Publié par Daniel Pipes le 23 septembre 2021
« Une femme sans dieu » en bikini qui fait frire du bacon.

Les ex-musulmans affichent publiquement leur rejet de l’islam comme jamais auparavant, qu’il s’agisse de mémoires sulfureux, véritable mise à nu, figurant en tête des best-sellers du pays ; d’une vidéo (de plus de 1,5 million de vues) montrant un exemplaire du Coran déchiré en morceaux ; d’une autre vidéo sur laquelle une femme en bikini cuisine et mange du bacon ou encore de caricatures blasphématoires de Mahomet.

Au-delà de telles provocations, les ex-musulmans s’emploient à changer l’image de l’islam. Wafa Sultan est allée sur la chaîne de télévision Al Jazeera pour dénoncer l’islam dans un arabe exalté, une vidéo qui a fait plus de 30 millions de vues. Ayaan Hirsi Ali a écrit une autobiographie marquante sur le fait de grandir en tant que femme en Somalie et a ensuite écrit des livres très médiatisés critiquant l’islam. Ibn Warraq a écrit ou édité une petite bibliothèque de livres influents sur son ancienne religion, dont Why I am Not a Muslim (1995) [Ndt, publié en français en 1999 sous le titre Pourquoi je ne suis pas musulman] et Leaving Islam: Apostates Speak Out (2003, « Quitter l’islam : les apostats s’expriment »).

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Derrière ces individus se trouvent des organisations d’ex-musulmans basées en Occident qui encouragent les musulmans à renoncer à leur foi, soutiennent ceux qui ont déjà franchi le pas et font pression contre l’Islam avec la connaissance des initiés et la passion des renégats.

Ces phénomènes conjugués indiquent un changement sans précédent : ce qu’il a toujours été interdit de faire et de dire parmi les musulmans ne croyant ouvertement pas en Dieu et rejetant la mission de Mahomet, s’est propagé au point d’ébranler la religion islamique.

Pour les non-musulmans, ce changement est presque imperceptible et dès lors considéré comme marginal. Ahmed Benchemsi observe qu’en ce qui concerne les Arabes, les Occidentaux considèrent la religiosité comme « une donnée incontestable, un quasi-impératif ethnique inscrit dans leur ADN ». La poussée islamiste a beau avoir atteint son apogée il y a près d’une décennie, cela n’empêche pas l’éminent historien Phillip Jenkins de déclarer, confiant : « aucun critère rationnel ne permet d’affirmer que l’Arabie saoudite … est en voie de sécularisation ».

En vue de rectifier ce malentendu, l’analyse qui suit décrit, preuves à l’appui, ce phénomène des musulmans qui deviennent athées. Par athée, j’entends, à l’instar de l’organisation Ex-Muslims of North America, les musulmans « qui n’adoptent aucune croyance positive en une divinité », ce qui englobe « les agnostiques, les panthéistes, les libres penseurs et les humanistes ». En revanche, le terme athée n’inclut absolument pas les musulmans convertis au christianisme (sujet d’une autre étude que j’ai réalisée) ou à une autre religion.


Le nombre d’ex-musulmans athées est difficile à évaluer en raison de deux facteurs.

Premièrement, certains d’entre eux préfèrent rester dans le cadre de l’islam afin de continuer à influer sur l’évolution de la religion et surtout de participer à la lutte contre l’islamisme, choses qu’ils ne pourraient plus faire s’ils quittaient la religion. Auteur d’une étude sur les Arabes sans Dieu (Arabs without God), Brian Whitaker observe le phénomène selon lequel certains musulmans « prennent la décision tactique de ne pas rompre complètement avec la religion et de se présenter comme laïcs, musulmans “progressistes” ou “réformateurs”. Ils estiment qu’on peut faire plus en s’opposant aux pratiques religieuses oppressantes qu’en remettant en question l’existence de Dieu car il est peu probable qu’ils soient écoutés s’ils sont réputés athées. »

Nasr Abou-Zayd (1943-2010).

