Publié par Daniel Pipes le 26 juillet 2022

Une masse de statistiques montre clairement que les musulmans contemporains ont pris du retard sur les autres peuples, que ce soit en matière de santé, de corruption, de longévité, d’alphabétisation, de droits de l’homme, de sécurité individuelle, de revenu ou de pouvoir. Cette situation peut s’expliquer de quatre manières différentes, et toutes aussi lourdes de conséquences.

Premièrement, la gauche mondiale et les islamistes reprochent à l’Occident son impérialisme. Pour eux, les problèmes actuels sont la suite logique des deux siècles après 1760 durant lesquels pratiquement tous les musulmans sont tombés sous le contrôle de 16 États à majorité chrétienne (Royaume-Uni, Portugal, Espagne, France, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède, Allemagne, Autriche, Italie, Grèce, Russie, Éthiopie, Philippines et États-Unis).

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Or, cette accusation ignore deux faits essentiels. Premièrement, concernant ces indicateurs, les musulmans accusaient du retard sur une grande partie du reste du monde bien avant 1760 – ce qui permet de comprendre pourquoi ils sont passés sous contrôle occidental. Deuxièmement, le contrôle occidental a pris fin il y a environ 70 ans, ce qui a laissé pas mal de temps pour s’épanouir et réussir, comme l’ont fait tant de peuples non musulmans. Il suffit de comparer Singapour et la Malaisie, l’Inde et le Pakistan, Israël et les Palestiniens ou la partie Nord et la partie Sur de Chypre.

Deuxièmement, les analystes hostiles à l’islam ont tendance à faire de cette religion la cause des problèmes que connaissent les musulmans. Attribuant le succès médiéval des musulmans à leur appropriation des cultures – romaine, grecque et iranienne notamment – assujetties par la force, ils dépeignent l’islam comme exerçant une influence abrutissante qui encourage l’apprentissage par cœur, inculque le fatalisme et engendre le fanatisme. Or, cette conception est tout aussi illogique car si l’islam a permis, il y a un millénaire, aux musulmans d’emprunter avec succès à d’autres civilisations, comment peut-il interdire un emprunt similaire aujourd’hui ?

Personnellement, j’avance en tant qu’historien une troisième explication : ce sont divers facteurs – le rejet d’une pensée originale et l’invasion mongole notamment – qui ont provoqué le déclin de la civilisation islamique médiévale alors même que l’Europe prenait son envol. Ensuite, ce sont l’hostilité et le mépris mutuels virulents qui ont empêché les musulmans d’apprendre des chrétiens. Si la modernité avait été inventée en Chine, les musulmans seraient bien plus avancés aujourd’hui.

Ces interprétations contradictoires viennent à l’esprit à la lecture d’Islam, Authoritarianism, and Underdevelopment: A Global and Historical Comparison [Islam, autoritarisme et sous-développement : une comparaison globale et historique] (Cambridge University Press, 2019), un ouvrage qui présente une quatrième explication importante. L’auteur Ahmet T. Kuru, professeur de sciences politiques à l’Université d’État de San Diego, soutient que ce sont les relations trop étroites entre les autorités religieuses et politiques qui ont étouffé la créativité musulmane au cours du dernier millénaire et qu’il faut donc briser cette coalition pour permettre aux musulmans de progresser. Sa thèse mérite d’être prise au sérieux (Les citations suivantes proviennent d’un résumé de son livre).

Kuru commence par rappeler qu’« un certain degré de séparation entre les oulémas (les chefs religieux qui représentaient la connaissance, l’enseignement et la loi islamiques) et les dirigeants politiques » a caractérisé l’âge d’or musulman du VIIIe au XIe siècle, lorsque les musulmans jouissaient d’une force et d’une prospérité qui les plaçait au faîte de la civilisation. Plus particulièrement, « l’écrasante majorité des oulémas et leurs familles occupaient des emplois non gouvernementaux, en particulier dans le commerce ». La diversité religieuse et philosophique qui en résultait a dynamisé les premières sociétés musulmanes.

Les relations trop étroites entre les autorités religieuses et politiques ont étouffé la créativité musulmane au cours du dernier millénaire si bien qu’il faut briser cette coalition pour permettre aux musulmans de progresser.

À partir du milieu du XIe siècle, « l’alliance entre oulémas et État a fait son apparition dans l’Asie centrale, l’Iran et l’Irak actuels ». Elle s’est ensuite propagée en Syrie, en Égypte et au-delà, entraînant la marginalisation des classes intellectuelles et économiques. Cette situation a ensuite conduit, parmi les musulmans, à une baisse de la productivité scientifique et du dynamisme économique.

Ainsi, les Européens ont inventé l’imprimerie vers 1440 mais il a fallu près de trois siècles aux musulmans pour imprimer un livre en caractères arabes. Ce retard extrême a fait suite à l’absence « d’une classe intellectuelle apte à apprécier l’importance de l’imprimerie sur le plan de la connaissance [et] d’une classe marchande apte à comprendre les opportunités financières qu’offrait l’imprimerie pour le capitalisme. Les dirigeants militaires des empires musulmans n’ont pas perçu la valeur de l’imprimerie et les oulémas la considéraient comme une menace pour leur monopole sur l’enseignement. » En conséquence, au XVIIIe siècle, les presses européennes ont imprimé 20.000 livres contre un seul et unique ouvrage imprimé dans l’Empire ottoman. Aujourd’hui encore, les livres en arabe ne représentent que 1,1 % de la production mondiale.

Le premier livre imprimé en turc, Lugat-i Vankulu, a été publié en 1729.

Les réformes du XIXe siècle n’ont pas touché à l’alliance entre oulémas et État et ont dès lors échoué. Les tentatives ultérieures ont échoué plus lamentablement encore en raison d’une expansion du pouvoir de l’État dirigée par l’armée combinée à la prolifération d’idéologies radicales et au manque d’assurance des dirigeants laïcs. Ensuite, les revenus disproportionnés procurés par l’exploitation des hydrocarbures « ont entravé la démocratisation et créé des États rentiers ».

Pour l’avenir, Kuru fait aux musulmans quatre excellentes recommandations : reconnaître les problèmes de l’autoritarisme et du sous-développement ; ne reprocher leur sort ni à l’impérialisme ni à l’islam ; se concentrer sur les dommages causés aux intellectuels et aux entrepreneurs par l’alliance entre oulémas et État ; et développer des projets de « restructuration économique basée sur des systèmes productifs qui encouragent l’esprit d’entreprise ».

Les musulmans vont-ils désormais tenir compte de ce sage conseil ? Les résultats laissent malheureusement penser qu’il n’en sera rien.

M. Pipes (DanielPipes.org@DanielPipes) est président du Middle East Forum. © 2022 par Daniel Pipes. Tous droits réservés.

“Muslims Society and Mind Closure” [Société musulmane et fermeture d’esprit] illustration de Greg Groesch/The Washington Times.

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