Source : Marianne
Le jeudi 20 janvier dernier, la publication d'une courte interview de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux par France Inter a suscité la colère de nombreux journalistes, y voyant une forme de « trahison » à la ligne éditoriale. Professeur de communication politique à Sciences Po, Philippe Moreau-Chevrolet, analyse ce basculement des médias vers la « konbinisation » de la vie politique.
Dans une courte vidéo d'un peu plus de deux minutes publiée le 20 janvier sur les réseaux sociaux de France Inter, la candidate RN Marine Le Pen parle de tout, sauf de politique. « Oui, je suis éleveuse de chats professionnelle. Je suis agricultrice, en quelque sorte, puisque je dépends du ministère de l’Agriculture » lance-t-elle durant ce bref entretien. Ce phénomène, que certains spécialistes qualifient de « konbinisation » en référence au format plébiscité par les médias tels que Konbini ou Brut, aurait-il remplacé les débats et entretiens politiques de fond ? Marianne s'est entretenu avec Philippe Moreau-Chevrolet, professeur à Sciences Po en communication politique et président de MCBG Conseil.
Philippe Moreau-Chevrolet : Je pense qu’il résulte en partie de la triangulation – une mode de gouvernement selon lequel le politique pioche dans les idées du camp adverse et traverse les lignes de démarcation – initié par Nicolas Sarkozy au début des années 2000. En tentant dépasser les clivages politiques, cette stratégie politique a conduit au désintérêt de la politique.
Et, l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017 se présentant comme « ni de droite, ni de gauche » en témoigne, il a réussi mieux que quiconque à saisir ce désintéressement de la politique. En creux, il y a l’effet McFly et Carlito, c’est-à-dire le fait de traiter des sujets politiques de manière bienveillante, de s’intéresser à la vie privée des politiques quelle que soit leur orientation politique. L’émission « Face à Baba » présentée par Cyril Hanouna en est le parfait exemple : il n’y a plus de dedans et de dehors, les candidats sont traités comme une personne lambda, tout le monde est dans le même jeu politique. L’on assiste à une désidéologisation et d’une façon générale, à un refus du politique et du clivage. On souhaite désormais vivre dans une bulle sympa et protectrice, en s’intéressant plus à l’être humain, en faisant preuve d’empathie à son encontre…
Comment la pastille politique – question brève / réponse courte – épuise la mécanique de l’interview politique de fond ?
La pastille politique rend l’interview politique inutile au fond. D’ordinaire en politique, la couverture de la campagne était très dure pour les candidats, les interviews étaient longues, elles constituaient des marathons pour ces derniers. Aujourd’hui, face au désintérêt politique et dans un contexte de crise, on consomme des vidéos courtes de Marine Le Pen qui parlent de ses chats et cela nous suffit. En 2017, c’était un peu différent car on découvrait tout cela et il était encore surprenant de voir François Fillon dans « Ambitions intimes », mais c’était en fait le début de cette nouvelle ère.
Assistons-nous à la « peopolisation » de la vie politique, comme le dénonce une partie des journalistes de France Inter ?
Ils ont un train de retard, car ce concept date de 2007 voire d'avant. On parlait de cela lorsque l’on entendait Sarkozy dire « avec Carla c’est du sérieux » en pleine conférence présidentielle, ou encore lorsque Jean-Luc Mélenchon partageait ses recettes de quinoa dans Gala. Aujourd’hui, on est déjà bien au-delà de cela car on assiste à un recul des idéologies et à une attitude désengagée vis-à-vis du politique.
Cette vidéo met en jeu l’affect et les émotions, certains dénoncent le phénomène de dédiabolisation de Marine Le Pen. Plus généralement, la pastille courte pour les réseaux sociaux participe-t-elle à la dédiabolisation de certains politiques ? Si oui, comment ?
Certes, une telle vidéo n’aurait pas pu être publiée il y a cinq ans, mais je n’estime pas qu’elle puisse augmenter le score de Marine Le Pen à la prochaine élection. Il s’agit juste d’une nouvelle façon d’appréhender la politique, au contraire je pense que cela peut la desservir car comme je le disais, en les visionnant, les personnes ne cherchent que du divertissement.
Ce type de vidéo peut-il influencer les nouvelles générations ?
Cela m’étonnerait, on le voit, les nouvelles générations s’intéressent moins au candidat mais davantage aux causes qu’il défend. Pour l’instant, aucun candidat ne semble capable d’attirer les jeunes.« Si l’interview de Marine Le Pen était si importante que cela, on ne l’aurait jamais réalisée comme cela. »
Est-ce que certains médias sont obligés malgré eux de se mettre à ce type de format ? Qu’est-ce que traduit le fait qu’un média du service public l'adopte ?
Oui je pense, le fait que France Inter le fasse le prouve. On avait l’habitude que les formats et émissions de ce type soient réservés à la sphère privée. Désormais, les médias se rendent aussi compte que le politique devient une anecdote, un accessoire. Si l’interview de Marine Le Pen était si importante que cela, on ne l’aurait jamais réalisée comme cela. Cela montre que l’on s’en fiche, que les idées de fond ne sont pas présentes. Même les personnalités censées être importantes participent à ces formats.
