Publié par Abbé Alain René Arbez le 30 mai 2022

Aujourd’hui coexistent des approches différentes de la Bible. Toutefois, catholiques, protestants et orthodoxes estiment, majoritairement, qu’il est nécessaire de contextualiser un texte biblique pour bien en saisir le sens originel et la portée actuelle.

C’est la position des traducteurs de la TOB, traduction œcuménique de la Bible. Les chrétiens du 21ème siècle bénéficient de la longue et sage expérience des communautés chrétiennes historiques ayant bénéficié initialement des spécialistes juifs de l’Ecriture sainte.

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Les courants littéralistes issus de la Réforme considèrent quant à eux que toute l’Ecriture biblique est intégralement telle quelle, « Parole de Dieu », alors que les Eglises historiques pensent plutôt que la Parole de Dieu est présente dans la Bible sans se réduire formellement au texte, car la force unitaire de ses messages transcende les différents styles littéraires. Cela, pour tenir compte du fait que si les écrits sont d’inspiration divine, ils restent indéniablement marqués par les êtres humains qui les ont rédigés, ainsi que par le contexte culturel et cultuel du moment, ce qui nous oblige aujourd’hui à discerner le fond et la forme.

Par conséquent, le débat tourne autour du statut de l’Ecriture biblique. Certains font comme si l’autorité de la Bible avait préexisté à la légitimation canonique des textes, avec le risque de « bibliolâtrie ». Or nous savons que dès l’ancien testament, la tradition orale a toujours devancé la mise par écrit des textes, et qu’elle a perduré à côté des rédactions officielles successives. Idem pour le nouveau testament : c’est l’Eglise, c’est-à-dire l’ensemble des communautés primitives, fortes de la responsabilité confiée par le Christ lui-même à ses pasteurs, qui a guidé initialement la sélection des textes concernant l’événement Jésus Christ. Les traditions ecclésiales ont été la seule et unique matrice de ce qui a été par la suite constitué en livres du nouveau testament. La Parole a statué sur l’Eglise, mais c’est l’Eglise qui statue en fin de compte sur ce que sera la Parole. On peut dire que la tradition (transmission) précède la fixation.

LE CANON DE LA BIBLE HEBRAÏQUE

La Septante

Le canon vient du mot grec kanon qui est lui-même traduit de l’hébreu qaneh, le roseau. Dans l’antiquité, une longue baguette de roseau servait de mesure, de règle et de norme. (Cf Ezekiel 40,3). En français le mot canne en est dérivé. La formation du « canon » biblique a été un processus assez long dont on connaît assez mal toutes les péripéties. L’élément déclenchant a été la traduction grecque de la septante (bible pour les juifs de culture grecque) vers 200 avant JC, dans laquelle un ordre des livres apparaît. Cependant des différences existent entre la septante et le texte hébreu originel. La septante a ajouté quelques livres que les églises catholique et orthodoxe appellent deutérocanoniques et qui ont été plus tard rejetés par les protestants.

Yamnia

Le deuxième tournant dans la fixation d’un canon biblique se situe au moment de l’académie de Yavné autour de l’an 90 après JC. Après la catastrophe de la destruction du Temple en l’an 70, les rabbins pharisiens se sont réunis pour délimiter les critères du judaïsme (d’où exclusion des minim, les dissidents, parmi lesquels les « disciples de la Voie », les chrétiens). Les sadducéens, littéralistes qui ne reconnaissaient que le pentateuque et discréditaient la tradition orale, avaient disparu.

Le concile de Yavné fixa alors le canon et l’ordre des rouleaux. Seuls les livres en hébreu étaient conservés, écartant les textes connus dans la seule version grecque. La bible hébraïque fixait donc son canon de 22 livres en 3 grandes catégories constituant le Tanakh (torah, nevim, ketouvim) = la torah, les prophètes, et les écrits. Le canon hébraïque ainsi établi date du 1er siècle de notre ère.

L’ancien testament a été transmis dans un hébreu où les textes s’entremêlent sans classement et où ne figurent que les consonnes. Et la textualisation des Ecritures ne s’est finalisée qu’au 4ème siècle de notre ère grâce à la tradition massorétique qui a fixé les termes et les voyelles à partir de la rédaction consonantique antérieure. Ce qui veut dire que le texte biblique que nous recevons est un mélange de texte ancien et de modification plus récente. Lorsqu’en 1947 furent découverts les manuscrits de la Mer Morte, on prit conscience de la fidélité du texte massorétique des bibles actuelles, mais aussi de la pluralité des traditions anciennes indiquant des processus de fixation des textes dépendant de la conjoncture du moment.

