Publié par Jean-Patrick Grumberg le 26 mars 2024

Initialement publié le 6 mars 2022 @ 07:20

Moscou, Russie, 04/11/2010..Manifestants néo-nazis

“La première victime de la guerre est la vérité”, écrivait en 1915 Ethel Annakin, l’épouse du politicien britannique Philip Snowden.

Devenez “lecteur premium”, pour avoir accès à une navigation sans publicité, et nous soutenir financièrement pour continuer de défendre vos idées !

En tant que lecteur premium, vous pouvez également participer à la discussion et publier des commentaires.

Montant libre







Cette citation est reprise presque quotidiennement, ces jours-ci, concernant la guerre de la Russie contre l’Ukraine, pour dénoncer la propagande. Sauf que mes confrères journalistes et commentateurs politiques marchent à côté de leurs pompes : nous ne sommes pas en 1915 mais en 2022. Et en 2022, les gens se fichent totalement de la vérité ! Ils ne veulent lire que ce qu’ils ont envie de croire, mais surtout pas la vérité.

Vladimir Poutine affirme vouloir dénazifier l’Ukraine. L’Ukraine serait nazie ? Selon un sondage mené par l’organisme Makor Rishon cette semaine, 76 % des Israéliens soutiennent l’Ukraine (1). C’est curieux, je les imagine mal soutenir le camp nazi, mais je peux me tromper.

  • Question : si vous deviez désigner un peuple au monde capable de pointer la présence d’un danger néo-nazi, au hasard à quel peuple pensez-vous en premier ? Oui, moi aussi, je pense comme vous.

    Pourtant, samedi soir 5 mars, une nouvelle manifestation massive aura lieu à Tel-Aviv en soutien… de l’Ukraine (2) ? Si l’Ukraine a un problème nazi, ce n’est pas crédible. Et les manifestations de soutien, en Israël, vont toutes à l’Ukraine, pas à Poutine. Bizarre, non ?

    D’autant plus étranges que ces avachis de journalistes français brouillent toutes les cartes : ils voient des nazis partout, même chez Zemmour, mais n’en voient aucune en Ukraine, où il y en a.

    Oui mais… oui mais… des nazis, il y en a partout et pas qu’un peu : en Allemagne, aux Etats-Unis, en France et… et… et oui… aussi en Russie !

Le problème néo-nazi en Russie

  • Question : si Poutine veut dénazifier, ne devrait-il pas commencer par balayer devant sa porte, et exterminer d’une balle dans la tête ses propres néo-nazis, plutôt qu’aller chercher ceux d’Ukraine ?
  • Question : y a-t-il des nazis en Russie ? Réponse : un “tout petit peu” : selon plusieurs sources, 50 % de la totalité des néo-nazis du monde se trouvent en Russie (4).

1 Origine Le néonazisme en Russie est un mouvement russe qui, après la Seconde Guerre mondiale, a réuni des organisations extrémistes et nationalistes dont l’idéologie est proche du national-socialisme.

En 1982, le jour de l’anniversaire d’Hitler, un groupe de lycéens de Moscou a organisé une manifestation nazie sur la place Pouchkine. Il s’agit d’un phénomène marginal.

Dans les années 1990, les skinheads du national-socialisme sont devenus un phénomène notable parmi les néo-nazis radicaux de droite en Russie.

  • Alexander Tarasov estime que les principales raisons de la forte croissance du mouvement skinhead néo-nazi en Russie sont l’effondrement du système d’éducation et d’instruction, ainsi que la récession économique et le chômage pendant les réformes des années 1990.
  • Selon Viktor Shnirelman, la propagation du racisme et de l'”identité aryenne” parmi les skinheads en Russie a également été influencée par la propagande anticommuniste et la critique de l’internationalisme pendant la période de “capitalisme sauvage” des années 1990.

2 Combien sont-ils ? Selon les données basées sur l’observation des participants aux manifestations, menée de 1996 à 2008 par l’avocat et chercheur S. V. Belikov, les premiers skinheads néo-nazis sont apparus à Moscou au début des années 1990 et leur nombre ne dépassait pas quelques dizaines.

En 1993-1994, le nombre à Moscou a atteint 150-200 personnes

Dans les mêmes années, les premiers groupes sont apparus à Saint-Pétersbourg, Rostov, Volgograd et Nizhny Novgorod.

