Publié par Pierre Rehov le 13 juillet 2022
Hamedti, le dictateur sanglant et criminel, qui se fait passer pour un homme de paix aux yeux de l’occident.

Au Soudan, dans le quasi-silence des médias, la guerre continue de faire rage. Ce pays, charnière entre le nord et le sud du continent africain, semble pris en otage par un gouvernement tout ce qu’il y a de plus populicide.

Au Darfour, on massacre au quotidien depuis plusieurs décennies. C’est d’ailleurs le cas un peu partout au Soudan, et ce depuis bien avant l’indépendance du pays. Mais qui en parle ? Le manque d’empathie du monde occidental est dû à sa lassitude face à une tragédie masquée par de discrets intérêts géopolitiques et économiques, ceux du Club de Paris ou de la Chancellerie à Berlin. La communauté internationale, quant à elle, reste focalisée sur un conflit qui se déroule aux portes de l’Europe en opposant directement deux super puissances nucléaires et qui pourrait dégénérer en guerre mondiale.

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À suivre les médias, il semblerait qu’à l’exception des combats opposant la Russie à l’Ukraine, et, par extension, à l’OTAN, le reste de la planète vit une période de paix sans précédent.

Les Nations Unies, de leur côté, se sont enlisées depuis longtemps dans diverses obsessions, dont la condamnation systématique d’Israël et les prises de position en faveur de nombre de dictatures ne sont pas des moindres. Elles ont eu à cœur de sauver leur budget en fuyant la zone qui consommait la majorité de leurs ressources, sans grand résultat d’ailleurs, grâce à l’alibi monté par le violent régime de Khartoum : une transition démocratique de façade qui a fait long feu.

C’est donc du bout des lèvres que l’ONU s’inquiète des tueries quotidiennes commises par les milices du gouvernement islamiste en place contre ses « opposants », désignés comme « rebelles armés et tribaux » pour les disqualifier aux yeux des médias. Un terme qui englobe les villageois, islamisés ou non, les tribus africaines installées dans des régions convoitées, les chrétiens qui vivent dans le sud du pays et, plus généralement, tout individu, femme ou enfant, qui n’aurait pas l’heur de plaire aux milices parallèles à la solde du régime, les terribles Janjaweed, associées aux Forces de Support rapide (RSF) et aux groupes armés liés au gouvernement actuel, issu d’un énième coup d’État militaire mené par le Général Burhan et son acolyte à la réputation génocidaire, le Vice-Président Hemedti.

Au terme d’une visite de quatre jours, l’expert des Nations Unies sur les droits de l’homme au Soudan, Adama Dieng, a récemment exprimé sa profonde inquiétude quant à la situation dans le pays. Un rapport complet, présenté le 15 juin lors de la 50e session des droits de l’homme à Genève, fait état de violences sans égales, notamment contre les manifestants pacifiques hostiles au régime de Khartoum et les villageois africains. Cependant, selon Abdelwahid Elnur, avocat des droits de l’homme et leader de l’opposition démocratique établi à Juba, le rapport ne serait « qu’une goutte d’eau comparée aux atrocités commises quotidiennement par le gouvernement. »

Pour comprendre la situation actuelle, il faut retracer quelques épisodes de l’histoire récente du Soudan.

Après des siècles de colonisation égyptienne, turque, anglaise, le Soudan a acquis son indépendance le 1er janvier 1956. Le pays a immédiatement été la proie de guerres civiles, de coups d’État et de révolutions qui se sont succédé jusqu’en 1972. Sur les 160 ethnies qui composent la population, une petite majorité d’origine arabe domine la vie sociale et politique, en opposition avec les minorités couchitique et nilo-saharienne.

En 1983, la guerre civile dans le Sud a été ravivée à la suite de la politique d’islamisation du gouvernement qui a notamment imposé la loi islamique (charia) à tout le pays. En six ans, plus de 4 millions d’habitants du Soudan Sud seront déplacés ou fuiront les massacres.

Le 6 avril 1985, un groupe d’officiers militaires, dirigés par le lieutenant général Siwar adh Dhahab renverse le président Nimeiri, qui se réfugie en Égypte. Une révolution qui sera suivie par l’établissement d’un gouvernement de coalition avec à sa tête Sadiq Al Mahdi, un dirigeant mou et faible.

En 1989 un nouveau coup d’État fomenté par la junte d’Omar al-Béshir, un intégriste issu des Frères musulmans, place ce dernier à la tête de l’État. Il conservera le pouvoir de façon officielle ou indirecte pendant trois décennies.