CANON CHRETIEN

Il apparaît clairement que la base scripturaire du nouveau testament et de la théologie chrétienne qui en est issue est la traduction grecque de la septante. Lorsque St Jérôme a traduit cette bible grecque en latin à l’époque de St Augustin (4ème s.), il est allé auprès des rabbins pour s’assurer de respecter la « veritas hebraïca ».

La septante que nous connaissons sous sa forme actuelle provient de manuscrits chrétiens : codex vaticanus (4ème siècle), codex sinaïticus (4ème siècle) et codex alexandrinus (5ème siècle). C’est entre le 2ème et le 5ème siècle que la Synagogue, ayant établi son propre canon des Ecritures, a fixé les textes massorétiques. L’Eglise déterminait alors le corpus des Ecritures saintes.

Par quelles étapes, l’Eglise chrétienne a-t-elle procédé à cette mise en ordre des textes bibliques, ancien et nouveau testament ? Ce sont des événements déstabilisants qui (comme pour la mise en place de garde-fous dogmatiques) a incité l’Eglise à engager son autorité afin de déterminer lesquels sont les textes canoniques.

C’est le cas lorsque Marcion au 2ème siècle ne prétend garder de la Bible que quelques fractions de l’évangile de Luc et une ou deux épîtres, lorsque Tatien a l’idée de compiler les textes en un seul évangile (le diatessaron), lorsque la secte montaniste édite de nouveaux écrits se revendiquant prophétiques, lorsque les apocryphes exaltent un ésotérisme de type persan visant à déposséder Jésus de ses racines hébraïques…

Le canon chrétien

L’établissement du canon chrétien se réalise par étapes : les 4 évangiles et les épîtres de Paul sont attestées au 2ème siècle ; l’épître aux Hébreux, l’apocalypse de Jean seront associées plus tard au canon. Mais des écrits édifiants comme la lettre de Clément de Rome, la didachè, l’apocalypse de Pierre, l’épître de Barnabé ont bien failli être intégrés au canon. Quant à l’évangile de Jean, il sera retenu de justesse, en raison de ses aspects mystiques instrumentalisés par les gnostiques.

En 382, le pape Damase promulgue officiellement le canon des Ecritures. 12 siècles plus tard, Luther en retranchera des textes, dont la fameuse épître de Jacques qui contredit sa doctrine du salut sans les œuvres. (Il l’appelle lettre de paille). Cette définition initiale du canon est réitérée lors du concile de Trente en 1546.

Ecriture sainte

Si l’on analyse la constitution d’un canon biblique au cours des premiers siècles, on perçoit combien la nécessité de définir ce qui fait autorité s’est imposée pour faire face aux errances et aux déviances de toutes sortes. Un ensemble de documents considérés comme « Ecriture sainte » apparaît pour la première fois chez Athanase (lettre festale) en 367. Puis Clément d’Alexandrie parle de « règle ecclésiale » au sujet de « l’accord à l’unisson de la loi et des prophètes avec l’alliance transmise lors de la venue du Seigneur ». Eusèbe de Césarée évoque quant à lui « la tradition reçue dans l’Eglise » à propos des 4 évangiles Matthieu, Marc, Luc et Jean, tels que mentionnés par Origène. Il utilise l’expression « catalogue des Ecritures sacrées de l’ancien testament selon la tradition des Hébreux, des 22 livres testamentaires ».

Dans la seconde moitié du 4ème siècle, apparaît ainsi une extension de la valeur normative en matière de foi, en relation avec le dénombrement des livres scripturaires. Auparavant dominait une sorte de fluidité sur les limites de la légitimité des Ecritures.

L’utilisation du terme « ancien testament » date seulement de Méliton de Sardes, sachant que le lien existe entre testament et alliance. Le terme « testament » est une traduction discutable, car littérale du grec « diatèkè » pour « berit », alliance en hébreu. Ce cheminement dans l’appréciation des textes, la reconnaissance de leur autorité ne se sont faits que progressivement. C’est ce qui a donné consistance à la Bible chrétienne contenant un ancien et un nouveau testament, tous deux livres sacrés porteurs de la révélation. Mais il ne faut pas perdre de vue les laborieuses périodes d’indétermination dans la prise en compte de l’autorité des Ecritures, tous les livres ne bénéficiant pas de la même aura théologique.

