L’appellation « catholique » attribuée très tôt à l’Eglise chrétienne à partir de la communauté de Rome n’est pas toujours comprise dans son sens historique et théologique. Pourtant l’enjeu est important puisqu’il implique la fidélité à l’enseignement des apôtres, le souci de l’unité universelle dans la diversité, et l’impact de la foi chrétienne dans tous les aspects de la vie humaine. La notion évangélique de catholicité provient de la tradition biblique antérieure.
L’Eglise voulue par Jésus n’était nullement dans sa pensée un corps étranger au judaïsme. Même si son enseignement traduisait une volonté certaine de réforme et de recentrage de la religion au sein des multiples courants spirituels concurrents qui coexistaient, à l’époque, dans l’interprétation de la Torah. Accompagné d’une équipe de disciples motivés, et dont les évangiles font de Simon-Pierre le porte-parole, Jésus a voulu fonder un corps mystique au cœur même de l’histoire sainte d’Israël pour témoigner de la lumière salvatrice de l’alliance de Dieu avec son peuple et dans le but final de rassembler l’humanité. Mais cette communauté messianique christique, faisant partie des « minîm » (les dissidents) est excommuniée – avec d’autres – par les rabbins réunis à Yavné en 90. Après le démarrage vers 35 de ce mouvement qui s’appellera christianisme, les critères rabbiniques d’appartenance au judaïsme se précisent, afin de préserver l’identité menacée d’Israël ayant été brutalement privé de son Temple et des sacrifices.
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Ekklesia
« Eglise » provient de ekklesia, assemblée, traduction grecque de l’appellation initiale judaïque qehila : l’assemblée convoquée par Dieu. Les esséniens eux-mêmes dans leur communauté présente à Qumrân et à Jérusalem se voyaient aussi comme une force réformatrice de renouveau au sein du judaïsme en crise.
Au cours du 1er et du 2ème siècles, cette Eglise du Christ, communauté vivante, s’est développée par étapes successives, à travers des prises de conscience, des conflits d’interprétation du mystère, une appropriation progressive de la Parole de Dieu, un rayonnement de plus en plus universel. L’annonce de la Bonne Nouvelle, la bassora tova, a vite dépassé les frontières d’Israël occupé par Rome. Comment la notion d’ « Eglise catholique » a-t-elle pris forme au cours des 3 premiers siècles pour trouver ensuite une place dans l’Empire romain ?
L’expérience de la résurrection du Christ a convaincu les membres de l’Eglise- mère de Jérusalem que les temps nouveaux étaient arrivés et que l’univers entier serait concerné par cette annonce régénératrice. La dimension universelle, déjà fortement esquissée par les prophètes d’Israël, prenait consistance avec la mission christique « jusqu’aux extrémités de la terre ». C’était l’ébauche de ce qui deviendrait peu à peu la catholicité de l’Eglise chrétienne naissante.
Chrestos et Christos
Les témoignages internes et externes nous indiquent que c’est autour des années 43 que le nom de « christianoï » est apparu, à partir d’Antioche, pour désigner les juifs adeptes de la Voie initiée par Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, reconnu par certains comme messie pour les temps à venir. Autour de l’an 120, Suétone relate l’édit de Claude qui mentionne que des juifs s’agitent à Rome au nom d’un certain Chrestos, ce qui a d’ailleurs provoqué l’expulsion des juifs de la capitale.
Cette référence à Chrestos est appuyée par d’anciens manuscrits du Nouveau Testament où l’on voit que le nom des disciples est désigné par « chrestianoï » et non pas par « christianoï ». Le récit des Actes des Apôtres signale qu’après le martyre d’Etienne la communauté d’Antioche s’adresse autant aux juifs hellénisés qu’aux païens, d’où l’utilisation de deux termes proches, l’un d’origine grecque, l’autre d’origine biblique, avec deux significations différentes. Or, dans le Livre de la Sagesse, on trouve le modèle du pauvre persécuté, mis à mort mais vainqueur de l’injustice, celui que les païens hostiles dénomment achrestos, c’est-à-dire inutile. Mais, selon l’Ecriture, au jour du jugement, les mérites de ce pauvre humilié et justifié seront enfin reconnus. Et alors, par un renversement de situation dans la lumière de la vérité ultime, ce sont les païens qui seront estimés achrestos, inutiles, tandis que le juste triomphant sera, lui, proclamé chrestos, c’est-à-direbon, vertueux et utile à tous.
