le père jésuite anglais Paul Sherlock qui attend le retour des juifs en Palestine. Le protestant John Tillinghast, quant à lui, annonce que les juifs vont de nouveau s’appeler peuple de Dieu, et que de retour en Palestine, ils repousseront le Turc et le Pape ensemble.

En 1686, un huguenot français exilé aux Pays-Bas, Pierre Jurieu écrit :

C’est une chose qui n’a pas d’exemple et qui ne peut se comprendre, que depuis 2000 ans Dieu conserve ce peuple dispersé parmi les nations sans qu’il se confonde avec elles. Cela dit clairement que Dieu les conserve pour une grande œuvre.” Jurieu prévoit un rassemblement, sur la terre promise, des exilés d’Israël.

Aux 17èmes et 18èmes siècles, l’estime pour les juifs est très influente en particulier à Amsterdam, Hambourg et Londres. Deux facteurs principaux expliquent cette bienveillance significative envers les juifs : la consonance particulière du calvinisme avec la Bible hébraïque, et la présence de marranes aux Pays Bas et en Allemagne. Cette relation amicale avec les juifs est même très perceptible dans l’œuvre de Rembrandt qui a dépeint l’image du judaïsme dans ses gravures et dans ses toiles ; des membres de sa propre famille servent d’ailleurs de modèles pour des personnages juifs.

A la même époque, Isaac Newton, le célèbre scientifique qui s’intéresse aussi à la théologie, écrit à propos du retour à Sion :

Le mystère de cette restitution se trouve chez les prophètes, je m’étonne donc avec stupéfaction que si peu de chrétiens arrivent à l’y trouver. Ce mystère consiste dans le retour final de captivité des juifs, leur établissement d’un royaume juste et florissant.”

Son contemporain John Locke, philosophe également connu, affirme aussi sa foi dans le “retour des juifs dans leur propre pays“.

Comenius

Plus étonnant encore est le témoignage sioniste de l’évêque tchèque Johann Amos Comenius (1592-1670). C’est un humaniste qui propose dans son traité “Les voies de la lumière” des lignes directrices pour un monde meilleur.

Dans cette révolution universelle, il donne la place centrale à la restauration des juifs sur leur terre, avec l’institution d’une foi venant de Sion qui serait accueillie par tous les peuples de la terre. En 1648, il publie une vision utopique où il décrit Jérusalem régénérée par les juifs revenus au pays, et son rayonnement universel grâce à l’intelligence de l’organisation de la cité sainte restaurée.

Ce livre n’a été publié en anglais qu’après des siècles d’oubli, en 1902, date à laquelle justement Théodore Herzl fait paraître son roman Altneuland qui présente de grandes similitudes avec les idées de Comenius.

En France, au 17ème siècle, Nicolas Charpy de Sainte-Croix voit le monde bientôt transformé :

“rétabli dans son ancienne patrie, le peuple juif retrouvera son unité et régnera sur tous les autres peuples de la terre.”

Au 18ème siècle, toujours en France, c’est une véritable école de pensée qui se fait jour et qui se prolongera au 19ème :

Dans les milieux jansénistes, avec Jacques Joseph Du Guet prêtre oratorien, et Pierre Agier, on se tourne vers l’Ecriture pour y trouver “le principe de la plus haute vérité visible“.

Du Guet collabore même aux 25 volumes d’une explication de l’Ecriture Sainte dans laquelle il utilise une méthode d’interprétation ; sa pensée évolue et il est persuadé que “les ruines de Jérusalem seront rétablies” Même thème de la restauration de Jérusalem chez Jean Baptiste Le Senne, père abbé d’Etémare, et chez les abbés Nicolas Le Gros et Paul Mérault, auteurs d’un ouvrage commun “Le sens de l’apocalypse” où on peut lire : “il y aura un règne de Dieu dans ce monde, et les juifs substitués aux gentils restaureront Jérusalem”. Idées semblables encore chez le P. Houbigant, prêtre oratorien et l’abbé Jacques Deschamps.