En 1996-1998, il y a eu un bond en termes de nombre et d’organisation : il y avait environ 20 associations organisées à Moscou, des publications imprimées, des entreprises qui répondaient à la demande d’attributs et d’accessoires, ainsi que des groupes musicaux.

Selon les estimations données par Alexander Tarasov et Semyon Charny dans les rapports du Bureau des droits de l’homme de Moscou, en 2004-2005, il y avait environ 50 000 skinheads national-socialistes en Russie.

Selon des données non officielles, il y avait au total environ 60 à 70 000 skinheads en Russie en 2008 (6).

En 2008-2009, le centre Sova a enregistré environ 500 meurtres racistes d’origine néo-nazi par an. Plusieurs milliers de néonazis se sont ensuite retrouvés derrière les barreaux et ont été condamnés à de longues peines, allant jusqu’à la prison à vie.

3 Qui sont-ils ? Certaines des organisations néonazies russes font partie de l’Union mondiale des national-socialistes (World Union of National Socialists, WUNS, fondée en 1962). En 2012, six organisations russes font partie des membres officiellement enregistrés de l’union :

  • “Résistance nationale”,
  • le Mouvement national-socialiste “Division russe”,
  • le Mouvement patriotique public panrusse “Unité nationale russe” (RNU),
  • le Mouvement national-socialiste “Union slave” (interdit par une décision de justice en juin 2010)
  • Société national-socialiste (NSO, interdite par une décision de justice en 2010),
  • Union nationale russe (RONS ; interdite en septembre 2011) etc.
  • Parmi les organisations néo-nazies de l’aile radicale qui utilisent des méthodes terroristes, figurent des groupes skinheads :
    • “Legion Werewolf” (liquidée en 1996 mais pas leurs membres)
    • “Schultz-88” (liquidée en 2006 mais pas leurs membres),
    • “White Wolves” (liquidée en 2008- 2010 mais pas leurs membres),
    • “New Order” (a cessé d’exister),
    • “Russian Purpose” (a cessé d’exister) etc.

Le directeur du centre Sova, qui surveille l’activité des néonazis en Russie depuis de nombreuses années, Alexander Verkhovsky a déclaré (5) :

“Il y a des gens qui s’habillent comme des skinheads, il y a des affrontements avec les antifa. Mais il n’y a pas de meurtres. Nous n’avons pas connaissance d’un seul meurtre raciste fomenté par des néo-nazis au cours des six premiers mois de 2021. Cela ne s’est jamais produit auparavant”.

4 En quoi croient-ils, quelle est leur idéologie ? Comme le nazisme originel, le néonazisme russe combine le nationalisme ethnique, l’idée de la “race aryenne”, sa supériorité biologique et culturelle sur les autres races, l’antisémitisme racial (la “race sémite” est considérée comme l’antipode et l’ennemi principal de la “race aryenne”), l’anticommunisme et l’antidémocratisme.

Le culte d’Adolf Hitler y est essentiel.

Le symbole principal est la croix gammée et ses différentes variations et modifications.

L’idéologie du néo-nazisme russe est étroitement liée à l’idéologie du Rodnovery (néo-paganisme slave). Dans un certain nombre de cas, il existe également des liens organisationnels entre les néo-nazis et les néo-païens.

5 Que fait Poutine à leur sujet ? Les activités des organisations néo-nazies et l’utilisation de symboles nazis en Russie sont interdites par la loi fédérale.

  • À l’ONU, en 2015 et 2016, la Russie a présenté une résolution sur la lutte contre la glorification du nazisme.
  • En 2004, les membres du groupe néo-nazi “Schulz-88”, qui opéraient sur le territoire de Saint-Pétersbourg et de Leningrad, ont été jugés et condamnés.
  • Le 15 mai 2008, le tribunal municipal de Moscou a rendu un verdict de culpabilité concernant l’attaque terroriste sur le marché Cherkizovsky. L’attaque, perpétrée le 21 août 2006, a fait 14 morts, dont deux enfants, et 61 blessés.
  • En 2008-2010, des membres du groupe skinhead national-socialiste dirigé par Artur Ryno et Pavel Skachevsky ont été condamnés.
  • Des membres du groupe néo-nazi “Organisation de combat des nationalistes russes” ont été accusés d’une série de meurtres et de tentatives de meurtre en 2011.
  • Maxim “Tesak” Martsinkevich, un néonazi russe bien connu, est mort dans des circonstances peu claires en septembre 2020 dans un centre de détention provisoire.

