Publié par Abbé Alain René Arbez le 15 juin 2021

« Il serait impossible de comprendre le sens de l’eucharistie si on ne connaît rien de la première alliance ! » c’est ce qu’affirme le papeJean Paul II en 1990. Et il précise encore : « Qui rencontre Jésus Christ rencontre le judaïsme ».

Voilà donc la clé essentielle d’exploration que nous allons utiliser pour découvrir ce qui a donné naissance à la messe, et cette recherche ne peut faire l’économie des traditions du Premier testament. Car le rituel eucharistique n’est pas né par génération spontanée… La « messe de toujours » une prétention d’Ecône… Pourtant, l’expression n’est pas justifiée : ce n’est pas en se focalisant sur un rite latin fixé par St Pie V que l’on va comprendre comment s’est instituée l’eucharistie des premiers chrétiens – qui parlaient hébreu et araméen avant de parler ensuite grec ou latin.

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Lorsque – pendant la célébration de la Pâque, Jésus dit : (Matthieu 26.27) « Buvez-en tous, ceci est mon sang, le sang de l’alliance qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés » comment ignorer quil cite les paroles de Moïse, 1250 ans avant lui : (on lit au livre de l’Exode 25.8) : « Moïse ayant pris le sang, le projeta sur le peuple et dit : ceci est le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous et qui vous engage ». Et en annonçant « l’alliance nouvelle et éternelle », Jésus cite textuellement le prophète Jérémie.

C’est en effet au cours d’une commémoration de la Pâque juive que Jésus a institué l’eucharistie, et ce geste est devenu transmissible pour ses disciples qui auraient été bien étonnés de savoir qu’ils célébraient une « eucharistie » !… puisque ce mot grec n’a été utilisé que bien plus tard après l’ouverture des communautés aux païens de culture hellénistique. La prière est celle de juifs appartenant au mouvement de Jésus – qui ne désirait pas fonder une nouvelle religion – cette prière s’appelle initialement en v.o. la tefilah, c’est à dire le lien avec Dieu, où trouve place la berakha, la bénédiction. Pour le « repas du Seigneur », les premiers disciples rassemblés pour le mémorial de mort et de résurrection du Messie se réunissaient non pas pour la « messe », mais pour la « todah », action de grâces.

Cela nous amène à constater que Jésus puise entièrement dans sa tradition hébraïque pour créer son propre « mémorial » pascal, le zakhor, et il dit précisément : « vous ferez cela en mémorial de moi » (et non pas  « en mémoire de moi » traduction qui induit en erreur, car elle évoque plutôt en français un souvenir, = un contresens).

Il y a dans le premier testament beaucoup de signes qui préparent à la compréhension du sens de l’eucharistie :

  • Le pain et le vin offerts par Melkisedek roi de salem (Gn 14,18), ce qui permet à l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hé 6,20) d’identifier Jésus comme grand prêtre selon l’ordre de Melkisedek.
  • L’agneau pascal dans l’Exode (Ex1,1) l’agneau offert en sacrifice pour épargner par son sang le destin des Israélites et mangé en communauté, afin d’avoir des forces pour l’itinérance vers la Terre promise.
  • La manne : une nourriture venue du ciel (Ex) qu’on retrouve mentionnée en Jn 6,32) un soutien dans la traversée du désert.
  • L’arche d’alliance : l’objet sacré qu’on transporte, il préfigure les tabernacles des églises. Trois objets à l’intérieur du coffre : la parole de Dieu (Ex 25,16), un vase rempli de manne (Ex 16,34) Jn parle de pain vivant descendu du ciel (Jn 6,51). Le rameau d’Aaron frère de Moïse, symbole de la fonction sacerdotale…

Pour désigner la célébration du mémorial d’action de grâces appelé eucharistie, on trouve fin du 1er siècle le terme anamnèse, mot grec – souvent rendu par souvenir ou mémoire en français – pour tenter de traduire l’original hébreu zakhor. Le mémorial au sens biblique, veut dire : être contemporain de l’événement que l’on commémore. Lorsque les juifs célèbrent la Pâque, ils revivent l’événement salvateur comme s’ils y avaient eux-mêmes été personnellement présents. Le mémorial n’est pas une quelconque évocation du passé, c’est une actualisation au présent, ce qui insère dans la vie d’aujourd’hui le sens de ce qui est arrivé des siècles auparavant.

De même, « faire mémoire du Saint nom de Dieu », le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, ce n’est pas se tourner vers le passé, c’est prier Dieu de se rendre présent à nous maintenant. C’est par là-même comprendre, (comme l’explique d’ailleurs Jésus dans une controverse avec les Sadducéens), qu’il est non pas le Dieu d’autrefois, le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants, le Dieu pour l’aujourd’hui de notre temps terrestre.