Une religieuse, sœur Hilda Fronteau, au moment de la Révolution française, prédit le rétablissement des Juifs à Jérusalem grâce à l’intercession du prophète Elie. Perspectives identiques prônées en Italie par le dominicain Giuseppe Zoppi qui croit à une prochaine restauration mondiale des juifs. En Allemagne, à la même époque, une mystique protestante, Marie Kummer, dit avoir reçu une vision de St Jean et elle annonce l’imminent retour des juifs en Terre sainte. Autour d’elle se constitue un groupe prêt à partir.

En Angleterre, des écrits du même style circulent. Le révérend Joseph Priestley, dans une “lettre aux descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob”, exprime “l’espoir que Dieu va réunir les juifs, les ramener en terre de Canaan et en faire la plus illustre des nations de la terre“.

En 1784, un autre théologien anglais, Edward Whitaker, publie sa Dissertation sur la restauration finale des juifs. Il estime que la phrase de St Paul “Tout Israël sera sauvé” signifie que cette restauration aura un caractère national.

En 1795, Charles Jerram, un théologien anglican de Cambridge, commente l’évangile de Luc : “il est naturel d’imaginer qu’à cette période Jérusalem sera remise à ses propriétaires d’origine.”

Les espérances de la restauration d’Israël et de la réappropriation d’Eretz Israël par les juifs se manifestent clairement. On peut dire que le sionisme chrétien, à mi-chemin entre les fondements spirituels et leurs conséquences politiques, a préparé et relayé l’expression du sionisme juif qui allait suivre.

Les juifs, majoritairement en diaspora, ont pleinement conscience d’être exilés et ils espèrent le retour à Sion ; à chaque fête de Pessah ils le proclament très clairement «l’an prochain à Jérusalem !». Certains attendent ce retour avec l’arrivée du Messie, d’autres pensent qu’il faut prendre les devants. Déjà au 12ème et 13ème siècle, Ramban (Rabbi Moshe ben Nachman) avait affirmé que résider en Eretz Israël était bel et bien une mitzva. Mais une majorité de juifs d’alors estimait cependant que seul le Messie permettrait de mettre fin à l’exil. On retrouvera les mêmes clivages et le même dilemme lors de la fondation de l’Israël-nation moderne.

Au 19ème siècle, en France, on retrouve d’intéressantes affirmations du retour des juifs à Jérusalem, avec des personnes comme l’abbé Jean-Baptiste Bigou, le père dominicain Antoine Gallois qui exprime ses idées sionistes dans la très académique Revue Biblique, l’abbé Pierre Lachèze du diocèse de Paris qui entrevoit même pour bientôt la reconstruction du Temple.

En Angleterre, même discours chez John Hopper, prêtre anglican, Pierre Mejanel, Alexandre Keith, pasteur écossais. William Dighby voit comme imminent, dit-il, “le retour des juifs, ces rois de l’orient, dans leur patrie palestinienne”. Pour John Aquila Brown, le triomphe du royaume juif est pour bientôt.

Le prêtre catholique anglais Daniel Wilson futur évêque de Calcutta, annonce en même temps la chute de l’Empire ottoman et le rétablissement des juifs en terre sainte.

Dans les années 1800, en Amérique, un pasteur presbytérien, David Austin, est tellement persuadé que ces événements sont imminents qu’il construit des maisons pour que les juifs puissent y préparer leur voyage de retour en terre sainte. En 1878 à Chicago, l’évêque épiscopalien William Rufus Nicholson présente un rapport sur le rassemblement d’Israël.

Mêmes idées chez des religieux catholiques autrichiens, allemands, italiens : exemple, le chanoine sicilien Antonio Castiglione, et en Suisse, l’aumônier de l’hôpital de Genève l’abbé Pierre Moglia ; chez les protestants, c’est Emile Guère et le pasteur François Gaussen qui attendent la libération d’Israël.

En 1804, l’évêque anglican de Rochester, Thomas Whiterby, interpelle ses concitoyens : “Quels Anglais ne souhaiteraient que les Iles britanniques aient le grand honneur de contribuer au bonheur et à la prospérité d’Israël ?”

