Publié par Mauricette le 21 mars 2022

Source : Liberation

En visite à Odessa, le médiatique essayiste s’est affiché aux côtés du gouverneur Maxim Marchenko, ancien commandant du bataillon Aidar de 2015 à 2017. Un groupe paramilitaire qui a fait l’objet de plusieurs scandales à cause de certains combattants néonazis.

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Question posée le 15 mars 2022

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Lundi 14 mars, le philosophe français Bernard-Henri Lévy a été photographié par le journaliste canadien Mark MacKinnon, alors qu’il se promenait dans les rues de la ville portuaire d’Odessa entouré d’hommes lourdement armés. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes lui ont reproché d’être accompagné par Maxim Marchenko, l’homme à sa gauche sur la photo ci-dessous, présenté comme un «ancien commandant d’Aidar, une formation fasciste [parfois qualifiée de néonazie], responsable de nombreux crimes de guerre».

Un profil également relevé dans un reportage de France Inter daté du 9 mars, où la journaliste Vanessa Descouraux relatait les craintes d’Elia, un citoyen de confession juive: «Odessa a un nouveau gouverneur depuis une semaine, c’est un ancien commandant du bataillon Aidar. Il s’agit d’un groupe paramilitaire qui a combattu dans le Donbass pour mater l’insurrection prorusses. Certains hommes et dirigeants de cette unité ont été vus arborant des symboles nazis et quelques-uns sont aujourd’hui des élus de partis d’extrême droite».

Sur Twitter, Bernard-Henri Lévy a confirmé l’identité de son accompagnateur, qu’il dit avoir rencontré «dans les tranchées du Donbass, où il combattait les chiens de guerre de Poutine qui attaquaient l’Ukraine. Aujourd’hui, il défend Odessa. Donc l’Europe et les valeurs démocratiques.»

En février 2020, le nom de Maxim Marchenko apparaît bien dans un reportage de BHL dans le Donbass publié par Paris MatchIl est alors présenté comme un colonel de section qui combat les séparatistes prorusses. Dans son reportage, Bernard-Henri Lévy s’interroge sur les liens de militaires ukrainiens rencontrés durant son voyage dans le Donbass avec «les hommes des bataillons Azov et Aidar, réputés pour leur vaillance en même temps que pour avoir servi de repaire, dès 2014, à des ultranationalistes, voire à des néonazis».

Marchenko, militaire politiquement discret

Joint par CheckNews, Adrien Nonjon, doctorant en histoire à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et spécialiste des bataillons extrémistes ukrainiens, confirme que «Maxim Marchenko a été combattant du bataillon Aidar de 2015 à 2017. A cette époque, le bataillon Aidar était déjà sous le commandement du ministère de l’Intérieur et intégré dans la garde nationale ukrainienne puisque dès juin 2014, le protocole de Minsk prévoit que les groupes paramilitaires passent sous contrôle des autorités respectives. Entre 2015 et 2017, il est à la tête d’Aidar, qui est une formation militaire dépolitisée. Il y reste deux ans et rejoint les forces d’armées régulières, notamment dans une brigade mécanisée». Selon le chercheur, le nouveau gouverneur d’Odessa, nommé le 1er mars 2022 est «très discret» sur son idéologie politique. «On ne sait pas grand-chose de lui, il n’est pas mentionné dans les affaires qui ont fait du bruit» acquiesce Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre. «Il ne fait pas partie des personnages à scandale de la politique ukrainienne. C’est un militaire professionnel, qui va diriger une des brigades du bataillon Aidar.»

En est-il autant pour le bataillon, que le gouverneur d’Odessa a commandé de 2015 à 2017 ? Chercheur en études de sécurité à l’université de Glasgow, Huseyn Aliyev estime que «sous le commandement de Marchenko, l’Aidar était une organisation paramilitaire plutôt souple, comptant parmi ses membres de nombreux participants à la révolution de Maidan. Nombre de ses membres ont “migré” vers les régiments plus performants du Secteur droit et d’Azov ou sont retournés à la vie civile à la fin de 2014.» Mais contrairement à l’idée véhiculée d’un régiment de néonazis, «le bataillon Aidar ne faisait pas partie des bataillons de volontaires à l’idéologie clairement définie, comme Azov ou Secteur droit», nuance Huseyn Aliyev. «Il n’y avait pas d’idéologie spécifique à un bataillon à Aidar. Il y avait des militants d’extrême droite et des néonazis, mais je ne pense pas que l’on puisse en donner le nombre exact. Cependant, il y avait aussi des juifs, des musulmans et d’autres minorités ethniques parmi les membres d’Aidar. Je connaissais une personne originaire d’Ouzbékistan (musulmane) qui était membre de l’Aidar.»