Ce profil du juste de la Sagesse est connu du Nouveau Testament. Et dans la première épître de Pierre, qui s’exprime dans un contexte de persécution, la méditation porte sur le Seigneur qui est à la fois chrestos et christos. Dans son lien au Dieu du premier Testament, la présence divine dans la personne de Jésus est évoquée en tant que chrestos, selon le psaume 34,9, comme juste bienfaisant. Lorsque le texte se centre sur le Christ serviteur souffrant et sauveur, c’est le terme christos qui correspond à cette fonction rédemptrice.
Ces références lourdes de sens font que l’identité des premiers chrétiens dans la communauté primitive répond pratiquement à une double appartenance : ils sont adeptes de Jésus chrestos, bienfaisant pour la condition humaine, et de Jésus christos, messie libérateur pour les temps à venir. Ce Fils de Dieu, juste, humilié, et vainqueur par-delà la mort annonce par grâce divine un avenir glorieux à tous les opprimés.
Foi holistique
Pendant les 2 premiers siècles, c’est surtout face au pouvoir oppresseur que l’appartenance chrétienne se manifeste. Dans la lettre des Martyrs de Lyon, l’allusion au juste Chrestos de la Sagesse est claire. Même Justin dans son apologie définit le disciple du Christ comme chrestos, un citoyen bon et utile à tous. On peut ainsi voir, dans ce nom de chrestos comme bienfaiteur au service de tous, les bases d’une dimension de catholicité qui surpasse la notion géographique d’universalité et qui s’élaborera dans une doctrine de la foi : cat-holique est proche de holistique, ce qui implique que le message chrétien comble les attentes humaines en les accomplissant de manière intégrale et inespérée. Le salut émane de Christos, messie, mais également de Chrestos, juste bienfaisant pour tous, réponse de Dieu aux attentes de tous les hommes de bonne volonté en quête de spiritualité et d’avenir.
Elaboration d’un socle doctrinal
Les trois premiers siècles sont aussi une époque de sérieuses controverses théologiques où des dissensions sectaires s’entrechoquent, des croyants s’appropriant hâtivement le nom de chrétiens se dévoient vers des impasses malencontreuses, comme Marcion, qui sera rejeté par l’Eglise, au terme d’un synode, en raison de son refus antijudaïque de la révélation fondatrice du Premier Testament.
En 160, le philosophe et apologiste Justin précise : « Nous nous assemblons tous le jour du soleil, où Dieu tirant la matière des ténèbres, créa le monde, et que ce même jour, Jésus Christ notre Sauveur, ressuscita des morts. La veille du jour de Saturne, il fut crucifié, et le lendemain de ce jour, le jour du soleil, il apparut à ses apôtres et à ses disciples… »
C’est essentiellement le rituel de l’eucharistie qui réunit les fidèles, comme le relate la Didachè (9,10) précisant que cette « mémoire du Seigneur » est célébrée jusqu’à son retour. Le texte, contemporain de la rédaction des évangiles, montre le souci de rassemblement ecclésial unitaire : « Comme le pain rompu dispersé sur les collines a été recueilli, que ton Eglise, Seigneur, soit rassemblée jusqu’aux extrémités de la terre dans ton Royaume ! » De même, le Pasteur d’Hermas, même époque, adresse un message « à toutes les communautés de la Sainte Eglise catholique, qui séjournent (paroïkia=paroisse) en tous lieux… »
Dans le martyre de Polycarpe, on retrouve 4 fois mentionnée l’expression « Eglise catholique » avec cette idée de l’attachement à une tradition centrale et une visée universelle.
En ce qui concerne les célébrations des chrétiens, Justin donne l’orientation de l’assemblée à travers des critères exigeants : « Nous appelons cet aliment eucharistie et personne ne peut y prendre part s’il ne croit pas à la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu le bain pour la rémission des péchés et la régénération, et s’il ne vit selon les préceptes du Christ »
Ecclesia : le qahal est l’assemblée convoquée au Sinaï autour de Moïse, comme l’indique le Deutéronome. Le terme est traduit par ekklesia ou par synagoguè . C’est à la fin du 2ème siècle qu’ekklesia désignera la communauté chrétienne et synagoguè la communauté juive rabbinique. Dans son épître, Jacques utilise pour les disciples du Christ le terme de « synagoguè » (Jc2,2)
Paul, l’ancien persécuteur devenu pionnier de la communauté christique, développe sa vision des ekklesiai dans ses épîtres, n’hésitant pas à dénommer le mouvement « Eglise des saints » (1Cor 14,33). Il parle aussi de « l’Eglise de Dieu » sans que cela implique une séparation entre partisans de Jésus et membres d’autres groupements juifs. L’évangile de Matthieu (Mt 6) reprend le terme ekklesia pour insister sur le rôle de l’institution voulue par Jésus, lorsqu’il confie à ses apôtres le pouvoir de lier et de délier sur la terre comme au ciel. En Mt 16, seul Simon Pierre semble gérer ce pouvoir, mais en Mt 18, c’est au nom de la communauté tout entière que des décisions sont prises.
