Publié par Gertrude Lamy le 3 juin 2021

Source : Vaticannews

Ce 26 mai marque le 150e anniversaire du massacre de la rue Haxo, lors duquel 50 prisonniers périrent, exécutés par la Commune deux jours avant la reprise totale de Paris par les troupes versaillaises d’Adolphe Thiers. Parmi les victimes de ce massacre figurent 10 ecclésiastiques, dont le père Henri Planchat (1823-1871), religieux de Saint-Vincent-de-Paul actif dans l’évangélisation du monde ouvrier, et dont la cause de béatification est actuellement en cours.

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Victime paradoxale d’un régime qui prétendait défendre les plus pauvres, le père Henri Planchatfut un précurseur du catholicisme social, qui allait trouver à la fin du XIXe siècle une reconnaissance et un élan encouragé au sommet de l’Église grâce à l’encyclique de Léon XIII, Rerum Novarum. Premier prêtre ordonné au sein de la congrégation des religieux de Saint-Vincent-de-Paul, le père Planchat a consacré son sacerdoce à lutter pour la justice sociale, aux côtés des ouvriers et de leurs familles dans les quartiers populaires de Grenelle puis de Charonne.

Issu d’un milieu bourgeois et intellectuel, cet étudiant en droit à Paris découvre sa vocation en se mettant au service des plus démunis aux côtés des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée en 1833 par le bienheureux Frédéric Ozanam (1813-1853) à partir de l’héritage spirituel du grand apôtre de la charité. Ordonné prêtre en 1850 (le premier à recevoir l’ordination parmi les religieux de Saint-Vincent-de-Paul), le père Planchat choisit de servir humblement le peuple de Paris, victime des injustices causées par la révolution industrielle et par le matérialisme de la bourgeoisie, dont l’avidité avait été libérée par le mot d’ordre de François Guizot, chef du gouvernement du roi Louis-Philippe : «Enrichissez-vous!».

Durant plus de 20 ans, le père Planchat participera à des propositions pastorales très innovantes pour l’époque: patronages pour les apprentis, incubateurs économiques, bibliothèques populaires, clubs ouvriers, œuvres au service des familles immigrées… Les religieux de Saint-Vincent-de-Paul voulaient alors soulager la misère des pauvres et les ramener à la foi par la charité. C’est pourtant au nom d’une supposée affiliation de l’Église catholique à la bourgeoisie que le père Planchat sera exécuté par les communards.

Un contexte de guerre civile

La Commune de Paris s’était formée en 1871, sur le modèle de la Commune de 1792 qui avait alors renversé le roi Louis XVI. Au terme de l’hiver 1870-71, le contexte est celui d’une France exsangue, profondément humiliée et déchirée: les armées prussiennes, après avoir vaincu triomphalement l’empereur Napoléon III à Sedan, campent aux portes de Paris. Les corps constitués de la IIIe République, proclamée le 4 septembre 1870, sont réfugiés à Versailles. Dans la capitale, la Garde nationale refuse d’accepter la défaite et, organisée en fédération, fonde la Commune le 26 mars 1871, cherchant à établir une République démocratique et sociale tout en rêvant de repousser l’envahisseur. C’est dans le contexte de cette dissidence qu’une brève mais cruelle guerre civile va opposer les “communards” (appelés aussi les “fédérés”) aux “Versaillais”, affiliés au chef de l’État Adolphe Thiers, qui deviendra ensuite président de la République.

Réagissant aux défaites sanglantes infligées par l’armée versaillaise, qui procède à des exécutions sommaires, la Commune adopte le 5 avril 1871 le “décret des otages”, stipulant que toute personne soupçonnée de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement emprisonnée et jugée dans les 48 heures par un grand jury. Alors que le nouveau régime républicain au pouvoir à Versailles n’a en réalité aucune sympathie pour l’Église catholique, le clergé se retrouve objet d’une hostilité de principe des dirigeants de la Commune, dont beaucoup sont mus par une idéologie anticléricale. «Pour Auguste Blanqui, il fallait éliminer le monothéisme, il fallait éliminer la religion. Pour lui, la religion c’était l’opium du peuple», explique le père Yvon Sabourin, religieux de Saint-Vincent-de-Paul et postulateur de la cause de béatification du père Planchat.

Le lendemain de ce décret, le Jeudi Saint, 6 avril, au début du Triduum pascal, le père Planchat est arrêté et immédiatement emprisonné. Dans une lettre à son frère, trois jours avant sa mort, après s’être confessé, il demande de prier «pour tous les hôtes de la prison», incluant donc ses geôliers dans ses intentions. Il ajoute: «Notre sacrifice est accompli».

Les combats s’intensifient durant la «semaine sanglante» du 21 au 28 mai, qui se terminera par la victoire des Versaillais après des combats au corps-à-corps, qui feront des milliers de morts. Dans ce contexte de chaos, le 26 mai sera la date du calvaire du père Planchat et de ses compagnons d’infortune, parmi lesquels neuf autres hommes d’Église et 36 gendarmes. Extirpés de la prison de la Roquette, ils vivront une marche particulièrement humiliante sous les huées de la foule, jusqu’à leur exécution.