Mais en 2015, à la veille du Jour de la Victoire, le ministère russe des Affaires étrangères a préparé un rapport dans lequel il a analysé les “tendances néo-nazies” dans différents pays du monde.

Dans son document de 150 pages, la majeure partie de l’espace est accordée à l’Ukraine. La Russie ne figure pas dans le rapport. (3)

6 Pourquoi l’Ukraine ? La Russie n’est pas satisfaite de l’attitude des hommes politiques baltes à l’égard de ceux qui ont combattu l’Union soviétique. Mais au lieu de les accuser de cela, elle leur reproche de “réhabiliter le nazisme”, bien qu’aucun des hommes politiques ne promeuve en aucune façon l’idéologie hitlérienne.

C’est une manœuvre politique que connaissent bien les médias, et en Russie, c’est une tradition.

La Russie accuse depuis longtemps et régulièrement les anciennes républiques soviétiques qui ont fait de l’intégration à l’Europe leur priorité de “réhabiliter le nazisme, de glorifier les nazis et de soutenir le néonazisme”. Jusqu’à récemment, les accusations de Moscou concernaient principalement la Lettonie, la Pologne (considérée par la Russie comme le centre des mouvements néo-nazis d’Europe avant de changer son fusil d’épaule pour accuser l’Ukraine) et l’Estonie. Maintenant donc, l’attention de Poutine s’est déplacée vers l’Ukraine.

Verkhovsky a sa version :

“Les rapports du Service fédéral de sécurité (FSB) sur les détentions de néonazis ne sont pas une source d’information, mais une forme d’influence. Chaque fois que des sympathisants sont détenus, ils [les responsables du FSB] n’oublient pas de dire qu’il s’agit d’une organisation ukrainienne”.

7 Quel danger représentent les néo-nazis russes ? En 2021, le Sova Center a enregistré des attaques néo-nazies dans 18 régions de Russie (8) :

  • Moscou (13 blessés),
  • Saint-Pétersbourg (6 blessés.
  • Novossibirsk, Tver et Tula (4 blessés dans chaque région).
  • Des agressions ont été signalées dans les régions de Belgorod, Leningrad, Moscou, Nijni Novgorod et Iaroslavl, le kraï de Primorski, le kraï de Krasnoïarsk et le kraï de Khabarovsk.
  • Au cours des dix dernières années, outre Moscou, Saint-Pétersbourg et les régions de Moscou et de Leningrad, des crimes ont été enregistrés pratiquement chaque année dans les régions de Volgograd, Vologda, Voronej, Kaluga, Kirov, Nijni Novgorod, Novosibirsk, Omsk, Samara, Sverdlovsk, Rostov et Toula, ainsi que dans les régions de Primorsky Krai, Krasnodar Krai, Khabarovsk Krai et la République du Tatarstan.
  • En outre, au cours des cinq dernières années, l’activité criminelle néo-nazie s’est intensifiée dans les régions de Kaliningrad et d’Orenbourg, le kraï de Perm, le kraï de Zabaykalsky et la République de Carélie.

Tout se complique

  • En février 2014, un nationaliste russe néo-nazi expliquait comment Poutine les a envoyés en Ukraine pour tuer des Ukrainiens.

    Dmitry Demushkin, un nationaliste russe néo-nazi, a révélé comment il a été invité par le vice-premier ministre russe de l’époque, Dmitry Rogozin, à rassembler des nationalistes pour combattre en Ukraine (11).
  • Samedi 5 mars 2022, un partisan du groupe néonazi ukrainien MKU a été arrêté. Il recrutait des jeunes Russes dans la région de Riazan. Yegor Krasnov est né en Russie 2004, et il est citoyen ukrainien (7).

“Le service fédéral de sécurité de la région de Riazan a arrêté un citoyen russe né en 2004, partisan du groupe de jeunesse néonazi ukrainien MKU, impliqué dans l’administration, sous la direction de son chef, un citoyen ukrainien Yegor Krasnov, de communautés thématiques radicales sur Internet, la propagande de l’idéologie de l’ultra-violence, le recrutement de jeunes Russes dans des activités extrémistes et terroristes”, a déclaré le service de renseignement.

https://iz.ru/1301264/2022-03-05/fsb-zaderzhala-storonnika-ukrainskikh-neonatcistov-v-riazanskoi-oblasti
  • Le 13 décembre 2021, le FSB a arrêté 106 néo-nazis dans 37 régions russes (7).