Evangiles

Tout s’est joué au cours des quatre premiers siècles. C’est avec Justin que le terme « mémoire des apôtres » correspond au sens des quatre évangiles. 1er usage du terme dans la littérature chrétienne ancienne. Justin est aussi le premier témoin historique de l’utilisation des évangiles dans les liturgies chrétiennes. Il écrit : « les évangiles sont lus lors des assemblées du dimanche. Puis le président prend la parole pour adresser des avertissements et exhorter à imiter ces beaux exemples ». Cela prouve que dans les années 150, les évangiles connaissent à Rome une certaine popularisation de leur autorité officielle. Ainsi Justin met en parallèle les écrits néo-testamentaires et vétéro-testamentaires : « Au jour qu’on appelle jour du soleil, qu’ils demeurent dans les villes ou dans les campagnes, tous se réunissent en un même lieu et on lit les mémoires des apôtres ou bien les écrits des prophètes pendant le temps disponible ».

Les évangiles (mémoires apostoliques) font donc autorité en tant que règles de vie, perspectives de foi, et éléments du culte.

Autorité de la Bible

Cette rétrospective nous montre que l’autorité de la Bible ne s’est fait ressentir que progressivement, étape par étape au cours des premiers siècles. L’Eglise a existé longtemps avant qu’il y ait ce qui sera dénommé  « nouveau testament ». C’est elle, en tant qu’institution enseignante, qui a fixé les limites et les codes de compréhension. La liste des livres inspirés n’existe pas dans la Bible elle-même, de même que la Bible ne s’autodécerne pas l’infaillibilité. La notion réformée de « Sola Scriptura » est inexistante dans la Bible.

Sur le fond, cela n’enlève rien à ce qu’on appelle l’inerrance de la bible, le fait que c’est l’Esprit Saint qui a guidé l’Eglise dans la production des Ecrits  et qui continue d’inspirer des chrétiens dans la compréhension du sens d’une Parole qui – comme dans les temps antérieurs – a d’abord été orale avant d’être écrite. Il apparaît ici qu’il serait contraire à l’histoire d’opposer tradition ecclésiale et Ecriture.

Certes, à une époque où les traditions occultaient la Tradition inhérente à l’époque apostolique, Luther a tenu à restituer sa place centrale à l’Ecriture. Mais pour autant, il n’a sans doute pas voulu sacraliser ou fétichiser le texte biblique. Son but était de rencontrer le Christ présent derrière le texte. Il a en fait instauré une distinction entre la Parole de Dieu et le témoignage rendu par des hommes à la Parole de Dieu. Pour lui la Bible ne se confond pas avec le Christ qui se révèle en elle. Il considère que l’autorité de la Bible n’est pas l’autorité d’une Ecriture mais d’abord l’autorité de Celui dont l’Ecriture parle.

Calvin, quant à lui, érige un critère spirituel : c’est le témoignage intérieur de l’Esprit qui donne sens au texte médité.

Dans l’Eglise catholique, c’est le Concile Vatican II qui a apporté une mise en lumière de l’Ecriture Sainte dont elle reconnaît toute l’autorité en la plaçant au centre de toute vie ecclésiale. Tandis que le concile Vatican I (19ème siècle) craignait une dérive trop rationnelle par rapport aux Ecritures Saintes et avait recadré de façon assez fondamentaliste la relation de l’Eglise à la Parole de Dieu, Vatican II au contraire, par sa déclaration Dei Verbum, tient à affirmer que la bonne nouvelle n’est pas prisonnière de la lettre du texte. Car il s’agit d’abord d’une Parole vivante, une expérience de rencontre avec l’Esprit. Si Vatican I insistait sur des vérités à croire, Vatican II aborde la révélation du mystère, comme un dialogue avec Dieu qui communique avec nous.

La Bible n’est pas la religion du Livre ! (expression islamique). Ce n’est en aucun cas un code de directives à appliquer comme les musulmans obéissent à un coran tombé du ciel et intouchable. Ce n’est pas non plus un livre de réponses toutes faites à tous les problèmes. C’est une puissante Parole d’inspiration, un message pertinent jamais dépassé qui communique la force d’en haut. La Parole nous est donnée afin que chacun se prenne en charge en se laissant quotidiennement engendrer par le Dieu d’amour qui nous encourage à incarner bienveillance, justice et paix.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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