Témoignage de Clément
L’évêque Clément de Rome, juif connaisseur du Premier Testament, écrit en 94 à des chrétiens après la chute du temple en 70. Il mentionne « l’Eglise de Dieu qui est à Rome s’adressant à l’Eglise de Dieu qui séjourne à Corinthe ». Le verbe utilisé est parokein, (terme de diaspora juive qui a donné le mot paroisse), évoquant l’installation d’un groupe de disciples dans l’espace d’une région. Mais son propos ramène à l’événement fondateur situé à Jérusalem, tout en donnant une dimension large au mouvement communautaire qui se développe au nom du Christ. La querelle de Corinthe tournait autour du rôle des ministres, soit itinérants, soit installés sur place. Visiblement, l’Eglise de Rome se sent responsable de rétablir la concorde à Corinthe. Avec autorité, Clément met en garde les Corinthiens contre les rivalités qui, à Rome, ont coûté la vie aux apôtres Pierre et Paul. Il leur demande de respecter les fonctions apostoliques telles qu’elles ont été instituées au service de l’unité et de la paix. Etonnamment, la grande prière finale de la lettre de Clément est très proche de l’oraison finale de l’évangile de Jean.
Marc et l’enseignement de Pierre
A partir du 1er s. et sans discontinuité, les écrivains chrétiens affirment que Marc a recueilli l’enseignement de Pierre et l’a mis par écrit. Des décennies après la mort de Pierre, Irénée de Lyon lutte contre les déviances et les dissidences hérétiques. Il écrit : « Rome, l’Eglise très grande, très ancienne, connue de tous…Avec elle- en raison de son origine hors du commun- doit nécessairement s’accorder toute Eglise, c’est-à-dire les fidèles de partout, car pour le bien de tous, elle a conservé la tradition qui vient des apôtres ! » Ignace, l’évêque d’Antioche parle également en termes prééminents et élogieux de l’Eglise de Rome, montrant que l’enseignement de Pierre est le fondement de la « Grande Eglise » bientôt dénommée « catholique ».
Les ministères
Justin évoquera en 160 la fonction essentielle du « président » de l’assemblée et Ignace d’Antioche précise en disant : « Là où est l’épiscope, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique. Il n’est pas permis, en dehors du ministre en charge, de baptiser ni de célébrer l’agapè ».
Ignace revient dans ses lettres sur la nécessité d’un épiscopat pour assurer le bien de la communauté. L’Eglise est fondée sur des apôtres dont l’évangile dit qu’ils sont envoyés et établis. Ce qui suppose une organisation, une doctrine et des charismes. Les premiers chrétiens d’origine juive et d’origine païenne se retrouvent dans les mêmes assemblées de prière eucharistique. Les différences culturelles ne sont pas sans conséquences, mais le patrimoine biblique reste le socle de la communauté en développement. Les ministres ont un rôle d’enseignants et de régulateurs.
Katholikos
L’adjectif katholikos signifie universel. L’expression d’Ignace d’Antioche évoquant l’Eglise catholique insiste sur l’aspect universel de l’Eglise de Jésus Christ. Tertullien utilise l’adjectif catholique d’Ignace d’Antioche en renforçant son enjeu doctrinal : rappelant l’affaire Marcion (hérésiarque du 2ème s.) Tertullien précise que ce chef de communauté importante mais déviante avait fait cadeau sans succès d’une somme d’argent conséquente à « l’Eglise catholique, somme rejetée avec sa personne quand il se fut dérouté de notre vérité pour suivre son hérésie ».
Clément d’Alexandrie parle d’Eglise catholique pour rappeler l’antériorité de cette communauté de foi par rapport aux réunions d’inspiration purement humaine, c’est pourquoi son vocabulaire théologique souligne « l’unicité de l’antique Eglise catholique ».
