Publié par Abbé Alain René Arbez le 7 décembre 2021

On constate souvent que les chrétiens imaginent encore le dialogue avec les juifs un peu comme on discuterait avec des membres de toute autre religion non biblique, telle que l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme, les mouvements ésotériques, etc. Le relativisme ambiant a érodé les critères de réflexion !

Un certain nombre d’entre eux ont bien une vague intuition qu’il y a un lien particulier entre christianisme et judaïsme, mais la plupart ont malheureusement perdu le fil conducteur en raison des événements gravissimes et des fractures des siècles passés. De longues périodes d’amnésie ont dramatiquement creusé le fossé entre les uns et les autres. Dans le meilleur des cas, les chrétiens pressentent que l’on retrouve les sources chrétiennes dans le judaïsme, mais trop peu s’efforcent d’ honorer ce lien en s’intéressant aux juifs d’aujourd’hui et à leurs traditions spécifiques.

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Après le séisme de la shoah, l’Eglise a dû reconsidérer fondamentalement sa relation au judaïsme et aux juifs, d’abord dans la repentance pour ses complaisances criminelles avec l’antisémitisme, puis dans la reformulation de sa parenté avec l’expérience spirituelle d’Israël, en dehors de laquelle le christianisme perd toute signification.

A la suite du Concile Vatican II, surtout de la déclaration Nostra Aetate, 1965, cette nouvelle posture a permis une lecture différente du Nouveau Testament. Les concepts de déicide et de substitution ont été abrogés, la judéité de Jésus a été mise en évidence. La prise en compte d’une épître aux Romains ainsi reconsidérée apporte un regard neuf sur le refus des juifs de reconnaître en Jésus le Messie d’Israël, ce choix inhérent à la liberté n’étant plus disqualifiant mais respectable. La voie chrétienne ne se permettra plus de démoniser la voie juive. L’effort de clarification a été activement poursuivi par le pape Jean Paul II durant 28 ans, puis fortement renforcé par son successeur Benoît XVI, et ensuite validé par le pape François.

Depuis des décennies, d’éminents théologiens juifs ont montré leur désir de rapatrier Yeshua Ben Myriam sur le terrain midrashique. Benoît XVI citait abondamment le rabbin Jacob Neusner dans son célèbre livre sur Jésus. Malgré ces avancées, rien n’autorise encore les chrétiens à culpabiliser les juifs de ne pas voir en l’un des leurs le Fils de Dieu et le rédempteur du monde.

Cette relecture conciliaire post-shoah est nourrie des recherches exégétiques les plus pointues sur le contexte judaïque du nouveau testament, mais elle inclut en même temps dans le projet de Dieu le droit à la non reconnaissance messianique de Jésus par les juifs. Cette approche renouvelée ne prétend plus – comme autrefois – que le christianisme « accomplirait » une supposée imperfection du judaïsme : dans cette optique autocentrée, un juif honnête ne pouvait être qu’un juif devenu chrétien !

Non. L’Eglise respecte la voie de salut des juifs selon l’alliance version première, et elle est convaincue de ce que les juifs sont les « frères aînés » des chrétiens, comme aimait l’exprimer Jean Paul II, dont la formule sur « l’alliance avec Israël jamais révoquée » a ouvert des perspectives de dialogue prometteuses. Le cardinal Ratzinger estimait avant d’être élu que les juifs ont dans leur tradition tous les moyens de salut, et que cela n’est en rien contradictoire avec l’affirmation chrétienne de la mission rédemptrice de Jésus.

 Jean Paul II a volontairement valorisé cette judéité de Jésus en rappelant avec force qu’elle n’est pas accidentelle. « Ce n’est ni un fait de nature ni un fait de culture. C’est un fait surnaturel. » Le pape avertissait que couper Jésus de son enracinement juif, c’est en faire une sorte de « météore tombé par hasard dans l’histoire humaine. C’est rendre son mystère et son message incompréhensibles ».

Il est un fait que Jésus et ses talmidim n’ont agi que dans le cadre de la religion d’Israël, sans la moindre prétention de créer une nouvelle religion. Le pape François l’a redit récemment en forçant le trait d’humour : Jésus n’était pas catholique !

L’enseignement des apôtres s’est essentiellement alimenté aux doctrines pharisiennes et a développé une éthique centrée sur la personne et la communauté, sans jamais oublier la priorité centrale de la Parole de Dieu. Des spécialistes du 1er siècle estiment que pour les premiers membres du mouvement de Jésus, le rabbi charismatique représentait à leurs yeux une « Torah vivante », une incarnation particulièrement parlante de l’alliance, dans les situations quotidiennes et face à l’avenir. Jésus se situait dans un courant réformateur du judaïsme déjà initié avant lui.

Au fond, cela revient à dire que le christianisme et le judaïsme sont deux religions sœurs issues du même tronc hébraïque qui les a précédées. Les lignes forces de ce qui deviendrait le christianisme se sont précisées à l’intérieur même du judaïsme pluriel, qui lui-même a  dû se redéfinir plus tard au moment de l’assemblée de Yavné dans un cadre rabbinique (90 ap. JC) aboutissant à l’exclusion des « minîm » (dissidents).

C’est pourquoi le cardinal Martini considérait la relation difficile entre judaïsme et christianisme comme un schisme tragique qui portait en germe les autres fractures qui suivraient. Selon lui, la séparation entre la Synagogue et la communauté messianique de Jésus annonçait les ruptures successives entre Eglise catholique et orthodoxe, puis avec la Réforme protestante.

De ce fait, la seule garantie de progrès significatif dans l’œcuménisme inter-chrétiens réside dans la refondation des relations entre chrétiens et juifs, autour de l’alliance avec Israël, et du salut universel évoqué par la Bible hébraïque.

Cela rejoint le constat historique du professeur Daniel Boyarin, théologien juif de l’Université de Berkeley, qui affirme : « le résultat final de la révolution sociale dans le judaïsme du Second Temple, ce sont deux religions nouvelles qui apparaissent sous le nom de judaïsme rabbinique et de christianisme ». Un de ses ouvrages, remarquablement éloquent, s’intitule justement : « La partition du judaïsme et du christianisme » (édition du Cerf, coll. Patrimoines – judaïsme). L’auteur y démontre combien les frontières spirituelles entre les deux traditions étaient moins rigides qu’on a bien voulu le dire de part et d’autre après le 4ème siècle. Des chrétiens qui affirment que le christianisme éclipse le judaïsme ne sont pas dans la vérité historique mais dans l’idéologie. Des juifs qui considèrent que Jésus n’a aucun rapport avec la Torah sont également dans l’idéologie. Cette sacralisation du clivage est autodestructrice.

Il reste vrai que, malgré l’héritage vivant si substantiel dont ils partagent tant d’éléments communs, judaïsme et christianisme sont historiquement deux communautés religieuses distinctes ayant évolué en parallèle, avec leurs identités et leurs traditions propres. Mais ce qui les relie en profondeur est essentiel. Ce point focal commun ayant été trop souvent minimisé, il a grand besoin d’être remis en valeur.

Avec les moyens de connaissance mutuelle aujourd’hui disponibles, cette évolution est appelée à s’approfondir dans un véritable esprit de fraternité et de compréhension spirituelle réciproques.

Si Juifs et chrétiens sont confrontés aux mêmes défis civilisationnels,  ils ne doivent pas oublier qu’ils bénéficient d’un logiciel spirituel commun !

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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