Plus les vidéos sont bienveillantes avec le politique plus c’est préjudiciable pour lui, c'est cela ?
Absolument, il vaut mieux créer du clivage, de l’opposition, c’est très important. Avec la vidéo de France Inter, Marine Le Pen perd beaucoup de points. On désinvestit totalement l’idéologie, les parties, les clivages, il n’y a plus de droite de gauche… Il faut maintenant être sympa avec tout le monde. Il y a une forme de désinvestissement.
On ne peut donc pas parler de vidéos politiques ?
C'est cela, ces vidéos sont simplement des vidéos « gentilles » et de divertissement. Cela ne me dérange pas que Magali Berdah s’entretienne avec Éric Zemmour, ce qui me préoccupe cependant c’est l’absence de fond, de propositions politiques concrètes. Néanmoins, je ne sais pas si c’est aux médias de récréer de l’idéologie. C’est difficile car au cours de ces deux dernières années, le débat politique est devenu assez dérisoire au regard des enjeux de vie et de mort plus puissants provoqués par la crise sanitaire.« Il nous faut un politique avec des idées plus tranchées, voire plus radicales (...) on voit qu'Éric Zemmour, quoiqu'on pense de ses idées, a son fan-club. »
La crise sanitaire a donc accentué ce « désintérêt politique » comme vous le dites…
Elle nous a en effet montré que la politique n’existait plus, du moins virtuellement. On se rend compte que l’on peut faire sans la politique. Nous sommes tombés dans une crise profonde et dans une dépression collective. On a donc envie d’entendre du positif de la part des candidats, sauf que de nombreux candidats portent des discours apocalyptiques et les Français ne veulent pas de cela. Emmanuel Macron voulait apporter une lueur d’espoir en lançant le plan de relance mais cela a été impossible, dans sa position, de le mettre en place. Personne n’est aujourd’hui capable de dire que l’avenir sera meilleur.
Existe-t-il des solutions pour y faire face ?
Quand je parle d’une population dépressive qui regarde des vidéos de Marine Le Pen en train de jouer avec ses chats ou de Macron dans le jardin de l’Élysée avec des Youtubeurs, je sous-entends qu’il y a des solutions. Il faudrait selon moi qu’il y ait une offre politique plus riche. Comme le dit justement Chloé Morin, experte à la fondation Jean-Jaurès, il y a une pauvreté de l’offre qui se traduit par un désintérêt des classes populaires et des électeurs en général.
La proposition consensuelle ne convainc plus, il nous faut donc un politique avec des idées plus tranchées, voire plus radicales (on voit par exemple qu’Éric Zemmour, quoiqu’on pense de ses idées, a son fan club) avec un regard sur l’avenir et surtout qui soit en conformité avec ses principes. C’est l’authenticité qui manque aux politiques actuels, or c’est cela qui plaît aux supporters de la militante Greta Thunberg et de la parlementaire américaine Alexandria Ocasio-Cortez.
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La konbinisation de la vie politique n’est-elle pas le révélateur subliminal d’une absence totale de véritables convictions politiques chez les personnes qui s’y livrent ?
Dame Pecresse par exemple, … (dont on ne peut pas dire sur la durée qu’elle est mue par une constance politique indéboulonnable tant elle a pu dire et faire tout et son contraire au cours de sa longue carrière), … ne donne-t-elle pas dans cette mode lorsqu’elle raconte que, dans son adolescence, elle s’est retrouvée au sein d’un camp des jeunesses communistes alors qu’elle voulait simplement apprendre le russe ?
Impression des âmes simples après avoir entendu l’anecdote : « finalement, elle est sympa ; ça prouve qu’elle est pas si sectaire qu’on dit ! »
Et allez ! … emballez, c’est pesé !
J’ai toujours en mémoire la spontanéité de cette jeune gourgandine au cerveau reptilien, assistant à la consécration de l’éphèbe immature sur la place du Louvres en mai 2017, à laquelle un reporter complaisant tendit son micro : « … Moi j’ai voté Macron pace qu’il est bôôôôôôôô ! »
C’est « ça » qui délivre à des amateurs velléitaires un permis de conduire l’État pour nous envoyer dans le décor !
Très juste, mais vous savez en 1919 on voulait donner le droit de vote aux femmes, mais certains députés se sont élevés pour dire qu’elles voteraient d’après ce que leur confesseur voulait, ce qui n’était pas faux. Ainsi le droit de vote a été repoussé aux calendes. Et il a fallu attendre l’après 2e guerre pour leur donner ce droit. Votre gourgandine fait encore parti de ces femmes là, et il y en a beaucoup.
Vous avez totalement raison, et pour être tout à fait précis ces … « certains députés », … étaient majoritairement radicaux socialistes !
et pourtant le syndicat des journalistes de france télévisions a morigéné ceux qui l’avaient rendue « humaine » !