Initialement publié le 2 octobre 2021 @ 10:05
Mansour Ibn Sarjoun, (Victor fils de Serge) appelé par la suite Jean Damascène, est né en 676 à Damas dans une famille chrétienne syriaque. Son grand-père était un célèbre administrateur fiscal mandaté par l’Empereur de Byzance Héraclius. Lorsque les armées arabo-musulmanes s’emparèrent de la région en 635, l’occupant exigea que ce haut fonctionnaire continue d’assumer ses tâches, mais au service du nouveau pouvoir islamique. Nombre de chrétiens furent enrôlés de la même façon, soit dans l’administration, soit dans les traductions d’ouvrages à partir du grec.
Le père de Jean Damascène fut également au service des califes pour l’ensemble de la Grande Syrie, dans la collecte obligatoire des taxes et de la djizia. Jean Damascène devint Yuhanna al Demashki, il reçut une éducation très complète sur une base biculturelle, mais où le grec était l’élément essentiel. Il vécut le passage de la culture hellénistique à la culture arabe en Orient. Son précepteur, Cosmas, était un religieux byzantin de Sicile que son père avait racheté à grand prix d’une mise en captivité par les Arabes lors d’une razzia. Formé à diverses disciplines, Jean Damascène devint érudit en arithmétique, astronomie, géométrie, ainsi qu’en musique et théologie.
Ayant les mêmes compétences que son grand-père et son père, Jean reçut la charge de receveur fiscal pour toute la région de Damas, à une époque où se mettait en place le système de la dhimmitude. Les chrétiens étaient divisés entre Eglises aux options opposées, ce qui faisait le jeu de la progression islamique dans tout le Proche Orient occupé. Les taxes très lourdes incitèrent des familles chrétiennes à se convertir à l’islam. Peu à peu les chrétiens furent chassés de l’administration contrôlée par le pouvoir musulman.
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Jean abandonna ses charges et devint moine à la laure de Saint Saba à Jérusalem. C’est là également qu’il fut ordonné prêtre en 735.
L’intérêt de son témoignage, c’est qu’il est le premier à réagir depuis l’intérieur de la société islamique et des mutations en cours. Il écrit plusieurs traités, toujours en grec. Son analyse de l’islam est contenue dans une vingtaine de pages ciblées avec courage.
Jean offre ainsi la toute première description chrétienne de l’islam et la réfutation de cette doctrine qu’il qualifie d’hérésie. Ce terme n’est pas à interpréter comme déviation à partir de la position chrétienne, mais comme une mouvance sectaire erratique. Il conteste radicalement la validité de la « révélation » de Mahomet.
Citons quelques passages-clé de son pamphlet :
« Il y a chez les Ismaélites (=Arabes) une superstition trompeuse toujours agissante, et qui sert de précurseur à l’Antéchrist ! ».
« Un faux prophète survint au milieu d’eux, il s’appelait Mohamed. Il créera lui-même sa propre hérésie ».
« Il fit croire au peuple qu’il était un craignant-Dieu et fit propager la rumeur qu’une Sainte Ecriture lui avait été apportée du ciel. Et il mit par écrit des sentences qu’on ne peut que railler ».
« Il affirme que les Juifs voulaient crucifier Jésus et après l’avoir arrêté, ils crucifièrent son ombre, mais Christ lui-même n’a pas été crucifié et n’est pas mort ».
« Il introduisit dans cet Ecrit beaucoup d’autres absurdités dont on ne peut que se moquer, mais il insiste que cela lui a été apporté du ciel par Dieu ! »
« En outre, ils nous appellent « associateurs », car, affirment-ils, nous introduisons un associé aux côtés de Dieu en disant que le Christ est le Fils de Dieu ».
« Vous nous appelez « associateurs » ? Nous, nous vous appelons « mutilateurs » de Dieu ».
« Ils nous accusent injustement d’être idolâtres parce que nous vénérons la croix et qu’eux la méprisent. A cela nous répondons : comment se fait-il que vous vous frottiez à une pierre à laquelle vous exprimez votre vénération en l’embrassant ? »
Jean Damascène rédige également quelques réflexions permettant aux chrétiens de répondre aux objections courantes des musulmans. A la différence de la tendance actuelle propice au relativisme et à la confusion, il ne se prête pas à un « dialogue » avec l’islam, qu’il connaît de l’intérieur. Son but n’est pas que le chrétien s’ouvre à une autre religion, qu’il estime pernicieuse. Il expose à partir de ses convictions ce qu’il estime être des vérités premières, il ne réfute pas l’islam parce qu’il serait à ses yeux inférieur mais parce que ses fondements lui apparaissent irrecevables et faux.
Jean traite la question déterminante de la liberté humaine face à Dieu. Pour l’islam, le libre-arbitre n’existe pas, tout est prédestiné par Allah, le bien comme le mal. Jean met en lumière la contradiction entre cette vision et la justice de Dieu. Si l’homme n’est pas responsable, il ne peut être coupable. Pas de faute, pas de rédemption, pas de miséricorde divine, pas de projet humain. Jean insiste sur la différence entre l’engendrement naturel et l’engendrement spirituel, réalité inconnue des musulmans.
En dehors de ces propos réactifs et apologétiques adaptés à une situation bien précise, Jean Damascène rédige un traité important intitulé « Une présentation exacte de la foi orthodoxe ». A son époque, l’Eglise chrétienne est indivise, même si des interprétations théologiques suscitent de sérieux conflits internes. C’est ce qui fait que Jean Damascène a été reconnu comme saint dans l’Eglise orthodoxe et dans l’Eglise catholique. Sa mémoire est fêtée dans les deux communautés.