Le Times publie un grand article qui propose ni plus ni moins le projet d’aller installer le peuple juif dans le pays de ses pères.

Quelques jours auparavant le chef de la diplomatie britannique Lord Palmerston avait donné à son ambassadeur à Constantinople, des indications directement inspirées d’une recommandation officielle écrite par lui à la reine Victoria, un an plus tôt : “Que votre règne, Majesté, voie s’accomplir la prophétie, selon l’espoir de ce peuple unique ; Juda sera sauvé et Israël demeurera en paix”.

Une des plus grandes figures de l’anglicanisme, Lord Anthony Ashley Cooper écrit lors de l’ouverture d’un consulat britannique à Jérusalem : “l’ancienne ville du peuple de Dieu reprend sa place parmi les nations, et l’Angleterre est le premier royaume des Gentils à cesser de la fouler aux pieds”.

En 1844 est créée à Londres la British Society for promoting of the jewish Nation of Palestine. Un de ses dirigeants, le pasteur Crybbace, espérait même obtenir de la Turquie tout le territoire de l’Euphrate jusqu’au Nil et de la Méditerranée au désert…

Renouveau évangélique

C’est alors en Angleterre l’époque du renouveau évangélique. En 1830 John Nelson Darby, spécialiste renommé de la Bible, développe sa pensée religieuse où il donne une place importante au retour du peuple juif en terre d’Israël. Tout un courant évangélique de réveil va entraîner dans le même sens les baptistes, les méthodistes, les adventistes et les mormons, mais sur une base de lecture biblique souvent assez littéraliste.

En 1878, les chrétiens sionistes se manifestent aux Etats-Unis : un livre de William Blackstone est publié “Jésus revient” c’est un succès ; traduit en 40 langues, il popularise le rôle positif que les juifs doivent jouer à la fin des temps. L’auteur présente au président américain une pétition signée par plus de 400 dirigeants chrétiens demandant que les Etats-Unis d’Amérique assurent le retour des juifs en Palestine. Il estime que le retour des juifs et la restauration d’Israël sont prévus depuis le premier concile apostolique de Jérusalem, et il fait le reproche amer aux juifs réformés de renoncer à tort au “pays de leurs ancêtres” parce que, dit-il, ” ils préfèrent le confort et les richesses accumulées en Europe et aux Etats-Unis.”

Certains chrétiens américains, persuadés que le temps de Sion est arrivé, vont en Terre promise, et 21 presbytériens de Chicago fondent sur place la colonie américaine de Jérusalem ; ce sont eux qui introduisent l’eucalyptus dans le pays. Laurence Oliphant, ancien député britannique, journaliste, parcourt le pays après avoir participé à la conférence des Hoveveï Tsion (amants de Sion) en Roumanie. Il cherche à persuader le sultan d’accorder des terres aux juifs. Il publie “le pays de Gilead“.

Le Genevois Henri Dunant, fondateur de la Croix Rouge

C’est alors que le Genevois Henri Dunant, initiateur de la Convention de Genève et fondateur de la Croix Rouge, sioniste convaincu en raison de sa foi chrétienne, constitue la Société Nationale Universelle pour le renouvellement de l’Orient. Henri Dunant ne se contente pas d’un engagement humanitaire, il désire spirituellement voir la renaissance concrète et historique d’Israël. Cette fondation lance un appel en 1866 pour que les colonies juives de repeuplement bénéficient d’un statut de neutralité comme la Suisse. Dunant essaye d’intéresser l’empereur Napoléon III à ce projet. Il voit même Jérusalem comme centre mondial des religions, et – bien que protestant – y envisage la résidence du pape. Henri Dunant participe au premier Congrès sioniste à Bâle (Suisse) en 1897, aux côtés de Theodor Herzl.

C’est ce climat effervescent et empathique chez certains chrétiens influents que rencontre le même Theodore Herzl lorsqu’il commence sa campagne en faveur de la création d’un état juif dans le cadre des États-nations modernes.

