Publié par Jean-Patrick Grumberg le 28 septembre 2022

Afficher un symbole nazi ou faire un salut nazi en public n’est pas toujours un crime en Suisse.

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Lors d’un rassemblement protestant contre le vaccin et les restrictions de mouvement en septembre 2021, un manifestant antivax a fait un salut nazi – en plein milieu de la vieille ville de Berne. Le ministère public a donc délivré au manifestant une ordonnance de sanction pour comportement inapproprié. L’homme a toutefois contesté avec succès cette mise en demeure. Un tribunal local a jugé qu’il n’y avait pas de base légale pour une condamnation.

Plusieurs motions parlementaires – et le Conseil des Suisses de l’étranger – souhaitent désormais une tolérance zéro. D’abord hésitant, le gouvernement se penche désormais sur la question.

Un néonazi qui avait fait le salut nazi en 2010 sur la prairie du Rütli, dans le canton d’Uri, a également été acquitté. Le Tribunal fédéral suisse a jugé en 2013 que l’homme avait exprimé ses propres convictions parmi des personnes partageant les mêmes idées, et que cela ne constituait pas une infraction pénale. En revanche, s’il avait fait le salut pour diffuser l’idéologie nazie, il aurait été puni en vertu des lois suisses contre le racisme.

Ces exemples montrent que la Suisse a un certain seuil de tolérance lorsqu’il s’agit de faire des symboles et des gestes nazis.

Les saluts nazis, les croix gammées, etc. ne sont interdits que lorsqu’ils sont utilisés à des fins de propagande.

Des efforts politiques pour supprimer cette distinction sont en cours depuis 2003. Les majorités du Conseil fédéral [gouvernement suisse] et du Parlement ont jusqu’à présent jugé que la liberté d’expression était plus importante, mais cette perception semble désormais changer. Trois motions sur la question ont été déposées au Parlement – une du centre-droit et deux de la gauche.

Une série d’incidents déclenchés par les fanatiques antivax pendant la pandémie

  • La parlementaire du Centre, Marianne Binder, a ouvert le bal en hiver. Mme Binder souhaite une interdiction totale des gestes, drapeaux et symboles nazis, tant dans le monde réel qu’en ligne. Expliquant sa motion, elle a déclaré :

“Les incidents antisémites ont augmenté et ont pris une nouvelle dimension pendant la pandémie”.

  • La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) et la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) le confirment. Selon leur rapport sur l’antisémitisme, 2021 a vu une prolifération d’incidents antisémites en Suisse. Il y a eu 806 signalements de contenus antisémites en ligne, y compris des théories de conspiration antisémites – une augmentation de plus de 60% par rapport à l’année précédente.

Il y a eu 53 incidents antisémites dans le monde réel, dont des insultes, des déclarations publiques et des graffitis offensants sur des synagogues.

Des manifestants anti-vaccins ont porté des étoiles de David sur lesquelles était inscrit le mot “non vacciné”.

Dans la banlieue de Zurich, ils ont graffité “Impfen [vaccination] macht frei” – un jeu de mots sur la porte tristement célèbre d’Auschwitz – à côté d’une croix gammée.

Selon M. Binder, les manifestants n’avaient pas nécessairement des motivations antisémites.

“Vous pouvez plaider la stupidité, mais jusqu’à quel point pouvez-vous être aveugle à l’histoire ?” demande-t-elle, ajoutant que cela constitue une banalisation intolérable de l’Holocauste.

Mme Binder a délibérément limité la motion aux symboles et gestes liés au nazisme et à l’Holocauste, alors que les motions précédentes visaient les symboles et gestes encourageant le racisme et la violence en général. Sinon, il aurait été difficile d’énumérer toutes les infractions possibles. Mais les symboles et les saluts nazis sont sans ambiguïté. “Ils ne relèvent certainement pas de la liberté d’expression”.

  • Les parlementaires Gabriela Suter et Angelo Barrile, tous deux du Parti social-démocrate, ont doublé leurs efforts avec des initiatives parlementaires similaires. La FSCI a approuvé les motions en janvier 2022, la première fois qu’elle a explicitement mis son poids derrière des initiatives de ce type. Selon la FSCI, les extrémistes d’extrême droite qui participent à des rassemblements de protestation et à des concerts profitent spécifiquement de la lacune juridique de la Suisse.

“Cela est particulièrement blessant et déconcertant pour les minorités concernées”.

Il est regrettable, cependant, que les membres de ce parti de gauche appliquent un double standard concernant l’antisémitisme, et ne demandent pas l’interdiction des manifestations, propagande et symboles de BDS, qui sous le prétexte de Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël, prône la destruction de l’Etat juif dont l’existence les révulse – là, il s’agit d’un néo-nazisme aussi explicite que possible.

  • Le Conseil des Suisses de l’étranger, qui représente les intérêts de la “Cinquième Suisse” auprès des autorités et du grand public, s’est également prononcé en mars en faveur de la criminalisation de toute utilisation de symboles et de gestes nazis en public. Au nom de la délégation israélienne, Ralph Steigrad a rappelé que la Suisse débattait de cette question depuis près de 20 ans :

“Elle doit maintenant agir et suivre les exemples d’autres pays. Et il ne s’agit pas d’empêcher la représentation des symboles dans le matériel pédagogique à des fins purement éducatives, a-t-il souligné.