Faire mémorial de la Pâque, c’est revivre au présent la libération des servitudes. Faire mémorial de la cène, c’est devenir contemporain à la fois de l’événement du Golgotha et du chemin d’Emmaüs, ce n’est pas se souvenir d’un grand homme du passé ! Le mémorial s’inscrit dans la démarche de l’alliance et de la résurrection.

Qu’en est-il de l’alliance dans la Bible ?

Selon l’Ecriture, l’alliance avec Noé était la première ébauche de contrat de la part de Dieu. Elle se situe au tout début de l’histoire biblique. Cette alliance est universelle et concerne tous les hommes. Le premier geste de Noé après le déluge, est de planter une vigne (Gen 9) ce qui va prendre du sens dans l’alliance par la suite, où le vin trouvera sa place.

C’est donc avec Abraham que l’alliance se fait réciprocité. Pour cela, il y a un choix de la part de Dieu, qui en a l’initiative ; Dieu se choisit un peuple (Gen 17.1) la visée reste universelle mais cela passe par le particulier. L’alliance avec Abraham est donc le lancement d’une relation de confiance et de dialogue, il y a promesse, mais le contrat complet se réalise avec Moïse.

 Moïse reçoit la révélation du vrai visage du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, sur le mont Sinaï. Au buisson ardent, (Ex 3.1) un buisson d’épines (ceneh/ sinaï) avec une flamme qui brûle sans détruire, il y a un message : « J’ai vu la misère de mon peuple, je suis résolu à le délivrer ».

Le Dieu créateur et cosmique de la Genèse se révèle comme le Dieu sauveur qui entre dans l’histoire, « Je serai qui je serai » = Eye asher ayé ! » Et on lit dans Ex 3.12 : son nom sera son mémorial…En d’autres termes, le Nom, c’est à dire la présence et la puissance de Dieu, sont toujours actuelles, il suffit de l’invoquer, il nous est présent. HaShem, le Saint Nom.

Au Sinaï, sur la sainte montagne, se conclut l’alliance avec Dieu, par la transmission des 10 paroles, qui sont la charte du peuple de Dieu.

Mais il y a encore des aspects importants. Le repas de fête, au Sinaï, c’est le repas de communion, on y consomme en assemblée les viandes du sacrifice.  Depuis le Sinaï, c’est un objet mobile, le mishkan, l’arche d’alliance, qui contient le tabernacle = la « tente de la demeure » abritant les 10 paroles, signe de la présence réelle et permanente de Dieu à son peuple ; on lit en Ex 25.22 : « C’est là que je te rencontrerai » (Le mishkan est de la même racine que la shekhinah qui signifie la présence divine). « Tabernacle, présence réelle », ces termes sont parlants, dans la culture eucharistique !

La période de l’exil à Babylone est suivie du retour à Jérusalem annoncé par Ezekiel et Jérémie. C’est un nouveau départ pour le peuple ; alors Esdras fait relire la totalité des rouleaux de la Loi de Moïse, et cette assemblée refondatrice, dans une prière pénitentielle, demande pardon pour les infidélités à l’alliance avec Dieu.

C’est précisément dans cette restauration de l’alliance et cet acte de repentance des péchés que Jésus – à la suite des prophètes – inscrit son action personnelle, qui va déboucher sur le mémorial eucharistique et sur le sacrement de réconciliation issu du Yom Kippour. Au début de chaque messe, on aura donc un temps pénitentiel (Kyrie eleison) = petit yom kippour.

Si nous analysons la structure de l’assemblée du Sinaï, cela aide à comprendre celle – semblable – des assemblées eucharistiques au nom de Jésus :

  1. Le peuple se rassemble sur convocation de Dieu transmise par Moïse. (Qehal = ecclesia, église, assemblée convoquée par Dieu)
  2. Une fois le peuple assemblé, une proclamation de la Parole de Dieu est faite. (Ex 19.3)
  3. Le peuple exprime son adhésion à la Parole proclamée. (Ex 19.8) et chante la louange. On communie dans le partage du repas sacrificiel.
  4. Le pacte d’alliance est conclu (Ex 24.5)

On retrouve le même plan de célébration de l’alliance dans les assemblées de Sichem avec Josué, et de Jérusalem avec Esdras, mais étonnamment, on le retrouve semblable dans le récit des pèlerins d’Emmaüs et dans le déroulement habituel de la messe.

Emmaüs : Jésus rejoint les disciples, leur explique l’Ecriture, il y a adhésion (reste avec nous) puis fraction du pain eucharistié.

A la messe : Assemblée, liturgie de la Parole, louange et liturgie eucharistique, communion.

