Publié par Daniel Pipes le 2 avril 2022

La crise ukrainienne a affecté profondément la vie politique en Occident mais de façon contrastée.

L’invasion de Vladimir Poutine a ramené les populations endormies aux réalités constantes du pouvoir. Elle a également exacerbé la déplateforming de gauche et, bizarrement, a renforcé, à droite, l’attrait pour Poutine.

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Les réalités du pouvoir. La paix d’un siècle qui a succédé aux guerres napoléoniennes a laissé les Européens dans un état mental d’impréparation face au carnage de la Première Guerre mondiale. De la même manière, la paix de 77 ans qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a engendré une croyance européenne erronée selon laquelle le commerce et la diplomatie pourraient résoudre les problèmes du continent. La force militaire a été considérée comme aussi anachronique que l’esclavage et on a accordé la préférence aux slogans tels que « Il n’y a pas de solution militaire » et « La guerre n’a jamais rien résolu ».

Pendant ce temps, le monde non-occidental est demeuré focalisé sur les vérités intemporelles de la puissance militaire. D’un côté, Xi Jinping tente de faire de la Chine une grande puissance hégémonique. De l’autre, le Russe Vladimir Poutine crée deux nouvelles « républiques populaires » et multiplie les invasions chez ses voisins en vue de rétablir l’empire russe. Ailleurs encore, Kim Jong-un développe l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord et Ali Khamene’i aspire à faire de même pour l’Iran. Quant aux petits tyrans du Venezuela, de la Syrie et de la Birmanie, ils recourent à la puissance armée pour brutaliser leurs propres peuples.

De gauche à droite, le Russe Poutine, le Chinois Xi et l’Iranien Rohani lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, le 14 juin 2019, à Bichkek.

Ignorant ces multiples signaux, de nombreux Occidentaux se sont réveillés sous le choc, le 24 février, en apprenant la nouvelle de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Manifestement, la force brute n’est pas démodée et le commerce ne remplace pas la guerre. Avec une rapidité inouïe, la Suisse a sanctionné la Russie, mettant ainsi fin à une neutralité remontant à 1815. La Suède et la Finlande, longtemps frileuses à l’idée d’adhérer à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, se sont soudainement montrées intéressées par l’adhésion.

Plus important encore, l’Allemagne a du jour au lendemain défait plus de 50 ans d’Ostpolitik. Le chancelier Olaf Scholz a augmenté les dépenses militaires en débloquant en une fois une enveloppe de 100 milliards d’euros. Il s’est également engagé à consacrer plus de 2 % du PIB allemand à l’armée, un chiffre qu’il a même fait inscrire dans la constitution. Pour apprécier le contexte dans lequel s’opère ce changement, on notera que les principaux chars de combat allemands sont passés de 5.000 en 1989 à 300 actuellement. Le chancelier s’est par ailleurs engagé à créer des réserves énergétiques en charbon et en gaz naturel, à acheter des avions de combat F-35 et à construire des installations de gaz naturel liquéfié. Le New York Times a qualifié à juste titre ces mesures de « renversement étonnant – et soudain – d’une politique étrangère allemande vieille de plusieurs décennies ». L’heure n’est plus à la passivité chimérique, désormais intenable.

Le chancelier allemand Olaf Scholz reçoit une standing ovation lors de son discours au Bundestag en réponse à l’invasion russe de l’Ukraine le 27 février 2022.

Le déplateforming. Les atrocités commises par Poutine ont confirmé et renforcé la tendance de la gauche à exclure la dissidence. La Fédération internationale d’échecs a exclu de toute compétition le champion d’échecs russe, Sergey Karjakin, qui avait exprimé son soutien à l’invasion. Un chef d’orchestre symphonique russe, Tugan Sokhiev, a temporairement démissionné de l’Orchestre philharmonique de New York et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Un autre, Valery Gergiev, a perdu son poste à l’Orchestre philharmonique de Munich parce qu’il n’a pas répondu à une demande du maire de Munich de condamner dans les trois jours la « guerre d’agression brutale » de Poutine.

Plus frappant est le cas de la chanteuse d’opéra Anna Netrebko qui a condamné sans hésiter l’invasion mais sans citer Poutine nommément : « Je suis opposée à cette guerre d’agression insensée et j’appelle la Russie à mettre fin à cette guerre immédiatement pour le salut de tous. Nous avons besoin de la paix tout de suite. » Peut-être craignait-elle de mentionner Poutine par peur pour sa famille ou par tout autre souci légitime. Qu’à cela ne tienne, le Metropolitan Opera de New York l’a licenciée en déclarant par la voix de son directeur général Peter Gelb : « Anna est l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire du Met, mais le fait que Poutine tue des victimes innocentes en Ukraine ne nous a plus permis de continuer. » Netrebko a ensuite annulé ses prestations prévues dans trois grandes salles européennes alors qu’elle était lâchée par le Center Stage Artist Management qui ne l’acceptait plus parmi ses clients.