Cependant, la voie de la réforme elle-même est semée d’embûches. L’éminent penseur égyptien de l’islam, Nasr Abou Zayd, a martelé qu’il restait musulman mais ses opposants, peut-être motivés par des considérations financières, l’ont condamné comme apostat et ont réussi à la fois à annuler son mariage et à le forcer à fuir l’Égypte. Pire encore au Soudan, le gouvernement a fait exécuter pour apostasie le grand penseur de l’islam Mahmoud Mohammed Taha.

Deuxièmement, se déclarer ouvertement athée ouvre la porte aux sanctions qui vont de l’exclusion sociale au meurtre en passant par les coups, le licenciement et l’emprisonnement. Considérés comme un déshonneur par les proches, comme indignes de confiance par les employeurs et comme des traîtres par les communautés, les athées sont vus par les gouvernements comme des menaces pour la sécurité nationale. Ceci peut paraître absurde mais les autorités se rendent compte que ce qui au départ correspond à une série de décisions individuelles, se transforme ensuite en petits groupes, gagne en force et peut aller jusqu’à une prise de pouvoir. Exemple de réaction la plus extrême, le Royaume d’Arabie saoudite a, le 7 mars 2014, promulgué une réglementation antiterroriste interdisant « d’encourager la pensée athée sous quelque forme que ce soit, ou de remettre en cause les fondements de la religion islamique sur laquelle ce pays est fondé. » En d’autres termes, la libre pensée équivaut au terrorisme.

Couverture de la version anglaise du roman de Salman Rushdie, Les Versets sataniques.

En effet, de nombreux pays à majorité musulmane condamnent officiellement l’apostasie à la peine capitale, notamment la Mauritanie, la Libye, la Somalie, le Yémen, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Afghanistan, la Malaisie et le Brunei. Les exécutions formelles sont plutôt rares mais la menace plane sur les apostats et parfois, c’est la mort qui s’ensuit. Ainsi un Nigérian, Moubarak Bala, a été arrêté et a disparu pour ses propos blasphématoires. En 1989, dans une affaire qui a capté l’attention du monde entier, l’ayatollah Khomeiny a appelé des volontaires à assassiner Salman Rushdie pour avoir écrit Les Versets sataniques, un roman du genre réalisme magique contenant des scènes irrespectueuses sur Mahomet. Il arrive aussi que des groupes se fassent justice eux-mêmes. Ainsi au Pakistan, des prédicateurs ont appelé les foules à incendier les maisons des apostats.

Iman Willoughby, réfugié saoudien vivant au Canada, indique que cette pression externe réussit au moins en partie : « le Moyen-Orient serait nettement plus laïc sans la loi de gouvernements religieux brutaux ou sans le pouvoir de surveillance des communautés confié aux mosquées ». Pour éviter les ennuis, pas mal d’ex-musulmans préfèrent dissimuler leurs opinions et conserver les privilèges réservés aux croyants, une attitude qui, en pratique, ne permet pas d’évaluer leur nombre.


Willoughby indique néanmoins que « l’athéisme se répand comme une traînée de poudre » au Moyen-Orient. Hasan Suroor, auteur de Who Killed Liberal Islam? (« Qui a tué l’islam libéral ? »), observe qu’il y a une histoire dont « on n’entend généralement pas parler et qui concerne la vague de désertion à laquelle l’Islam fait face de la part de jeunes musulmans souffrant d’une crise religieuse, … abandonnés par les musulmans modérés, pour la plupart de jeunes hommes et femmes, mal à l’aise avec l’extrémisme croissant dans leurs communautés. … Même des pays profondément conservateurs aux normes anti-apostasie strictes comme le Pakistan, l’Iran et le Soudan ont été touchés par des désertions. » Cette histoire, cependant, est maintenant plus largement connue du grand public : « Je connais au moins six athées qui m’ont confirmé [qu’ils sont athées] », indiquait en 2014 Fahad AlFahad, 31 ans, consultant en marketing et militant des droits humains en Arabie saoudite. « Il y a six ou sept ans, je n’aurais pas entendu une seule personne dire une chose pareille. Pas même mon meilleur ami ne me l’aurait confié » mais l’état d’esprit a changé et ils se sentent désormais plus libres de divulguer ce dangereux secret.