Sous la présidence de Béshir, la charia est aussitôt renforcée. L’éducation est remaniée pour mettre l’accent sur l’importance de la culture arabe et islamique, la mémorisation du Coran est rendue obligatoire dans les institutions religieuses et les uniformes scolaires sont remplacés par des treillis de combat tandis qu’une police religieuse est établie avec pour objectif la stricte application des lois coraniques, notamment par les femmes, contraintes de se voiler en public.

Selon des groupes de défense des droits de l’homme, cette période voit une prolifération des chambres de torture connues sous le nom de « maisons fantômes » utilisées par les agences de sécurité. Des membres d’Al-Qaida, y compris Oussama ben Laden, reçoivent asile et assistance, ce qui entraine l’inscription du Soudan par les USA sur la liste de pays complices du terrorisme.

Il faut attendre 2003, pour que le Mouvement de libération du Soudan (SLM) d’Abdelwahid Elnur, essaie d’obtenir des droits pour les populations délaissées et harcelées par la politique d’arabisation et d’islamisation forcée au Darfour. Suite à la violence de la réaction du régime de Khartoum, et à de nombreux massacres contre les populations civiles, en l’absence de possibilité d’obtenir un vrai cessez-le-feu, et parce que les Nations Unies ne parviennent pas à protéger les populations civiles contre les attaques de milices paramilitaires, le SLM formera une force de protection des populations civiles, la Sudan Libération Army ou SLM/A.

Par opposition aux radicaux de Khartoum, le SLM est favorable à un gouvernement laïque et démocratique, proche de l’ouest, ce qui inclut la reconnaissance de l’État d’Israël et l’établissement d’un régime pacifié et inclusif. Elnur devient l’idole de millions de Soudanais, car il n’a jamais fait de compromis avec le régime, ce qui le rend incontournable. Les gouvernements successifs essaieront d’ailleurs de le récupérer tout en le détestant pour ce qu’il représente : un possible Mandela qu’il faut empêcher d’accéder au pouvoir.

Profitant du conflit, les milices Janjaweed entreprennent le nettoyage ethnique du Darfour en se livrant à une surenchère d’atrocités. Des centaines de milliers de civils sont encore une fois déplacés, tandis que le pays, déchiré par la guerre civile, connaît de rares accalmies, lors d’interventions internationales, d’envoi de troupes de l’Union africaine et de cessez-le-feu succédant à des résolutions du conseil de sécurité de l’ONU. Des coups d’épée dans l’eau pendant que des civils sont tués par milliers.

En 2009, la Cour pénale internationale émet un mandat d’arrêt à l’encontre d’Al Béshir l’accusant de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Les massacres continuent cependant, d’une telle ampleur qu’ils s’apparentent à un ethnocide.

Enfin, en 2018, Abdelwahid Elnur et plusieurs organisations en faveur de la démocratie organisent de nouvelles manifestations dans les rues de Khartoum et dans tout le pays, aboutissant en avril 2019 à la chute d’Omar Al-Béshir, arrêté par son lieutenant, Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti. Celui-ci est le chef des Forces rapides de Sécurité, et ne vaut guère mieux. Il ne fait que saisir une opportunité.

Depuis la chute du gouvernement Al-Béshir et l’incarcération de ce dernier, le pays est « officiellement » dirigé par le Conseil de souveraineté du Soudan, composé de représentants militaires et civils, dont l’ancien premier ministre Abdalla Hamdock, un économiste de 61 ans, et le président du Conseil, Abdel Fatah Al Buran. Mais la coalition est fragile sans la pleine participation des rebelles et notamment du populaire Abdelwahid El Nur.

Après plusieurs mois de discussion, Hamdok rencontre El Nur à Paris en septembre 2019, sous le parrainage d’Emmanuel Macron, et ils décident de coopérer. Mais Hemedti envoie également une délégation pour tenter d’obtenir son alliance. Les refus répétés du leader des SLM/A de se compromettre avec des « criminels baignant dans le sang de son peuple » lui vaudront le surnom de « Monsieur No ». El Nur n’a pas oublié que, le 3 juin de la même année, Hemedti a porté la responsabilité du « massacre de Khartoum » pendant lequel 128 civils ont été tués par ses Forces rapides de Sécurité.

Camps de concentration, personnes déplacées, villages pillés. Le visage du Soudan d’aujourd’hui, sous la dictature d’Hemedti pour le compte de son véritable chef, le terroriste islamiste Omar Al Bashir, recherché pour crime contre l’humanité et protégé.

C’est dans ce contexte fragile que le gouvernement américain a tenté de faire entrer le Soudan dans les accords d’Abraham. En octobre 2020, sous la houlette du président Trump, le Soudan obtenait la levée de toutes les sanctions en échange d’une normalisation des relations diplomatiques avec Israël, de la mise en place d’un régime démocratique, et d’une réconciliation interne devant aboutir à une paix durable.