La soprano russe Anna Netrebko (à gauche) et le chef d’orchestre Valery Gergiev.

L’Union européenne a exigé que les moteurs de recherche boycottent l’ensemble des sites Internet liés au gouvernement russe, dont les médias RT et Sputnik, ainsi que toute reproduction de leur contenu. De leur propre initiative, les géants de la technologie ont modifié leurs algorithmes pour sanctionner la Russie.

Cette tendance est même devenue quelque peu absurdeAlexander Malofeev, 20 ans, a qualifié la guerre en Ukraine de « terrible et sanglante » mais cela ne lui a pas épargné le fait d’être déprogrammé par l’Orchestre symphonique de Montréal qui a jugé « inapproprié » le fait de le présenter. L’Orchestre symphonique de Peoria a remplacé une œuvre du Russe Rachmaninoff par celle de l’Allemand Beethoven. L’orchestre philarmonique de Cardiff a supprimé de son programme les œuvres de Tchaïkovski. En Italie, l’Université de Milano-Bicocca a annulé une série de conférences sur Fiodor Dostoïevski. De nombreux autres actes symboliques, comme le fait de jeter de la vodka ayant un nom à consonance russe ou de renommer la vinaigrette russe, n’ont fait qu’ajouter à la stupidité d’un tel mouvement.

Ces précédents indiquent une tendance inquiétante : des clients abandonnés à moins qu’ils n’approuvent le mouvement Black Lives Matter, des étudiants expulsés s’ils doutent de l’origine anthropique du changement climatique, des employés licenciés s’ils ne signent pas de pétitions condamnant « l’islamophobie », des magasins contraints de fermer en raison d’actions en justice intentées contre eux pour leur refus de reconnaître le mariage entre homosexuels, les États qui perdent des marchés à cause des toilettes transgenres.

Pendant ce temps, la répression des critiques sur l’islamisme se poursuit. Dans la même Allemagne qui a marqué sa ferme opposition à la Russie, Michael Stürzenberger a été condamné à une amende de 800 € pour ses pensées inacceptables sur l’islam. La droite dominante peut s’attendre à se retrouver de plus en plus déplateformée et exclue.

Poutinisme. La colère grandissante de la droite contre ces politiques et d’autres menées par la gauche inspire pour Poutine une certaine empathie assez visible aux États-Unis mais aussi de toute évidence en France et au Canada. La tendance américaine initiée par le mouvement du Tea Party, s’est poursuivie avec l’élection de Donald Trump, l’histoire de l”élection volée” de 2020, la résistance au vaccin contre la COVID-19, et se perpétue à présent avec l’invasion de l’Ukraine.

Tucker Carlson, l’animateur de télévision, a exprimé ce sentiment avec brio : « Poutine m’a-t-il déjà traité de raciste ? A-t-il menacé de me faire virer pour n’être pas d’accord avec lui ? Carlson a ensuite demandé si Poutine avait promu la “discrimination raciale” dans les écoles, fabriqué du fentanyl ou tenté “d’étouffer le christianisme”. »

L’animateur de Fox News, Tucker Carlson, manifestant son soutien à Poutine le 22 février 2022.

Poutine lui-même a habilement exploité cette sympathie en se présentant comme le rempart d’une droite incarnant les valeurs traditionnelles. Un mois après avoir envahi l’Ukraine, il a consacré tout un discours à ce qu’il a appelé la « cancel culture » et a audacieusement assimilé la critique gauchiste de l’auteur J.K. Rowling (en raison de ses opinions sur le phénomène transgenre) à l’Occident qui déprogramme la Russie, « un pays millénaire ». En répondant par un #IStandWithUkraine, Rowling a désapprouvé cette comparaison qui, toutefois, a rencontré une certaine adhésion.

En résumé, la condamnation occidentale quasi-unanime de l’invasion russe a renforcé la détermination militaire tout en dégradant plus encore la vie politique.

Mise à jour, 30 mars 2022Anna Netrebko a dénoncé avec force l’invasion de l’Ukraine (« Je condamne vivement la guerre contre l’Ukraine et mes pensées vont aux victimes de cette guerre et à leurs familles ») et s’est démarquée de Poutine (« Je ne suis membre d’aucun parti politique et je ne suis alliée à aucun dirigeant de la Russie ») mais de nouveau, elle n’a pas cité Poutine nommément, ce que Gelb du Metropolitan Opera a de nouveau considéré comme insuffisant :

Après avoir lu la déclaration d’Anna, nous ne sommes pas prêts à changer notre position. Si Anna démontre qu’elle s’est vraiment et complètement dissociée de Poutine sur le long terme, je serais prêt à en discuter.

Daniel Pipes

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