En Belgique, une famille catholique, les Vercruysse de Courtrai, bénéficient d’un statut social et d’un niveau de culture qui lui donnent des moyens importants. Les Vercruysse éditent en 1860 un opuscule intitulé “La régénération du monde (ouvrage dédié aux 12 tribus d’Israël)”. Cette réflexion rencontre l’opposition du clergé local mais l’approbation de Rome ! Ils sont persuadés, en s’appuyant sur la Bible, que le retour des juifs en Palestine est proche.

La conclusion de cette brochure catholique est celle-ci : “il est donc clair que la Terre sainte sera rendue un jour aux israélites pour s’y reconstituer en nation, et que cette nation ne sera plus expulsée tant que la terre existera.”

Congrès sioniste

L’histoire s’écrit peut-être aussi avec des prises de position modestes de ce genre, et par des appels prophétiques qui, peu à peu, balisent des voies d’avenir. Ce n’est pas un hasard si le chapelain de l’ambassade de Grande-Bretagne à Vienne, l’aumônier William Hechler s’adresse en ces termes au Grand Duc de Bade Frederic : “Selon la Bible, les juifs doivent retourner en Palestine. Par conséquent, je viens en aide à ce mouvement en tant que chrétien pleinement convaincu de la vérité de la Bible. Cette cause est la cause de Dieu.”

Or le même Hechler se retrouve avec Henri Dunant aux côtés de Herzl au 1er congrès sioniste à Bâle. Y participe également le pasteur luthérien Johann Lepsius, grand défenseur des Arméniens, et persécuté par les autorités allemandes alliées aux Ottomans. Ce pasteur présente un rapport intitulé : “Arméniens et juifs en exil, ou l’avenir de l’orient, compte tenu de la question arménienne et du mouvement sioniste”.

Montée de l’antisémitisme européen

C’est dans ce contexte belliqueux que la situation des juifs s’aggrave rapidement en Europe centrale et orientale. En 1882 à Dresde a lieu le 1er congrès antisémite. Le terme même «antisemitismus» est créé par le journaliste W. Marr (il est clair que ce terme ne désigne que les juifs et eux seuls).

Les pogroms de Russie et de Roumanie incitent les juifs à émigrer en Amérique et en Europe occidentale, mais aussi vers la Palestine. Sur place, l’hostilité des populations arabes tout juste arrivées de Syrie et du Liban pour s’installer se manifeste envers les familles juives qui retournent sur la terre de leurs ancêtres et s’installent dans des localités aux noms purement hébraïques.

L’Empire ottoman est allié de l’Allemagne, et quand la guerre éclate en 1914, le sultan déclare le djihad aux puissances alliées. C’est dans ce contexte que la Terre sainte est prise en tenailles entre forces britanniques et armées ottomanes soutenues par les Allemands. Aux côtés des alliés lutte la Légion juive, première unité nationale reconstituée depuis Bar Kokhba au 2ème siècle !

A ce moment-là, la Grande-Bretagne prend l’engagement d’aider à la création du Foyer National juif en Palestine. C’est la Déclaration Balfour. (2 novembre 1917). Voici ce que déclare le premier président de l’Etat d’Israël HaïmWeizmann :

“Les hommes comme Balfour, Churchill, Lloyd George, étaient profondément religieux ; ils croyaient en la Bible. Pour eux, le retour du peuple juif en Palestine était une réalité de sorte que les sionistes représentaient pour eux une grande tradition pour laquelle ils avaient beaucoup de respect.”

Il est vrai que Balfour s’est intéressé au sort des juifs longtemps avant de devenir un homme d’État, il y avait été préparé par l’ambiance de son église. Idem pour le président américain Woodrow Wilson, fils de pasteur presbytérien ; c’est sous son impulsion que l’Amérique a appuyé dès le départ la déclaration Balfour.

D’où cette affirmation qui résume assez bien la situation de l’époque. C’est le Reverend Norman Maclean qui parle :

“Le sionisme réclame de nombreux juifs nobles comme organisateurs. Mais peu nombreux sont ceux qui réalisent que les trois hommes qui rendirent possible cette politique étaient chrétiens : un presbytérien américain, un presbytérien écossais, et un baptiste gallois (Wilson, Balfour, et Lloyd George). Ce sont eux qui firent entrer cette politique dans les conseils de gouvernements qui contrôlaient la moitié du monde.”