Peu de temps après, le Soudan entre en guerre avec l’Éthiopie. Un conflit qui durera deux ans.

À ce jour, bien que le Gouvernement américain ait scrupuleusement honoré sa part de l’accord, les autorités soudanaises se sont bien gardées, quant à elles, d’en respecter le moindre alinéa.

Car le « gouvernement de transition » ne durera, lui, que jusqu’au 25 octobre 2021, date à laquelle les militaires soudanais, dirigés par le général Abdel Fattah al-Burhan, prennent le contrôle du gouvernement. Au moins cinq hauts responsables sont arrêtés et incarcérés. Le Premier ministre civil Abdalla Hamdok refuse de déclarer son soutien à ce nouveau coup d’État et a appelle aussitôt à la résistance populaire. Il a est placé en résidence surveillée le 26 octobre.

Face à la résistance interne et internationale, al-Burhan se déclare prêt à rétablir le cabinet Hamdok le 28 octobre, bien que le Premier ministre déchu ait décliné cette offre initiale, conditionnant toute poursuite du dialogue au rétablissement complet du système antérieur.

Le 21 novembre 2021, Hamdok et al-Burhan signent un accord en 14 points rétablissant Hamdok dans ses fonctions de Premier ministre et déclarant que tous les prisonniers politiques seraient libérés. Des groupes civils, dont les Forces pour la liberté et le changement et l’Association des professionnels soudanais, et, une fois de plus, le SLM/A d’Abdelwahid Elnur rejettent l’accord, refusant le partage du pouvoir avec les militaires.

Nombreux sont ceux qui considèrent que les généraux de haut rang – tous membres d’un comité de sécurité nommé par Al Béshir dans les derniers jours de son régime – favorisent le PCN ( Parti du Congrès National ), qui a imposé une version stricte de la charia (loi islamique) lorsqu’il était au pouvoir.

Hamza Balol, l’un des principaux membres du mouvement prodémocratique Forces pour la liberté et le changement (FFC), qui partageait le pouvoir avec les généraux jusqu’au coup d’État, estime que l’armée a saboté la transition en protégeant le PCN.

Les institutions civiles et certains médias, dont la BBC, s’inquiètent : ce nouveau gouvernement fantoche serait-il tout simplement un camouflage pour le retour d’Al Béshir et, bien qu’emprisonné, celui-ci n’est-il pas, tout simplement, derrière chaque évolution du gouvernement soudanais ?

C’est la conviction d’Abdelwahid Elnur, qui constate, avec affliction, que les massacres organisés par les Janjaweed et les Forces d’intervention rapide n’ont connu aucune accalmie. Des manifestations pacifiques se déroulent quotidiennement à Khartoum et dans le reste du pays, interrompues par la police et les milices d’état qui tirent à balles réelles sur la foule, tandis que des razzias sont commises du nord au sud. Habitations incendiées. Villageois conduits de force dans le désert, sans eau ni nourriture. Exécutions sommaires. Femmes et enfants écrasés par des voitures. Étudiants fauchés par les balles… Les morts quotidiens et de blessés se comptent par centaines.

Dans le nord du Soudan, le Groupe Wagner, allié du président Poutine, s’est emparé des principales mines d’or d’Al-Ibediyya avec la complicité du régime. Jour et nuit, l’extraction du précieux minerai est conduite par des Soudanais « libres » dont le salaire symbolique n’est pas loin d’évoquer une forme d’esclavage. Où va cet or ? Nul ne le sait. Mais il pourrait bien alimenter les caisses de Moscou, rendues exsangues par les condamnations internationales, et peut-être celles de son allié, le pays soutien du terrorisme par excellence, c’est-à-dire l’Iran.

Les « Janjaweed »: un bande de pillards, de violeurs et de criminels. « Nous venons de tuer 40 villageois et de brûler leurs maisons. Nous allons en tuer des centaines d’autres »

Aux dernières nouvelles, l’administration Biden a suspendu toute aide au Soudan, y compris celle liée à son accord de normalisation avec Israël, et a informé Jérusalem qu’aucun soutien ne devait être apporté au gouvernement de Khartoum, tant que celui-ci ne serait pas le résultat d’élections démocratiques.

Il faudra sans doute attendre un nouveau coup d’État. Peut-être, cette fois, conduit par le peuple soudanais à l’instigation d’Abdelwahid Elnur, le « monsieur No » qui a toujours refusé toute compromission. Mais cette affaire est beaucoup trop compliquée et trop peu « glamour » pour l’ensemble des médias. Tant que le conflit fera rage entre la Russie et l’Ukraine, en tout cas.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Rehov pour Dreuz.info.

Source : Frontpopulaire

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