Qu’en est-il des premiers disciples de Jésus et de l’action de grâces todah ou eucharistie :

Nous disposons de textes anciens pour reconstituer le parcours eucharistique des premiers disciples du Messie. Par exemple la Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome, ou la didachè. C’est de ces anamnèses anciennes que s’inspirent les prières eucharistiques élaborées par la suite.

Au temps de Jésus, il y a trois types de liturgie :

  • La liturgie du Temple de Jérusalem (où réside l’arche d’alliance dans le Saint des Saints).
  • La liturgie familiale.
  • La liturgie de la synagogue.

Au temple, tous les matins des sacrifices sont offerts pour la communauté des enfants d’Israël. Après que la victime animale ait été égorgée en prenant garde que ce soit sans souffrance et que son sang ait été répandu sur l’autel, elle est brûlée avec des galettes de blé et avec du vin. Il y a aussi les sacrifices d’expiation centrés sur le sang, symbole de la vie. Ils opèrent pour le péché et le rachat des pécheurs.

Les sacrifices de communion et de paix, les shelamot. (Lév. 7.11-15)

Celui qui fait l’offrande est un père de famille ou le chef d’un groupe particulier. Le taureau, le chevreau ou l’agneau est égorgé sans souffrance par les prêtres officiants. Ce sacrifice libère des péchés.

La Bible de la Septante appelle ce sacrifice « Sacrifice de communion avec action de grâces », et l’écrivain juif Philon d’Alexandrie (contemporain de Jésus et de l’évangéliste Jean) l’appelle en grec « Sacrifice eucharistique ». On perçoit ici la parenté avec ce que les premiers disciples de culture juive appelaient « Le repas du Seigneur » Paul écrit dans l’épître aux Corinthiens : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Cor 11.26)

Quelle est la structure du repas pascal, seder de Pessah, tel que Jésus l’a vécu avec ses amis, pour en faire son repas d’adieu ?

Impressionnante continuité entre les célébrations juives et les actions de grâces chrétiennes qui s’instaurent par étapes dans la vie des communautés du 1er siècle pour prendre les noms de fraction du pain, cène, repas du Seigneur, eucharistie et messe.

« Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant… » Il y a ainsi 4 récits néo-testamentaires sur l’eucharistie : Mt 26.26, Mc 14.22, Lc 22.17 et Paul 1 Cor 11.23 –

Ces repas d’action de grâces sont désignés comme « repas du Seigneur » chez Paul, et comme « Fraction du pain » chez Luc (Ac 2.42) Les premiers disciples qui célèbrent à la suite de Jésus sont des Juifs qui utilisent leurs bénédictions traditionnelles pour exprimer leur foi au Messie. Pour les juifs, la birkat ha mazon (bénédiction du repas) est le sommet de la vie religieuse familiale. Les premiers chrétiens vont donc dire leur foi en la présence réelle du ressuscité à l’intérieur de repas de communion. Ils bénissent Dieu pour le pain et pour le vin, devenant corps et sang livrés pour nous, offerts en sacrifice d’action de grâces. Nous constatons que les toutes premières prières eucharistiques sont toutes bâties autour de la structure des bénédictions juives traditionnelles, Nous le découvrons par exemple dans les documents les plus anciens : la didachè, contemporaine de l’évangile de Jean, vers l’an 100, l’anaphore de St Hippolyte vers 220, l’anaphore copte de St Marc, 250,  celle de St Basile 300, et celle de St Jean Chrysostome la plus courante dans les rites orientaux.

A Alexandrie en Egypte, il y avait la communauté juive des Thérapeutes qui vivaient comme les moines de Qumran, dans la chasteté et la pauvreté et qui soignaient les personnes en souffrance, (corps, esprit et âme). Comme à Qumran, ils attendaient les temps nouveaux en célébrant des repas d’action de grâces et de confiance à Dieu. Leur prière de bénédiction célèbre est le Yotser Or, (toi qui façonnes la lumière…) on sait que cette prière est à l’origine de la préface de la messe suivie de l’acclamation de la qedusha « saint, saint, saint » reprise du prophète Isaïe.

L’assemblée eucharistique, par sa structure et son déroulement, par son symbolisme et sa signification, est donc greffée sur l’histoire biblique, et cette tradition hébraïque, là encore, ce n’est pas seulement nos racines, (=passé !) comme on l’entend souvent, mais c’est aussi notre aujourd’hui ! L’eucharistie des chrétiens est simultanément entièrement biblique et entièrement catholique.

A la fin de la célébration eucharistique, la formule « Allez en paix ! » est une bénédiction juive connue dans les textes : « Lekh beshalom ! » Juges 18.6- 1 Samuel 1.17- 29.7 – 2 Samuel 15.9-

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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