Aidar, un bataillon moins radical qu’Azov

Une analyse que partage également Anna Colin Lebedev, qui a étudié le profil des combattants du Donbass : «Il y a une très grande mésinterprétation de ce qu’est le bataillon Aidar. C’est un des bataillons les plus décentralisés, qui compte plein de divisions différentes. En 2014, l’une des raisons qui fait que les combattants choisissent leur bataillon, c’est que Aidar prend à peu près tout le monde. Le filtre est minimal, les gens qui arrivent en groupe peuvent rester en groupe.» Si la chercheuse ne nie pas la présence de «personnalités extrémistes» révélées par la presse, elle estime que l’étiquette néonazie qui lui est parfois accolée est incorrecte. «C’est un bataillon qui n’a pas d’idéologie. Aidar n’était pas nazi du tout. Dans Aidar, il n’y a rien à part le patriotisme». Idem pour Adrien Nonjon, qui y voit un «régiment qui se réclame du nationalisme ukrainien […], on ne peut pas dire qu’il s’agit uniquement de néonazis. Il y a eu des scandales par rapport à certains de ses membres, mais je mettrais quand même un petit bémol par rapport à des groupes plus radicaux comme Azov.»

En 2014, plusieurs articles dans la presse internationale avaient en effet révélé plusieurs profils de membres du bataillon Aidar faisant l’apologie du nazisme en arborant des symboles nazis ou en tenant des propos antisémites. La même année, des rapports publiés par l’ONG Amnesty International et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) mettent en cause le bataillon Aidar pour des crimes dont certains peuvent être qualifiés de crimes de guerre : enlèvements, détention illégale, mauvais traitements, vol et d’extorsion, exécutions sommaires, perpétrés notamment contre des civils et des prisonniers dans la région de Louhansk. Le bataillon fait également l’objet d’une fiche publiée en 2018 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rassemblant les méfaits qui lui sont reprochés depuis sa création au printemps 2014.

Citant le travail de l’historien russe Viatcheslav Likhatchev, auteur d’une note sur «les radicaux de droite dans le conflit russo-ukrainien», l’Ofpra rappelle qu’«un certain nombre de militants d’extrême droite se sont enrôlés en 2014 dans les bataillons de volontaires, notamment Aidar, et utilisent ceux-ci comme support de propagande : les volontaires qui, dans leur grande majorité, n’étaient pas liés à l’extrême droite avant la guerre, peuvent être soumis à un endoctrinement». L’office chargé de l’examen des demandes de protection internationale conclut toutefois que «Aidar paraît cependant moins politisé que d’autres unités comme le bataillon Azov».

BHL défend Maxim Marchenko

Contacté par CheckNews, Bernard-Henri Lévy défend son accompagnateur Maxim Marchenko qui «est le gouverneur d’Odessa, nommé, à ce poste, par le Président Zelensky et chargé, par lui, d’organiser la défense de la ville. Lequel d’entre nous se sent en mesure de remettre en cause, dans l’état d’extrême urgence que vit l’Ukraine, le choix du Président Zelensky ?»

L’auteur souligne aussi que «le commandant Maxim Marchenko n’apparaît nullement dans les rapports de l’Ofpra et d’Amnesty. Je n’ai pas connaissance du moindre fait ou élément de discours attestant de son appartenance à une mouvance ou à une idéologie néofascistes. J’ai eu, tant dans le Donbass il y a deux ans qu’aujourd’hui, à Odessa, plusieurs occasions de m’entretenir avec lui – et j’ai acquis cette conviction : nationaliste, oui ; conservateur, sûrement ; mais en aucun cas proche des idées que lui attribue la propagande pro-Poutine. Prétendre le contraire est pure calomnie». Selon lui, le gouverneur «organise et incarne la résistance citoyenne de la ville d’Odessa. Il se prépare, avec un sang-froid et une énergie qui forcent le respect, à un assaut qui peut venir par la terre, par les airs et par la mer. C’est en ce sens que je dis qu’il est un Brave [sic] ; et que, défendant Odessa, il défend l’Europe et ses valeurs».

Concernant le bataillon Aidar, Bernard-Henri Lévy reconnaît la présence de combattants «les moins recommandables» à ses débuts en 2014, mais assure «que le bataillon a été, au moment de son intégration dans l’armée régulière ukrainienne, purgé de ces têtes brûlées, de ces radicaux. Et je sais aussi que l’arrivée, en 2015, du commandant Maxim Marchenko a coïncidé avec la mise à l’écart de ces éléments troubles.»

Plus que toute autre période, celle des guerres est sujette à la désinformation, qu’elle émane de sources inconnues ou d’autorités officielles. Dans le cadre de la crise en Ukraine, le service CheckNews de Libération reste pleinement mobilisé pour répondre à vos questions et tenter de démêler le vrai du faux, qu’il s’agisse de déclarations, d’images ou de vidéos. Une information vous fait douter ? N’hésitez pas à nous solliciter via notre formulaire, en cliquant sur le bandeau présent en tête de chaque article.

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