Le témoignage tonique de Jean Damascène, issu d’une génération confrontée à la première mise en place du pouvoir islamique en Orient, peut nous apporter certaines lumières pour réfléchir à la situation des idées et des forces en présence en Occident au début du 21ème siècle.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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associateur car ils associaient jésus et surtout marie
Je suis toujours avec grand intérêt les articles de Monsieur l’Abbé Arbez ! Celui-ci est particulièrement intéressant par le fait qu’il traite d’un sujet sans doute méconnu des profanes et auquel il serait sans doute opportun de faire référence plus souvent … qui démontre en outre l’utilisation des “Dhimmis” par les Arabes lesquels n’ont jamais volés de leurs propres ailes !
Sans contester la pertinence et l’utilité de cet article, il me semble que son titre est trompeur. Les premiers critiques connus de l’Islam s’appelaient Abou Lahab (maudit par la sourate 111), Abou Afak (liquidé par des musulmans sur ordre de Mahomet), Açma Bint Marwan (liquidée dans son sommeil par un musulman, aussi sur ordre de Mahomet), etc.
Je ne suis même pas sûr que Jean Damascène soit le premier critique chrétien connu de l’Islam (ce qui bien sûr ne réduit en rien son importance). Voir la chronique de Thomas le Presbytre, vers l’an 640 : “Le 4 février 634, à 9 heures, eut lieu le combat des Romains [Byzantins] et des Arabes de Mahomet en Palestine, à 12 milles à l’est de Gaza. Les Romains s’enfuirent, abandonnant le patrice Bar Yardan que les Arabes tuèrent. Furent tués là environ 4000 paysans pauvres de Palestine, chrétiens, juifs et samaritains. Et les Arabes dévastèrent toute la région“. (Thomas le Presbytre, Chronica minora, pris sur https://h.20-bal.com/doc/13066/index.html). Ce n’est certes pas une critique de l’Islam en tant que tel, mais au moins une critique de ce qu’il inspire depuis le début. Elle montre en passant que les chrétiens, juifs et samaritains, pouvaient cohabiter du côté de Gaza.
Vous faites erreur: St Jean Damascène est réellement le premier critique chrétien de l’islam, et la tradition le confirme. Les autres personnages que vous citez sont dans une problématique interne à l’islam naissant, ce qui n’est pas le but de cet article qui n’a donc rien de trompeur.
Excusez-moi, “trompeur” était peut-être trop fort, mais enfin les premiers que j’ai cités n’ont jamais été musulmans, et de par ce que les hadiths nous laissent entrevoir de leurs arguments ils méritent d’être connus. Soit dit encore une fois sans contester l’importance de Jean Damascène. Quant à Thomas le Presbytre, il reste le premier chrétien connu à avoir parlé de l’Islam.
je comprends votre souci d’intégrer la chronique de Thomas le Presbytre qui apporte des éléments intéressants sur les premières conquêtes islamiques. mais il s’agit davantage d’une recension historique (il énumère les rois hérétiques depuis Chalcédoine) que d’une première analyse critique comme celle de Jean Damascène de l’intérieur du système. Thomas mentionne cependant la cruauté des Sarracènes qui tuent de nombreux moines syriaques, et pour cette raison, il appelle – comme Damascène – Mahomet “faux prophète”.
Merci Mr l’Abbe, j’apprecie beaucoup vos articles et votre érudition m’impressionne!
+1
Ce texte de l’Abbe Alain Arbez m’a incité à en savoir plus sur Jean de Damas, ou Damascène.
Jean Damascène a connu un parcours de vie tout à fait atypique.
Érudit et de famille influente de son temps et de père en fils, le sultan va l’utiliser pour se faire traduire les ouvrages grecs en arabe, et également pour traduire le Coran en grec afin de le rendre accessible au peuple nouvellement conquis et favoriser sa conversation.
Il est alors victime d’une calomnie de la part d’un de ses propres compatriotes, jaloux et iconoclaste. Le sultan sur cette dénonciation calomnieuse, va lui trancher la main et la clouer sur la place publique en signe d’exemple.
Il lui rendra sa main sur supplication de Jean, et sur découverte du mensonge dont il a été victime.
Jean vénère en secret une icône très ancienne de la Mère de Dieu qu’il détient de génération en génération de son père Serge Mansour et qu’il cache suite à la chasse orchestrée par le sultan, des iconoclastes chretiens, et il pose sa main devant l’icone, que sa famille estime être une icône peinte par St Luc.
Sa main va être rétablie sur intervention de la mère de Dieu et il s’enfuit dans un monastère près du Mont Sinaï.
Il dira que cette main ne servira qu’a chanter par l’ecriture les louanges de la mère de Dieu.
Cette fameuse icône, sur laquelle Jean a fait ensuite fondre une main en argent, existe toujours et est devenue une relique sacrée conservée au Monastère du Mont Athos.
Jean Damascène est canonisé et deviendra Docteur de l’Eglise, certains de ses textes sont magnifiques.
Et effectivement, il est le 1 er à avoir traduit le Coran environ 60 ou 70 ans après la mort du prophète de l’islam.
Le Moyen Orient encore chrétien avant l’invasion du Sultan et le monde occidental n’en connaissait encore aucune traduction.
Il s’est réfugié dans un monastère près de Jérusalem, comme le dit l’Abbe Arbez, et non près du Sinaï.