Un chemin d’humiliation, à l’image de la passion du Christ

«En sortant de la prison, ils croisent une foule haineuse qui crie: à bas les curés, les calotins, fusillez-les!», raconte le père Sabourin. Le chemin va durer trois kilomètres, à travers des rues qui vont mener jusqu’à la mairie du XXe arrondissement. Le maire ordonne alors de les fusiller au poste de commandement de la rue Haxo, qui sera deux jours plus tard le dernier lieu de retranchement des chefs de la Commune.

Ce moment à la fois tragique et festif prend la forme d’une kermesse macabre. «Des centaines de personnes suivent le cortège, une fanfare les accompagne avec des tambours. C’est vraiment impressionnant. Dans le quartier, il y a à la fois des gens haineux qui veulent la mort des prêtres, et des gens qui pleurent, notamment les enfants du patronage», explique le père Sabourin, qui a pu lire les témoignages de nombreux témoins directs de ces évènements.

Le cortège se déroule dans un climat confus et fébrile, le sort des otages suscitant de vives tensions parmi les dirigeants de la Commune eux-mêmes. Certains membres du courant socialiste s’opposent, sans succès, à l’exécution des religieux. «Les otages sont conduits jusqu’à la rue Haxo. Sur le balcon, les chefs communards discutent. Certains prennent la défense des prêtres et ne veulent pas les exécuter, d’autres veulent laisser faire… Cela fait penser au chemin de croix du Christ. C’est comme avec Pilate qui s’en lave les mains», remarque le père Sabourin.

«La foule est là. Une jeune cantinière, très vindicative, tire un coup de revolver, et finalement le commandant donne l’ordre de fusiller les otages, dix par dix. C’est un véritable massacre. Certains corps reçoivent jusqu’à 72 coups de baïonnette. Le père Planchat reçoit huit balles de fusil. On lui a cassé les cervicales avec une baïonnette. On lui a brisé les bras. Son corps, encore intact aujourd’hui, exhumé en 2017, nous montre toute cette violence, résultat de la haine qui habite le cœur des gens qui ne savent pas ce qu’ils font.» «Laissez-moi prier!» sera le dernier mot du père Planchat avant qu’il ne s’effondre, agrippé à un militaire.

Une cause relancée en 2005

Après 1871, le père Planchat et ses compagnons feront rapidement l’objet d’une dévotion locale, mais la procédure en béatification lancée peu après leur mort s’est ralentie en raison de différents évènements qui ont secoué la France: la séparation de l’Église et de l’État, les expulsions des congrégations religieuses, ou encore les deux guerres mondiales. Plus récemment, le climat politique post-Mai 68 a favorisé une vision “romantique” de la Commune de Paris, ce qui rendait difficile, pour le grand public, une compréhension objective de ces évènements et de leur caractère tragique.

Ce 150e anniversaire donne donc l’occasion de redonner une visibilité à cette tragédie oubliée, dans l’espoir que la reconnaissance formelle du martyre puisse ouvrir la voie à une ultérieure béatification. Depuis 2005, le travail historique a été relancé. «La cause des martyrs de la Commune semble une cause oubliée», regrette le père Sabourin, qui précise que la positio, c’est-à-dire le rapport du postulateur, n’est pas un jugement historique sur la Commune, mais une reconnaissance du don de la vie de ces prêtres exécutés.

«On a retrouvé son corps les yeux ouverts, tournés vers le ciel. Nous avons une admiration devant ce signe qui nous montre non pas la haine, mais l’amour. Cette cause n’a pas pour objectif de chercher des coupables, mais de montrer de bons prêtres, qui ont donné leur vie. C’est montrer à quel point l’amour est plus fort que la haine. Le sang des martyrs est semence de chrétiens», souligne le père Sabourin.

Ce prêtre est une source d’inspiration personnelle pour son engagement comme religieux de Saint-Vincent-de-Paul. «Le père Henri Planchat avait un ministère extraordinaire, il était connu des gens, il avait gagné le cœur de la population ouvrière», ce qui était exceptionnel pour l’Église de l’époque. «C’est celui qui avait le plus d’amour pour les pauvres, les ouvriers, les immigrés italiens de ces quartiers. Les Frères de Saint-Vincent-de-Paul allaient dans les quartiers populaires de Grenelle, de Charonne. Aujourd’hui aussi, il faut aller à la rencontre des gens, en faisant du porte-à-porte, du cœur à cœur, et non pas attendre qu’ils viennent dans nos églises», souligne le postulateur.

Les commémorations à Paris

Plusieurs évènements sont organisés cette semaine dans le cadre de cette commémoration. Le père Yvon Sabourin tiendra une conférence ce jeudi 27 mai à 18h dans l’église construite sur le lieu du massacre du 26 mai 1871, l’église Notre-Dame-des-Otages, au 81 rue Haxo.

Le samedi 29 mai se tiendra une marche des martyrs, le long du parcours que suivirent les otages, avec un départ à 17h depuis le square de la Roquette, l’ancien site de la prison de la Roquette jusqu’à la rue Haxo. Enfin, le dimanche 30 mai à 11h se tiendra une messe solennelle présidée par l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, en l’église Notre-Dame-des-Otages.

La cause du père Planchat est associée à celle de quatre religieux de Picpus assassinés avec lui. De nombreux autres prêtres figurent parmi les victimes de la Commune, parmi lesquels des jésuites, des dominicains, des prêtres diocésains, et l’archevêque de Paris en personne, Mgr Georges Darboy, exécuté le 24 mai 1871 à la prison de la Roquette.

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