La liberté d’expression ne sert qu’à protéger les propos choquants

Le Conseil fédéral a d’abord voulu laisser les choses en l’état et a rejeté la motion de Marianne Binder. Même si les symboles et les saluts nazis sont “choquants”, ils doivent être tolérés en tant qu’exercice de la liberté d’expression, a-t-il écrit en réponse. Il est préférable d’éduquer les gens plutôt que de promulguer une interdiction. C’est la doctrine américaine, et le résultat est probant : il y a infiniment moins d’antisémitisme (à part, récemment, l’explosion des agressions commises par de jeunes noirs à New York).

Le conseil fédéral rejette l’interdiction

Lors de la session d’hiver 2021, trois motions parlementaires ont été déposées pour demander l’interdiction de la symbolique nazie en public avec le soutien de parlementaires de tous les partis politiques.

Dans sa réponse du 2 février 2022 à une demande de la députée Marianne Binder-Keller, le Conseil fédéral, organe exécutif du pays, a rejeté une telle interdiction.

Dans une déclaration commune avec la Plateforme des juifs progressistes de Suisse (PLJS), la FSCI a exprimé sa perplexité et son irritation face à cette décision :

“D’une part, le Conseil fédéral s’appuie sur des rejets antérieurs de propositions similaires et déclare qu’il n’est guère possible de distinguer entre un comportement punissable et un comportement non punissable” dit le communiqué.

“D’un autre côté, le Conseil fédéral souligne que ces symboles devraient toujours pouvoir être utilisés dans un contexte historique, éducatif, journalistique ou artistique. Un examen de la situation juridique en Allemagne et dans d’autres pays montre que cela serait possible même en cas d’interdiction.

Enfin, le Conseil fédéral est d’avis que, dans ce cas, la prévention est plus efficace que la répression pénale. D’après notre expérience, il est clair que les personnes qui font le salut hitlérien ou utilisent une croix gammée en public font déjà preuve d’une idéologie antisémite renforcée. Croire qu’ils pourraient être dissuadés par un programme de prévention est une erreur massive d’appréciation de la situation.

Ce n’est pas la première fois que des politiciens tentent d’interdire des symboles, des gestes et des drapeaux liés au national-socialisme. Jusqu’à présent, cela a malheureusement toujours échoué, également en raison de l’attitude du Conseil fédéral.

Toutefois, la FSCI et le PLJS restent confiants que ces propositions trouveront un soutien au parlement et feront campagne pour elles publiquement et politiquement”, conclut le communiqué.

Les experts sont divisés

Les experts en droit et en extrémisme sont divisés sur la question.

  • Certains affirment que les nazis pourraient se sentir justifiés si des poursuites pénales étaient engagées contre eux, et qu’une interdiction générale pourrait nous conduire à une sorte de droit pénal axé sur la punition des attitudes ou des systèmes de croyances des contrevenants plutôt que sur l’acte lui-même.
  • D’autres soutiennent que les symboles nazis constituent une menace pour la société pacifique et démocratique et qu’ils sont inacceptables dans tout pays régi par l’État de droit.
  • Et le Conseil fédéral semble avoir surmonté ses hésitations initiales, puisque la ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, se pencherait finalement sur la question. Elle a déclaré que son ministère allait maintenant examiner les options juridiques disponibles.

Mme Keller-Sutter a répondu à l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) – par l’intermédiaire de laquelle le Conseil des Suisses de l’étranger avait exprimé ses préoccupations au Conseil fédéral – en lui assurant que le gouvernement était bien conscient de l’augmentation des incidents antisémites en Suisse.

On peut tout à fait prévenir l’antisémitisme et interdire les symboles nazis en même temps, déclare M. Binder.

Il est nécessaire de faire les deux. Construire un mémorial de l’Holocauste tout en continuant à autoriser les symboles nazis et les saluts va à l’encontre du but recherché. Le Parlement devrait débattre de la motion de Binder lors de sa session d’été. Binder rate ici une étape : condamner Israël pour des violations du droit international qui n’en sont pas est la forme moderne et institutionnelle de l’antisémitisme.

Conclusion

La liberté d’expression n’est plus à la mode. Voltaire n’a jamais dit : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez les exprimer». Une historienne, Evelyn Beatrice Hall, a reconnu que la mention était d’elle et qu’elle n’aurait pas dû la mettre entre guillemets. Voltaire voit donc sa réputation ternie. En revanche, s’il existait aujourd’hui, il serait ridiculisé pour tenir de tels propos.

Je me dois de le rappeler, qu’on soit partisan ou pas de la liberté d’expression, elle n’est pas destinée à protéger les propos consensuels, mais les idées les plus abjectes, les plus dégueulasses et les plus répugnantes. N’est-ce pas ironique q’un droit aussi noble soit au service d’idées dégoûtantes ?

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

Inspiré d’un article publié par la Revue Suisse

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