Cercles judéophiles

Historiquement, il est indéniable que la Palestine a été la patrie des juifs et des premiers chrétiens. Aucun d’eux n’était d’origine arabe

Après le travail de dialogue mené par la congrégation de Notre Dame de Sion, des frères Ratisbonne, (juifs alsaciens convertis au catholicisme) a lieu à Rome en 1926 le lancement d’une association catholique des amis d’Israël, fondée par le général des chanoines de Sainte-Croix et Francisca van Leer.

Cette association compte bientôt dans ses rangs 19 cardinaux, 278 évêques et 3000 prêtres du monde entier. Son programme est de s’attaquer à l’antisémitisme. Que les chrétiens ne parlent pas de «peuple déicide», de conversion des juifs, mais qu’on enseigne l’amour de Dieu pour son peuple Israël. Il y a aussi l’initiative de Franz Rödel, créateur de l’Institutum judaeologicum catholicum en 1922 pour lutter contre l’antisémistisme en Allemagne. Il a adressé au pape un mémorandum qui a été repris comme contribution lors du concile Vatican II avec sa déclaration Nostra Aetate (cinquantenaire en 2015).

A part la Grande-Bretagne, c’est, en fait, surtout aux Etats-Unis que se manifeste le plus de soutien à l’égard du sionisme ; en 1931 est créé l’American Palestine Committee, en 1942 le Christian Council on Palestine et ces 2 organes fusionnent en 1946 pour donner un American Christian Palestine Committee dans les rangs duquel on dénombre 20’000 ministres du culte chrétien. Ses membres saluent avec enthousiasme la création de l’Etat d’Israël.

En France, Paul Claudel s’exprime sur la (re)naissance de l’Etat d’Israël en termes personnels ; il écrit :

Israël est rentré, et a repris sa place au foyer paternel, l’anneau a été remis à son doigt, il a repris son droit de Fils aîné. Il est rentré et il n’y aura plus besoin qu’il sorte.

Maintenant qu’Israël a réintégré le centre, il est impossible qu’il n’arrive pas quelque chose à la périphérie.”

Jacques Maritain écrit de son côté :

“La diaspora ne cessera jamais jusqu’à la grande réintégration. Mais l’ébauche d’un nouveau centre existe maintenant, l’Etat d’Israël, état temporel qui a pourtant une fonction spirituelle à exercer”

Maritain rappelle avec force le droit d’Israël à sa terre :

ce que Dieu a donné une fois est donné pour toujours. Ce don de la terre de Canaan aux tribus d’Israël est matière de foi pour les chrétiens comme pour les juifs !”

Il y a de forts soutiens à l’Etat d’Israël dans les opinions chrétiennes occidentales, plus spécialement chez les évangéliques. Billy Graham déclare : “la renaissance de l’Etat d’Israël décidée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 est de loin le plus important événement biblique du 20ème siècle !”

Sur le terrain de ce qui va se jouer au Proche-Orient, voici ce qu’écrit en 1947 à l’ONU l’archevêque catholique de Beyrouth, Ignace Moubarak, Libanais maronite, après deux décennies de troubles sanglants entre juifs et arabes en Palestine :

Historiquement, il est indéniable que la Palestine a été la patrie des juifs et des premiers chrétiens. Aucun d’eux n’était d’origine arabe ; la force brutale de la conquête en a réduit et astreint à se convertir à la religion musulmane. Voilà l’origine des Arabes dans ce pays. Peut-on déduire de là que la Palestine est arabe ou qu’elle fut toujours arabe ?

Les vestiges historiques, les monuments, les souvenirs sacrés des deux religions demeurent là vivants pour attester que ce pays a vécu en dehors des guerres intestines arabes que se livraient les princes et monarques d’Irak et d’Arabie. Les lieux saints, les temples, le mur des Lamentations, les églises et les tombes des prophètes et des saints, en un mot tous les souvenirs des deux religions sont des symboles vivants qui infirment à eux seuls ceux qui ont intérêt à faire de la Palestine un pays arabe. Englober la Palestine et le Liban dans le cadre des pays arabes, c’est renier l’histoire et détruire l’équilibre social du Proche-Orient !