Whitaker conclut que les non-croyants arabes « ne sont pas un phénomène nouveau mais leur nombre semble être en augmentation ». Momen, un Égyptien, ajoute : « Je parie que chaque famille égyptienne compte un athée ou au moins quelqu’un qui a des idées critiques sur l’Islam. » Le professeur AmnaNusayr de l’Université al-Azhar déclare que 4 millions d’Égyptiens ont quitté l’Islam. Todd Nettleton constate que, selon certaines estimations, « 70% des Iraniens ont rejeté l’Islam ».

Si on se tourne vers les enquêtes d’opinion, on voit que, d’après un sondage WIN/Gallup de 2012, les « athées convaincus » représentaient 2 % de la population au Liban, au Pakistan, en Turquie et en Ouzbékistan ; 4 % en Cisjordanie et à Gaza, et 5 % en Arabie saoudite. Fait révélateur, le même sondage a révélé que les personnes « non religieuses » étaient plus nombreuses : 8 % au Pakistan, 16 % en Ouzbékistan, 19 % en Arabie saoudite, 29 % en Cisjordanie et à Gaza, 33 % au Liban et 73 % en Turquie. À l’inverse, selon un sondage GAMAAN, seul un tiers, soit 32,2 %, des musulmans chiites nés en Iran s’identifient réellement comme tels, 5 % comme sunnites et 3,2 % comme soufis.

Résultats du sondage réalisé en 2020 par GAMAAN sur les attitudes iraniennes envers la religion.

La tendance est à la hausse. En Turquie, une enquête réalisée par la société Konda a montré qu’entre 2008 et 2018, les athées y ont triplé, passant de 1 à 3 %, tandis que les non-croyants y ont doublé, passant de 1 à 2 %. Les sondages de l’Arab Barometer montrent une augmentation substantielle du nombre d’arabophones qui se disent « non religieux », passant de 8 % en 2012-14 à 13 % en 2018-19, soit une augmentation de 61 % en cinq ans. Cette tendance est encore plus marquée chez les 15-29 ans, où le pourcentage est passé de 11 à 18 %. En regardant pays par pays, les augmentations les plus importantes se sont produites en Tunisie et en Libye et les augmentations moyennes au Maroc, en Algérie, en Égypte et au Soudan alors que pratiquement aucun changement ne s’est produit au Liban, dans les Territoires palestiniens, en Jordanie et en Irak. Le Yémen, quant à lui, est le seul pays à compter moins de personnes non religieuses. Il est particulièrement frappant de noter qu’à peu près autant de jeunes Tunisiens (47%) que de jeunes Américains (46 %) se disent « non religieux ».

De nombreux éléments indiquent que le nombre d’athées est important et en augmentation.

Dans l’histoire, l’athéisme parmi les populations d’origine musulmane a été d’une importance mineure et s’est avéré particulièrement négligeable lors de la montée de l’islamisme au cours des cinquante dernières années. Lorsque, après le 11-Septembre, j’ai inventé la formule « l’islam radical est le problème, l’islam modéré est la solution », l’athéisme parmi les musulmans était presque imperceptible. Mais plus maintenant. Vingt années ont passé et l’athéisme naguère latent s’est mué en force qui compte, une force susceptible d’affecter non seulement la vie des individus mais aussi celle des sociétés et même des gouvernements.

La puissance de ce phénomène est due au fait que l’Islam contemporain qui réprime les idées hétérodoxes et châtie quiconque abandonne la foi, est particulièrement vulnérable face à la contestation. De même qu’un régime autoritaire est plus fragile qu’un régime démocratique, l’islam tel qu’il est pratiqué aujourd’hui manque de la souplesse nécessaire pour affronter les critiques internes et les rebelles. Le résultat de cette situation est que l’avenir de l’Islam s’avère plus précaire que son passé.

M. Pipes (DanielPipes.org@DanielPipes) est président du Middle East Forum. 

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