Identité catholique
Au début du 3ème s. plusieurs notions éclairantes apparaissent dans d’autres déclarations montrant que s’élabore au fil des événements la nécessaire catholicité ecclésiale : selon les termes fréquents, l’Eglise catholique est l’Eglise invisible du Christ. Elle est universellement répandue dans l’oïkoumènè, c’est une Eglise universelle à laquelle participe chaque Eglise locale. Eglise qui par sa tradition s’enracine dans le Premier testament, Eglise une, reflet de l’unité divine, incompatible avec les divisions sectaires.
Dans les Actes de Pionos, lors de la persécution menée par l’empereur Trajan Dèce en 250, on découvre que le magistrat demande aux accusés s’ils sont « chrétiens ». Mais cela n’est pas suffisant, car il leur fait préciser à quelle Eglise ils appartiennent. Leurs réponses catégoriques indiquent que l’Eglise catholique est une réalité sociale reconnue. Déjà vers 210, l’un de deux concurrents pour le siège épiscopal de Rome contestait que son opposant ait eu des partisans n’ayant pas hésité à usurper le titre d’ « Eglise catholique ». On peut dire que l’Eglise déploie sa catholicité locale et universelle dès le 2ème siècle. Mais pour ce faire, des normes doctrinales acceptées par tous s’avèrent nécessaires, en harmonie avec les Ecritures inspirées, dont le canon n’est pas encore fixé.
Irénée de Lyon se donne alors pour tâche de mettre de l’ordre dans cette effervescence de concepts où chacun se bâtit sa propre orthodoxie, souvent sous l’influence de la gnose, puissante à cette période. Les apocryphes manifestent le danger de mutation du message chrétien en croyance dualiste à la manière des manichéens, dont l’héritage se montrera plus tard dévastateur.
Ministères institues
L’évêque Irénée écrit « Adversus haereses », pour mettre en exergue la « règle de vérité » découlant de l’adhésion au Dieu du Premier et du Nouveau testament, ce qui offre à partir de là une norme d’interprétation des Ecritures qui respecte la logique globale de la Révélation, et qui évite que chacun se fabrique une croyance selon ses humeurs. « Il faut se fier aux presbytres qui expliquent les Saintes Ecritures sans blasphémer Dieu, sans outrager les patriarches, sans mépriser les prophètes » (AH 4,26) Il ajoute que « les presbytres ont le sûr charisme de la vérité grâce à la succession dans l’épiscopè » Cette fidélité qui remonte aux origines est primordiale. C’est donc la norme doctrinale catholique qui régit l’organisation des assemblées et non l’inverse. C’est d’ailleurs dès le début du 2ème s. que l’organisation des ministères se précise : évêques, prêtres et diacres sont les accompagnateurs des églises en expansion rapide. La complémentarité entre les laïcs membres du peuple de Dieu et les ministres au service de l’unité apparaît de plus en plus clairement dans les documents.
La « Didascalie », rédigée en Syrie vers 230, met en relief le pouvoir de Pierre (à partir de Mt 16,1) qui seul peut lier ou délier pour le bien de l’Eglise. Elle souligne aussi la responsabilité de l’évêque qui est le garant de la rectitude théologique et morale de sa communauté, et donc comptable du salut des âmes qui lui sont confiées ainsi qu’à ses prêtres.
Cette Eglise illustrée par Callixte, homme de foi bon et généreux, est celle qui accueille les pécheurs et leur fait entendre la Parole de Dieu. Face aux rigorismes excessifs autour de la pénitence, Callixte freine les réflexes d’exclusion et se montre accueillant aux diverses sensibilités, ce qui donne un sens à la catholicité comprise en tant qu’unité dans la diversité, et non pas uniformité autoritaire. Callixte, ancien esclave ayant reçu le baptême dans sa jeunesse, mourra martyr et laissera un témoignage spirituel décisif pour la vitalité de l’Eglise en croissance.
L’évêque de Rome ouvre la voie à l’intégration éclairée des chrétiens dans la société tout en préservant leur identité et leur dignité. Au 4ème s. un tournant décisif aura lieu avec la reconnaissance par Constantin de la légitimité sociale du christianisme, tandis que l’Eglise catholique connaîtra un fulgurant développement dans tout l’Empire, avec une intégration où se mêleront l’ivraie et le bon grain.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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Merci, Monsieur l’Abbé, pour ce très intéressant exposé.
L’évêque Irénée aurait même écrit :
« les presbytres ont la plus nette vision de la vérité grâce à la succession dans l’épiscopè »