Mais Poutine veut dénazifier l’Ukraine.

Conclusion

Je l’écrivais en introduction : les gens ne veulent entendre que ce qu’ils veulent croire, et certainement pas la vérité et les faits, et une partie de ceux qui liront, ou survoleront cet article ne changeront pas d’avis, pas d’un millimètre : Poutine est le gentil, l’Ukraine est le nazi.

Je pose la question de l’homme simple que je suis :

  • Faut-il envahir un pays de 44 millions d’habitants pour se débarrasser de quelques milliers de nazis ?
  • La guerre d’Ukraine coûte à Poutine 10 milliards de dollars par jour. Ca fait cher du nazi, ne trouvez-vous pas ?
  • Vous pensez vraiment que Poutine est un nul, et que ses services de renseignement ne possèdent pas le nom, l’adresse, le numéro de téléphone, les comptes Facebook et Twitter de chacun des néo-nazis Ukrainiens, et que s’il voulait vraiment “dénazifier”, il n’est pas en mesure d’envoyer ses commandos spéciaux leur coller une balle entre les deux yeux ? Vous le prenez pour un débile, Poutine ?
  • Dans le Cleveland Jewish News, Dinah Spritzer consacre un article aux “Ukrainiens juifs [qui] se préparent à une lutte acharnée contre la Russie, aux côtés des “néonazis” dont ils disent que Poutine ment.” (9)
  • En juin 2020, des néo-nazis allemands sont allés suivre un entraînement paramilitaire à l’étranger. Devinez dans quel pays ? Si vous écoutez Poutine, vous direz : l’Ukraine. Mauvaise pioche, c’est à St Petersbourg en Russie qu’ils ont été accueillis à bras ouverts (10)

Il est dans mon intention, par neutralité naturelle et devoir d’information, de publier le même dossier sur les nazis ukrainiens.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

  1. https://israel247.org/2022/03/sondage-makor-rishon-76-des-israeliens-soutiennent-lukraine/
  2. https://israel247.org
  3. https://www.bbc.com/russian/international/2015/04/150424_russia_neo_nazis_report
  4. https://www.sova-center.ru/en/
  5. https://www.svoboda.org/a/natsisty-probuzhdayutsya-rossiyskie-uljtrapravye-vnovj-napomnili-o-sebe/31367877.html
  6. https://www.dw.com/ru/%D0%B2-%D1%80%D0%BE%D1%81%D1%81%D0%B8%D0%B8-%D0%B2%D0%BE%D0%B7%D1%80%D0%BE%D1%81%D0%BB%D0%BE-%D0%BA%D0%BE%D0%BB%D0%B8%D1%87%D0%B5%D1%81%D1%82%D0%B2%D0%BE-%D1%83%D0%B1%D0%B8%D0%B9%D1%81%D1%82%D0%B2-%D0%BD%D0%B0-%D0%BD%D0%B0%D1%86%D0%B8%D0%BE%D0%BD%D0%B0%D0%BB%D1%8C%D0%BD%D0%BE%D0%B9-%D0%BF%D0%BE%D1%87%D0%B2%D0%B5/a-3143274
  7. https://iz.ru/1301264/2022-03-05/fsb-zaderzhala-storonnika-ukrainskikh-neonatcistov-v-riazanskoi-oblasti
  8. https://www.sova-center.ru/en/xenophobia/reports-analyses/2022/02/d45774/
  9. https://www.clevelandjewishnews.com/jta/jewish-ukrainians-gear-up-for-fierce-russia-fight-alongside-the-neo-nazis-they-say-putin/article_d518b616-369b-5d39-9e20-bc8fc1edd033.html
  10. https://www.dw.com/en/why-are-german-neo-nazis-training-in-russia/a-53702613
  11. https://khpg.org/en/1608809502

Inscrivez-vous gratuitement pour recevoir chaque jour notre newsletter dans votre boîte de réception

Si vous êtes chez Orange, Wanadoo, Free etc, ils bloquent notre newsletter. Prenez un compte chez Protonmail, qui protège votre anonymat

Dreuz ne spam pas ! Votre adresse email n'est ni vendue, louée ou confiée à quiconque. L'inscription est gratuite et ouverte à tous

En savoir plus sur Dreuz.info

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading