Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment.
Shmuel Trigano
Il est encore trop tôt pour faire le bilan de l’ère Nétanyahou et pour “enterrer” – comme l’ont déjà fait plusieurs éditorialistes et observateurs – celui qui, de l’avis de ses partisans comme de certains de ses détracteurs, est déjà entré dans l’Histoire comme un des grands dirigeants d’Israël à l’époque moderne. Mais, au lendemain de la formation du gouvernement le plus bizarre et le plus hétéroclite qu’Israël ait jamais connu, on peut tirer quelques leçons de cette campagne électorale et de son résultat. Le phénomène qui nous intéresse ici, au-delà même de la haine, qui a visé depuis plusieurs années Binyamin Nétanyahou, totalement irrationnelle et injustifiée (mais n’est-ce pas le propre de toute haine ?), est celui de la confusion qu’une certaine gauche israélienne entretient délibérément entre ses adversaires et ses ennemis.
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Ce phénomène n’est pas nouveau. On pourrait même dire qu’il est inscrit dans l’ADN d’une fraction non négligeable de la gauche israélienne et juive, celle qui trouve ses racines historiques et politiques pas tant dans le sionisme travailliste des pères fondateurs, que dans la Troisième Internationale et dans le bolchévisme le plus pur et dur (au sens propre, comme le reconnaissait jadis Ben Gourion, en n’hésitant pas à se qualifier lui-même de “bolchévique”, au début des annés 1920) (1). C’est cette confusion dangereuse et lourde de conséquences dont nous voyons aujourd’hui les fruits amers.
Comme l’écrivait Shmuel Trigano il y a vingt ans, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même” (2). On ne saurait mieux décrire l’identité du nouveau gouvernement des “anti-Bibi”, qu’aucun ciment idéologique ou politique ne réunit, sinon leur détestation abyssale envers Nétanyahou. La coalition des “anti-Bibi” a préféré faire alliance avec les islamistes des Frères musulmans, pour chasser du pouvoir son adversaire, c’est-à-dire qu’elle a fait alliance avec ses ennemis pour triompher de son adversaire.
Cette politique de l’exclusion et du ressentiment, nous l’avons vue à l’œuvre, tout au long de l’histoire du sionisme politique, à chaque fois que les tenants du sionisme socialiste ont prétendu exclure leurs adversaires, tantôt du marché du travail dans le Yishouv des années 1920 et 1930 (en exigeant des travailleurs la carte de la Histadrout), tantôt de l’alyah (en privant les jeunes du Betar de certificats d’immigration). Elle a également visé l’apport du sionisme de droite à la fondation de l’État d’Israël, exclusion qui ne concerne pas seulement l’historiographie du sionisme (3), mais aussi les manuels d’histoire utilisés dans les lycées israéliens.
Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours, cette fraction de la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques – pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) et elle a accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum” (bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950). La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive – sioniste et non sioniste – à l’époque de Zeev Jabotinsky, que David Ben Gourion avait surnommé “Vladimir Hitler”.
Un exemple frappant, et presque ridicule, de cette confusion entre l’adversaire politique et l’ennemi nous a été donné dimanche dernier par la chanteuse Avinoam Nini, bien connue pour ses opinions radicales, qui a comparé Nétanyahou et… Haman, lors de la manifestation festive organisée par la gauche israélienne au lendemain de l’annonce du départ de B. Nétanyahou. Cette comparaison est d’autant plus choquante que Nétanyahou est sans doute le Premier ministre israélien qui a le plus œuvré pour protéger l’Etat juif contre les Haman modernes véritables que sont les dirigeants iraniens. Cet épisode révélateur montre précisément comment cette frange de la gauche à laquelle appartient la chanteuse confond Haman et Esther, réservant sa haine à ses adversaires politiques, tout en se montrant pleine d’indulgence envers nos ennemis. Il n’y a là, hélas, rien de nouveau sous le soleil.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.
- 1. Voir notamment l’article de Y. Nedava, “Ben Gourion et Jabotinsky”, dans Between two visions [hébreu] Rafael Hacohen éd. Jérusalem.
- 2. S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.
- 3. En hébreu, et aussi en français, Cf. mon article “Redonner à Jabotinsky son visage et sa place dans l’histoire du sionisme”, http://vudejerusalem.over-blog.com/2021/04/redonner-a-jabotinsky-son-visage-et-sa-place-dans-l-histoire-du-sionisme-pierre-lurcat.html
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Rien de nouveau (hélas!) sous le soleil. Nous avons affaire actuellement à Bernie Sanders, Norman Finkelstein, qui ne cachent pas leurs sentiments antisémites. Et même Bloomberg qui a soutenu financièrement l’actuel “président”, plus que fêlé.
En France, idem, les Schneiderman, Edgar Morin, et surtout celui qui s’est illustré il y a 20 ans dans l’affaire Al Dura, j’ai nommé Charles Enderlin, etc, etc.…
En Israel Vanunu, et la gauche de la gauche…
Ls motifs? A part l’enracinement dans une certaine gauche stalinienne pour les uns, ou pour suivre une ligne éditoriale pour d’autres, j’aimerais comprendre.
Et encore une fois, il faudra qu’ils aient causé un massacre avant que ces gauchistes bouchés à l’émeri réalisent leur ineptie.
Excellent article mais tout cela n’a été possible qu’avec Bennett,Saar et Lieberman qui ne sont pas de gauche. Bennett a trahi ses électeurs pour parvenir à ses fins.
En conclusion, j’ai honte de la gauche israélienne actuelle mais aussi de certains politiciens de la droite israélienne. Je me rends compte que malheureusement le peuple juif devient un peuple comme tous les autres , avec de plus en plus de journalistes, universitaires et politiciens qui ne s’intéressent qu’à leurs petits intérêts personnels. C’est triste car on ne peut se payer un tel “luxe”.
Tout cela est vrai mais les réponses ne donnent pas les vraies raisons du pourquoi, quand on voit l’Histoire qui se répète sans arrêt malgré le prix payé.
Alors c’est à nouveau notre impuissance face aux intérêts des uns et des autres, mais surtout la haine toujours la haine et pas gratuite du tout ?!!