Ces deux pays, ces deux foyers prouvent jusqu’à aujourd’hui l’utilité et la nécessité de leur existence comme entités indépendantes.

Des raisons majeures, sociales, humaines et religieuses exigent qu’il soit créé dans ces deux pays deux foyers pour minorités : foyer chrétien au Liban, foyer juif en Palestine, ainsi qu’il a toujours été…

Le Liban réclame la liberté pour les juifs en Palestine, comme il souhaite sa propre liberté et indépendance… /…”

Ambassade chrétienne internationale

Initiative plus récente, l’Ambassade chrétienne internationale à Jérusalem. Ce groupement évangélique, dirigé par Johann Luckhoff et Jan Willem van der Hoeven, est né en 1980 pour protester contre le fait que de nombreux états refusent de transférer leurs ambassades de Tel-Aviv à Jérusalem. Le mouvement a inauguré en 1980 à Bâle le premier congrès chrétien sioniste international. Et chaque année ses animateurs organisent un festival religieux et culturel auquel assistent les plus hautes personnalités politiques d’Israël. Cet organisme finance également par des dons (surtout américains) des aides à l’alyah et à l’intégration de nouveaux immigrants juifs sur tout le territoire d’Israël.

En guise de conclusion de ce parcours historique, il serait bon de rappeler que des étapes essentielles ont ouvert des voies depuis l’après-guerre, et sur la base de formulations doctrinales renouvelées de la part des chrétiens, des liens plus étroits se sont développés et renforcés entre chrétiens et juifs.

Pour mémoire : les 10 points de Seelisberg en 1948, qui ont directement préparé des prises de position protestantes et catholiques majeures. Le concile Vatican II, avec Nostra Aetate, dans la ligne voulue par Jules Isaac et Jean XXIII, promulguée malgré les pressions hostiles des patriarches arabes. Puis, une succession d’événements, côté catholique, sous le pontificat de Jean Paul II, citons-en quelques-uns :

  • le rappel à Mayence en 1980 que l’alliance de Dieu avec son peuple Israël n’a jamais été révoquée ni remplacée.
  • la publication en 1985 de notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse catholiques
  • l’affirmation lors de sa visite à la synagogue de Rome en 1886 que les juifs sont les frères aînés des chrétiens, et que le lien entre judaïsme et christianisme est intrinsèque.
  • le document la Shoah, nous nous souvenons, en 1998, qui reconnaît, malgré ses insuffisances, une responsabilité chrétienne historique dans les malheurs des juifs.
  • le pèlerinage du jubilé à Jérusalem en 2000, où JP II s’est recueilli devant le Kotel et à Yad Vashem.

Charta œcumenica

Conclusion œcuménique, un document significatif d’un nouvel état d’esprit est signé à Strasbourg en 2001, par les représentants catholiques, protestants et orthodoxes des Eglises européennes : charta œcumenica.

Ce document comporte un § 10 qui recommande à tous les chrétiens “d’approfondir la communion avec le judaïsme“, c’est-à-dire de faire apparaître partout où c’est possible le lien profond entre christianisme et judaïsme, ce qui suppose une lutte permanente contre l’antisémitisme, et un dialogue constructif judéo-chrétien toujours plus engagé et plus intense.

A la suite du pape Jean Paul II, Benoît XVI a poursuivi sur la même lancée et son successeur François également. Sa déclaration de fin 2015 contre l’antisionisme, expression masquée d’antisémitisme, a fait reculer un certain flou qui pouvait lui être reproché.

On peut signaler également l’institution en Suisse et dans d’autres pays, du DIES JUDAICUS, un dimanche consacré dans les églises catholiques aux liens entre judaïsme et christianisme, afin d’éclairer en profondeur les consciences chrétiennes et d’inviter des juifs à apporter leur témoignage.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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